compte rendu intégral

Présidence de Mme Catherine Tasca

vice-présidente

Secrétaires :

M. Alain Dufaut,

M. Jean-Noël Guérini.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt de documents

Mme la présidente. M. le Premier ministre a communiqué au Sénat, en application de l’article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, trois avenants aux conventions conclues entre l’État et les organismes gestionnaires des fonds consacrés à la mise en œuvre des actions arrêtées au titre du programme des investissements d’avenir, et, en application de l’article L. 612-12 du code monétaire et financier, le rapport annuel de l’Autorité de contrôle prudentiel.

Les premiers ont été transmis à la commission des finances ainsi que, respectivement, à la commission des affaires sociales, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, et à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Le dernier a été transmis à la commission des finances.

Acte est donné du dépôt de ces documents. Ils sont disponibles au bureau de la distribution.

3

 
Dossier législatif : projet de loi relatif au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l'Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité
Discussion générale (suite)

Contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre

Discussion en deuxième lecture et adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, relatif au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité (projet n° 441, texte de la commission n° 537, rapport n° 536).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l'Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité
Article 1er

M. Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous présenter les excuses de mon éminent collègue ministre de la défense et des anciens combattants, Gérard Longuet. Comme vous le savez, celui-ci devait personnellement défendre ce projet de loi hier soir, mais il est aujourd’hui retenu à Bruxelles par la réunion des ministres de la défense de l’OTAN.

M. André Dulait. Il est fort bien remplacé !

M. Henri de Raincourt, ministre. Cela me vaut le privilège insigne de défendre, au nom du Gouvernement, ce texte devant la Haute Assemblée.

Aujourd’hui, confrontée à un monde de plus en plus imprévisible et à des contraintes budgétaires croissantes, l’Europe doit, plus que jamais, être en mesure de développer ses capacités militaires dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune.

En transposant les directives sur, d'une part, les transferts intracommunautaires de produits liés à la défense et, d'autre part, sur la coordination des procédures de passation de marchés des travaux, de fournitures et de services dans les domaines de la défense et de la sécurité, le texte qui vous est soumis aujourd’hui permet de nombreuses avancées.

Actuellement, le marché européen des produits liés à la défense est fragmenté en vingt-sept régimes nationaux, dont les procédures, les champs d’application et les délais d’obtention des licences d’exportation sont très hétérogènes. Chaque pays fait ce qu’il veut en matière de contrôle des exportations d’armement comme en termes de passation de marché.

Ces vingt-sept régimes représentent autant de procédures, de délais, et donc de coûts pour les entreprises comme pour les administrations. Ce sont aussi autant d’obstacles à la construction d’un marché européen pour les équipements de défense.

Demain, après votre vote, que j’espère positif, nous pourrons mettre un terme à cette mosaïque en transposant deux directives communautaires et en réformant le régime de contrôle des importations et exportations entre la France et les pays tiers.

L’Assemblée nationale a apporté quelques modifications complémentaires au texte issu des travaux de la Haute Assemblée.

Monsieur le président de la commission, vos préoccupations ont été suivies, puisque l’Assemblée nationale a repris et validé toutes les préconisations du Sénat, en particulier le système instaurant une quasi-préférence communautaire. Le Gouvernement observe, à cet égard, une totale convergence de vue entre les deux assemblées sur le projet de loi.

S’agissant du volet « transferts intracommunautaires », d’abord, les précisions apportées ont été essentiellement rédactionnelles.

Les changements les plus notables ont été introduits par le Gouvernement, qui a souhaité perfectionner le dispositif qu’il avait introduit au Sénat à l’article 2 pour ce qui concerne les poursuites en cas d’infraction au régime des autorisations.

S’agissant du volet « marchés de défense et de sécurité », ensuite, l’Assemblée nationale a apporté deux compléments utiles au texte issu du Sénat, qui vont dans le sens d’un renforcement du principe de fermeture de ces marchés de défense et de sécurité aux opérateurs de pays tiers à l’Union européenne, renforcement que vous appeliez de vos vœux.

En effet, un premier complément est introduit au niveau du recours à la procédure d’ouverture des marchés à des opérateurs économiques de pays tiers. Selon le texte issu du Sénat, les États membres conserveront la possibilité de décider si, oui ou non, leurs pouvoirs adjudicateurs peuvent autoriser des agents économiques de pays tiers à participer aux procédures de marché. Toutefois, les États membres devront fonder leur décision sur des considérations limitativement définies. « L’obtention d’avantages mutuels », qui n’avait pas été mentionnée par le Sénat, a été ajoutée.

Un second complément a été inséré au niveau de l’examen des offres. Selon le texte issu du Sénat, lors dudit examen, les pouvoirs adjudicateurs pourront prendre en compte le fait que les moyens utilisés pour exécuter tout ou partie du marché sont localisés sur le territoire des États membres de l’Union européenne afin, notamment, d’assurer la sécurité des informations et des approvisionnements. L’Assemblée nationale a également prévu la prise en compte de « considérations environnementales ou sociales ».

Mesdames, messieurs les sénateurs, votre commission des affaires étrangères, lors de ses travaux, a accueilli favorablement l’ensemble des ajouts apportés par l’Assemblée nationale. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement plaide pour une adoption conforme du texte.

Nous sommes en effet tenus par le calendrier, tout particulièrement par les délais de transposition. Si nous nous permettons de demander au Parlement une accélération de ses travaux, nous nous sommes également mis en situation de pouvoir publier, sans tarder, les décrets d’application. Je peux dire que leur préparation est déjà bien avancée.

M. Roger Romani. Très bien !

M. Henri de Raincourt, ministre. Ainsi, aucune complexité supplémentaire n’a été introduite dans le décret relatif aux transferts intracommunautaires. Pendant la période transitoire, du 30 juin 2012 à la fin de 2014 au plus tard, le maintien de la procédure en deux temps, c'est-à-dire agrément préalable et demande d’autorisation, sera atténué par la mise en œuvre de la procédure dite « regroupée » pour traiter simultanément chaque agrément et demande.

Près de la moitié des demandes de licence individuelle, les moins sensibles, devrait ainsi pouvoir bénéficier de cette procédure.

Par ailleurs, même pendant la période transitoire, les autorisations d’importation et de transit intracommunautaires seront supprimées et les licences générales instaurées, conformément à la loi de transposition de la directive.

En outre, le décret « marchés de défense et de sécurité » a été élaboré conjointement par les services du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, du ministère de la défense et des anciens combattants et du ministère de l’intérieur, réunis au sein d’un groupe de travail, et a été amélioré à la suite des consultations des industriels de la défense. Il vise à transposer fidèlement la directive 2009/81/CE et en exploite toutes les marges de manœuvre. Le délai de transposition, dont l’échéance est fixée au 21 août 2011, devrait ainsi pouvoir être respecté.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, en transposant ces deux directives, adoptées par le Conseil et le Parlement européens lorsque la France assumait la présidence de l’Union européenne, nous avons eu à cœur de préserver à la fois les intérêts de l’État et de nos armées et ceux des entreprises de défense et de sécurité de l’Union européenne.

Je sais que vous êtes à l’écoute de tous ces acteurs pour établir un texte équilibré, ce à quoi, nous sommes, me semble-t-il, parvenus. Je vous invite par conséquent à l’adopter conforme afin de contribuer à bâtir l’industrie française et européenne de défense de demain et de répondre aux besoins de nos forces armées. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture le projet de loi « paquet défense », que nous avons adopté en première lecture en mars dernier. Les deux directives concernées doivent être transposées avant, respectivement, les mois de juin et août 2011.

La première directive, dite « TIC », pour « transferts intracommunautaires », simplifie les conditions des transferts de produits liés à la défense au sein de l’espace économique européen. La seconde directive, dite « MPDS », pour « marchés publics de défense et de sécurité », harmonise les règles des marchés publics pour permettre une meilleure transparence et plus de concurrence dans le processus d’achat des équipements de défense.

La transposition de la directive TIC a donné lieu à un important travail de modernisation de notre régime d’autorisation, qui remontait au décret-loi de 1939 et n’avait pas beaucoup évolué depuis 1955. Cette remise à plat va nous permettre de disposer d’une réglementation beaucoup plus efficace. L’actuel système de double autorisation – agrément préalable pour négocier et signer un contrat, d’une part, autorisation d’exportation, d’autre part – sera remplacé par une licence unique. Il y aura trois types de licence de transfert suivant la sensibilité des matériels et des destinataires. Les autorisations d’importation et de transit dans le cadre intracommunautaire seront supprimées.

Bien qu’harmonisé en Europe sur le plan des procédures, le nouveau régime d’autorisation restera de la seule compétence des États membres : en France, il s’agit d’une compétence du Premier ministre, assisté d’une commission, la CIEEMG, la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre.

Naturellement, nous souscrivons à l’objectif de réduction des coûts et des incertitudes juridiques pour les entreprises, confrontées jusqu’alors à vingt-sept régimes nationaux d’autorisation différents dans l’Union européenne.

Pour autant, l’actualité récente a rappelé l’importance de deux exigences vitales.

Tout d’abord, il est nécessaire d’avoir un régime d’autorisation réactif, qui s’adapte au plus vite aux évolutions du contexte international. À cet égard, je voudrais souligner l’application immédiate par la France des décisions d’embargo de l’ONU et de l’Union européenne sur les exportations d’armement à destination de la Libye et de la Syrie, et la suspension, immédiatement, et en fonction des pays et de la nature des équipements, des opérations de délivrance d’agrément préalable, d’autorisation d’exportation et de passage en douane dans les autres cas.

Ensuite, il est impératif de maintenir un très haut degré de rigueur dans le contrôle des exportations. En la matière, le nouveau cadre juridique comporte plusieurs garde-fous : un mécanisme de certification pour garantir la fiabilité des opérateurs qui recevront des matériels dans l’Union européenne ; de nouvelles obligations d’organisation et d’information pesant sur les entreprises, sous peine de sanctions pénales ; surtout, la mise en place, et c’est nouveau, d’un contrôle a posteriori, en plus du contrôle a priori, sous forme d’inspections menées directement sur place, dans les entreprises concernées ; enfin, toute autorisation pourra être suspendue, modifiée, abrogée ou retirée, notamment dans le cas d’un brusque changement du contexte international.

L’Assemblée nationale, saisie en première lecture, s’est ralliée à l’analyse qui avait été la nôtre.

On peut résumer ainsi la position prise par sa commission de la défense, sous l’égide de son rapporteur, notre collègue député M. Yves Fromion, par ailleurs excellent connaisseur du dossier : premièrement, accord sans réserve avec la démarche de modernisation du cadre juridique ; deuxièmement, présentation des deux interrogations pratiques suivantes : ne faudrait-il pas déléguer l’instruction de certaines demandes d’autorisations, les moins sensibles, pour désengorger la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre, la CIEEMG ? Comment la réforme va-t-elle pouvoir entrer en vigueur rapidement avec un système d’information aussi peu performant que le système SIEX actuel, qui fait aujourd’hui l’unanimité contre lui ?

Le Gouvernement lui a apporté les mêmes réponses que celles qu’il nous avait faites : des procédures accélérées et partiellement déléguées seront mises en place, et SIEX sera remplacé dès 2013, et non en 2014, qui est le délai maximal prévu par le texte de loi.

Pour ce qui est de la rédaction, l’Assemblée nationale a repris notre texte en n’y apportant, sur la partie « TIC », que des modifications d’ordre rédactionnel. Aussi, la commission n’a pas apporté d’amendements au texte qui nous a été transmis.

À propos de la partie « MPDS », vous vous souvenez sans doute que l’essentiel de la transposition se fera par décret. Le projet de loi ne concerne que le régime juridique spécifique de certaines personnes publiques tel qu’il est régi par l’ordonnance de 2005. Néanmoins, cette partie est essentielle, car les dispositions les plus importantes serviront de modèle pour la partie réglementaire du code des marchés publics.

Vous vous souvenez également que l’essentiel des modifications que nous avons apportées à cette partie du texte concernait l’affirmation d’une clause de préférence communautaire souple. En effet, le projet de loi initial ne donnait qu’une interprétation modérée et ambiguë du désormais célèbre considérant 18.

Nous nous sommes efforcés, en étroite concertation avec le Gouvernement, d’améliorer cette rédaction. Il ne s’agit pas de fermer le marché, ce que les règles européennes n’autorisent du reste pas, mais, sauf exception, le principe est désormais que les appels français sont ouverts aux seuls opérateurs économiques européens, et que ce n’est que par exception que les pouvoirs adjudicateurs peuvent ouvrir leurs offres à l’ensemble de la concurrence. Encore doivent-ils le faire en prenant en compte plusieurs éléments, tels que les impératifs de sécurité d’information et d’approvisionnement, la préservation des intérêts de la défense et de la sécurité de l’État, ou encore l’intérêt de développer la base industrielle et technologique de défense européenne.

L’Assemblée nationale a réservé un accueil tout à fait favorable à cette modification. Toutefois, elle a souhaité ajouter aux conditions que je viens d’énumérer la prise en compte de « l’obtention d’avantages mutuels ». Dans la mesure où il s’agit de s’approcher le plus possible du texte de la directive, je n’ai aucune objection à opposer à cet ajout et vous propose d’accepter cette modification.

En première lecture, nous avions également souhaité définir, conformément à la directive, les conditions que les pouvoirs adjudicateurs peuvent prendre en compte dans l’exécution des offres. Nous avions ainsi posé la condition de localisation de l’offre sur le territoire européen.

Là encore, l’Assemblée nationale a réservé un accueil favorable à notre texte. Toutefois, elle a souhaité le compléter en ajoutant la prise en compte des considérations environnementales ou sociales dans la décision d’accepter ou de rejeter une offre. Dans la mesure où, là encore, il s’agit de respecter très strictement le texte de la directive, je ne vois pas d’inconvénients à accepter ce complément voulu par nos collègues députés.

En conclusion, et compte tenu du très bon travail fait à l’Assemblée nationale, la commission a adopté conforme le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, ce texte ne doit pas être cantonné à un simple débat technique. Il faut souligner son objectif : donner à l’Union européenne les capacités de construire une défense, pendant de sa politique étrangère. Les convulsions sur les rives de la Méditerranée et les événements de Libye, en particulier, ont démontré la nécessité de la coordination des politiques étrangères des États membres et de la mise en place d’une défense européenne.

Comment, pour cela, organiser le marché européen de l’armement ?

Le credo libéral de la Commission, « ouvrir d’abord, contrôler ensuite », va à l’encontre de la souveraineté nationale dans un domaine par essence régalien, mais renforce-t-il, pour autant, une hypothétique défense européenne ?

La deuxième lecture de ce projet de loi porte sur la transposition de deux directives, l’une relative aux transferts intracommunautaires, sur laquelle le consensus est total, et l’autre sur les marchés publics de défense et de sécurité, qui est plus discutée. Ce texte a des implications allant au-delà de la technicité de l’exercice.

Le précédent ministre de la défense, Alain Juppé, déclarait en commission : « Sans volonté politique, l’ouverture des marchés ne suffira pas à renforcer la base industrielle et technologique de la défense européenne ; il faut relancer l’Europe de la défense en prenant appui sur des coopérations bilatérales, par exemple franco-britannique ».

La volonté politique indispensable commence-t-elle à exister ? La France, en tout cas, fait preuve de diligence dans la transposition de ces deux directives, peut-être parce qu’elle a soutenu leur élaboration lors de sa présidence de l’Union en 2008. Elle devrait, une fois n’est pas coutume, les transposer dans les temps, y compris le volet réglementaire de quatorze décrets et six arrêtés, d’ici au 21 août prochain...

Le marché de défense et de sécurité européen n’a pas un principe corollaire de préférence communautaire comparable au Buy American Act, très protectionniste. Nous pouvons le regretter. Le marché américain, premier mondial, soutenu par une forte volonté politique, a besoin d’une émulation interne pour faire progresser la technologie de ses industries. Le marché européen, soutenu par une volonté politique en devenir, doit, sous peine de voir disparaître une industrie de l’armement toujours très éclatée, se donner le temps de se structurer, et donc, aujourd’hui encore, de se protéger.

Notre commission des affaires étrangères et de la défense a adopté un amendement, renforcé par l’Assemblée nationale, affirmant une clause souple de préférence communautaire, bien que ce principe n’ait qu’une valeur indicative dans le considérant 18 de la directive « MPDS ». L’article 37-2 permet aux acheteurs publics de fermer aux opérateurs économiques tiers à l’Union l’accès à certains de leurs marchés de défense ou de sécurité.

On peut estimer que la Cour de justice de l’Union européenne, compétente pour appliquer le droit communautaire, s’en tiendra au texte de la directive. Néanmoins, de nombreux partenaires européens seront moins vertueux que nous dans la transposition, et davantage tournés vers les importations en provenance des États-Unis.

Monsieur le ministre, vous devez rappeler à nos partenaires que la nécessité d’une application identique de la directive par tous les États membres est indispensable.

Le recours extensif des États membres à l’article 346 du traité de Lisbonne leur permet de se prévaloir de la défense de leurs « intérêts essentiels » pour soustraire un marché à la concurrence. Il a conduit à l’élaboration de ces deux directives simplifiant les procédures d’exportations et créant un nouveau régime des marchés publics.

Je me réjouis de la simplification des procédures de transferts intracommunautaires, car la double autorisation exigeait des délais d’instruction de plusieurs mois. Ce facteur temps, bien que réduit par la directive et la réforme engagée dans sa lignée par le Gouvernement, constitue toujours un handicap lorsque nos partenaires nous demandent d’être très réactifs. Pourquoi ne pas proposer que, passé un certain délai, le silence de l’administration vaudrait approbation ?

Les industriels français sont organisés selon des axes de spécialisation, par segment de marché, par métier ou par type de prestations. Leurs compétences sont étendues et complémentaires, mais ils doivent absolument se coordonner et « chasser en meute » pour être plus conquérants sur le futur marché unique européen. Le délégué général pour l’armement, Laurent Collet-Billon, a employé une expression très appropriée : « L’esprit rugby est à développer parmi les industriels français ».

L’industrie de défense européenne est présente dans tous les secteurs de l’armement, sur presque tous les types de produits, et son potentiel est donc très important.

L’Union européenne représente 30 % des parts du marché mondial, derrière les États-Unis, qui réalisent 52 %. Le Royaume-Uni et la France, deuxième et quatrième exportateurs mondiaux, sont à la pointe des initiatives européennes en matière de défense. La déclaration de Saint-Malo, la lettre d’intention signée par six pays de l’Union, aujourd’hui le « paquet défense », et bientôt le « paquet défense II » vont dans le sens d’une Europe de la défense plus effective.

Quel pourrait être le rôle de l’Agence européenne de défense, présidée par Mme Ashton ? La double responsabilité de celle-ci souligne bien que politique extérieure et défense sont indissociables.

Si nous voulons que l’Union européenne démontre qu’elle développe une politique étrangère, alors nous devons nous donner les moyens politiques, administratifs et techniques d’une défense européenne.

Monsieur le ministre, refusons que l’Union européenne ne devienne une immense Suisse mélancolique et résignée devant les événements du monde ; osons la défense européenne ! (Applaudissements sur certaines travées de l’Union centriste et de l’UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, ce projet de loi, que nous avons déjà examiné en première lecture, nous revient très peu modifié par l’Assemblée nationale.

Sur le volet qui libéralise encore un peu plus, en Europe, les marchés de défense, les députés ont légèrement renforcé la clause de préférence communautaire proposée par notre assemblée pour tenter de limiter l’ouverture des marchés nationaux de l’armement. En revanche, concernant les « transferts communautaires », autrement dit le contrôle des exportations, nos deux assemblées partagent le même point de vue et se satisfont du dispositif proposé. Je ne vois donc malheureusement rien qui puisse modifier l’appréciation négative que nous avions de ce projet de loi.

Nous continuons de penser que la transposition dans notre droit national de la directive visant à harmoniser les règles de procédure de passation des marchés publics des États membres est dangereuse pour la pérennité de nos industries de défense.

Les entreprises européennes de l’armement, d’ailleurs composées de différents partenaires nationaux, sont tout autant menacées par cette volonté dogmatique de privilégier à tout prix la concurrence. Sous prétexte de réduire le coût d’achat de nos armements et d’accroître la compétitivité de nos industries, nous devrions ainsi accepter une ouverture totale de nos marchés de défense, y compris hors de l’espace européen, et cela sans aucune garantie véritable de réciprocité.

Nous craignons tous ici que cette ouverture à une concurrence débridée profite essentiellement aux industriels américains de défense, qui poursuivront leur politique protectionniste.

Je n’insisterai donc pas à nouveau sur les graves dangers que comporte la transcription de cette directive pour la construction de l’Europe de la défense, dont la perspective s’éloignera encore plus et que ne protégera certainement pas une clause de préférence communautaire juridiquement incertaine.

Comme en première lecture, mes critiques portent principalement sur le volet qui modifie profondément notre législation de contrôle des exportations d’armements, sous couvert de transposer la directive simplifiant les ventes d’armes dans les pays de l’Union européenne.

Ces changements législatifs seraient relativement peu risqués s’ils ne s’appliquaient qu’à un marché européen encadré et pratiquant une certaine déontologie. Mais le Gouvernement, en supprimant le double niveau d’autorisation que constituaient l’agrément préalable et l’autorisation d’exportation pour le remplacer par une licence unique, en profite pour étendre les modifications de ce dispositif de contrôle aux pays extracommunautaires.

Jusqu’à présent, les deux demandes que devait déposer un industriel auprès de l’administration, l’une avant de pouvoir négocier avec un client, l’autre avant livraison du matériel, même si elles étaient lentes et lourdes, permettaient de s’entourer de garanties. Pouvant désormais négocier avec leur client sans autorisation préalable, les industriels de l’armement auront la facilité d’exercer un certain chantage à l’emploi auprès du Gouvernement lorsqu’il s’agira d’obtenir après-coup la seule autorisation nécessaire.

Le président de Rohan, dans son rapport de deuxième lecture, a raison…

MM. Jean-Claude Carle et Jean-Claude Gaudin. Comme toujours !

M. Aymeri de Montesquiou. C’est un pléonasme !

M. Guy Fischer. Pour une fois, nous sommes d’accord ! (Sourires.)

Le président de Rohan, disais-je, a raison de souligner que le système de contrôle en vigueur a jusqu’ici bien fonctionné pour éviter une utilisation détournée des armes fournies Le rapport donne des exemples précis, comme l’application des décisions d’embargos de l’ONU et de l’Union européenne sur les exportations d’armement à destination de la Libye et de la Syrie. Au demeurant, se conformer aux décisions d’instances internationales me paraît être la moindre des choses…

Ce dispositif a également permis de suspendre in extremis les exportations de certains matériels sécuritaires à destination de Bahreïn et de la Libye.

C’est pourquoi je doute que le nouveau système de contrôle, inspiré de ce qui se pratique dans l’Union européenne, soit aussi rigoureux et permette vraiment de maintenir la même réactivité en cas d’évolution de la situation dans tel ou tel pays.

La multiplication des conflits intérieurs armés dans la dernière période, que ce soit en Côte d’Ivoire, en Libye ou au Moyen-Orient, devrait au contraire nous inciter à la prudence.

Actuellement les matériels de guerre exportés peuvent être trop facilement détournés d’un usage habituel et utilisés de façon incontrôlée. Ils peuvent aussi être réexportés vers des zones de conflits. Cela est essentiellement dû au manque d’efficacité, en l’absence de moyens de vérification fiable, des contrôles post-exportation.

Au lieu de l’alléger, il aurait donc fallu renforcer le système de contrôle pour favoriser une plus grande vigilance et ne pas se contenter de la simple délivrance de certificats de non-réexportation de la part des pays importateurs. Tenons compte de l’expérience pour qu’à l’avenir notre pays se donne les moyens de mieux évaluer les éventuelles conséquences de ses exportations d’armements !

Il faudrait ainsi une législation contraignante, des procédures efficaces de certification et de surveillance de l’utilisation finale des matériels pour éviter que des armes françaises ne soient vendues lorsqu’il existe un risque qu’elles participent à des violations des droits humains et du droit international humanitaire ou qu’elles entravent le développement économique et social des populations.

C’est enfin sur le terrain de la transparence que cette nouvelle législation sera très nettement insuffisante. L’opinion publique devrait avoir le droit d’être régulièrement informée de ce qui a été exporté et de ce que l’on a interdit d’exporter. C’est ce qui se pratique chez nos voisins britanniques, premiers exportateurs européens dans ce secteur, qui eux publient la liste des licences accordées ou refusées.

Je regrette donc à nouveau que nos amendements de première lecture visant à favoriser une plus grande transparence du rapport sur les ventes d’armes remis par le Gouvernement au Parlement aient été repoussés.

Comme en première lecture, du fait de ses insuffisances et des conséquences négatives qu’il risque d’avoir pour le contrôle des ventes d’armements, le projet de loi ne pourra faire l’objet d’un vote favorable de la part du groupe CRC-SPG.