M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.

M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ceux d’entre nous qui siègent dans cet hémicycle depuis 1995 au moins ont participé à l’élaboration des différents textes applicables au sujet qui nous occupe aujourd’hui et ont été confrontés aux évolutions de ces technologies, que nous dénommons désormais « communications électroniques » et non plus « téléphonie ».

Je ne me livrerai pas à un historique, mais je tiens à rappeler que la technologie a parfois incité les plus clairvoyants d’entre nous à réviser leurs positions. En effet, il n’y a pas si longtemps, on associait uniquement les zones blanches à la « téléphonie mobile », on parlait de la mutualisation des antennes, de la problématique – qui n’est toujours pas résolue – des risques induits pour la santé par les ondes hertziennes. À cet égard, la dépose des antennes-relais est parfois totalement contradictoire avec l’exigence de nos concitoyens d’une meilleure couverture du territoire. Quoi qu’il en soit, cette évolution doit être rappelée par des élus nationaux responsables.

Je veux aussi indiquer que la couverture des territoires a évolué avec l’arrivée de l’ADSL. Il n’est pas nécessaire de remonter au XIXe siècle pour constater que la connexion de 512 kilobits par seconde était déjà une première révolution, sans parler du haut débit avec une connexion à 2 mégas. Or lorsque Bruno Sido et moi-même avons présenté des textes sur le sujet, nous avons entendu ici certains spécialistes s’interroger sur la raison d’être d’une connexion de 4 mégas. Tout cela n’est pas si vieux !

L’arrivée de la fibre optique a tout chamboulé. C’est le début de la concurrence entre les différents opérateurs. À partir de ce moment-là, les publicités ont fleuri, proposant des offres à 100 mégas à 29,90 euros.

Nous assistons donc à une évolution, pour ne pas dire à une révolution, technologique permanente, ce qui m’incite – bien modestement –, pour avoir porté un certain nombre de textes sur le sujet et présidé la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques, à appeler votre attention sur les risques que nous courons à fixer des objectifs pour les dix ans, les quinze ans ou les vingt ans à venir.

Je ne prendrai qu’un exemple pour illustrer mon propos. Avez-vous souvent entendu dire que, avec la 4 G, nos tablettes ou nos téléphones mobiles auront une capacité de 30 à 50 mégas ? Pour ma part, je l’entends assez peu souvent, sauf chez les initiés qui évoquent la télévision mobile personnelle ou la transmission d’images. À ce propos, M. Dubois a indiqué à juste titre que la transmission de l’imagerie était indispensable à la couverture médicale de notre territoire.

J’en arrive à un sujet de réflexion.

Monsieur Maurey, la Commission supérieure s’est permis d’établir une petite synthèse de votre rapport, que je tiens à votre disposition. Je salue d’ailleurs un constat qui a demandé certainement beaucoup d’énergie et de temps. Celui-ci présente l’avantage, me semble-t-il, de nous permettre de nous diriger vers l’élaboration d’une proposition de loi. Ce texte réglera certainement une partie des problèmes. Toutefois, pour avoir vécu un certain nombre d’évolutions, je pense que le moment est venu de réexaminer les lois qui ont trait à l’importante question de la richesse économique et du développement de notre territoire ainsi qu’à l’amélioration du confort de vie de nos concitoyens.

Je le rappelle, si un service public reste un service public, le service universel, c’est l’égalité de traitement des citoyens sur tous les points du territoire. Sommes-nous capables de rouvrir la discussion sur le service universel du haut débit ?

Je rappelle également que l’opérateur historique a une obligation de service universel en matière de couverture de téléphonie fixe, mais avec un réseau cuivre. Il se trouve que, au Japon, on a demandé à l’opérateur historique de remplacer le cuivre par de la fibre sur 80 % du territoire, en contrepartie d’une prolongation de sa situation de monopole sur plusieurs années.

Concernant la couverture du territoire, je vous conseille de suivre de temps à autre les dossiers de l’ARCEP. Je fais référence à l’interview de Philippe Distler, le directeur général de l’ARCEP, qui a évoqué un certain nombre de points de bon sens et a rappelé certaines réalités dans son dernier rapport.

Le premier est que la fibre optique pose non pas un problème de coût, mais de revenu. Aux États-Unis, par exemple, le raccordement coûte 80 euros. Aujourd’hui, on peut assurer la couverture de tout le territoire en fibre optique. Malheureusement, nous sommes entrés dans une logique concurrentielle, qui consiste à faire baisser en permanence, jusqu’à 29 euros, voire moins, le coût du raccordement à des réseaux de très haut débit.

Monsieur le ministre, faut-il imposer un coût de 70 euros ou de 80 euros dans notre pays ? En tout cas, on pourrait interdire le fait de descendre les prix en dessous d’un certain seuil, assorti d’une obligation d’investissement pour les opérateurs.

Si l’on peut certes établir des comparaisons avec l’électrification de la France au XIXe siècle, veillons à rester nuancés en précisant que le coût actuel du déploiement des réseaux est dû pour 10 % à la fibre optique et pour 90 % au génie civil. Quand le service universel de l’électricité a été développé sur notre territoire, l’enfouissement des lignes n’était pas imposé en même temps.

Soyons clairs, car un certain nombre de choses doivent être dites dans ce débat, les collectivités locales ont payé pendant des années l’enfouissement des réseaux de télécommunications. Aujourd’hui, la grande question peut de nouveau être posée : la séparation fonctionnelle est-elle une solution pour une plus grande transparence, une meilleure utilisation et une couverture optimale du territoire ?

Je voudrais maintenant évoquer une question qui me paraît importante. La couverture du territoire requiert en effet une complémentarité du public et du privé. Elle réclame en outre d’être attentif en permanence à l’évolution des technologies, qui permettront peut-être demain, à un coût moindre, d’installer le haut débit, voire le très haut débit dans certains secteurs.

Enfin, je terminerai sur une note un peu plus locale, en complément de ce qu’a dit Jean-Paul Amoudry.

Dans un certain nombre de départements, tels que la Haute-Savoie, certaines activités ont besoin de réseaux particuliers pour se développer, car elles sont dispersées sur le territoire. Dans ce domaine, évitons les comparaisons et sachons raison garder. Les grandes industries se sont développées dans d’autres pays en s’installant à proximité des lieux de production de l’électricité.

Aujourd’hui, il est nécessaire de dire que, dans les départements de montagne, notamment, les activités économiques ont besoin de bénéficier d’une priorité de raccordement. C’est pourquoi la méthode qui consiste à laisser aux opérateurs le soin de déterminer le calendrier de raccordement à la fibre optique est mauvaise. Cette approche ne permet pas une égalité de traitement sur tout le territoire.

Je reprendrai à mon compte les propos tenus vendredi dernier par M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire : il appartient bien à l’État, après l’électricité, les routes et les autoroutes, d’être le péréquateur de ce nouvel aménagement du territoire. Aujourd’hui, on a un peu abandonné les autoroutes de l’information, qui sont pourtant de la compétence de l’État. C’est à lui de savoir si ces opérations doivent être réalisées dans le cadre de partenariats public-privé, mais n’obligeons pas les collectivités locales, sous la pression de nos concitoyens, à engager des sommes considérables à un moment où tout le monde cherche à faire des économies. La péréquation nationale me paraît indispensable ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour souligner à quel point la réduction de la fracture numérique est un objectif majeur pour notre pays.

La fracture géographique, qui touche plus particulièrement la ruralité – cela a souvent été rappelé ce soir –, a une dimension économique très forte, et je tiens à cet égard, moi aussi, à saluer le travail de notre collègue Hervé Maurey, qui détaille de manière très convaincante les effets à la fois macroéconomiques et microéconomiques de l’aménagement numérique du territoire.

J’insisterai sur la dimension sociétale de cette fracture, qui est extrêmement forte, car le travail sur les réseaux numériques n’est pas un simple moyen de remettre les zones dépeuplées au niveau des autres ; c’est une solution au potentiel extraordinaire permettant de rapprocher socialement les populations en dépit de leur éloignement physique, et cela quel que soit le domaine concerné – cela a été rappelé –, qu’il s’agisse des services administratifs, de la santé, de l’éducation et de la formation.

Internet, c’est le monde à la portée des campagnes, c’est le voisinage à longue distance, c’est la dissolution de l’espace au profit de l’échange.

Internet, c’est en fait et avant tout un média, un moyen de communication qui comporte donc une très forte dimension culturelle, au sens large du terme.

C’est pourquoi l’accès de tous aux services et aux contenus est un enjeu majeur, comme l’avaient rappelé de nombreux intervenants lors de la table ronde sur la neutralité de l’internet organisée par notre groupe d’étude « Médias et nouvelles technologies » du Sénat en octobre 2010. Il concluait que la première règle qui doit s’appliquer afin de favoriser cet accès est celle de la mise en place d’un internet ouvert.

L’internet ouvert impose que l’ensemble des fournisseurs de contenu soient traités de la même façon sur le réseau. Cette règle de base, que nous avions introduite avec notre collègue Bruno Retailleau dans le cadre de la transposition du deuxième « paquet télécoms », favorisera les échanges entre internautes et stimulera la créativité économique et culturelle au sens large. Mais elle est évidemment conditionnée par un bon aménagement du territoire, cela a été longuement rappelé.

C’est un enjeu pour la jeunesse. En effet, il n’est pas question de laisser se créer une fracture des usages : l’utilisation de l’informatique et de l’internet ouvert est un moteur majeur de la formation et de la socialisation des jeunes. Elle constitue pour eux un moyen de s’ouvrir aisément à la culture et la voie d’accès privilégiée au savoir-faire technologique.

Aujourd’hui, au-delà de la fracture territoriale, il existe une fracture peut-être infiniment plus grave : la fracture cognitive.

Il s’agit d’un enjeu pour l’ensemble de la population. La numérisation des œuvres est en marche, et elle est très avancée : elle concerne aujourd’hui la musique, les œuvres audiovisuelles et cinématographiques et, demain, le livre.

Ces documents sont théoriquement à la portée d’un clic pour le citoyen… mais encore faut-il que du clic à l’accès au patrimoine culturel, l’attente soit désormais raisonnable.

Certes, le plan de couverture du territoire existant actuellement est incitatif, mais il reste insuffisant, comme cela vient d’être rappelé, car il peine à se mettre en place.

De par mon expérience personnelle d’élue territoriale, je peux dire que ce problème est également lié au manque d’engagement de certains acteurs locaux. L’État doit certes jouer son rôle de pilote, comme l’a rappelé Bruno Retailleau, mais les collectivités territoriales doivent également se montrer entreprenantes, au côté de l’État et des partenaires privés.

Monsieur le ministre, nous souhaitons enfin obtenir un état des lieux précis des actions mises en œuvre, des moyens à préconiser, des points de blocage et d’amélioration, région par région : en effet, nous sommes tous convaincus du bien-fondé de cette politique d’aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yves Rome.

M. Yves Rome. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie le Sénat de me donner l’occasion de m’exprimer sur cet important sujet du très haut débit, que l’opinion publique s’est encore insuffisamment approprié, mais qui est des plus déterminants pour l’avenir de nos territoires et donc de la nation.

Mon propos sera celui d’un nouveau sénateur, certes, mais aussi celui d’un président de conseil général – l’Oise est en effet un département pionnier dans le déploiement du haut débit, comme l’a rappelé M. Leroy – et enfin, si vous me le permettez, celui du président de l’association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel, l’AVICCA, qui fédère 225 collectivités ou leurs groupements, soit plus de 60 millions d’habitants sur le territoire national.

Ma conviction se résume en ces phrases qui structureront mon intervention : l’actuelle politique nationale va dans le mur, et c’est un véritable cri d’alarme qu’il nous faut pousser.

Il est urgent et impératif de replacer les collectivités territoriales au cœur de l’aménagement numérique du territoire, comme ce fut le cas par le passé.

Le choix fait par le programme national « très haut débit » de mettre les collectivités territoriales à la remorque des intérêts des opérateurs privés débouchera inéluctablement sur une impasse.

Les opérateurs privés découpent, au sein des territoires, des zones rentables où ils se déclarent investisseurs. Par suite, ils cantonnent l’intervention publique locale aux zones non rentables, dictant ainsi leurs conditions économiques au service public et le rendant mécaniquement beaucoup plus onéreux.

Comprenez-moi bien : il s’agit non pas de prôner une économie planifiée du type de l’ex-URSS, mais de sauvegarder les possibilités de conclure des partenariats avec les opérateurs privés qui organisent des péréquations couvrant les charges de service public.

Cette approche n’est pas vieillotte : au contraire, il s’agit d’un pilotage public relevant d’un mode d’intervention moderne, qui ne freine en rien les progrès technologiques et l’adaptation aux marchés, tout en préservant l’aménagement du territoire et les principes républicains.

Par ailleurs, fonder le déploiement du très haut débit sur la seule initiative des opérateurs privés relève, à mes yeux, d’une erreur d’analyse. Les milliards d’investissements requis – plus de trente ! – sont peu compatibles avec les modes de gestion financière des grands groupes privés que sont les opérateurs.

Plus généralement, les world companies, les « Gulliver » comme les qualifie l’INSEE, suivent la loi des cours boursiers à court terme et se retirent des projets à long terme, surtout lorsqu’ils sont risqués : au-delà des déclarations officielles, le niveau réel des investissements privés ne sera donc pas au rendez-vous des montants exigés, et le niveau de l’intervention publique s’en déduira nécessairement.

Dans le même sens, le marché de l’ADSL est très rentable et constitue un oligopole de fait.

Pour les opérateurs, le partage de ce marché est satisfaisant. En effet, le taux de rentabilité de ce secteur est encore à deux chiffres ! Dès lors, quel intérêt ont ces opérateurs à se lancer dans des programmes d’investissements lourds ? Quel intérêt ont-ils à changer de modèle ? Aucun.

Monsieur le ministre, pour être très honnête et vous démontrer ma capacité à nuancer cette approche, je soulignerai qu’Orange France Télécom semble chambouler quelque peu ce modèle. Face à la demande commerciale naissante de communications multiples qui nécessitent de s’appuyer sur la fibre, pour la télévision, le triple play, France Télécom ne peut s’arc-bouter sur le cuivre, sa rente historique. Elle aurait en effet un intérêt réel à investir dans la fibre optique jusqu’à l’abonné, le FTTH, même à contre-courant des logiques financières du capitalisme moderne refusant les engagements à long terme, au surplus risqués. De ce fait, elle entraînerait les autres opérateurs, SFR notamment, malgré leur peu d’appétence.

Cela dit, la réalité du déploiement du très haut débit reste la même, c'est-à-dire insuffisante. La tendance annuelle stagne toujours à 300 000 prises construites par an, malgré les annonces des opérateurs en 2007, 2008, 2009, 2010, les meilleures, celles de janvier 2011, répondant à l’appel à manifestation d’intérêts. À en croire ces annonces, 15 millions de logements devaient être couverts en 2020. N’était-ce pas magnifique ? Mais que constate-t-on ? Free réduit la voilure, SFR semble à la peine et, quand on gratte un peu, on découvre par exemple que France Télécom considère un logement « couvert » dès qu’elle a construit le premier quart du réseau : ce logement est certes « couvert », mais il n’est pas raccordable, et encore moins raccordé !

Jouer sur les mots peut certes convenir aux promoteurs du programme national, en laissant croire que les objectifs de 2020 seront tenus. Néanmoins, je souhaite qu’une autorité indépendante comme l’ARCEP ne laisse pas utiliser ce vocabulaire piégé sans réagir.

Au rythme de 300 000 prises par an, il faudrait au moins un siècle pour « fibrer » la France !

Par ailleurs, les règles fixées cet été par le programme national aboutissent à interdire les aides dans les zones non rentables en cas de péréquation organisée. Quel est le résultat ? Des schémas directeurs territoriaux qu’il faut revoir de fond en comble ; des accords locaux bâtis longuement par les régions, les départements, les syndicats d’énergie, les intercommunalités, qui doivent être renégociés : bref, une dynamique qui s’enraye.

Les dossiers déposés cette année au Fonds national pour la société numérique, le FSN, seront donc rares et ils concerneront, non pas tout un territoire, mais seulement une partie.

En outre, il existe une véritable asymétrie de traitement entre opérateurs télécom et collectivités en ce qui concerne leurs obligations de remplir les conditions du programme national « très haut débit ». Ainsi, afin d’obtenir les aides du FSN, les collectivités doivent recueillir pas moins de six validations préalables de la part des opérateurs privés ou de l’Etat avant de pouvoir lancer un réseau d’initiative publique ! À l’inverse, les opérateurs privés n’ont aucune obligation et n’encourent aucune sanction en cas de manquement à leurs engagements concernant l’étendue et les délais de couverture annoncés à l’occasion des intentions d’investissement.

On constate donc un abandon total du rôle régulateur auquel bon nombre d’intervenants appellent aujourd’hui l’État : il s’agit d’une soumission totale aux seules règles du marché.

Ces règles n’ont d’ailleurs fait l’objet d’aucun débat parlementaire. Même si elles sont modulées par un taux de ruralité assez obscur, elles imposeront aux départements les plus ruraux un coût par habitant trois fois plus élevé. À titre d’exemple, en prenant en compte les ratios, exclusions et plafonds qui limitent les aides, les études menées sur le département de la Dordogne révèlent que la part de l’État représente seulement 12 % du besoin de subvention publique !

En vertu de la loi, le Fonds d’aménagement numérique du territoire, le FANT, devait disposer d’un comité national de gestion, dont la moitié des membres étaient des représentants des collectivités et de leurs associations, nommés dans un délai de douze mois. Le texte qui a institué ce fonds résulte d’une proposition de loi sénatoriale, dont le rapporteur était M. Retailleau – que je salue –, et qui a fait l’objet de débats assez consensuels. Pourtant, le FANT n’a pas encore été créé et nous n’avons pas voix au chapitre sur les grandes orientations.

Une fois dressé ce constat, il paraît primordial de replacer les collectivités au centre de l’aménagement numérique.

Les collectivités connaissent leur territoire et savent hiérarchiser les priorités de ce long chantier. Mais, monsieur le ministre, cela suppose que l’État les accompagne mieux, qu’il ne s’acharne pas à les contraindre à rester à la remorque des intérêts de trois ou quatre opérateurs, au détriment de l’ensemble des entreprises, des services publics et des particuliers.

J’ajouterai quelques observations complémentaires à cet égard.

Réduire les collectivités à un rôle de financeur ou de supplétif des opérateurs privés trahit un a priori : elles seraient incapables de traiter ce sujet complexe dans sa plénitude. Or les multiples réussites de réseaux d’initiative publique, les RIP, apportent la preuve contraire, et quelques années suffiront pour que les expertises s’acquièrent et se développent au sein des collectivités.

À l’heure des lois de décentralisation, on ne saurait soutenir que les questions importantes en la matière devraient rester l’affaire des seuls opérateurs et du Gouvernement.

Le chantier industriel du déploiement de la fibre durera dix à quinze ans. Il doit donc être anticipé, sauf à admettre qu’il ne peut concerner que les métropoles et que, à terme, nous laisserons s’étendre des déserts numériques au sein des territoires ruraux de notre pays. Or c’est cela que nous devons éviter.

La concertation générale, des schémas directeurs – départementaux pour l’essentiel –, une coordination régionale et la réglementation nationale sont autant d’éléments qui doivent concourir efficacement à mettre en ordre de marche une volonté politique partagée, une ingénierie opérationnelle et déconcentrée qui ouvriront le chemin du très haut débit aux territoires et à la France de demain.

Dans ce cadre, les pistes de réflexion sont multiples. J’en citerai quelques-unes : privilégier la concurrence par les services et l’abandon du dogme de la concurrence par les infrastructures ; rendre éligibles aux aides les projets intégrés portés par les collectivités ; reconnaître la spécificité du statut d’opérateur d’opérateurs, dont les RIP ; donner un caractère opposable aux schémas d’aménagement numérique des territoires, à l’image de certains documents d’urbanisme ; organiser une fédération des RIP. Par ailleurs, pourquoi s’interdire une réflexion nécessaire et utile sur la séparation structurelle ou fonctionnelle de France Telecom quant à sa boucle locale de cuivre afin de financer la boucle en fibre du FTTH – Fiber to the home ?

En quelques mots, monsieur le ministre, nous vous invitons à changer votre fusil d’épaule, pour que cet enjeu de l’attractivité de nos territoires et de l’attractivité même de la nation ne soit pas obéré par une mauvaise architecture d’un schéma qui, aujourd’hui, fait preuve de son efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais, dans le cadre des travaux de la commission de l’économie, et à la suite des deux rapports d’information de nos collègues Bruno Sido sur la téléphonie mobile et Hervé Maurey sur la couverture numérique, vous alerter sur les enjeux essentiels de ces problématiques pour nos territoires, enjeux que j’ai pu mesurer en ma qualité d’élu d’une communauté urbaine, celle du Grand Nancy, mais aussi comme conseiller général du département de la Meurthe-et-Moselle.

La couverture numérique haut débit, et demain très haut débit, est effectivement une condition devenue primordiale pour le développement économique, éducatif et culturel des territoires. L’attractivité économique, l’efficacité des services publics et des entreprises, la performance de nos établissements d’enseignement, de santé, l’accès à la connaissance et à l’information passent, en effet, par un aménagement numérique de nos territoires de haute qualité. Cette couverture est une nécessité, tant dans les espaces urbains et périurbains, qui doivent rester compétitifs, qu’en milieu rural, pour y maintenir les services et favoriser le développement de nos territoires.

Or le coût de cette couverture peut s’avérer problématique. Dans mon département, la Meurthe-et-Moselle, la décision de construire 475 kilomètres de réseau via un partenariat public-privé et, ainsi, de déployer une offre haut débit sur l’ensemble du territoire, n’a pas été sans lourdes contraintes financières. Au-delà d’un engagement financier important, de plus de 70 millions d’euros pour notre département, les recettes attachées à la commercialisation du réseau restent faibles et menacent l’équilibre même du budget lié au partenariat public-privé. Les investissements déjà consentis par les départements engagés dans la réalisation d’infrastructures haut débit devront donc nécessairement être pris en compte lors du passage au très haut débit.

Dans la perspective d’atteindre ce très haut débit et tenant compte par ailleurs des contraintes budgétaires des départements, je voudrais à ce stade me féliciter à nouveau de l’initiative de l’État, qui, à travers le Fonds national pour la société numérique et les 2 milliards d’euros qu’il a prévu d’y consacrer, a fait du numérique l’un des principaux axes du programme « Investissements d’avenir ».

Je voudrais aussi profiter de ce débat pour évoquer la couverture téléphonie mobile, qui, au fil du temps, me semble prendre un certain retard. La persistance de zones blanches sur nos territoires, en Meurthe-et-Moselle comme dans d’autres départements, n’est aujourd’hui plus acceptable. Lors de ma dernière et récente campagne « sénatoriale », j’ai rencontré beaucoup et, pour dire la vérité, trop de communes où la téléphonie mobile ne passait toujours pas !

Les enjeux sont trop importants pour l’économie locale et les populations dites « fracturées » pour nier cette situation. L’équité territoriale, par une meilleure mutualisation des moyens des opérateurs et des co-financeurs, doit s’appliquer pour, enfin, assurer une couverture réelle et non théorique de l’ensemble du territoire.

Je salue, à ce titre, la volonté du Sénat de redéfinir la notion de « zone blanche », trop souvent erronée sur le terrain. Le fait d’avoir pendant longtemps considéré comme « couvertes » des communes qui, sur leur territoire, ne présentaient que quelques points d’accès au réseau n’était en effet pas acceptable. Couvrir l’ensemble du territoire communal est un objectif auquel nul ne peut se soustraire, certainement pas les « analystes » qui définissent les cartes des couvertures en téléphonie mobile, pas plus que les opérateurs.

Cela est indispensable pour garantir à nos usagers, à tous les habitants de nos territoires, un accès légitime au réseau téléphonique – je pense plus particulièrement au service d’incendie, de sécurité et de secours – et lutter ainsi contre le risque de désertification des territoires, notamment des territoires ruraux peu denses.

Je tenais, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à vous faire part de ces quelques éléments de réflexion, en espérant que les réponses du Gouvernement seront de nature à nous rassurer. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)