M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord vous dire toute ma satisfaction que le premier débat du Sénat renouvelé soit un débat européen.

Je voudrais aussi dire toute ma satisfaction que ce débat ait lieu dans l’hémicycle, alors que le principe avait parfois pu en être contesté, et non pas dans le « petit hémicycle » ...

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. En effet !

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. … et qu’il se tienne à une heure satisfaisante, non pas en fin de soirée, comme l’habitude en avait été prise.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est exact !

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. L’ordre du jour théorique du prochain Conseil européen a été arrêté depuis plus d’un mois. Mais il ne fait aucun doute que le sujet principal en sera, une fois de plus, la crise financière, qui ne cesse de rebondir.

Personne ne reprochera au Conseil européen de donner priorité à cette question, qui domine l’actualité. Bien au contraire !

Mais cette situation montre que l’Europe ne parvient pas à être maîtresse de son destin. La crise financière est partie des États-Unis, elle s’est étendue à l’Europe, puis elle est devenue une crise des dettes souveraines dont l’Europe est l’épicentre.

L’Europe réagit plus vite qu’elle n’agit, elle pare au plus pressé et des décisions présentées comme suffisantes sont remises en question avant même d’être en vigueur.

Le plan adopté le 21 juillet dernier vient à peine d’être approuvé par tous les parlements concernés – l’un d’entre eux se prononce en ce moment même – qu’il est déjà question de nouvelles mesures pour soutenir les banques et transformer le rôle du Fonds européen de stabilité financière.

Il est clair que les décisions prises en commun ne parviennent pas à recréer durablement la confiance. Il manque à l’Europe une force d’entraînement, un centre politique clairement identifié qui donne le sentiment qu’on sait où l’on va et qu’il existe une cohérence entre ce qui est approuvé à Bruxelles et ce qui est mis en œuvre par les États.

Qui peut aujourd’hui véritablement parler au nom de la zone euro ? Pour M. Barroso, c’est la Commission, sous le contrôle du Parlement européen, qui doit être le véritable gouvernement économique de l’eurozone. Mais cette revendication se heurte au fait que la Commission et le Parlement représentent collectivement les vingt-sept pays membres, dont dix-sept seulement appartiennent à la zone euro. Il faudrait une capacité de décision propre à l’eurozone, outre celle de la BCE, aujourd’hui la seule qui existe.

Une autre solution possible serait celle qu’a préconisée l’accord franco-allemand du 16 août dernier, à savoir un gouvernement économique réunissant les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro, avec la même présidence que le Conseil européen. Cette solution n’est peut-être pas idéale, mais elle a l’avantage d’être immédiatement réalisable et d’être adaptée à la situation spécifique de l’eurozone. Cependant, depuis le 16 août, on attend toujours qu’elle se confirme et se concrétise.

En fait, on ne parvient pas à suivre le fil conducteur des décisions prises.

Le 21 juillet, on nous expliquait que le secteur privé – c’est-à-dire les banques – devait participer au sauvetage de la Grèce, en acceptant une décote sur les titres de la dette grecque, mais aussi en achetant de nouveaux titres lorsque les titres actuels viendraient à échéance. Maintenant, on nous explique qu’il faut recapitaliser les banques européennes, notamment parce qu’elles sont fragilisées par la possession de titres de dette publique.

Il est difficile de trouver une cohérence entre ces priorités successives. (Mme la rapporteure générale approuve.)

De même, les experts annonçaient à la fin du mois dernier qu’il y avait urgence, que la Grèce allait faire défaut début octobre ; maintenant, on nous annonce qu’on peut attendre encore avant d’accorder les fonds, alors même que la situation budgétaire de la Grèce continue à se détériorer.

Les rumeurs et les annonces se succèdent, donnant aux citoyens européens une impression de confusion et d’absence de perspectives, et conduisant à un pessimisme de plus en plus profond.

La seule décision claire de l’Union européenne a porté sur le durcissement du pacte de stabilité, avec notamment des sanctions plus automatiques qu’auparavant pour les États en déficit excessif.

Lorsque cette question a été abordée au sein de la commission des affaires européennes – je prends à témoin Jean Bizet, présent dans cet hémicycle –, nous avons été nombreux à être sceptiques sur ce renforcement du volet répressif. Face à une situation de surendettement, la priorité doit-elle être d’infliger des amendes ?

Le renforcement du volet préventif du pacte est un aspect plus intéressant, avec notamment l’idée qu’il vaut mieux coordonner les politiques budgétaires et corriger en temps utile les déséquilibres macroéconomiques.

Mais la véritable prévention, me semble-t-il, consisterait à redonner à l’Europe des perspectives de croissance, au lieu d’annoncer toujours plus d’austérité et de rigueur.

Monsieur le ministre, je sais que votre spécialité est la cardiologie, et non la psychanalyse. Je voudrais néanmoins vous rappeler une histoire que Freud raconte dans un petit ouvrage intitulé Malaise dans la civilisation. Il s’agit de l’histoire d’un paysan avare qui, chaque jour, donne un petit peu moins à manger à son âne. L’âne finit par mourir, et le paysan ne comprend pas cette fin brutale.

Il me semble que nous avons tendance à faire la même chose aujourd’hui. Nous prenons partout en Europe des mesures d’austérité. La croissance diminue, les recettes fiscales baissent et, pour arriver à tout de même réduire les déficits, nous prenons des mesures d’austérité supplémentaires. On ne voit pas le bout de cette spirale.

Pourtant, lorsque le pacte de stabilité avait été conclu en 1997, il avait été rebaptisé – à la demande notamment du gouvernement français de l’époque – « pacte de stabilité et de croissance ». Il semble que la seconde partie de sa dénomination soit aujourd’hui bien oubliée. Or, si rien n’est fait pour recréer des anticipations de croissance, il va être extraordinairement difficile de réduire les déficits accumulés. Il s’ensuivra des tensions de plus en plus fortes au sein de nos sociétés. Personne ne peut accepter la réclusion économique pour une génération. On ne peut pas construire un assainissement financier sur une interminable récession.

La crise est en train de mettre à l’épreuve la solidarité européenne. Les menaces qui pèsent sur le programme européen d’aide aux plus démunis en sont le triste exemple. Certes, nous savons qu’il faut prendre en compte une décision de la Cour de justice. Mais, franchement, que l’Europe tergiverse ainsi lorsqu’il s’agit d’aide alimentaire aux plus démunis, ce n’est pas seulement une faute sur le plan social, c’est un signal politique désastreux ! Nous avons exactement besoin du contraire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste–EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l’UCR et de l’UMP.)

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Face à la crise, l’Europe a besoin de plus de solidarité.

Elle a besoin de plus de solidarité sociale à l’intérieur des États.

Elle a besoin de plus de solidarité entre les régions. C’est d'ailleurs la raison pour laquelle, monsieur le ministre, il est nécessaire que, dans le prochain cadre financier, la politique régionale dispose de moyens suffisants, notamment au profit de la nouvelle catégorie des « régions intermédiaires » dont le Sénat soutient la création.

Monsieur le ministre, je rappelle à cet égard que notre assemblée a voté à l’unanimité une proposition de résolution allant en ce sens.

M. Marc Daunis. Très bien !

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Enfin, l’Europe a besoin de plus de solidarité entre les États car, si nous ne montrons pas que nous sommes déterminés à agir dans l’intérêt commun, nous verrons la spéculation traiter les États comme des dominos, et nous finirons par être tous perdants.

Après avoir commencé mon propos en citant un psychanalyste, et être passé par un cardiologue, je le conclurai par la formule du philosophe Karl Popper : « Les hommes n’ont pas besoin de certitudes, mais ils ont besoin d’espoir ». Aujourd’hui, les Européens ont besoin de regarder au-delà de la crise ; le Conseil européen ne peut pas leur donner des certitudes, mais il doit leur redonner des raisons d’espérer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste–EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l’UCR et de l’UMP.)

M. le président. Avant de donner la parole à M. le président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, je tiens à saluer tous ceux qui, comme lui et M. Sutour, vont s’exprimer aujourd’hui en leur qualité nouvelle.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le prochain Conseil européen doit aborder la politique économique extérieure commune, c’est-à-dire la question des relations commerciales, monétaires et financières que l’Union européenne entretient avec les pays tiers.

Sur le plan multilatéral, une conférence ministérielle est prévue au mois de décembre à Genève. Que peut-on en attendre ? Si, en début d’année, de faibles espoirs subsistaient encore concernant une possible conclusion du cycle de Doha en 2011, ils se sont évaporés.

Dans ce contexte, si elle se contente de constater le blocage des négociations et de répéter les incantations rituelles sur la nécessité de conclure rapidement le cycle de Doha, la conférence ministérielle de décembre risque de n’être qu’un nouveau sommet pour rien. Or je ne pense pas que l’on puisse se satisfaire de cette situation.

D’une part, en effet, le cycle de Doha est consacré prioritairement au développement, et son échec, s’il ne handicape que marginalement les grandes puissances commerciales, constitue en revanche un sujet d’inquiétude majeur pour les pays les moins développés. D’autre part, le blocage des négociations de Doha s’accompagne d’un essor des accords bi- ou plurilatéraux.

D’un point de vue pragmatique, cet essor des négociations bilatérales est nécessaire. En effet, dans l’attente d’une hypothétique conclusion du cycle de Doha, on ne peut pas indéfiniment remettre à demain les progrès concernant des questions centrales du commerce contemporain telles que l’accès aux marchés publics, la protection de la propriété intellectuelle ou la coopération réglementaire.

M. Jean Bizet. Très juste !

M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Cependant, il faut être conscient que, si les accords bilatéraux se développent en lieu et place des accords multilatéraux, cette tendance risque, sur le long terme, de saper la légitimité même de l’approche multilatérale du commerce international. Comment, en effet, l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, et son organe de règlement des différends peuvent-ils espérer continuer à réguler de manière crédible et efficace le commerce si les normes du droit commercial international, sur tous les sujets majeurs, sont désormais fixées en dehors du cadre multilatéral ?

Le développement des accords bilatéraux ne doit donc pas nous dissuader de présenter des propositions nouvelles pour conclure le cycle de Doha, et le prochain Conseil européen doit être l’occasion de réfléchir aux moyens d’avancer dans ce sens. En tout état de cause, l’Union européenne a déjà fait preuve de beaucoup de bonne volonté pour faciliter la conclusion du cycle. Selon moi, elle est allée à la limite de ce qu’elle pouvait concéder, notamment dans le domaine agricole. Mais des initiatives concernant les enjeux et la méthode des négociations restent sans doute encore envisageables.

En particulier, en ce qui concerne les enjeux du cycle en cours, les pourparlers se sont focalisés sur le triptyque « soutiens à l’agriculture, accès aux marchés agricoles, accès aux marchés pour les produits non agricoles ». La restriction du champ des discussions à ces thèmes était conçue comme un moyen de ne pas alourdir les négociations et de faciliter ainsi leur conclusion. Je me souviens que notre collègue Jean Bizet nous avait « vendu » cet argument à l’époque…

M. Jean Bizet. Et je le maintiens !

M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Cette solution semblait relever du bon sens : a priori, moins il y a de sujets sur la table, plus il est facile de trouver un consensus, du moins en théorie ! Avec le recul, on peut se demander cependant si tel est vraiment le cas et si ce choix n’a pas contribué, au contraire, à gripper la machine. En effet, dans le jeu complexe de « donnant-donnant » – ou win win – que constituent des négociations commerciales internationales, un gain dans un domaine se paie d’une concession dans un autre. Or il n’est pas certain qu’il y ait aujourd’hui suffisamment de « grain à moudre » dans le cadre du cycle de Doha pour rendre possible des concessions nouvelles mutuellement profitables à toutes les parties.

Comme je l’ai indiqué, les intérêts majeurs des grandes puissances commerciales développées ou émergentes portent aujourd’hui sur des thèmes situés en dehors du champ des négociations de Doha. Par conséquent, une concession sur un des sujets en discussion dans ce cadre ne peut pas être compensée par une avancée symétrique sur un autre thème, puisque tous les domaines où des avancées « intéressantes » pourraient être enregistrées ne relèvent plus du cycle de Doha. Il faut donc réfléchir aux moyens de débloquer le jeu.

J’en viens maintenant au deuxième volet de l’agenda commercial européen, à savoir le volet bilatéral. Vous le savez, le trimestre qui commence sera riche en rendez-vous importants : un sommet Union européenne-Chine se tiendra en novembre, suivi de sommets Union européenne-Ukraine, Union européenne-Russie et Union européenne-États-Unis en décembre. Avec tous ces acteurs importants du commerce mondial, qui sont aussi des concurrents redoutables pour nous, l’Union européenne est aujourd’hui engagée dans des négociations bilatérales. Or il faut que le respect du principe de réciprocité dans l’ouverture aux marchés soit l’objectif premier qui guide ces négociations.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Très bien !

M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Ce principe est certes affiché clairement dans la stratégie européenne définie en avril 2007 par la Commission européenne. On peut se féliciter que l’Union européenne ait enfin défini sa stratégie commerciale autour de la notion de réciprocité, même si on peut regretter le caractère un peu tardif de sa prise de conscience.

Cependant, il faut maintenant transformer l’objectif affiché en réalité, car il y va de la croissance et de l’emploi sur notre continent. Pour mémoire je rappellerai que, rien qu’avec la Chine, le déficit commercial de l’Union européenne avoisine annuellement cent soixante-dix milliards d’euros et, en l’occurrence, la situation de l’Allemagne n’est guère meilleure que celle de la France. Combien d’emplois perdus un tel déficit commercial représente-t-il ? Nous devons donc rééquilibrer les échanges dans le sens d’une plus grande équité dans les concessions mutuelles.

Je voudrais illustrer les enjeux que soulève cette question en prenant en exemple l’accès aux marchés publics. L’Union européenne a donné accès à 85 % de ses marchés publics aux entreprises des pays tiers, dans le cadre de l’accord sur les marchés publics de l’OMC, ou AMP. Or nos partenaires sont beaucoup plus restrictifs que nous.

Les États-Unis, tout en étant partie à cet accord, excluent certains marchés publics au niveau fédéral, notamment dans le domaine de la défense – vous avez tous en mémoire l’exemple d’un marché dans le domaine de l’aéronautique… Au niveau fédéré, treize États américains excluent complètement l’application de l’AMP et trente-sept autres l’appliquent en excluant des secteurs sensibles, comme l’acier de construction en Pennsylvanie.

Le Japon n’est pas plus vertueux, puisque seuls 25 milliards d’euros de marchés publics sur un total de 570 milliards d’euros sont ouverts aux concurrents étrangers avec, en particulier, une exclusion totale dans le domaine ferroviaire. On peut se demander pourquoi…

Quant à la Chine, elle n’est même pas partie à l’accord sur les marchés publics, son offre d’adhésion ayant été rejetée en raison du caractère extrêmement restrictif de l’ouverture concédée.

Bref, il existe un déséquilibre manifeste dans ce domaine entre l’Europe et ses partenaires. On arrive parfois à des situations totalement absurdes. C’est le cas de l’affaire COVEC, évoquée par M. le ministre : une entreprise publique chinoise a remporté, en Pologne, un marché de construction d’autoroute en présentant une offre tarifaire anormalement basse, alors même que ce projet était cofinancé par des fonds structurels européens. L’Union européenne n’est-elle pas un peu masochiste en la matière ?

Dans ces conditions, le prochain Conseil européen doit être l’occasion de réaffirmer clairement l’attachement de l’Union européenne et de la France à une ouverture équitable des marchés publics, que cette ouverture soit acquise dans le cadre de l’AMP ou d’accords bilatéraux. Il importe également, pour répondre aux déséquilibres les plus manifestes, que l’Union adopte rapidement un outil lui permettant de se défendre contre les mesures protectionnistes d’États tiers et de mettre un terme à ce désarmement unilatéral. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste–EELV.) La Commission européenne s’est engagée à proposer une mesure législative allant dans ce sens avant la fin de l’année : nous serons très attentifs au suivi de cette affaire et nous veillerons à ce que l’outil proposé soit ambitieux, afin que nous ne soyons pas les dindons de la farce de l’accord AMP ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste–EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale de la commission des finances.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est pour le moins étonnant de tenir aujourd’hui un débat censé préparer un sommet européen dont la date vient d’être reportée et dont on ne connaît plus vraiment l’ordre du jour, même si l’on s’en doute ; quoi qu’il en soit, je vais le préempter !

Il est vrai que, depuis trois ans, nous avons appris que, si le pire n’était pas toujours sûr, il était néanmoins possible. Si l’on a mauvais esprit, on se désolera que les dirigeants européens soient obligés de repousser les échéances pour tenter de se mettre d’accord. Mais, si l’on garde le cap sur l’optimisme, on espérera – comme vous tous, j’en suis sûre ! – que ce délai sera mis à profit pour élaborer un véritable plan de réponse global à la crise actuelle.

La crise de la zone euro est entrée dans sa phase la plus aiguë depuis que les premières craintes concernant la Grèce ont été émises, à la fin de l’année 2009. Je voudrais rappeler à notre assemblée ce que nous a coûté l’indécision politique qui a prévalu en mai 2010. Nous connaissons ces jours-ci une situation qui combine les caractéristiques de la crise de septembre-octobre 2008, lorsque le marché interbancaire a pratiquement cessé de fonctionner, et celles du printemps 2010, lorsque les conditions de financement des États de la zone euro ont commencé à diverger dangereusement.

Autrement dit, la crise de la zone euro, due essentiellement à l’indécision politique, a engendré deux risques potentiellement systémiques : une contagion à l’Espagne et l’Italie, contre laquelle les outils dont nous disposons aujourd’hui seraient insuffisants, et une crise bancaire qui menace et deviendrait inévitable si la contagion à l’Espagne et l’Italie se produisait.

Monsieur le ministre, je sais que vous n’aurez pas réponse à toutes les questions que je vais vous poser, …

M. Jean Leonetti, ministre. Ce serait trop simple ! (Sourires.)

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. … mais je sais aussi que vous avez à cœur, comme vous venez de le faire dans votre intervention liminaire, de clarifier les enjeux devant le Sénat.

En ce qui concerne le sauvetage de la zone euro, pour que nous comprenions bien ce dont on parle, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez nous expliquer ce que recouvre la notion d’« effet de levier », qui semble être la solution qui aurait la préférence du Président de la République et du Gouvernement dans leurs discussions avec notre partenaire allemand. Il est en effet envisagé de doter le Fonds européen de stabilité financière, le FESF, d’un « effet de levier ». Quel est le sens de cette formule ? Quel serait le mécanisme juridique mis en œuvre et quels seraient les montants en cause ? Jusqu’à présent, la commission des finances du Sénat n’a pas reçu de réponses à ces questions.

S’agissant de la recapitalisation des banques, quelles sont les options retenues ? Va-t-on vers une solution européenne – je pense qu’elle est souhaitable – ou bien fera-t-on en sorte que chaque État gère ses problèmes, comme en 2008 ? Pourquoi le recours au FESF pour recapitaliser les banques fait-il l’objet d’un débat alors que cette option figure dans l’accord du 21 juillet ? Cela laisse à penser que cet accord est déjà obsolète.

Il ne faut pas oublier que, cette fois-ci, les conséquences de la crise bancaire sont plus graves qu’en 2008, car les États n’ont plus guère de marges de manœuvre ; sans compter que – nous nous en souvenons tous ici – le soutien obtenu « à chaud » par les banques en 2008, sans contreparties véritables, ne pourra plus se renouveler dans les mêmes conditions politiques : nous voyons bien que les peuples grondent, et ils ont raison de le faire, devant l’irrésolution dont font preuve les décideurs politiques. (M. Roland Courteau approuve.)

En tout état de cause, la méthode qui consiste à donner le sentiment d’aller à reculons vers la recapitalisation n’est-elle pas la pire, lorsque l’on voit les différents gouvernements finir par défendre les solutions qu’ils rejetaient la veille ? Cette attitude nuit au retour de la confiance. Et c’est bien d’une grave crise de confiance que souffrent nos pays.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. En ce qui concerne l’organisation du débat entre Européens, je note que le sommet de Deauville, à l’occasion duquel Français et Allemands ont donné le sentiment de négliger leurs partenaires, a laissé des traces. Nous voyons bien que la Slovaquie hésite encore, au moment où je vous parle, à donner son accord au plan du 21 juillet : il ne faudrait pas que la démarche adoptée ce week-end par la Chancelière et le Président de la République, qui témoigne de la réalité du « tandem » franco-allemand, soit à nouveau mal perçue par nos partenaires.

À plus long terme, il est illusoire de penser que l’on sortira de la crise sans dégager un accord – ou au moins les voies d’une réflexion – sur la révision du fonctionnement institutionnel de l’Union monétaire.

Monsieur le ministre, je vous ai entendu tout à l’heure parler d’une « fédération économique ». Je ne sais pas ce que recouvre ce terme, mais il est sûr que la santé d’une économie est toujours sous-tendue par une trajectoire et une stratégie budgétaires. Si l’on s’engageait effectivement sur la voie d’une fédération budgétaire consentie et d’une mutualisation des dettes souveraines, on assisterait alors à un assouplissement des conditions de financement des États : le nœud de l’affaire est donc politique. Même si leur solution s’inscrit à un horizon lointain, ces problèmes doivent être posés. Je sais qu’il est difficile de le faire en France, mais il faut le faire, telle est ma conviction profonde !

Cette référence à une fédération budgétaire me conduit à évoquer, en passant, la question des ressources propres du budget communautaire, souvent soulevée dans cet hémicycle, et l’idée d’affecter à l’Union européenne le produit de la future taxe sur les transactions financières. Il faudra être très clair et très lisible quant à l’utilisation que l’on entend faire du produit de cette taxe, car beaucoup se souviennent qu’elle a été imaginée initialement pour financer l’aide au développement. Monsieur le ministre, vous avez dit que l’on parlait de cette taxe depuis vingt ans. Moi, j’ai le souvenir que l’Assemblée nationale, en 2001, a voté un texte tendant précisément à créer une taxation des mouvements financiers.

Il faudra évidemment débattre du taux et de l’assiette de cette taxe. Tant que ceux-ci ne sont pas connus, l’accord avec nos partenaires allemands reste tout de même largement virtuel. En l’état actuel, qui pourrait se satisfaire d’une taxe qui ne s’appliquerait pas à l’une des principales masses de transaction, les dérivés sur devises ? C’est un point essentiel.

S’agissant des politiques budgétaires, les gouvernements semblent être les seuls à ne pas se préoccuper des effets récessifs de la mise en œuvre simultanée de politiques d’austérité dans les États européens.

Le président de notre commission européenne, Simon Sutour, a clairement évoqué les ressorts de la croissance. Actuellement, les États qui pourraient agir ne le veulent pas et ceux qui le souhaiteraient ne le peuvent pas. Il faudra bien sortir de cette situation. Les marchés financiers ont bien des défauts, mais j’observe que les analystes craignent aujourd'hui davantage une nouvelle récession que les dettes souveraines, ces craintes se cumulant.

Pourquoi n’évoque-t-on jamais la politique monétaire lors des discussions entre Européens alors que l’on aborde le sujet dans le cadre du G20 ?

Le groupe de travail Assemblée nationale-Sénat sur la crise financière internationale, créé sur l’initiative conjointe de Gérard Larcher, alors président du Sénat, et du président de l’Assemblée nationale, s’est prononcé au mois de juin dernier en faveur de l’utilisation par le Conseil de sa faculté de « formuler les orientations générales de politique de change » à l’égard d’autres monnaies. Pourquoi n’en use-t-il pas ?

Ce week-end, lit-on dans la presse, Mme Merkel a souhaité que les traités soient modifiés pour forcer les États endettés à plus de discipline. Que signifie cette proposition alors que le Parlement et les États viennent péniblement de se mettre d’accord sur un « paquet gouvernance » qui comprend notamment une réforme du pacte de stabilité ?

Pour conclure, mes chers collègues, je veux croire encore que les Européens sauront se mettre d’accord pour opérer les choix politiques salutaires.

Le poids et l’influence de l’Europe dans le monde seraient durablement atteints si les Européens se montraient incapables d’être à la hauteur des enjeux. Que pèserait une Europe rappelée à l’ordre par les dirigeants américains ou par le FMI ?

Puissent les chefs d’État et de gouvernement qui se réuniront le 23 octobre prochain avoir cette exigence à l’esprit. Soyez-en assuré, monsieur le ministre, cette exigence est la nôtre et, je crois pouvoir le dire, celle du Sénat tout entier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste–EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UCR.)