M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes au porte-parole de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Le Gouvernement répondra ensuite aux commissions et aux orateurs.

Dans la suite du débat, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen qui se tiendra prochainement portera principalement sur la compétitivité économique de l’Union européenne au regard de ses partenaires et concurrents commerciaux dans le monde, ainsi que sur la définition de politiques de croissance pour l’ensemble de notre continent.

En dépit d’un ordre du jour tourné résolument vers l’avenir, la réunion des chefs d’État et de gouvernement ne pourra se permettre d’omettre le présent et abordera nécessairement ces questions pressée par l’incertitude du temps présent.

L’Europe est parvenue à créer un modèle qui a vocation à inspirer l’ensemble des nations. La crise a pourtant révélé à quel point le centre de gravité du monde tend aujourd'hui à basculer des rives de l’Atlantique vers celles du Pacifique.

À l’horizon de 2050, l’Europe ne représentera plus que 30 % de la richesse mondiale et 6 % de la population mondiale. Dans un quart de siècle, 80 % de la croissance mondiale sera tirée par les pays émergents. La compétition économique qui s’annonce nous oblige d’ores et déjà à doter l’Europe d’une vision stratégique d’ensemble, d’une marche vers la puissance, sans quoi nous serons soumis au condominium sino-américain.

Notre continent souffre principalement d’un double déficit à cet endroit : un déficit en matière d’investissement et de recherche ainsi qu’un déficit lié à la volatilité et à la surévaluation de notre taux de change. Cette situation révèle d’autant plus les failles initiales de la zone euro, que nous nous devons de combler au plus tôt.

Une zone monétaire optimale ne peut conjuguer à la fois la libre circulation des capitaux, la parité fixe de son taux de change et l’indépendance de sa banque centrale.

La variable d’ajustement de l’euro est sans aucun doute sa parité flexible. C’est pourtant celle-là même qui révèle les divergences de compétitivités entre les États membres.

En effet, depuis 2008, la parité moyenne de l’euro par rapport au dollar a été de 1,45. Notre monnaie est structurellement appréciée au regard de nos partenaires commerciaux. Si un tel niveau nous protège relativement des hausses subites des prix des matières premières, notamment du pétrole, il nous rend tout simplement moins compétitifs que nos voisins qui bénéficient de parités mieux ajustées.

La flexibilité externe de l’euro est renforcée par le flou qui existe au cœur des traités européens. Si la répartition des compétences est claire pour les politiques monétaires et les politiques fiscales et budgétaires, la politique du change serait de la compétence partagée du Conseil et de la BCE. Or le Conseil n’a jamais pris une seule décision faisant émerger l’ébauche d’une véritable politique du change paneuropéenne.

Cette situation ne peut plus durer. Sans politique de change, c’est près du quart des réserves de devises mondiales qui sont laissées au bon vouloir des opportunités mercantilistes de nos partenaires commerciaux.

Dans un tel contexte, seuls l’Allemagne et les Pays-Bas parviennent à conserver une balance commerciale positive. D’après les analyses de l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, ce résultat est le fruit d’une spécialisation historique sur la production de machines outils au moyen d’une politique intensive de recrutement d’ingénieurs formés en Europe de l’Est, couplé avec une politique de modération salariale difficilement supportée par la population.

Contrairement à ces deux pays, nous observons inéluctablement, à l’échelle nationale, l’érosion de notre compétitivité. Notre balance commerciale est actuellement déficitaire de 75 milliards d’euros. C’est autant de croissance que nous ne parvenons pas à capter au profit de nos entreprises et de nos salariés. Le diagnostic est simple à établir : nous n’investissons plus assez, nous ne faisons plus assez de recherche, nos PME, d’envergure trop modeste en comparaison de leurs voisines allemandes, sont accablées par une fiscalité archaïque et antiéconomique. Enfin, le coût du travail est devenu trop cher du fait tant du poids impliqué par les trente-cinq heures que par celui des cotisations sociales patronales.

La comparaison se dessine en un chiffre. À elle seule, l’entreprise allemande Siemens dépose chaque année l’équivalent de 60 % du nombre de brevets déposés en France.

Cette situation est d’autant plus périlleuse que la crise de la dette souveraine que traversent de nombreux États de l’Union européenne, notamment de la zone euro, rend les marchés financiers et les agences de notations particulièrement sensibles à l’évolution à venir de nos performances économiques. La solution est connue ; c’est en renouant avec la croissance économique que nous stabiliserons durablement notre dépendance à l’égard des marchés extérieurs et des marchés financiers.

L’Europe, mes chers collègues, est à la croisée des chemins. Les centristes plaident pour un fédéralisme européen.

M. Jean-Michel Baylet. Très bien ! Bravo !

Mme Catherine Morin-Desailly. L’addition des intérêts particuliers des États membres ne suffira pas à relever les défis que l’avenir nous lance. Nous devons poser franchement la question d’une politique industrielle à l’échelle de l’Union afin de garantir des emplois et de la croissance à nos concitoyens. Un grand besoin d’Europe se fait donc sentir dans tous les domaines, y compris dans ceux de la formation et de la recherche.

Il nous faut créer le cadre d’une plus grande convergence interne de nos économies pour mieux faire face à la compétition mondiale. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de réformes à la marge des défis qui sont désormais les nôtres. Nous avons réellement besoin d’un saut qualitatif institutionnel.

Nous devons progresser sur le chemin de l’intégration européenne. À cet égard, les propositions formulées par le Président de la République et la Chancelière allemande au mois d’août dernier vont dans le bon sens. Il nous faut décidément renouer avec l’esprit communautaire

L’initiative franco-allemande de création, dans le cadre du Conseil européen, d’un gouvernement économique de la zone euro est un jalon indispensable vers une coordination plus grande des politiques économiques des États membres de l’Union.

Mme Catherine Morin-Desailly. C’est une entreprise que nous, centristes, encourageons avec force.

La convergence de nos économies doit être également renforcée par la création d’un socle fiscal commun, tant au moyen de l’assiette consolidée de l’impôt sur les sociétés à l’échelle européenne que par la convergence annoncée des fiscalités française et allemande.

Enfin, les sénateurs du groupe de l’Union centriste et républicaine proposent que la France se fasse l’avocate de l’institution d’un trésor européen abondé par l’ensemble des États membres afin de financer des investissements d’avenir nécessaires.

Les mois à venir, mes chers collègues, seront donc déterminants pour l’avenir de l’entreprise européenne, mais aussi pour celui de notre pays. La crise est grave, mais c’est en l’affrontant courageusement, directement à ses racines, sans oublier les valeurs européennes qui sont les nôtres, que nous parviendrons à renouer avec la croissance. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le principal sujet du prochain Conseil européen doit porter sur les moyens de faire face à la profonde crise financière qui secoue la zone euro à la suite des attaques spéculatives des marchés contre les banques et les économies des États.

Cette discussion a été repoussée de quelques jours afin, semble-t-il, de disposer de nouvelles conclusions sur la situation de la Grèce et la recapitalisation des banques.

Monsieur le ministre, c’est donc à ces questions cruciales que je consacrerai mes huit minutes d’intervention pour vous faire part des remarques et des propositions du groupe communiste républicain et citoyen.

À l’évidence, la profonde crise financière que subissent les pays européens, avec des conséquences désastreuses sur leurs politiques économiques et sociales, sonne l’heure de vérité de la construction européenne.

Alors que la monnaie unique est gravement menacée, que la zone euro risque d’éclater, l’Union européenne est la seule zone économique qui ne se défende pas contre la spéculation des marchés sur la dette publique.

À travers les différentes réunions qu’ils ont tenues ces jours-ci, les gouvernements et les instances de l’Union européenne ont donné le triste spectacle, par absence de volonté politique, de leur impuissance à régler la crise de l’euro, à lutter contre la spéculation des marchés, à stopper une probable contagion en cascade à la plupart des pays.

Le dernier exemple en date est la rencontre entre le Président de la République et la Chancelière allemande qui devait trancher le différend franco-allemand sur les modalités de recapitalisation des banques européennes.

On se réunit pour décider de ne rien décider, ou plutôt pour trouver un compromis dont on ne connaît pas le détail, sans doute pour ne pas mettre nos partenaires devant le fait accompli, et dont les modalités ne seront précisées que lors du G20 de la fin du mois. Où sont la place et le rôle de l’Europe dans tout cela ?

Il serait pourtant urgent de régler la question de l’intervention publique face à l’aggravation continue de la crise qui frappe de plein fouet les banques de la zone euro.

Faut-il recapitaliser les banques et de quelle manière ? En faisant appel à leurs moyens propres, à ceux des États ou en utilisant les possibilités offertes par le Fonds européen de stabilité financière ? J’évoquerai, dans la conclusion de mon intervention, les propositions de mon groupe sur cette question.

Au lieu de décider clairement et de façon cohérente, l’Union européenne persiste à prendre dans le désordre des mesures qui aggravent encore la situation.

La façon de tenter de résoudre la crise grecque est à cet égard éclairante. Le plan dit « de sauvetage » du 21 juillet est déjà dépassé avant même d’avoir été adopté par tous les États membres : le parlement allemand l’a ratifié après de nombreuses incertitudes le 29 septembre et les Slovaques devraient être, aujourd’hui même, les derniers à le faire. Pourtant, l’Union européenne, le FMI et la BCE étranglent encore un peu plus ce pays en retardant et en conditionnant le versement de la sixième tranche du plan.

Ces instances, totalement sourdes aux colères populaires, exigent en outre que ce pays accélère son programme de privatisation des entreprises et des services publics, qu’il supprime 30 000 emplois de fonctionnaires, qu’il augmente les impôts pour les classes moyennes et qu’il révise à la baisse les conventions collectives du secteur privé… Rien que cela !

Ces mesures ont pour seul effet d’asphyxier la croissance en diminuant les salaires et en réduisant la consommation intérieure et les recettes fiscales. Du reste, de nombreux économistes ont constaté que la Grèce était déjà en récession et qu’elle n’était même plus en mesure d’imposer de nouvelles mesures d’hyper-austérité.

La récession grecque risque maintenant de contaminer plusieurs économies européennes.

La succession des plans d’austérité les plus drastiques n’a pourtant aucune incidence sur la défiance des marchés puisque, après avoir dégradé la note de la Grèce et celle de l’Espagne, les agences de notation Moody’s et Fitch viennent une nouvelle fois d’abaisser celle de l’Italie.

Notre pays est lui-même menacé à cause de l’exposition de ses banques, à travers des prêts hautement spéculatifs consentis à la Grèce.

Le démantèlement de la banque franco-belge Dexia, avec le renflouement de sa partie française grâce à l’argent public de la Caisse des dépôts et consignations et de la Banque postale, jette une lumière brutale sur une situation qui devient critique pour la France. Et votre gouvernement, monsieur le ministre, craint qu’un surcroît d’endettement ne nous prive du fameux triple A décerné par des agences de notation au service exclusif des marchés…

Non, décidément, face à la gravité de cette crise, il ne faut plus tergiverser. Il faut prendre des mesures radicales pour empêcher les marchés financiers de détruire les économies des pays européens, faire preuve de courage politique pour mettre fin au laxisme de l’Union européenne vis-à-vis des marchés.

À cet égard, le débat sur la recapitalisation des banques est fondamental.

Que l’hypothèse de la possibilité donnée au FESF d’emprunter directement à la BCE ne soit plus taboue montre à quel point il est urgent de changer le statut de celle-ci et de modifier les traités européens dans ce sens.

Pour renverser la situation et rendre possible une maîtrise politique des États sur des marchés financiers aveugles et égoïstes, il faut impérativement donner la possibilité aux États de recourir directement aux crédits très bon marché de la BCE. C’est la seule voie pour stimuler l’économie, car elle permettra aux États d’accroître leurs investissements productifs, utiles aux populations, dans les services publics, dans l’innovation et la recherche, ainsi que dans la formation.

C’est pourquoi nous préconisons de créer à l’échelle européenne un fonds de développement dont la logique différerait de celle que suit l’actuel FESF, et qui serait financé par la BCE, autorisée à prêter aux États à des taux d’intérêt très bas.

En outre, pour encadrer les initiatives purement spéculatives des marchés, il faudrait parvenir à un accord avec nos partenaires européens afin d’instituer une taxe réellement efficace sur les transactions financières.

Monsieur le ministre, je doute que, exception faite d’une convergence fiscale avec l’Allemagne – convergence favorable aux seules entreprises –, le Gouvernement ait l’intention – je ne parle même pas de volonté ! – de promouvoir ces mesures à l’échelon européen. Mais peut-être allez-vous me démentir tout à l’heure…

Sans attendre que le cadre européen change, vous pourriez déjà prendre quelques mesures à l’échelon national afin de lutter contre la toute-puissance des marchés financiers.

Je pense en particulier à l’interdiction permanente des ventes à découvert, à la taxation nationale des transactions financières – il faut bien commencer quelque part ! Pourquoi pas en France ? –, à la réglementation du droit de créer des produits dérivés, au rétablissement d’un « passeport » national pour les fonds spéculatifs, à l’abolition des privilèges d’auto-saisine des agences de notation, ou bien encore à l’arrêt de la cotation en continu des entreprises.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, telles sont les appréciations dont je souhaitais vous faire part au nom du groupe communiste, républicain et citoyen avant le prochain Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste–EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’issue de la visite du Président de la République, Nicolas Sarkozy, à la Chancelière Angela Merkel, dimanche dernier, à Berlin, les deux dirigeants européens se sont prononcés en faveur d’une recapitalisation des banques européennes selon des critères communs.

Soulignant à plusieurs reprises leur unité de vue sur les différents aspects de la crise financière, ils ont cependant évité soigneusement toute annonce concrète : ils ont seulement évoqué, sans plus de détails, des « modifications importantes » aux traités européens allant dans le sens d’une plus grande « intégration de la zone euro ». Or, dans la situation que nous connaissons, ce sont justement les détails qui comptent ! Le temps des grandes déclarations et des effets d’annonce est dépassé.

Bien évidemment, chacun comprendra que l’entente affichée par le couple franco-allemand est nécessaire, notamment pour rassurer les marchés, très sensibles depuis plusieurs mois. Mais faut-il pour autant conclure que Paris et Berlin ont réellement réussi à surmonter leurs divergences, en particulier sur le modus operandi ? Une photo côte à côte ne suffit pas pour affirmer un réel volontarisme politique. Et n’en faut-il pas beaucoup, du volontarisme politique, pour surmonter cette crise ?

On sait bien que nos deux pays ne s’accordent pas véritablement sur le rôle que doit jouer le fameux Fonds européen de stabilité financière. Le vice-chancelier et ministre de l’économie allemand refuse même un soutien direct des banques par le FESF : il suffit de le lire ou de l’écouter !

Par ailleurs, la recapitalisation des banques pose question, pour dire les choses aimablement. En effet, en 2008, les banques ont bénéficié de sommes considérables d’argent public et certaines ont, depuis, réalisé d’énormes profits. Ainsi, en quelque sorte coupables de nombre de nos malheurs, elles seraient les premières blanchies ! Il y a quelques semaines, elles juraient même que tout allait bien et qu’elles avaient réussi les stress tests haut la main. Il est vrai que, depuis, le sort malheureux de Dexia a changé la donne…

Après des années d’abandon par les banques de toute règle prudentielle, des mesures fortes doivent désormais être prises de toute urgence concernant la régulation et la supervision financières, car des défaillances multiples à cet égard sont à l’origine de la crise actuelle.

Nous réclamons depuis longtemps la séparation des activités de dépôt et des activités spéculatives des banques. De même, nous appelons de nos vœux la taxation des transactions financières. La Commission européenne a présenté formellement, vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre, une directive en ce sens. Certes, les taux annoncés sont réduits, mais, pour une fois, ne boudons pas notre plaisir !

Quant à la recapitalisation généralisée des banques, n’est-elle pas une manière d’organiser une faillite ordonnée de la Grèce ? À ce sujet, les dernières réunions de l’Eurogroupe laissent vraiment planer le doute. Alors qu’ils sont dans un paquebot au milieu d’une tempête, les dix-sept ministres semblent se livrer à de petits calculs personnels, démontrant une fois de plus que la coordination des politiques économiques en Europe n’est toujours pas d’actualité. Pourtant, nous le savons, c’est la seule solution car, sans elle, nous ne parviendrons pas à sortir durablement la zone euro de la crise qu’elle traverse. C’est d’ailleurs ce qu’ont rappelé hier les deux nouveaux prix Nobel d’économie, deux Américains pourtant chantres du libéralisme.

Depuis longtemps, mes chers collègues, l’Union européenne a malheureusement donné le sentiment d’hésiter, de douter, voire de renâcler à décider. Les mesures adoptées l’ont été sous la pression des circonstances plutôt que dans l’enthousiasme de l’adhésion à un projet tourné vers l’avenir ; bref, sans aucune vision commune.

Il est temps d’ouvrir les yeux. Cette crise n’est pas seulement financière et économique, avec des conséquences sociales. Il s’agit bel et bien d’une « crise de confiance politique », d’une crise d’absence de volonté politique, dont l’issue ne peut donc être que politique.

Certes, je reconnais que des avancées ont été obtenues. Le FESF en est une, mais pour nécessaire qu’il soit, l’accord du 21 juillet apparaît comme insuffisant, limité et, disons-le franchement, déjà dépassé.

La crise d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui. Et finalement, tout le problème est là : nous ne cessons d’être en retard d’une ou plusieurs batailles. Le décalage est total entre la violence des attaques spéculatives et les réponses des institutions économiques et politiques, faute de gouvernance commune. Seule une gouvernance économique et budgétaire commune, faisant pendant à notre monnaie commune, peut permettre à l’Europe et à la France de sortir de cette crise. Il est d’ailleurs unique au monde qu’une zone économique commune n’ait pas de gouvernance économique et budgétaire commune.

Les Radicaux sont convaincus que la seule solution qui permettrait à l’Europe de combattre la spéculation est de mutualiser les dettes souveraines et de recourir aux bons européens. Je regrette donc que la rencontre franco-allemande du mois d’août n’ait pas permis d’ouvrir une telle perspective. Plus exactement, elle l’a entrouverte, mais ce fut pour la refermer aussitôt.

L’adoption, désormais actée, des six textes renforçant la gouvernance économique est, c’est vrai, une avancée. Je me réjouis de ces initiatives. Je souligne que les Radicaux appelaient d’ailleurs depuis longtemps de leurs vœux un tel renforcement, mais il est naturellement très insuffisant.

Nous avons le sentiment que cette gouvernance s’inspire surtout d’une vision allemande a minima, c’est-à-dire réduite à la question du déficit. Finalement, le nouveau pacte de stabilité et de croissance est déséquilibré : il ressemble à une table branlante dont un pied serait plus court que les autres. C’est en réalité un pacte d’austérité, qui mettra inévitablement la croissance et l’emploi en berne.

S’il faut évidemment veiller à la bonne gestion des comptes publics, prenons garde, monsieur le ministre, à ce que la sortie de crise ne se fasse pas au détriment des plus fragiles.

L’Europe ne doit pas seulement surveiller et sanctionner ; elle doit surtout penser et organiser la relance. Or elle ne parvient pas à dégager une gouvernance européenne claire et efficace. Après l’échec de la stratégie de Lisbonne, la nouvelle stratégie Europe 2020 propose des objectifs communs, recentrés et clairement évalués. Mais tout cela ressemble davantage à un catalogue de bonnes intentions qu’à une volonté politique commune.

Quant à la question capitale des financements, elle est éludée.

Enfin, le discours sur l’état de l’Union récemment prononcé par le président Barroso est certes porteur d’une certaine vision stratégique et constitue une feuille de route dont se dégagent plusieurs orientations. Mais, au-delà de telle ou telle proposition, nous regrettons que cette stratégie d’ensemble arrive beaucoup trop tardivement.

Cette crise en forme de défi pour toute une génération de décideurs peut aussi permettre d’ouvrir la voie à un « renouveau européen », à une relance européenne, fondés sur des réponses adaptées aux problèmes les plus urgents, sur la mise en œuvre d’orientations audacieuses et sur la consolidation des fondements de la construction européenne.

Nous plaidons donc, monsieur le ministre, pour un véritable gouvernement économique, pour une harmonisation fiscale, pour un budget de l’Union à la hauteur des enjeux, pour une capacité d’emprunt et pour une approche volontariste dans le domaine social.

Il reste donc à espérer que les chefs d’État et de gouvernement voudront enfin prendre des initiatives, démontrer cette volonté. Le Conseil européen du 23 octobre prochain peut leur en fournir une bonne occasion.

Je le répète en conclusion : seule une volonté politique clairement affirmée nous permettra de faire face à la toute-puissance des marchés financiers. Les pères fondateurs de l’Europe, avec leur courage et leur détermination, nous ont donné l’exemple.

C’est dans les situations de crise que les responsables doivent faire preuve de courage afin de permettre l’émergence de nouveaux modèles économiques. Il n’y aura pas d’Europe forte et puissante sans une ferme volonté de tous, la vôtre, monsieur le ministre, mais aussi celle de l’ensemble des dirigeants français et européens, quels que soient leurs engagements et leur orientation politique. Oui, chacun d’entre nous doit, en toute responsabilité, prendre sa part de cette volonté et de ce courage. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste–EELV, ainsi que sur plusieurs travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Humbert.

M. Jean-François Humbert. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, j’ai entrepris depuis un an une série de déplacements au sein des pays en crise de la zone euro, afin de présenter devant les membres de la commission des affaires européennes un état des lieux aussi précis que possible de la situation difficile qu’affrontent sur place gouvernements et populations.

De Dublin à Athènes, en passant par Lisbonne et Madrid, j’ai pu observer un scepticisme croissant à l’égard du projet monétaire européen, désormais synonyme de moins-disant social et de rigueur accrue.

J’ai également pu mesurer un décalage entre le temps politique et le temps des marchés. Les programmes d’austérité mis au point ici et là ne peuvent être appliqués aussi rapidement qu’un ordre est passé en Bourse. Cela signifie que nous ne saurions, nous, parlementaires, sous-estimer le temps d’adaptation des populations à une nouvelle donne économique et sociale.

Je comprends le désarroi de nos amis allemands, finlandais ou slovaques face au laxisme budgétaire et fiscal érigé en politique économique par les gouvernements grecs successifs pendant des années. Mais je ne peux mésestimer les peurs et les crispations que ces programmes d’austérité engendrent au sein d’une population qui voit son modèle social bouleversé de fond en comble, des droits ou des montants qu’elle pouvait estimer acquis se trouvant directement affectés.

Je garde en mémoire ce qu’un de nos interlocuteurs – et ce n’était pas un exalté – nous a asséné à Athènes, lorsque je m’y trouvais en compagnie de Simon Sutour : face à la pression qu’exerce l’Union européenne, les Grecs auront bientôt le choix entre l’Europe et la démocratie. Il nous appartient de veiller à ce que cette alternative ne puisse jamais voir le jour.

Si nous nous attardons d’ailleurs quelques instants sur la Grèce, qu’y observons-nous, sinon l’absence d’une réelle tradition administrative ? Il appartient au gouvernement grec de rattraper ce retard à marche forcée. Pour autant, peut-on attendre qu’il y parvienne totalement en dix-huit mois ? Un programme d’austérité, pour être appliqué, doit avant tout emporter la conviction. Or la pédagogie prend du temps et, il faut bien le reconnaître, ce temps n’est pas celui des marchés.

Devons-nous, de fait, céder à la tentation de l’urgence, sans laisser le temps aux gouvernements des pays en difficulté de tenter de concilier pédagogie et efficacité politique ?

Je regrette à ce titre que le message européen soit brouillé, pour ne pas dire parasité, par les déclarations des uns et des autres, au risque de lui faire perdre sa cohérence et surtout de renforcer la pression des marchés sur les pays en difficulté. Jacques Delors dit régulièrement qu’il manque une jambe à l’Union économique et monétaire. Je regrette de constater qu’une voix semble également lui faire défaut : une voix qui tienne un discours tout à la fois apaisant et exigeant, qui soit capable, notamment, de faire cesser ces débats absurdes, et aux relents populistes, sur d’hypothétiques sorties de la zone euro.

Répétons-le, martelons-le, la crise de la dette souveraine n’est pas une crise de la monnaie unique : elle est avant tout une crise de l’endettement public, étendue à l’ensemble de la planète. Elle nous invite à nous réformer. Et si elle offre aussi l’occasion de repenser les contours de la gouvernance de la monnaie unique, elle ne doit en aucun cas se traduire par une ou des exclusions.

Sortons la Grèce de la zone euro et, demain, ce sont Lisbonne, Madrid ou Rome qui subiront un peu plus la rigueur des marchés, c’est l’ensemble du système bancaire européen et, au-delà, nos économies qui en seront affectées, label AAA ou pas !

Nous tentons depuis des mois de proposer, en matière de gouvernance économique, mais aussi au travers des instruments de gestion de crise mis en place, des réponses destinées à éviter ce que les économistes appellent un « effet auto-réalisateur ». Je constate malheureusement que la cacophonie au sein du Conseil européen ou de l’Eurogroupe relativise grandement un tel travail, au point que l’on ne sait plus si ce sont les errements des marchés qui engendrent un discours politique apocalyptique ou s’il s’agit de l’inverse.

Je ne sous-estime pas, pour autant, l’effet boule de neige qui affecte la dette grecque et qui oblige à une prompte prise de décision. Je souhaite à cet égard que le processus de ratification du deuxième plan d’aide défini le 21 juillet dernier arrive le plus rapidement possible à son terme, afin de montrer aux marchés l’unité dont l’Eurogroupe sait faire preuve face aux menaces. Il appartiendra ensuite à nos gouvernements d’affiner ce plan, en ce qui concerne notamment la participation des banques. Il faut en effet que les modalités de celle-ci soient rapidement précisées. Tout effort supplémentaire au-delà des 21 % de décote annoncés doit cependant être précédé de mesures de consolidation du secteur à l’échelle européenne. N’ajoutons pas une crise bancaire aux crises financières locales !

Le renforcement du rôle du Fonds européen de stabilité financière fait également figure de priorité. Les nouveaux pouvoirs dont il dispose – rachat de titres sur le marché secondaire, aide à la recapitalisation des banques, intervention préventive dans les pays ne bénéficiant pas encore d’un programme d’assistance financière – contrastent avec la relative modestie de ses moyens : 440 milliards d’euros sont clairement insuffisants, étant entendu que 140 milliards d’euros environ sont d’ores et déjà dédiés aux plans grec, irlandais et portugais.

Le Fonds, réformé le 11 mars, puis le 21 juillet, est à l’heure actuelle un instrument qui n’a pas les moyens de ses ambitions. J’espère que le Conseil européen permettra d’avancer sur ce point et de proposer des solutions innovantes en vue d’accroître sensiblement sa capacité d’action. Il ne s’agit pas d’augmenter le montant des garanties déposées par les États, mais d’utiliser un effet de levier. Le Fonds pourrait de la sorte se muer en banque ou en assureur.

Ainsi restructuré, le Fonds serait en mesure de répondre aux défis actuels sans attendre la mise en place, forcément lointaine et complexe, de véritables euro-obligations. Il pourrait, de la sorte, être associé à un nouveau programme pour la Grèce.

Loin de moi de prétendre que le plan du 21 juillet est insuffisant. Comme je viens de l’indiquer, il demeure néanmoins imprécis sur certains points et foncièrement optimiste sur d’autres. Je pense notamment aux privatisations. La « troïka » exige d’Athènes qu’elle accélère le programme de vente de ses actifs. Si cette demande est légitime – le gouvernement grec a d’ailleurs lui-même indiqué qu’il espérait en obtenir 50 milliards d’euros d’ici à 2015 –, il convient cependant d’être raisonnable : quel investisseur pourrait aujourd’hui parier sur des actifs grecs ?

Prenant appui sur l’exemple de la réunification allemande, le cabinet Roland Berger préconise le cantonnement de l’ensemble des actifs grecs, puis le rachat de ceux-ci par une structure européenne dédiée. Cela m’apparaît comme une option judicieuse. Le produit de cette vente, estimé à 125 milliards d’euros, offrirait à la Grèce la possibilité de racheter une partie de sa dette. Les investissements réalisés sur ces actifs par la structure européenne en vue d’une prochaine revente permettraient, quant à eux, de relancer l’activité au sein du pays et d’amorcer, enfin, un cercle vertueux.

Le plan du 21 juillet comporte déjà des mesures destinées à la relance de l’activité en Grèce, via notamment la mobilisation des fonds structurels. Il nous appartient sans doute d’aller encore plus loin.

Il n’existe pas de solution miracle pour la Grèce, non plus que pour les autres pays concernés. La base reste la même : discipline budgétaire et adaptation du format de l’État aux exigences financières du temps. Toute réforme sera néanmoins incomplète si elle ne s’appuie pas sur des mesures en faveur de la croissance, sous peine que les malades ne meurent guéris. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR.)