M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Eh oui !

M. Michel Teston. En effet, l’interprétation restrictive du PNTHD par le Gouvernement leur interdit de s’engager dans des projets intégrés associant dans un même déploiement des zones rentables et des zones non rentables. Le modèle de déploiement retenu par le Gouvernement fait donc la part belle aux opérateurs privés, dont les engagements apparaissent largement unilatéraux.

Enfin, ces opérateurs ne contribuent pas du tout au financement du déploiement des réseaux dans les zones peu denses, alors que les instruments de financement public dans les zones 3 sont largement insuffisants. Ainsi, le Fonds national pour la société numérique disposera de 4,5 milliards d’euros au titre du grand emprunt pour répondre à des besoins nécessitant des financements beaucoup plus importants. Quant au Fonds d’aménagement numérique des territoires, il n’est pas doté financièrement pour l’instant.

Pour éviter une France à deux vitesses, des mesures d’inflexion du modèle de déploiement retenu sont donc nécessaires.

Sur le plan législatif, il convient de replacer les collectivités locales au cœur de l’aménagement du territoire en reconnaissant leur statut d’opérateur dans le code des postes et des communications électroniques, à l’instar de ce qui a été fait en 2004 à travers l’article L. 1425–1 du code général des collectivités territoriales.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Il a fallu se battre !

M. Michel Teston. Il est tout aussi essentiel de reconnaître à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes le pouvoir de prendre des sanctions en cas de non-respect par les opérateurs des engagements de déploiement de la fibre.

Sur le plan réglementaire, le Gouvernement doit permettre aux projets intégrés des collectivités territoriales, projets associant desserte des zones denses et peu denses, d’être subventionnés pour la partie « zones peu denses ».

Sur le plan financier, le FANT doit être abondé de 500 à 600 millions d’euros par an, à partir de 2012. Ces concours doivent être apportés principalement par l’État, qui doit retrouver un rôle moteur dans l’aménagement du territoire, en particulier dans l’aménagement numérique du territoire.

En outre, au fur et à mesure du déploiement des réseaux dans les zones denses et moyennement denses, les opérateurs privés doivent participer à l’équipement des zones peu denses en contribuant aux deux fonds précités selon des modalités qui devront faire l’objet de mesures législatives et réglementaires.

Voilà quelles sont nos propositions. Nous aurons l’occasion de débattre en particulier sur la reconnaissance du service universel pour la téléphonie mobile, le haut débit et le très haut débit, et ce, mes chers collègues, à un moment où l’Union européenne, jusqu’à présent réticente, pourrait faire évoluer sa position. En tout cas, c’est le souhait que je forme cet après-midi. (Applaudissements.)

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.

M. Daniel Dubois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens moi aussi à saluer l’excellent rapport de notre collègue Hervé Maurey. Le caractère pragmatique des propositions qu’il fait pour pallier certaines lacunes du plan du Gouvernement en faveur du numérique mérite une attention particulière.

Le plan ambitieux du Président de la République prévoit la couverture de 70 % du territoire en haut débit à l’horizon de 2020, et de 100 % en 2025. Or force est de constater que, aujourd’hui, plus de 20 % des Français n’ont pas accès à un débit de 2 mégabits par seconde, seuil minimal d’un service haut débit. Pis, des zones grises et même des zones blanches subsistent dans certains territoires, non seulement pour le haut débit, mais aussi pour la téléphonie mobile.

Les zones rurales, cela a été dit, sont bien entendu les plus affectées par l’insuffisance des infrastructures numériques, alors même que c’est dans ces zones que la couverture numérique s’avère la plus indispensable. En effet, comment les territoires ruraux pourront-ils maintenir leurs habitants s’ils n’ont pas accès, demain, dans le domaine de l’éducation, de la santé, des services publics et de l’emploi à ces technologies numériques ?

Vous le savez fort bien, mes chers collègues, à l’avenir, l’implantation de maisons médicales ne pourra s’imaginer non seulement sans médecins, mais encore sans télémédecine et sans imagerie médicale.

De même, comment pourra-t-on maintenir ou créer l’école du XXIe siècle en milieu rural sans une couverture très haut débit, laquelle est nécessaire pour le fonctionnement en réseau des tableaux blancs interactifs, des ordinateurs portables et des espaces numériques de travail ? L’absence de très haut débit signerait la mort de nos écoles rurales. Faut-il rappeler que le brevet informatique et internet est désormais obligatoire dans les collèges ?

Nous, les élus ruraux, nous devons nous prendre en main et œuvrer de concert pour moderniser nos établissements scolaires et ne pas nous limiter à maintenir une école de vingt ou trente élèves.

Enfin, la vitalité du milieu rural exige le développement de l’économie et de l’emploi ainsi que l’accès à des services administratifs équipés de très haut débit.

M. Roland Courteau. Évidemment !

M. Daniel Dubois. En effet, quelle entreprise acceptera demain de s’installer dans un territoire rural si les zones d’activités ne sont pas couvertes par le très haut débit et ne permettent pas le télétravail ?

Le développement des territoires ruraux passe donc inévitablement par leur couverture en très haut débit. Tout le monde s’accorde à le dire ; encore faut-il se donner les moyens de le faire et, surtout, de trouver des financements.

Nombre de collectivités n’ont pas attendu pour agir. Conscientes de ces enjeux, elles ont commencé à s’équiper.

Dans mon département, nous avons créé un syndicat mixte, Somme Numérique, qui a couvert le territoire d’une boucle de fibre optique de 800 kilomètres à ce jour, pour un coût de plus de 30 millions d’euros. Le modèle financier initial reposait sur le système de la péréquation.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Eh oui !

M. Daniel Dubois. Le droit d’accès à la bande passante payé par les opérateurs dans les zones urbaines permettait de financer en partie l’équipement des zones rurales. Évidemment, ce modèle permettait d’équilibrer, autant que faire se peut, les financements nécessaires.

Monsieur le ministre, pourquoi le plan national a-t-il sacrifié les réseaux d’initiative publique, dépourvus aujourd’hui de statut juridique, en supprimant la péréquation financière entre les zones urbaines et les zones rurales et en réservant l’équipement des zones denses aux opérateurs privés ?

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. C’est une bonne question !

M. Daniel Dubois. Désormais, l’État et les collectivités, déjà très endettés,…

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Tout est relatif !

M. Daniel Dubois. … vont devoir financer, à perte, les zones peu denses par un fonds dont les recettes ne sont pas assurées sur la durée.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de rappeler que, sur le plan national, le financement de la couverture numérique coûtera environ 36 milliards d’euros. Si l’on retranche les 2 milliards d’euros du grand emprunt et les 5 milliards d’euros d’investissements privés, il reste 29 milliards d’euros à financer, en grande partie à la charge de l’État et des collectivités locales. Je crains fort que ce ne soient surtout ces dernières qui soient mises à contribution.

C’est pourquoi il est important d’alimenter de façon pérenne le Fonds d’aménagement numérique des territoires. Il est encore temps, face à cet enjeu majeur d’équipement des territoires, de réajuster le tir. Monsieur le ministre, je souhaite que vous vous y employiez. (Applaudissements sur les travées de lUCR et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste–EELV et du RDSE.)

M. Bruno Sido. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy.

M. Philippe Leroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, président de conseil général pendant près de vingt ans, sénateur depuis dix ans, je m’exprimerai devant vous en homme de terrain.

Les résultats relativement satisfaisants que nous avons obtenus dans la couverture numérique de notre pays, nous les devons aux collectivités locales, qui ont pu « s’introduire » dans le modèle économique initialement retenu, et ce grâce au fameux article L. 1425–1 du code général de collectivités territoriales, inséré de manière quelque peu informelle par l’excellente loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, dont Bruno Sido et Pierre Hérisson étaient les rapporteurs au Sénat. Jean-François Le Grand et moi-même avions alors bataillé pour faire adopter des amendements visant à autoriser les collectivités locales à prendre part au grand bal des opérateurs.

De fait, le modèle économique que nous avons créé en 2004 n’est pas seulement fondé sur les initiatives privées ; il l’est aussi sur les initiatives publiques à travers les réseaux d’initiative publique. Depuis cette date, les collectivités locales ont investi au bas mot 3 milliards d’euros. Ce n’est pas rien ! Grâce à leur action, la situation du haut débit dans notre pays, si elle n’est pas brillante, n’en est pas pour autant catastrophique.

Il est bon de rappeler quelques postulats.

Grâce à l’expérience que nous avons acquise, nous sommes tous d’accord pour considérer que tous les territoires, quels qu’ils soient, doivent bénéficier du très haut débit, en privilégiant la technologie de la fibre optique, comme on a privilégié celle du cuivre dans le passé, avec des points de mutualisation plus ou moins proches de l’abonné.

Le coût exorbitant des investissements nécessaires au déploiement du très haut débit ne doit pas être un prétexte pour laisser à l’écart certaines zones rurales ou certains départements. Cet argument n’est pas recevable. Ce serait trahir leurs habitants que de laisser ces zones en déshérence, avec des systèmes intermédiaires. Je le répète, nous devons déployer le plus rapidement possible la fibre optique, avec éventuellement des points de mutualisation.

L’expérience montre aussi que, sans l’apport des infrastructures et des réseaux exploités par les collectivités locales, les opérateurs privés ne réussiront pas seuls à satisfaire nos ambitions en la matière.

Pendant dix ans, j’ai participé avec enthousiasme à la conquête de ce nouvel eldorado que sont les nouvelles technologies. Or toute conquête d’un eldorado est dangereuse ; nous naviguons en terre largement inconnue, nous maîtrisons encore mal ces technologies et leur environnement juridique demeure incertain. En réalité, l’État a toujours eu tendance à se tenir quelque peu à l’écart de ce western, préférant généralement laisser au shérif ARCEP – quelquefois un peu solitaire – la responsabilité d’assurer la cohésion du système et de veiller au respect de la concurrence. Toujours est-il que notre richesse de demain dépendra de notre capacité à maîtriser ces nouvelles technologies.

La loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, dont notre collègue Élisabeth Lamure était corapporteur, reprenant une proposition de loi que j’avais déposée avec plus de soixante-dix de mes collègues, a étendu le champ de l’article L. 1425–1 du code général des collectivités territoriales. Ce fut un nouveau progrès.

La loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, issue d’une proposition de loi de Xavier Pintat et dont Bruno Retailleau était le rapporteur, a créé les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique et le Fonds d’aménagement numérique des territoires, contribuant à transformer un modèle économique entièrement privé initialement en un modèle mixte.

Depuis lors, le Gouvernement a mis en place le programme national « très haut débit », qui donne de bons résultats. En outre, la publication de l’excellent rapport de notre collègue Hervé Maurey devrait assez rapidement déboucher sur une proposition de loi afin d’améliorer la situation actuelle. Comme on peut le constater, le paysage est sans cesse mouvant.

Cet été, j’ai présenté à Aurillac un mémorandum rédigé par sept collectivités locales de droite et de gauche. Ce mémorandum, que j’ai adressé aux membres de la commission de l’économie, tout comme le rapport de notre collègue Maurey ou les travaux de l’AVICCA, l’association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel, doivent nous conduire à préparer un nouvel outil.

Monsieur le ministre, je partage l’inquiétude manifestée par certains des intervenants qui m’ont précédé. Nous redoutons ce que j’appelle une « vitrification » du territoire, c’est-à-dire un développement rapide de ces nouvelles technologies sur les territoires les plus densément peuplés et un abandon des zones moins rentables. Nous craignons d’assister à une sorte de « Yalta » des télécommunications, qui séparerait les territoires dévolus à l’initiative privée et ceux qui seraient laissés aux réseaux d’initiative publique.

Si l’on ne veut pas en arriver là, évitons de faire peser des contraintes exagérées sur les réseaux d’initiative publique et plaçons les opérateurs privés sous liberté surveillée. Le législateur doit donc rapidement moraliser ce secteur. Comme l’ont suggéré plusieurs intervenants, notamment M. Maurey, il convient de légiférer rapidement sur quelques points précis. Ainsi, il faudra doter les réseaux d’initiative publique de statuts qui leur permettent d’intervenir partout. Ils peuvent déjà le faire, mais avec des contraintes financières quelquefois lourdes. Il faudra aussi réfléchir au statut des schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique.

Le bon fonctionnement du modèle mixte public-privé que nous avons choisi suppose une concurrence loyale et un suivi accentué de l’État, qui ne doit pas laisser à la seule ARCEP le pouvoir d’effectuer les choix techniques. Si nous légiférons dans ce sens, nous pourrons, à brève échéance, réaliser de larges progrès. (MM. Bruno Sido et Hervé Maurey applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.

M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux à mon tour saluer l’excellent rapport de notre collègue Hervé Maurey et remercier la commission de l’économie d’avoir organisé ce débat.

En raison d’un temps de parole très bref, je me limiterai à pointer les principales problématiques posées de mon point de vue par la mise en œuvre du programme national « très haut débit » et je me permettrai à cette fin de faire référence à l’expérience que je vis dans le département de la Haute-Savoie.

L’extrême diversité des activités de ce territoire a conduit différents bassins de vie et massifs à mener, depuis déjà longtemps, des études très poussées pour déployer la fibre optique, garantie indispensable de la pérennité de nos entreprises et emplois. Ces initiatives localisées ont été rassemblées en 2010 dans une étude de faisabilité à échelle départementale, en vue de la réalisation d’un réseau d’initiative publique très haut débit. Ainsi a été conçu un projet reposant sur des principes d’équité et de péréquation territoriale, garantissant une large ouverture aux opérateurs et aux services, et permettant de limiter la participation publique d’équilibre supportée par les collectivités publiques.

Depuis l’annonce du périmètre des zones d’appel à manifestations d’intentions d’investissement, ces perspectives encourageantes sont lourdement remises en question : vingt-sept communes urbaines représentant près de 40 % du potentiel démographique et économique du département sont couvertes par ce périmètre. Ainsi, malgré les aides annoncées au titre du guichet B du programme national « très haut débit », les effets conjugués de la perte de la péréquation entre zones denses et moins denses et de la disparition des financements des collectivités urbaines situées en zones d’appel à manifestations d’intentions d’investissement, dites zones AMII, compromettent l’équilibre économique du projet global.

Faut-il voir dans cette évolution une lecture trop restrictive du champ de l’intervention économique des collectivités, pourtant reconnue et encadrée par la loi, ou bien une application à la lettre du principe de liberté du commerce et de l’industrie ?

Nous persistons à penser que les principes d’équité territoriale et d’égalité d’accès aux services valent bien ceux de la loi Le Chapelier... Nos aïeuls, au XXe siècle – merci à eux ! –, l’avaient bien compris, eux qui ont instauré des mécanismes sans lesquels nos régions les plus reculées seraient peut-être encore privées d’électricité.

Cette hypothèse n’a d’ailleurs rien d’imaginaire lorsque l’on sait qu’aujourd’hui encore les vallées de montagne sont désespérément oubliées par la téléphonie mobile, dont le déploiement a été confié aux opérateurs privés.

Aujourd’hui, nous regrettons que l’on se refuse à appliquer pour le très haut débit des mécanismes qui ont permis à notre pays de financer son réseau de distribution électrique.

Dans le cadre ainsi tracé, comment aménager nos territoires de façon efficace et équitable ?

La première question soulevée par les élus de zones urbaines concerne les délais d’intervention et de conduite à bonne fin des réseaux par les opérateurs privés. En l’état, une simple déclaration d’intention est réclamée. Autrement dit, nul engagement, nul contrat entre collectivité et opérateur ! Comment des responsables locaux pourraient-ils se satisfaire, face à un enjeu aussi majeur, de garanties qui n’en sont pas ?

En zone frontalière, limitrophe de la métropole genevoise, le territoire et ses habitants ont, plus que partout ailleurs, un besoin urgent de très haut débit. Comment pourraient-ils attendre la fin de 2015 et au-delà pour que commence un déploiement, dont nul ne sait quand il sera achevé ?

Monsieur le ministre, ma deuxième question porte sur l’équilibre financier du réseau d’initiative publique, hors zones classées AMII. Les collectivités locales sont engagées financièrement de manière importante, mais, malgré leurs efforts, l’équilibre financier ne pourra être atteint. Alors, comment compenser ce défaut de péréquation, si ce n’est par le recours à l’Etat, initiateur du dispositif général qui nous préoccupe aujourd’hui ? Pourriez-vous préciser sur ce point les intentions du Gouvernement ?

À court terme, comment adapter le dispositif actuel afin qu’il devienne le catalyseur des déploiements des réseaux d’initiative publique ? Les projets aujourd’hui matures sont le fruit de plusieurs années de gestation. Personne n’ose imaginer qu’ils puissent être abandonnés. À long terme, quand et comment comptez-vous pérenniser les financements servant à abonder le Fonds d’aménagement numérique du territoire ?

Monsieur le ministre, je vous remercie, par avance, des réponses que vous nous apporterez et de bien vouloir prendre en compte et donner suite aux propositions constructives formulées par le Sénat dans le présent débat. (Applaudissements sur les travées de lUCR et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.

Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur l’accès au très haut débit dans les territoires ruraux, en particulier les plus handicapés d’entre eux : les territoires de montagne.

La semaine dernière s’est tenu à Bonneville le congrès annuel de l’Association nationale des élus de montagne, l’ANEM, qui a débattu de la couverture numérique du territoire.

Avant de revenir sur la motion qui y a été adoptée et ses suites, je souhaite présenter un exemple concret des difficultés et des inquiétudes qui caractérisent ces territoires, lesquels espèrent le très haut débit en attendant encore souvent le simple haut débit. Vous me permettrez de prendre en exemple des territoires que je connais bien : la Corrèze et la région Limousin.

Le déploiement du très haut débit y est suivi par un syndicat mixte appelé DORSAL – pour développement de l’offre régionale de services et de l’aménagement des télécommunications en Limousin –, qui est cosignataire de l’appel des Sept, publié en septembre 2011 et intitulé Très haut débit : le marché ne peut pas tout ! et dont d’autres représentants peuvent intervenir dans ce débat.

Le syndicat mixte DORSAL réunit les principales collectivités du Limousin ayant décidé de prendre en charge, ensemble, l’aménagement numérique de la région Limousin en mutualisant leurs moyens pour la mise en place d’une infrastructure haut débit.

Ce syndicat est né d’un premier constat de carence de l’initiative privée à la fin des années quatre-vingt-dix et témoigne par son existence même des problèmes que pose une telle approche pour des territoires caractéristiques de la moyenne montagne comme ceux de la région Limousin.

Les modalités du programme national « très haut débit » préparées par l’État et confirmées par M. le Premier ministre le 16 août dernier ont, vous le savez, suscité une très vive inquiétude. En effet, selon les dispositions actuelles, le programme national « très haut débit » ne permet pas aux collectivités territoriales de jouer un rôle suffisant et il risque de soumettre l’aménagement numérique de nos territoires au bon vouloir des opérateurs privés, en matière tant de zones couvertes que de délais de déploiement.

Ce constat renvoie le Limousin plus de dix ans en arrière, à la situation qui a motivé la création de DORSAL et la réalisation d’une boucle haut débit sur les trois départements qui, à ce jour, couvrent quasiment la totalité de la population de notre région.

Ainsi, en Limousin, à ce jour, les premières déclarations d’intention d’investissement des opérateurs privés excluent 659 communes sur 747 – soit 80 % du territoire régional – de tout accès à la fibre optique, technologie indispensable à la montée en débit. Ce constat corrobore les observations du récent rapport de l’ARCEP selon lesquelles les opérateurs privés sont peu enclins à déployer le très haut débit dans les zones rurales considérées comme non rentables.

De plus, en ce qui concerne le calendrier, même pour les agglomérations de Limoges et Brive, pourtant classées comme prioritaires par les opérateurs privés, le déploiement total aboutirait au mieux vers 2020, c’est-à-dire bien tardivement dans la compétition actuelle entre territoires.

Le président de DORSAL, avec qui je me suis entretenu récemment, fait valoir que le programme national « très haut débit » déstabiliserait l’économie actuelle du réseau d’initiative publique de DORSAL, en le privant d’une partie importante de ses revenus. En effet, le PNTHD autoriserait les opérateurs privés à construire un réseau de fibre optique sur les zones denses les plus rentables, en excluant toute aide de l’État aux collectivités qui voudraient intervenir dans ces mêmes zones. En Limousin, il s’agit des agglomérations de Limoges, Brive, Tulle et Guéret. Or c’est la péréquation entre zones denses et moins denses, essentiellement rurales et montagneuses, qui assure l’équilibre économique du réseau d’initiative privée de DORSAL et permet de fournir une solution d’accès à l’internet haut débit pour chaque habitant. Sans les revenus tirés des zones densément peuplées, DORSAL aura besoin de participations renforcées des collectivités membres. Autrement dit, si les collectivités sont privées d’intervention dans les zones classées AMII, dans lesquelles les opérateurs ont manifesté leurs intentions d’investissement – et on le sait, entre les intentions et la réalisation, de l’eau peut couler sous les ponts – comme le prévoit le programme national « très haut débit », qui donne la priorité absolue aux opérateurs privés sur ces zones, alors l’équilibre économique des réseaux d’initiative publique fondé sur une péréquation entre zones denses et non denses est mis à mal.

Alors que DORSAL ambitionne de faire évoluer ses réseaux publics vers le très haut débit par la fibre optique, le programme national « très haut débit » l’interdit aux collectivités sur les zones classées AMII.

De plus, devant les besoins de montée en débit à venir, qui sont de plus en plus urgents, les collectivités du Limousin ne pourront qu’être appelées à intervenir pour prémunir 80 % du territoire régional de cette nouvelle fracture numérique, bien pire que celle à laquelle DORSAL a eu à faire face initialement. Or sans péréquation dans le cadre d’un projet intégré d’aménagement à l’échelle de la région, associant territoires ruraux et urbains et pouvant, de surcroît, s’appuyer sur l’infrastructure déjà existante de DORSAL, les conditions de l’intervention des collectivités risquent malheureusement de se révéler très coûteuses.

Ainsi, nous craignons que le Fonds d’aménagement numérique des territoires, qui n’est pas encore doté de ressources pérennes par l’État, ne soit pas en mesure de pallier de manière significative les difficultés prévisibles de financement.

Cet exemple illustre parfaitement la motion de l’ANEM, votée à l’unanimité le 7 octobre dernier, par laquelle les élus de montagne demandent l’abondement immédiat, progressif et étalé sur dix ans du Fonds d’aménagement numérique des territoires, estimant que la charge financière du déploiement du très haut débit dans les zones les moins denses et à faible densité démographique ne peut être supportée uniquement par les collectivités territoriales.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Bernadette Bourzai. Face au risque de fracture numérique et considérant que l’égalité de traitement dans l’accès au haut débit entre tous les Français doit prévaloir quel que soit l’endroit où ils résident sur le territoire, les élus de montagne ont réclamé l’inscription dans la loi de l’internet à très haut débit comme une composante à part entière du service universel des communications.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Bernadette Bourzai. Les parlementaires de montagne se sont engagés à déposer des propositions de loi pour organiser un déploiement équilibré et coordonné du très haut débit, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Nous le ferons !

Parallèlement, nous vous demandons dès maintenant d’arrêter de donner la priorité absolue aux opérateurs privés sur les réseaux d’initiative publique, car il s’agit d’une aberration économique qui casse la péréquation.

Mme Bernadette Bourzai. L’État ne doit pas se désengager. Il y va de l’égalité républicaine d’accès au service public pour chacun de nos concitoyens et de l’attractivité de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UCR.)