M. Michel Teston. Bien dit !

Mme Anne-Marie Escoffier. La RGPP, fille de la LOLF, aurait pu être une réforme majeure si avait été respecté l’ordre naturel des choses : une réflexion initiale sur les missions régaliennes de l’État et sur l’organisation souhaitable pour répondre à sa vocation, suivie des aménagements budgétaires qui devaient en résulter. La démarche a été inverse, partant d’un budget contraint pour en déduire la réorganisation des services et des allégements de compétences, transférées aux collectivités locales, soumises, elles-aussi, on l’oublie trop, au diktat de la RGPP.

Comment ne pas illustrer ce constat par quelques mesures prises, certaines intempestivement, sans que nos collectivités soient vraiment consultées ?

La réforme de la carte judiciaire ? On constate tous les jours combien elle rend plus difficile la proximité entre le justiciable et le service public de la justice.

Mme Anne-Marie Escoffier. La réforme de la carte hospitalière n’a pas, jusqu’ici, apporté de solution au problème grave et récurrent de la désertification médicale.

Mme Anne-Marie Escoffier. La réforme de la carte scolaire contreviendrait gravement à l’égalité de tous devant le droit à l’éducation, si les inspecteurs départementaux de l’éducation nationale et les recteurs ne s’étaient pas montrés très frileux, mais très pragmatiques, dans la mise en œuvre des mesures relatives à l’affectation librement choisie par les familles.

Je ne veux pas manquer d’ajouter à ces trois grandes réformes celles dont l’effet a été diversement ressenti sur nos territoires : je pense à la carte militaire, à la territorialisation de la gendarmerie, à la réorganisation de La Poste avec la réduction de son maillage territorial, à la mise en place chaotique de la couverture numérique.

Toutes ces réformes, ou toutes ces mesures, ont concrètement des conséquences lourdes sur le fonctionnement de nos collectivités, qui sont contraintes, peu ou prou, de compenser ce que ne fait plus – ou ne peut plus faire – l’État, ou ce qu’il ne fait plus que partiellement.

Les communes accueillent des « séances foraines » des tribunaux. Les établissements publics de coopération intercommunale financent des maisons médicales, qui, soit dit en passant, ne sont certainement pas la panacée. Les communes, les départements, les régions font des efforts importants pour améliorer partout l’accueil des élèves dans des établissements scolaires rénovés, disposant des meilleurs outils pédagogiques modernes, mais trop souvent manquant de l’essentiel : les enseignants.

Mme Anne-Marie Escoffier. La Poste, malgré la récente convention nationale qui veut garantir une qualité de service maintenue sur tout le territoire, propose des mesures trop souvent économiques, au détriment du lien social qui avait fait sa force.

Et que dire de la couverture numérique encore inachevée qui fragilise les territoires en zone blanche et met à mal l’ambition d’inclusion aux techniques d’information et de communication que s’était donnée le Gouvernement ?

Tout cela pourrait être peu de chose si les collectivités étaient aujourd’hui riches des concours financiers auxquels l’État s’était engagé. Mais il n’en est rien : la progression de l’enveloppe normée indexée sur la moitié du taux de croissance, jusqu’ici inscrite, a été supprimée. L’enveloppe normée des concours de l’État a été figée, comme l’ont été les dotations de base – population et superficie –, comme l’ont été les dotations de compensation et de garantie – à moins qu’elles n’aient même été diminuées ! –, les dotations d’intercommunalité ont été gelées à leur niveau de l’an dernier ; seule la DGF a, légèrement, très légèrement progressé, de 0,2 % !

Ces mesures sont venues s’ajouter à d’autres pertes de ressources fiscales directes déjà entérinées les années précédentes, comme le dégrèvement de 20 % de la taxe foncière sur le non bâti ou la contribution économique territoriale, qui a fait passer le pouvoir de modulation fiscale des départements de 36 % à 12 %.

Au regard de ces ressources en baisse, les dépenses sont en constante augmentation, des dépenses dues non pas à la « fantaisie » des collectivités locales mais à leurs obligations légales nées des transferts de compétences : je ne citerai sur ce point que les charges sociales qui pèsent sur les départements en matière de revenu de solidarité active, RSA, et d’allocation personnalisée d’autonomie, APA.

Ici, sur ces travées, à l’occasion des débats sur la réforme des collectivités territoriales ou sur les lois de finances, nous avons été nombreux à soulever toutes ces problématiques.

Loin de moi l’idée de nier l’action de l’État et de ne pas vouloir reconnaître des voies de progrès. Notre excellent collègue rapporteur de cette proposition de loi a souligné le côté excessif des critiques qui ont donné naissance à ce texte et s’est attaché à montrer toutes les voies de progrès : en matière économique, avec les pôles de compétitivité, les pôles d’excellence rurale ; en matière de maillage du territoire, avec le renforcement de la présence postale, les espaces multi-services, le schéma national des infrastructures de transport, le programme national « très haut débit » et de téléphonie mobile, la coopération sanitaire.

Mais j’ai beau vouloir écarquiller les yeux pour apercevoir les effets positifs de ces mesures qui toutes devraient concourir à un aménagement harmonieux du territoire, je ne vois pas grand-chose, et surtout pas le tableau idyllique, madame la ministre, que vous avez brossé !

Mme Anne-Marie Escoffier. Permettez-moi d’illustrer mon propos par un incident très récent que les voyageurs du vol Paris-Rodez viennent de vivre : embarquement à l’heure et souriant sur le vol habituel qui ramène en Aveyron soixante-huit passagers environ ; ceintures bouclées, portes fermées… et contrordre : tout le monde descend, l’avion change de destination pour Barcelone ! C’est plus porteur, économiquement plus rentable.

Les Aveyronnais rentreront par Toulouse et seront acheminés en car à Rodez : cinq heures de voyage pour une heure normale de vol.

Il n’y aurait rien à dire ou presque s’il ne s’agissait que d’un phénomène ponctuel, mais voilà qu’il est régulier et répétitif.

Eh bien, ce cas concret vaut pour tout le reste : nous sommes enclavés, au sens fort du terme, et les serrures sont si dures à déverrouiller qu’aucune clé ne vient les ouvrir.

Même si, je veux bien l’admettre, les propositions de nos collègues comportent certaines imperfections et mériteraient certains aménagements, elles ont l’immense avantage de provoquer une prise de conscience et d’apporter des voies de réflexion qui conduiraient à fixer des principes fondateurs pour un aménagement du territoire respectueux de la diversité de sa géographie humaine, environnementale, économique et culturelle.

Je veux ici saluer l’initiative de mes collègues du groupe socialiste, les en remercier et leur dire l’intérêt que l’ensemble des membres du groupe RDSE porte à leur proposition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.

M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je m’interroge sur la portée normative et législative du texte que nous examinons.

On y trouve en effet une succession d’articles, sous forme de pétitions et de principes, qui relèvent bien davantage de la motion que d’un texte de loi proposant des mesures directement applicables…

À la lecture de l’exposé des motifs, on perçoit d’emblée l’intention majeure des signataires, qui figure à l’article 8. Il s’agit purement et simplement d’instaurer un moratoire sur la révision générale des politiques publiques, la RGPP.

Mme Anne-Marie Escoffier. Nous ne nous en cachons pas !

M. Jean-Jacques Lozach. Certains à droite le réclament !

M. Dominique de Legge. Or la mission commune d’information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux, présidée par François Patriat et dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, a clairement souligné l’unanimité qui s’est faite, parmi toutes les personnes auditionnées, autour de l’impérieuse nécessité pour l’État de se réformer.

M. Yves Daudigny. Ce sont des généralités !

M. Dominique de Legge. Notre assemblée elle-même, à la suite des missions Mercier, Lambert ou plus récemment Belot, a mis l’accent sur la nécessité d’adapter l’organisation de l’État et ses interventions aux enjeux du XXIsiècle, en tirant les conclusions de la décentralisation, de l’intercommunalité et des nouveaux moyens de communication.

Oui, disons-le clairement ! Nous devions, nous devons et nous devrons encore nous poser la question de l’amélioration du service publique, de la rationalisation de son organisation, ou encore de la maîtrise de la dépense publique, trois objectifs au cœur de la RGPP.

Ce n’est pas le rapporteur de cette mission qui niera les difficultés que peuvent rencontrer les collectivités et les territoires, y compris en ce qui concerne les conséquences de la révision générale des politiques publiques.

Permettez-moi cependant de vous dire que vous gagneriez en crédibilité en ne faisant pas porter à la RGPP tous les maux dont souffre notre société.

La pénurie de médecins en milieu rural tient plus à l’évolution des aspirations de la profession et à sa sociologie qu’à la RGPP. La désertification de certaines zones a hélas débuté bien avant la RGPP.

Quant au remplacement de certains bureaux de poste par des relais tenus par des commerçants, ou des agences tenues par des mairies, ce système a bien davantage contribué à lutter contre la désertification et à améliorer les services à la population que le maintien en l’état ou je ne sais quel pacte que vous voudriez instaurer.

Mme Renée Nicoux. C’est à voir !

M. Dominique de Legge. Croyez-vous vraiment que la fermeture de certaines perceptions ait perturbé le service public, alors que plus personne ne paye ses impôts en liquide et que, fort heureusement à l’heure de l’informatique, les liaisons avec les mairies peuvent aisément se dématérialiser ?

Quant aux agents eux-mêmes, souvent isolés et ne disposant pas de facilités d’organisation au sein d’unités trop petites, ils y ont gagné en qualité et en sécurité au travail.

Avez-vous à ce point une vision si étroite du service public pour le réduire au seul statut de ceux qui y contribuent ? La fermeture de la perception de mon canton n’a suscité aucuns remous, tout simplement parce que l’on ne s’y rend pas tous les jours. En revanche, les habitants de ma commune verraient dans la fermeture de la boulangerie ou de l’épicerie une grave atteinte, une grave régression du service rendu au public.

Venons-en maintenant au fond du problème. Oui, il est impératif non seulement d’améliorer le service public, mais aussi de faire des économies. Ce n’est pas facile à dire et encore moins à faire, surtout en période électorale. De ce point de vue, le calendrier que vous avez choisi pour déposer votre texte ne trompe personne, surtout pas celles et ceux à qui vous voulez vous adresser. Croyez-vous donc les maires et les grands électeurs si naïfs et si peu au fait de la situation de la France, de l’Europe et du monde ?

Comme souvent face à des difficultés, il y a deux attitudes possibles : trouver des solutions ou trouver des coupables. Vous avez opté clairement pour la deuxième.

M. Jean-Jacques Lozach. Nous proposons des solutions.

M. Dominique de Legge. Au lieu de préconiser des évolutions, vous professez une fois de plus l’immobilisme en refusant de regarder la réalité en face. Votre horizon s’arrête aux échéances électorales de septembre et de 2012. (M. Yves Daudigny s’exclame.)

Mme Renée Nicoux. C’est un horizon partagé !

M. Dominique de Legge. Mais l’honneur du politique est de dire la vérité et de la regarder en face. La France ne peut vivre dans une bulle, et dénoncer la mondialisation n’y change rien.

Comment ignorer que tous nos voisins européens mettent en place des politiques de maîtrise de la dépense publique ? Sont-ils tous dans l’erreur ? Auriez-vous raison, mes chers collègues, contre l’Europe entière, y compris contre les grands pays dirigés par vos amis ?

Du temps où ils étaient au pouvoir en Angleterre, vos amis ont relevé l’âge de départ à la retraite que vous vous promettez de rabaisser en France ; ils ont gelé, voire baissé les salaires de la fonction publique et diminué le nombre de fonctionnaires de 300 000 personnes.

De son côté, le socialiste Zapatero a diminué de 5 % la rémunération des fonctionnaires et a engagé un plan de réduction des dépenses de 65 milliards d’euros, sans commune mesure avec notre plan.

M. Jean-Jacques Lozach. Revenez au texte !

M. Dominique de Legge. L’Allemagne de Schröder, bien avant la France, engageait un plan identique.

Le Portugal s’est, comme nous, engagé dans un programme de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, mais, à la différence de la France, il n’a pas redistribué la moitié des économies réalisées sous forme d’amélioration du pouvoir d’achat des fonctionnaires.

Mme Renée Nicoux. Avec des heures supplémentaires !

M. Dominique de Legge. La maîtrise de la dépense publique n’est pas une option, elle est une nécessité vitale ! M. Migaud lui-même, Premier président de la Cour des comptes, ne déclarait-il pas la semaine dernière devant notre commission des finances : « Les efforts nécessaires vont au-delà des mesures déjà prises. L’essentiel du chemin reste donc à faire. » ?

On ne peut être plus clair, et je m’étonne donc de votre insistance à demander toujours plus de dotations d’État pour nos collectivités, dont le maintien même dépend très largement de la réforme de l’État que vous contestez.

Une mission du Fonds monétaire international s’est rendue du 31 mai au 14 juin 2011 en France. Elle a rendu ses conclusions et jugé adaptés la politique de relance française et l’effort de consolidation budgétaire.

M. Jean-Jacques Lozach. On s’éloigne du texte !

M. Dominique de Legge. Elle souligne l’importance de la réforme des retraites de 2010 et estime équilibré notre programme de stabilité adressé au début du mois de mai à la Commission européenne.

Et vous, pendant ce temps, vous ne proposez rien de moins que d’interrompre ce processus de modernisation de l’État qui conditionne la maîtrise de la dépense publique.

Les deux grandes erreurs de votre gestion, chers collègues, lorsque vous étiez aux affaires, furent précisément l’abaissement de l’âge de la retraite et la mise en place des trente-cinq heures.

M. Yves Daudigny. Pourquoi n’avez-vous pas supprimé la loi ?

Mme Renée Nicoux. Et l’augmentation du chômage, ce n’est pas une erreur ?

M. Dominique de Legge. C’était assurément sympathique, mais cumulait le double inconvénient du manque de financement et de la marginalisation de la France par rapport à l’évolution du reste du monde.

Puisque vous vous placez sur le registre de la démagogie et de l’aveuglement à la veille des échéances électorales, faisant d’un moratoire sur les réformes un point de rupture entre nous, permettez-moi de vous dire ou de vous prédire – au cas où vous accéderiez un jour aux affaires – que vous aurez le choix entre, d’une part, laisser dériver la dépense, comme vous vous le promettez aujourd’hui, et avant trois mois notre notation se sera dégradée au risque de nous mettre dans la situation de la Grèce, et, d’autre part, renoncer à vos promesses démagogiques, vous exposant ainsi à la déception de celles et de ceux dont vous sollicitez les suffrages.

Oui, la RGPP doit se poursuivre ! Différemment, sans aucun doute, dans la méthode, car il convient d’ajuster son application en tenant compte des territoires et des priorités.

Je le dis franchement, madame la ministre, la RGPP a péché par défaut depuis son origine, car elle ne peut pas n’être que l’affaire du Gouvernement et de l’État. Sa réussite conditionne la place de la France dans le monde et, pour réussir, elle ne peut faire le jeu des uns contre les autres. C’est un enjeu national. Par conséquent, une RGPP équilibrée exige de la solidarité, du dialogue entre les partenaires, davantage de transparence et des évaluations plus régulières.

Vous avez fait le choix, dès le départ, de ne pas entamer la concertation avec les collectivités. On peut le regretter, mais il est à craindre aussi que, sans un certain volontarisme, nous n’aurions guère bougé.

À la décharge du Gouvernement, il faut rappeler que, sur des dossiers et des enjeux tout aussi importants qui auraient dû transcender nos clivages politiques, lorsque le Gouvernement en a appelé au consensus par le passé, le parti socialiste a préféré fuir les débats, qu’il s’agisse de la réforme des retraites ou du plan de relance lors de la crise, pour ne citer que ces seuls exemples.

Vous avez reconnu, chers collègues de l’opposition, partager le diagnostic et les propositions de la mission commune d’information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux, mais vous avez préféré voter contre le rapport parce que le programme du Parti socialiste prévoit un arrêt de la RGPP.

Pour la majorité des sénateurs membres de la mission, les choses sont claires : nous devons poursuivre, sans pause ni moratoire, la réforme de l’État ! C’est pourquoi le groupe UMP s’associe à la motion tendant au renvoi à la commission de cette proposition de loi, qui fait le choix de l’immobilisme, à l’heure où la situation de notre pays appelle au sursaut. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Houpert.

M. Alain Houpert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de M. Lozach a le grand mérite de parler de la ruralité, de la mettre en lumière, mais je crains cependant qu’elle ne fasse pas le bon diagnostic.

Traitons la cause, pas les conséquences. Arrêtons la politique du sparadrap et adoptons le bon traitement.

En réalité, la géographie française est en train de changer. Je suis maire d’une commune de 282 habitants et conseiller général d’un canton dont la densité est de six habitants au kilomètre carré.

Le problème de la ruralité, c’est qu’elle est à la fois trop loin et trop proche de la ville : trop loin, ce qui pose un problème de transport ; trop proche, parce que la matière économique reste captée par la ville.

La ruralité, je la connais, je peux en parler. Je ne suis pas allé à la maternelle, il n’y en avait pas. J’ai fait la communale dans mon village. Je suis allé au collège voisin. Il n’y avait pas de transports scolaires. Je suis allé ensuite à l’internat à Dijon, la ville voisine. Mon fils est aujourd’hui à la maternelle, laquelle n’existait pas à l’époque.

Nous accueillons des néo-ruraux qui, s’ils travaillent en ville, n’ont pas les moyens d’y vivre, car le prix du foncier et de l’impôt foncier y est trop élevé. Faisons en sorte que cet exode devienne un choix plutôt qu’une contrainte. Permettons au monde rural de les accueillir, de créer du lien. Créons un terreau fertile pour qu’ils puissent s’enraciner et sculpter leur poutre de vie. Avoir l’esprit « village », c’est vivre entre l’église et le cimetière, entre Dieu et les ancêtres. C’est le choix du bonheur, mais avec des contraintes.

Aujourd’hui, les territoires ruraux redeviennent attractifs, mais, plus encore, ils doivent devenir une destination de vie choisie pour s’épanouir et s’enraciner. Nos enfants à la campagne sont heureux. J’ai choisi d’y vivre pour que mes enfants connaissent le même bonheur que moi, celui de ne pas être anonyme, de pouvoir, comme je l’ai fait, construire des cabanes, avoir des souvenirs, des concentrés du temps passé, des souvenirs de chasse avec leur grand-père, de parties de pêche avec leurs copains, de refaire La guerre des boutons. Je peux vous assurer que, face aux divertissements modernes, ces plaisirs ne se démodent pas. Nos enfants ne sont pas devant la télévision. Ils explorent la nature et le réel.

La ruralité ne veut pas être la banlieue de la ville, le lieu du ban, du bannissement. La campagne française ne veut pas ressembler aux satellites de Brasília, qui accueillent les employés de la capitale.

Faisons en sorte que les gens puissent faire le choix de venir vivre à la campagne plutôt que de fuir la ville. Pour cela, il faut des commerces de proximité, car les supermarchés des villes, véritables miroirs aux alouettes, ont vidé les campagnes des derniers commerces de proximité. Je sais de quoi je parle, moi qui suis fils d’un épicier de campagne qui a dû fermer son échoppe.

Que doit faire l’État ? Il doit faire en sorte que les gens puissent choisir la campagne autour de l’esprit « village ».

Créons des lieux de proximité, des commerces, des lieux de rencontre, créateurs de liens. Relocalisons l’économie dans les territoires afin d’éviter les mouvements pendulaires, matin et soir, ces déplacements ville-campagne, boulot-dodo !

Nos villages se transforment en dortoirs avec des volets clos la journée, où les gens n’ont pas le temps de s’intégrer. Aidons-les tous ensemble à s’enraciner dans ce terreau fertile. Je le répète : faisons en sorte que les gens puissent faire le choix de venir à la campagne plutôt que de fuir la ville.

Mener une politique d’aménagement du territoire ambitieuse, c’est d’abord relocaliser l’activité. Les services publics viennent ensuite en soutien. Le rôle de l’État est de faciliter, d’accompagner, et non d’organiser. On est mieux aidé par son prochain que par le lointain. Les erreurs du passé en sont la preuve. Faire l’inverse, ainsi que vous le proposez, cher collègue, c’est mettre la charrue avant les bœufs, ou encore charger la mule de l’État.

Relocaliser l’économie et l’emploi, c’est ce que le Gouvernement s’emploie à faire : avec les pôles d’excellence rurale – 114 projets ont déjà été lancés et 108 millions d’euros investis ; avec les pôles de compétitivité, qui ont permis aux acteurs locaux et aux collectivités locales de travailler en partenariat autour de projets innovants ; avec le programme national « très haut débit », qui vise à couvrir tous les foyers d’ici à 2025 ; avec l’opération de financement de deux cents maisons de santé ; avec l’opération « Plus de services au public », expérimentée dans vingt-trois départements en vue de permettre la mutualisation de moyens entre partenaires tels que La Poste, EDF, la SNCF, Pôle emploi et bien d’autres ; ou encore avec le FISAC, le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, pour les commerces de proximité.

Enfin, comment ne pas évoquer la réforme territoriale ? Il me semble que cette réforme permettra de gagner en efficacité. C’est une réforme de fond, importante.

Avec votre proposition de loi, monsieur Lozach, vous donnez à penser que la France est sous-administrée. C’est faux ! Au contraire, la réforme était nécessaire, car l’empilement des structures devenait insupportable. Cette réforme fait entrer la France et ses collectivités locales dans une géographie moderne.

Notre ambition n’est pas d’avoir des services publics en moins, mais en mieux.

La ruralité est raisonnable, elle le prouve ; les ruraux sont lucides, ils le prouvent.

Il est vrai qu’il reste encore du pain sur la planche. Les ruraux n’ont pas les mêmes besoins que les habitants des villes. Calquer le rural sur l’urbain serait une grave erreur.

Certes, la ruralité doit relever des défis qui lui sont propres : l’éloignement, les distances, l’isolement. De ce fait, les habitants des zones rurales doivent gérer leurs déplacements et ceux de leur famille pour se rendre sur leur lieu de travail, aller faire leurs courses, pour le transport des enfants. L’un des véritables enjeux, c’est la disparition des stations-services de proximité à cause du dumping des grandes surfaces, qui sont, elles, en ville.

Peut-être devrions-nous proposer un maillage plus fin de la TIPP, la taxe intérieure sur les produits pétroliers, qui relève de la compétence des régions, un maillage plus adapté aux territoires ? Il faudrait en effet appliquer des taux plus faibles en zone rurale, quand la nécessité du déplacement fait loi.

Je souhaite une autre vision de la ruralité. Il ne faut pas penser la campagne sur le modèle de la ville.

Le problème en France est qu’il n’y a pas de salut hors de l’urbain. Pourquoi ne pas installer, à l’instar de nos pays voisins – l’Allemagne, les Pays-Bas –, nos maisons de retraite à la campagne, hors des murs, là où il y a de l’espace et où nos aînés peuvent se poser et se reposer ? À cet égard, je rappelle que le foncier représente 30 % du coût de la prise en charge de la dépendance.

La réforme de la carte hospitalière a été évoquée. Vous savez très bien, chers collègues, qu’on ne peut pas conserver des hôpitaux qui font la même chose partout, ce serait y perdre en qualité des soins. L’avenir est à la spécialisation des sites et au développement des télédiagnostics. Vous savez très bien, chers collègues de l’opposition, que ce qui a tué l’hôpital, ce sont les 35 heures que vous avez votées ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Bel. C’est tellement simple !

M. Alain Houpert. La recherche d’économies budgétaires est en réalité une opportunité pour le monde rural.

Si injustice il y a, elle est dans le traitement des dotations de fonctionnement de nos intercommunalités. Faisons en sorte que les dotations globales de fonctionnement soient les mêmes qu’en ville. Là, nous ferons alors de l’aménagement du territoire.

Les campagnes connaissent un nouvel élan démographique : employées à la ville, les familles s’installent toutefois à la campagne. De ce fait, la contribution économique territoriale, qui est normalement le fruit du travail de ces employés, bénéficie aux villes. Cependant, les travailleurs ont des besoins sur leur lieu de vie. Les taxes d’habitation et les taxes foncières ne suffisent plus, seules, à financer les crèches et les écoles primaires.

Ainsi, dans mon département, une commune dont la population a doublé a été obligée de vendre le bâtiment de sa mairie pour financer l’agrandissement de son école.

De même, la ruralité doit s’adapter à la modernité en matière de transport. À la campagne, la voirie n’est plus adaptée, dimensionnée, pour accueillir les engins agricoles d’aujourd’hui et les poids lourds de demain, lesquels, grâce à leur GPS perfectionné, empruntent les voies communales pour gagner du temps et accroître leur rentabilité, mais c’est un autre problème.

Il est encore difficile pour une commune de réaliser un réseau d’eau et d’assainissement lorsque les habitations sont éloignées : le faible nombre d’abonnés rend l’amortissement impossible.

En réalité, la ruralité, aujourd’hui dynamique, doit être le creuset de nouvelles solidarités à construire et de nouveaux espoirs à faire naître.

Usagers et habitants de la ville et de la campagne, nous avons à construire le monde de demain : un monde équilibré, juste et équitable. Ce serait un signe de reconnaissance envers la ruralité, car la campagne parle. En effet, il ne faut pas remonter très loin dans nos arbres généalogiques respectifs pour y trouver des racines rurales.

C’est au nom de cette vision de la ruralité optimiste que je vous demande, mes chers collègues, de rejeter cette proposition de loi, calquée sur un modèle urbain et un schéma du passé, et de faire en sorte que demain, dans nos villages, soit un jour de fête. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)