M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Avant de vous faire part de l’avis du Gouvernement sur ces différents amendements et sous-amendements, je tiens à apporter quelques éléments susceptibles de nourrir notre réflexion commune.

Certains d’entre vous, qui sont opposés au maintien d’un principe d’interdiction des recherches sur l’embryon assorti de dérogations possibles, critiquent son manque de clarté, voire son hypocrisie supposée.

M. Guy Fischer. C’est ce que j’ai dit !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. En effet, monsieur le sénateur, il serait selon vous incohérent d’interdire une activité tout en prévoyant aussitôt qu’il est possible d’y déroger dans certaines situations. Cet argument mérite d’être relativisé.

Affirmer une interdiction de principe et autoriser qu’il puisse y être dérogé est une technique législative utilisée dans d’autres occasions sans que cela soulève autant de passion. Il s’agit de souligner ici la solennité de l’interdit susceptible néanmoins d’être mis en balance avec d’autres impératifs majeurs.

Je donnerai en exemple, même si la situation n’est pas tout à fait la même, le cadre juridique : l’article L. 1241-2 du code de la santé publique dispose : « Aucun prélèvement de tissus ou de cellules, aucune collecte de produits du corps humain en vue de don ne peut avoir lieu sur une personne vivante mineure ou sur une personne vivante majeure faisant l’objet d’une mesure de protection légale. » Il y a donc bien là une interdiction.

L’article L. 1241-3 du même code prévoit quant à lui ceci : « Par dérogation aux dispositions de l’article L. 1241-2, en l’absence d’autre solution thérapeutique, un prélèvement de cellules hématopoïétiques issues de la moelle osseuse peut être fait sur un mineur au bénéfice de son frère ou de sa sœur. » Il y a bien là une interdiction, assortie de dérogations dans certaines situations.

J’ajoute que, dans le cadre d’un prélèvement de cellules hématopoïétiques, il s’agit d’une interdiction assortie de dérogations, lesquelles sont données de façon courante.

M. Guy Fischer. Vous nous enfumez !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Non ! Ces informations sont importantes.

Vous qualifiez d’ « hypocrite » une situation juridique. Je vous rappelle que non seulement vous n’avez pas proposé de revenir sur l’interdiction de prélèvement sur les mineurs, mais que, en outre, vous avez même souhaité, dans le texte que nous examinons aujourd'hui, faciliter le prélèvement en prévoyant que l’autorisation pourrait être accordée « en l’absence d’autre solution thérapeutique appropriée ».

Cette comparaison suscite une interrogation : pourquoi refuser absolument le principe d’interdiction dans un cas et l’accepter sans difficultés dans d’autres ?

Telle est la réflexion que je souhaitais vous livrer. Elle me semble de nature à relativiser l’argument selon lequel le régime d’interdiction applicable à la recherche sur l’embryon serait hypocrite.

Je voulais apporter sur ce point un élément de différenciation dans l’appréciation des cellules qui font l’objet de recherches. Permettez-moi de citer un extrait d’une revue scientifique publiée par l’Agence de biomédecine qui concerne la différence entre, d’une part, les cellules induites, les IPS, et, d’autre part, les cellules souches embryonnaires.

« Les IPS représentent sans conteste une découverte majeure, mais qui restera dans les années qui viennent avant tout un outil de recherche. Les cellules souches embryonnaires sont de toute façon les seules cellules souches pluripotentes physiologiques » – qui existent donc dans l’organisme – « et pour cette raison resteront une référence incontournable à laquelle les IPS devront être comparés.

« Seuls les essais thérapeutiques utilisant des cellules obtenues à partir de cellules souches embryonnaires seront autorisés dans les années qui viennent. Pour l’instant, et encore à moyen terme, les cellules souches embryonnaires et les IPS offriront donc clairement des outils complémentaires pour faire progresser le domaine de la médecine régénérative. »

Un nombre important d’articles sont parus en 2010 et 2011, pointant d’une façon nette les différences entre les deux types de cellule. Sur la question des thérapies cellulaires, nous avons encore besoin, me semble-t-il, des cellules embryonnaires. Elles ont encore toute leur place dans la recherche.

J’en viens à l’avis du Gouvernement sur les amendements présentés sur l’article 23, qui fait directement suite à ce dont nous venons de discuter.

L’amendement n° 36 rectifié ter présenté par Mme Hermange aboutirait à restreindre excessivement le champ des recherches.

M. Guy Fischer. Une interdiction, en somme !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Pour dériver une lignée de cellules souches embryonnaires, l’embryon doit en effet s’être développé in vitro pendant environ cinq jours. À ce stade, le prélèvement de cellules souches entraîne la destruction de l’embryon. À un stade antérieur, le prélèvement d’une cellule sur l’embryon, par exemple à des fins de diagnostic préimplantatoire, n’entraîne pas la destruction de l’embryon, mais il n’est plus possible de dériver des lignées de cellules souches embryonnaires.

Cet amendement conduit donc à interdire les recherches sur les cellules souches embryonnaires, qui présentent – je viens de le dire – de nombreuses perspectives thérapeutiques majeures.

Par ailleurs, compte tenu de leur intérêt scientifique, les recherches menées sur l’embryon in toto doivent aussi pouvoir être autorisées.

Je rappelle que les recherches ne peuvent être pratiquées que sur des embryons surnuméraires qui doivent être détruits.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 36 rectifié ter.

Il en est de même sur l’amendement n° 27 rectifié présenté par M. Retailleau. Un bilan a en effet été dressé sur le dispositif instauré en 2004, qui se révèle positif tant sur le plan éthique que sur le plan médical. Je pense que la recherche doit être strictement encadrée et pérennisée.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

Sans surprise, le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 51 rectifié présenté par M. Gaudin. Le Gouvernement souhaite en effet maintenir un régime d’interdiction assorti de dérogations tout en supprimant le moratoire actuel. Malgré ce que vous en avez dit, monsieur le rapporteur, c’est bien un choix de continuité avec les lois de 1994 et de 2004 et de cohérence avec l’ensemble des dispositions relatives à l’embryon.

M. Guy Fischer. C’est la voix de MM. Sarkozy et Fillon ! C’est l’amendement officiel !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Je demande à Mme Hermange de bien vouloir retirer son sous-amendement n° 31 rectifié quater, qui vise à préciser qu’il s’agit de cellules souches « embryonnaires humaines ».

La précision ne me paraît pas utile, étant donné que le titre V du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique est intitulé « Recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires ». La recherche visée par l’article 23 du présent projet de loi ne peut donc concerner que les cellules souches embryonnaires, ce qui exclut les autres types de cellules souches, en particulier les cellules induites.

Le sous-amendement n° 53 rectifié quater tend à remplacer le mot « médicaux » par celui de « thérapeutiques ». Il est, me semble-t-il, plus clair et plus pertinent, comme l’a souligné d’ailleurs le Conseil d’État, de parler de « finalité médicale » plutôt que de « finalité thérapeutique ». En effet, la notion de finalité thérapeutique pourrait laisser croire que de nouveaux outils thérapeutiques seraient disponibles à l’issue des recherches menées. Or les recherches sur l’embryon nécessitent des phases de recherche fondamentale souvent longues avant que l’on puisse envisager le passage à une éventuelle étape clinique.

Par ailleurs, il est souhaitable de pouvoir autoriser explicitement, en plus des recherches à visée thérapeutique, des recherches à visée diagnostique ou préventive. La rédaction proposée nous pénaliserait, compte tenu des objectifs de notre recherche.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur le sous-amendement n° 53 rectifié quater.

Je préfère à la rédaction du sous-amendement n° 54 rectifié quater présenté par Mme Hermange la rédaction de l’amendement n° 51 rectifié. C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur le sous-amendement n° 54 rectifié quater.

L’amendement n° 32 rectifié tend à substituer les termes de « finalité médicale » à ceux de « progrès médicaux majeurs ». Il est beaucoup plus pertinent, à mon sens, de maintenir ces derniers termes. Le Gouvernement est attaché à la nécessité de maintenir un degré de protection de l’embryon, ce qui implique de n’autoriser que les recherches répondant à des impératifs majeurs. À cet égard, une simple « finalité médicale » ne suffit pas.

J’opposerai à l’amendement n° 37 rectifié quater le même avis défavorable qu’au sous-amendement n° 53 rectifié quater.

L’amendement n° 33 rectifié tend à supprimer la possibilité pour les ministres chargés de la santé et de la recherche d’interdire ou de suspendre les protocoles. Cette possibilité n’a, certes, jamais été mise en œuvre depuis que l’Agence de biomédecine délivre des autorisations de recherche de ce type. Cela ne remet pas en cause le fait que les ministres chargés de la santé ou de la recherche doivent conserver cette possibilité d’interdire ou de suspendre la réalisation d’un protocole.

Le domaine particulièrement sensible de la protection de l’embryon ne fait que renforcer cette exigence.

L’amendement n° 49 rectifié ter vise à interdire toute recherche portant sur la modélisation des pathologies et le criblage. Je ne suis pas d’accord, car ces recherches peuvent permettre des progrès médicaux, en l’occurrence des progrès thérapeutiques. Par exemple, le criblage moléculaire pourrait contribuer à améliorer le traitement de graves maladies génétiques comme la maladie de Huntington.

Dans le cadre du diagnostic préimplantatoire, ou DPI, les cellules souches affectées du gène défectueux permettent d’obtenir des lignées cellulaires sur lesquelles peuvent être expérimentées des possibilités de traitement.

À ce titre, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 49 rectifié ter.

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour explication de vote sur l'amendement n° 36 rectifié ter.

M. Bernard Cazeau. Avec les amendements qui viennent d’être présentés, notamment par MM. Retailleau et Gaudin, nous nous trouvons désormais au cœur du problème : quel est notre rôle exact, quelle est la conception que nous nous en faisons en tant que sénateurs, et donc en tant que législateur ?

J’entends bien qu’un certain nombre de membres de la Haute Assemblée, particulièrement Mme Hermange et M. Retailleau, puisque nous discutons en l’occurrence de leurs amendements, privilégient leurs convictions personnelles. C’est leur droit, je ne le leur conteste pas. Ils ont de fortes convictions, ils les défendent et ils les privilégient. Nous pourrions, nous aussi, nous en tenir uniquement à des convictions et expliquer – certainement d’une autre manière – en quoi elles consistent.

Mais nous avons aussi un rôle de législateur. Nous n’avons pas à tenir compte uniquement de nos convictions personnelles – même si nous ne pouvons totalement y échapper –, qui sont, dans notre pays, le fruit de notre éducation judéo-chrétienne.

Dans ce rôle de législateur, il nous revient de tenir compte à la fois de l’évolution de la société et de ce que veulent les Français. Or que veulent les Français, sinon que les problèmes qui affectent aujourd'hui la santé puissent à l’avenir trouver une solution ?

Nous devons aussi tenir compte de la volonté des chercheurs qui, eux aussi, ont certainement des convictions personnelles, au moins pour une part d’entre eux. Ils estiment, par comparaison avec leurs confrères étrangers qui ont plus de latitude, que le législateur ne doit pas mettre d’obstacles à leurs recherches. À nous donc de trouver des solutions qui soient plus adaptées pour eux.

Qu’il s’agisse ainsi d’autoriser avec des garanties, ou d’interdire sous dérogations – nous n’allons pas refaire le débat avec Mme la secrétaire d’État, mais nous le pourrions – chacun a des arguments pour défendre l’un ou l’autre.

Permettez-moi d’évoquer quelques souvenirs personnels, qui en rappelleront d’autres à certains collègues qui siègent sur les travées de la majorité du Sénat.

En 1967, Lucien Neuwirth qui était membre de l’Union pour la nouvelle République, l’UNR, a pourtant osé, à l’époque contre une partie de ses collègues, s’engager pour l’autorisation des anticonceptionnels oraux, qui correspondait à une demande du pays et qui était une nécessité.

Simone Veil n’était pas membre du Parti socialiste en 1974. Elle était encore moins membre du Parti communiste, maintenant taxé d’extrême gauche, d’après ce que j’ai entendu tout à l’heure ! (Sourires.)

Mme Annie David. Et en face, c’est l’extrême droite ?

M. Bernard Cazeau. Elle aussi a osé, soutenue par le Président de la République de l’époque, M. Giscard d’Estaing. Parmi ceux qui ont voté, il n’y avait pas que des gens de gauche, puisque nous n’avions pas la majorité. Il y avait aussi, au sein de la majorité sénatoriale, des sénateurs qui avaient certainement des convictions. Mais ils ont su aller au-delà pour apporter leurs voix, et elles étaient nécessaires, permettant ainsi que ces deux lois essentielles soient votées. Plus personne aujourd'hui ne reviendrait dessus. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Le sujet mérite donc réflexion. Il ne faut pas céder à la tentation, que je sens croître depuis quelques jours à en juger aux propos de certains, de rester enfermé dans l’égoïsme des convictions personnelles. Nous avons à tenir un rôle, et ce rôle va bien au-delà de toutes nos convictions.

Le problème est désormais clairement posé. Je pense que ce serait une erreur, pour nous, sénateurs, d’ignorer aujourd'hui, dans cet hémicycle, le rôle qui est le nôtre.

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc, pour explication de vote.

M. Jacques Blanc. Ainsi que le rapporteur l’a justement dit, nous nous trouvons au cœur de la réflexion, ce qui exige, mes chers collègues, des échanges empreints de respect mutuel.

M. Cazeau a procédé à un certain nombre de rappels historiques. Je pourrais dire aussi que j’ai voté, par exemple, la suppression de la peine de mort proposée par M. Badinter.

Alors, respectons-nous, oui, et ne parlons pas d’hypocrisie ! Osons reconnaître que la vie est un sujet qui suscite de légitimes interrogations et parfois de l’angoisse ! Chacun de nous peut répondre à la question posée à sa manière, qu’il ait ou non la foi, selon ce qu’il croit profondément. Je crois que, cela aussi, mérite d’être respecté.

Toutefois, comme il s’agit d’une discussion commune, je voudrais profiter de mon explication de vote pour défendre la position des auteurs de l’amendement n° 51 rectifié.

L’enjeu de ce débat est de savoir si nous optons pour une autorisation, certes encadrée, de la recherche, au risque, comme l’a souligné notre collègue Bruno Retailleau, d’adresser un signal traumatisant et dangereux pour l’avenir, ou si nous maintenons une interdiction tout en prévoyant des dérogations, ce qui n’a rien d’hypocrite, surtout lorsqu’il s’agit de dérogations justifiées. De cette manière, nous pourrions rester dans la ligne qui a été fixée – je salue d’ailleurs le rôle de M. Mattei dans les débats que nous avions eus à l’époque – tout en permettant à la science d’avancer.

En outre, et contrairement aux auteurs du texte que vous avez cité, madame la secrétaire d’État, je souhaite que l’on accentue la recherche sur les IPS. Par exemple, j’ai imposé et financé la création d’une unité de biothérapie cellulaire au CHU de Montpellier. Et je pense sincèrement que nous devons nous attendre à des révolutions majeures en matière de recherche sur les cellules. Le problème dont nous débattons aujourd'hui ne se posera donc peut-être plus.

Quoi qu’il en soit, en adoptant l’amendement n° 51 rectifié, nous ne cassons pas une dynamique de recherche…

M. Alain Milon, rapporteur. Si !

M. Jacques Blanc. … mais nous montrons que, pour nous, tous les problèmes ne sont pas résolus.

Nous sommes dans un débat éthique fondamental ; soyons donc respectueux les uns des autres !

Avec l’amendement n° 51 rectifié, que nous sommes nombreux à avoir cosigné, nous faisons le choix d’un symbole, qui n’est pas un signal négatif adressé aux chercheurs. Il s’agit seulement de tenir compte de la réalité : sachons exprimer nos angoisses et nos interrogations avec humilité !

Pour autant, nous n’abandonnons pas de principes fondamentaux. En tant que médecin, je suis particulièrement bien placé pour savoir combien il est important de poursuivre un certain nombre de recherches essentielles. Simplement, il faut le faire dans le respect de la réalité que je viens d’évoquer.

Hier, j’ai été très heureux d’entendre le Président de la République rappeler devant la conférence nationale du handicap certaines valeurs fondamentales, comme la dignité de la personne humaine. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. Guy Fischer. Il faut les faire vivre, ces valeurs !

M. Jacques Blanc. Mes chers collègues, nous pouvons, me semble-t-il, trouver, dans le respect mutuel, une réponse positive à une interrogation qui nous taraude tous. Ce n’est pas un artifice !

M. Jacques Blanc. Nous sommes au cœur d’un débat fondamental, et les différents points de vue méritent d’être respectés. Je pense que l’amendement n° 51 rectifié répond aux attentes des uns et des autres.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l’instar de notre collègue Jacques Blanc, je considère que ce débat est de haute tenue.

Mais le débat, profondément respectable, est en même temps difficile, car il fait appel à nos convictions sur la source de la vie. Il soulève donc un certain nombre d’interrogations et – j’emploie à dessein l’expression de M. Retailleau – de doutes, ce qui nous impose une certaine forme de prudence.

Très souvent, dans nos débats, quand il y a doute, nous nous référons au droit ; ce fut le cas à propos des organismes génétiquement modifiés. Pourquoi en irait-il autrement s’agissant de la recherche sur l’embryon et les cellules souches ? À mon sens, nous devons être très clairs sur un tel sujet.

Je souhaite exprimer toute mon estime au rapporteur, notre collègue Alain Milon. Je respecte profondément son travail, ses convictions. Je le dis en toute amitié, j’ai un désaccord avec lui sur un point de fond. M. le rapporteur affirme craindre les régimes où la loi dicte la vérité scientifique. Je crains, moi, les régimes où la science serait supérieure au droit. (Applaudissements sur plusieurs travées de lUMP. – MM. Philippe Darniche et Bruno Retailleau applaudissent également.)

C’est une grande question de fond. Le chercheur est un être moral, mais la science n’est pas nécessairement un fait moral. Il faut l’encadrer, fixer des limites. En tant qu’hommes et femmes de la société, nous devons dire à la science que nous croyons en elle, que nous avons besoin d’elle, mais que nous avons vu tant de processus, tant de démarches, échapper à la conscience humaine, qu’il nous faut poser des limites.

Regardez le monde d’aujourd’hui ! Combien de faits, y compris dans le domaine financier, détruisent des individus, précisément parce qu’ils échappent aux individus ? (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC-SPG.) J’y crois vraiment, mes chers collègues ! Prenez les produits dérivés financiers : très peu de gens savent ce qu’ils font !

Mme Annie David. Beaucoup de gens en souffrent, pourtant !

M. Jean-Pierre Raffarin. Nous sommes confrontés à un sujet très difficile. Parce que nous représentons ici la société, le pays, nous devons faire en sorte que les hommes et les femmes qui composent la société, le pays, puissent participer au mieux à la construction de leur propre destin.

Le politique, que nous incarnons, doit défendre le droit. Et le droit sera plus fort avec une interdiction assortie de dérogations qu’avec une autorisation sous conditions. Nous avons déjà eu ce débat à propos de l’euthanasie. En fait, nous le retrouvons sur tous les sujets qui touchent à la vie et à la mort. Faut-il interdire en prévoyant des exceptions ou autoriser en fixant des conditions ?

Pour des observateurs extérieurs, il s’agit peut-être d’un débat de spécialistes. Mais non ! C’est un débat de symboles, un débat de sens !

À mon sens, la Haute Assemblée ne peut pas laisser accroire que, pour notre société, la science pourrait être supérieure au droit.

Mme Annie David. Les symboles ne peuvent pas l’être non plus, supérieurs !

M. Jean-Pierre Raffarin. Par conviction personnelle et par conviction de parlementaire représentant la société, je pense que nous devons garder la main sur de tels sujets.

Oui, le politique doit dire à la science : « Cherchez, avancez, mais n’oubliez pas que vous avez aussi des responsabilités ! » Nous savons que les chercheurs assument leurs responsabilités personnelles et morales. Mais il faut aller au-delà, et fixer des limites, même avec des dérogations. Il faut du droit ; notre rôle de parlementaires est de l’exprimer. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. – MM. Philippe Darniche et Bruno Retailleau applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, on a parlé de « respect », d’« éthique ». Il est vrai que ce débat est de très haute tenue ; il méritait de l’être, compte tenu de l’importance du sujet.

Pour ma part, je voudrais également parler de « fait sociétal ». Nous siégeons ici forts de nos convictions personnelles, philosophiques ou religieuses, mais nous sommes également les représentants de la société. Nous devons donc nous demander ce qu’une majorité de nos concitoyens estiment valable.

Les comportements, les conceptions, les façons de penser évoluent. Notre collègue Bernard Cazeau a évoqué l’action de Simone Veil en 1974. À l’époque, ce fut un débat difficile. Chacun, de droite comme de gauche, avait ses propres convictions, sa propre position. Le sujet a transcendé les clivages politiques.

Aujourd'hui, nous sommes confrontés au même problème. À cet égard, je voudrais saluer le courage et la pertinence des analyses de la commission et de son rapporteur, dont nous suivrons l’avis.

Une loi peut-elle comporter un volet dérogatoire ? Pour ma part, je suis sceptique. Parler de « dérogations », c’est à l’évidence ouvrir la porte à un certain nombre d’abus qui peuvent être condamnables.

N’oublions jamais que la loi doit être la même pour tous ! Eu égard aux responsabilités qui sont les nôtres au sein de la Haute Assemblée, la notion de dérogation, même si nous pouvons en comprendre les motivations, présente des risques considérables.

Si vous le permettez, je voudrais me livrer à une comparaison, que d’aucuns jugeront peut-être provocatrice. En suivant la logique à l’œuvre dans cet amendement, on pourrait tout aussi bien prôner la suppression de l’interruption volontaire de grossesse.

Mme Raymonde Le Texier. Vous allez faire des heureux !

M. François Fortassin. Or je sais que personne ne le souhaite.

M. Jean-Jacques Mirassou. Beaucoup le souhaiteraient !

M. François Fortassin. Il peut y avoir des convictions personnelles fortes en la matière, mais, dans ce pays, on n’a jamais obligé une femme qui ne le souhaitait pas à subir une interruption volontaire de grossesse.

M. François Fortassin. En revanche, il me paraît bon que la loi existe. (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, pour explication de vote.

M. Jean-Louis Lorrain. Nous discutons d’un sujet fondamental.

À ce niveau de réflexion, j’aimerais préciser un point sur l’attitude qui doit être la nôtre. L’éthique de conviction n’est qu’une partie de l’éthique ; elle ne correspond pas à l’ensemble de la réflexion que nous devons mener. Il existe aussi une éthique de la discussion – notre débat le prouve – et une éthique du témoignage.

Dès lors, il me semble totalement réducteur de renvoyer chacun dans son camp simplement en fonction de ses convictions.

De même, nous ne sommes pas dans le discours de la croyance, qui relève des convictions personnelles et qui est, à ce titre, respectable ; nous sommes au-delà.

Nous avons la volonté de transcender ces dimensions. Je me suis largement exprimé sur la nécessité de développer le statut de l’embryon, sujet à l’origine de l’ensemble de nos discussions actuelles.

Nous sommes face à des choix difficiles. Pendant un temps, nous avons été enclins à vouloir évaluer la science. Ce n’est pas notre rôle. Mais j’ai particulièrement apprécié le fait que l’on veuille nous redonner une place. J’ai été très satisfait d’entendre certains collègues affirmer que nous devions retrouver notre rôle de législateur. Notre rôle, justement, quel est-il ? Nous devons faire la loi, dire le droit. Mais faire la loi, dire le droit, est-ce dire la vérité ? Je ne le crois pas.

Mme Annie David. Alors, c’est quoi ? Mentir ?

M. Jean-Louis Lorrain. Personne ne détient la vérité.

Mais nous avons aussi un rôle de protection ; nous devons protéger les plus faibles, les plus fragiles.

L’enjeu de ce débat n’est pas tant de nous donner l’occasion de nous battre sur des détails techniques, même s’ils ont leur importance, que de redonner une identité à la bioéthique. Nous devons être d'accord, et je pense que nombre d’entre nous le sont, sur les notions de dignité de la personne, d’indisponibilité du corps et d’intégrité de l’espèce humaine.

La loi nous impose de respecter la vie dès l’origine. Il y a donc là un hiatus.

Il est nécessaire de trouver secours dans d’autres réflexions. C’est là que l’éthique intervient, à un niveau autre que celui de la conviction, pour nous aider à accepter le doute, l’insécurité, et consentir à l’équilibre.

Dans les semaines et les mois à venir, il nous faudra rouvrir le débat sur le concept problématique du bien commun, qui est confronté à l’intérêt des particuliers, chacun tentant d’apporter des solutions.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Effectivement, le Parlement vote les lois et dit le droit, chers collègues.

Au vu de la passion que certains mettent à exprimer leurs convictions, je ne me priverai pas de vous faire connaître les miennes, car elles sont tout aussi importantes et respectables que d’autres.