M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.

M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, je souhaite faire remarquer qu’il me paraît souhaitable qu’à l’avenir, aux côtés des deux rapporteurs spéciaux et du président de la commission des finances, le président de la commission des affaires européennes intervienne ès qualités dans ce débat sur la participation de la France au budget de l’Union européenne. Je pense que tout le monde en sera d’accord.

M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. Eh oui !

M. Simon Sutour. Ce sera pour l’an prochain !

Le débat qui nous réunit ce matin est un moment traditionnel dans la discussion du projet de loi de finances et porte sur un sujet susceptible d’évoluer, notamment à la suite des discussions entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil européen.

Le rôle des parlements nationaux dans cette discussion est limité, d’autant que le mode de calcul de ce prélèvement est automatique et découle de nos engagements européens. Aussi mon intervention sortira-t-elle un peu du cadre strict de l’examen de l’article 30 pour évoquer l’ensemble des questions budgétaires européennes.

Il faudra sans doute évoquer aussi le rôle du Parlement dans la définition de la position de la France au Conseil européen, sur ces sujets : étant appelés à voter ce budget, il serait souhaitable que les parlementaires nationaux puissent contribuer à fonder la position de la France en la matière. Il aurait par exemple été bienvenu que le Gouvernement débatte avec la représentation nationale du contenu de ce qu’il est convenu d’appeler la « lettre des cinq » de décembre 2010.

Le budget européen est avant tout utile, bien qu’il reste modeste puisqu’il représente aux alentours de 1 % du revenu national brut européen. Il est, par ailleurs, géré de façon très stricte, même s’il est sans doute toujours possible de faire mieux, et il doit être voté à l’équilibre ; c’est là une différence essentielle avec les budgets nationaux...

À cet égard, je tiens à redire ici que l’Union européenne n’est pas, loin s’en faut, la cause des déboires actuels des finances publiques des États membres.

Ce budget permet le financement de politiques essentielles pour les citoyens de toute l’Europe. Je pense bien sûr à la PAC et à la politique de cohésion, que nous devons défendre sans relâche, notamment dans le cadre de la discussion sur les perspectives financières 2014-2020. Nul ne remet en cause l’intérêt de ces politiques pour nos territoires. Je ne ferai pas la liste des politiques européennes qui ont fait la preuve de leur utilité, y compris quand elles n’offrent pas de retour comptable direct dans tel ou tel État membre…

La dimension européenne de ces politiques est d’ailleurs en elle-même un gage d’efficacité de la dépense publique : elle permet de réduire des dépenses qui seraient autrement prises en charge par les budgets nationaux avec, sans doute, un coût plus important pour chacun.

Pour autant, dans cette période de contraction budgétaire, on peut comprendre le souhait des États membres de ne pas augmenter démesurément les contributions nationales au budget européen.

En fait, il y a une contradiction forte entre le souhait de chaque État de minimiser sa contribution au budget européen et la volonté de chacun de maximiser les retours nationaux, dans une logique purement comptable, qui oublie la plus-value du projet européen. Or c’est ce dernier qui est essentiel !

Les difficultés budgétaires des États sont réelles, notamment pour ce qui est de la France. Mais ces difficultés s’expliquent aussi par l’absence de solution européenne à la crise.

La réponse à la crise est européenne et politique. L’Europe doit, non pas se borner à organiser la concurrence entre les États, comme elle le fait trop souvent, mais, et c’est tout le sens du projet que nous portons, construire la solidarité sur notre continent.

Pour autant, les besoins de financement de l’Europe sont importants. Il ne s’agit pas de dépenses excessives, mais elles doivent permettre à l’Union d’être un levier pour la croissance, notamment au travers de la mise en œuvre de la stratégie 2020.

Si l’on veut ne pas augmenter le budget de l’Union, il faut préciser les programmes qui devront être touchés : la PAC, la politique de cohésion, l’environnement, les politiques de solidarité, le soutien à la recherche ou la gestion des flux migratoires ?

Le gel budgétaire entériné par le trilogue de vendredi dernier laisse craindre, aux dires de la Commission elle-même, que « toutes les obligations financières à l’égard des bénéficiaires des fonds européens » ne puissent être honorées en 2012. Toucher au budget de l’Union, c’est d’abord toucher aux budgets des politiques que nous soutenons tous dans cet hémicycle.

Le rôle de l’Union européenne n’est pas d’être le fer de lance d’une austérité renforcée, j’insiste sur ce point. Soyons vigilants face aux propositions de certains États membres de sanctionner ou de pousser d’autres États vers la sortie dès lors que leurs politiques ne respecteraient pas le pacte de stabilité ! Quel pays, d’ailleurs, le respecte aujourd’hui ?

L’austérité ne peut être érigée en objectif commun ni être un critère pour désigner qui est un bon ou un mauvais État membre. L’Union européenne ne doit pas devenir une « Union de l’austérité ».

Soyons également vigilants dans l’examen des nouvelles propositions que la Commission européenne doit faire, aujourd’hui, pour une surveillance accrue des budgets des États membres, et qui devraient renforcer encore la réforme du pacte de stabilité, laquelle vient pourtant d’être adoptée par le conseil Ecofin du 8 novembre dernier, sans que soient d’ailleurs prévues des obligations en termes de croissance et de relance économique.

L’Union européenne ne doit pas non plus devenir un simple pôle de contrôle technocratique des budgets des États membres, ni ériger la méfiance et les sanctions envers ces derniers comme principe de gestion des politiques et des objectifs communs.

Une confusion est aujourd’hui savamment entretenue entre la vision d’un fédéralisme budgétaire, qui se traduirait par une surveillance macroéconomique accrue de 27 budgets différents, et celle qui privilégierait une plus grande mise en commun de moyens par un effet de mutualisation et de transfert de la capacité fiscale, pour percevoir des ressources qui seraient versées à un budget européen, en partie fédéral.

Telle est la définition du fédéralisme, monsieur le ministre : une intégration plus poussée, pour donner une plus grande impulsion à des projets communs, sans d’ailleurs céder plus de souveraineté. Ce n’est en tout cas pas la promotion d’une Europe à quelques-uns, fonctionnant sur le mode intergouvernemental, régie par des outils de contrainte qui verrouilleraient à l’échelon national toute marge de manœuvre politique et économique.

Le fédéralisme ne revient pas non plus à décider ensemble ce que les États membres doivent faire seuls.

Si l’on veut que l’Europe soit plus que cela, alors elle a besoin d’un budget, certes bien géré, mais à la hauteur de ces ambitions. Le budget européen est un budget d’investissement, qui vient compléter ou suppléer les politiques et actions des États membres. Le réduire, c’est diminuer les marges de manœuvre des États, en les privant de tout soutien pour pratiquer des politiques de relance et de croissance dans les territoires.

À cet égard, permettez-moi de revenir un instant sur la question de la conditionnalité des aides appliquée à la politique de cohésion, qui est évoquée par la Commission. Il s’agirait de conditionner les aides européennes au respect, par les États, des niveaux d’endettement et de déficit fixés par les textes européens.

Monsieur le ministre, je le répète fermement ici, cette orientation n’a pas de sens. D’abord, elle fait peser sur les collectivités aidées par ces fonds le prix de la gestion budgétaire des autorités nationales, sur laquelle les collectivités ne pèsent pas. Ensuite, elle conduirait à affaiblir plus encore les pays en difficulté, alors même que l’Europe doit les aider, notamment en participant au renforcement de la croissance.

Les fonds structurels aident justement les territoires à être vecteurs de croissance et d’emploi. Retirer ce soutien, alors même que les États ont des difficultés pour soutenir les territoires, n’a pas de sens. J’invite d’ailleurs chacun à réfléchir aux conséquences qu’une telle décision aurait pour notre pays dans les conditions macroéconomiques actuelles. Bref, ce serait scier la branche sur laquelle nous sommes assis !

Un budget de crise ne peut donc se traduire par un désengagement des États membres, puisque le budget européen, par définition, ne fonctionne pas sur le principe « un euro donné, un euro perçu ». Il constitue un levier pour la conduite des politiques nationales et doit être mis au service de la relance économique et sociale. Parler de gouvernance économique aujourd’hui, c’est aussi parler de croissance et d’investissements !

La France, comme d’autres États membres, doit sortir du double discours visant à faire croire qu’il faut plus d’Europe, mais sans les moyens correspondants. Notre engagement européen a un coût ; il faut l’assumer !

Sans doute est-il nécessaire que l’Europe dépense mieux, mais on ne peut demander à l’Union de faire plus avec moins de moyens. La seule réelle solution, d’autres l’ont évoqué avant moi, est d’avancer sur la question des ressources propres, pour sortir du dilemme qui paralyse aujourd’hui les États : financer un budget européen dans un contexte de déficits publics massifs et généralisés.

L’Union n’est pas une simple juxtaposition d’États ou la somme de vingt-sept destins nationaux parallèles. Il doit en être de même pour son budget, qui ne doit pas être la somme de vingt-sept contributions nationales déconnectées, mais avoir une portée plus fédérale.

Pourtant, face à ces évidences, le Gouvernement reste, pour une fois, curieusement silencieux, alors qu’il soutient qu’il faut plus d’Europe. Nos propositions de sources nouvelles de financement du budget européen sont déjà connues ; elles sont crédibles et font leur chemin, ce dont nous nous félicitons. Permettez-moi de les rappeler : affectation d’une partie des recettes des enchères des quotas d’émission de gaz à effet de serre, taxe européenne sur les bénéfices des sociétés, affectation d’une partie des recettes d’une taxe européenne sur les transactions financières.

La création d’une taxe sur les transactions financières a fait l’objet de multiples propositions ces derniers mois, propositions pas tout à fait cohérentes, d’ailleurs, et pas assez ambitieuses. Il est nécessaire de réaffirmer qu’une telle taxe doit servir au financement de l’économie réelle, à la régulation et au contrôle des flux financiers et de la spéculation sur les marchés.

Or, ni la proposition conjointe de la France et de l’Allemagne ni celle de la Commission européenne ne sont aujourd’hui à la hauteur d’une telle ambition : taux trop faible ; périmètre insuffisant ; affectation de son produit trop dispersée pour produire un effet de levier ; adoption prévue à l’unanimité, qui pourrait conduire à son application au niveau de la seule zone euro par une coopération renforcée ; désaccord sur son entrée en vigueur, qui conditionne son efficacité pour financer une politique de relance au niveau européen.

Vous aurez remarqué que, dans mon intervention, j’ai plusieurs fois, et à dessein, utilisé le terme de « relance », qui me paraît essentiel.

Alors qu’elle devrait utilement devenir une nouvelle ressource propre pour alimenter un budget européen tourné vers la relance et la croissance, la proposition de la Commission indique que le montant du produit de cette taxe serait affecté en tout ou partie à la réduction des contributions des États membres au budget européen, ce qui empêcherait, au final, d’augmenter sensiblement les ressources dudit budget. Cette position correspond d’ailleurs à la philosophie générale du Gouvernement sur la question des ressources propres.

Si les sommes levées étaient réparties entre le budget européen et les budgets nationaux, selon le taux proposé, il ne resterait que 22 milliards d’euros pour l’Europe. Dans ces conditions, nous nous inquiétons du résultat des négociations sur cette proposition.

C’est à ce niveau que doivent se placer le débat d’aujourd’hui sur l’article 30 et – c’est plus important – les discussions sur les perspectives budgétaires 2014-2020. Il ne faut pas sacrifier l’Europe que nous voulons sur l’autel du « dépenser moins », au risque de devoir, dans chacun des vingt-sept pays européens, dépenser plus pour compenser l’effacement de l’Union européenne.

Nous ne pouvons, pour toutes ces raisons, accepter les positions prises par la France à l’égard de ce budget européen pour 2012 et à l’égard du futur cadre général 2014-2020, car, sans l’Europe, sans un véritable budget européen, et en dépit de tous les contrôles renforcés sur les budgets nationaux, nous ne pourrons nous en sortir tout seuls.

Le groupe socialiste-EELV s’abstiendra donc sur l’article 30 du projet de loi de finances pour 2012, comme les deux rapporteurs spéciaux de la commission des finances et, j’ai cru le comprendre, l’ensemble des groupes, à l’exception du groupe UMP. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les instances européennes sont sur le point d’arrêter leur projet de budget pour l’année 2012.

À l’échelon de l’Union européenne, comme à celui des États membres, l’heure est décidément à l’austérité. Nous ne connaissons pas encore le niveau réel du budget 2011, mais nous savons qu’il sera à peine supérieur au budget de l’an passé.

Les discussions, à Bruxelles, vont en effet se solder par une augmentation d’environ 2 % du budget européen par rapport à l’année en cours, soit à peine de quoi compenser les effets de l’inflation, située au même niveau, selon les chiffres les plus récents d’Eurostat et de la Banque centrale européenne. Le problème est que, dans ce contexte, l’article 30 du projet de loi de finances pour 2012, que nous examinons, n’a pas beaucoup de sens.

En effet, il recouvre à la fois la ressource dite « TVA », soit la part de la TVA réservée au financement de l’Union européenne, et la ressource attribuée en fonction du revenu national brut de notre pays, c’est-à-dire deux types de recettes qui ne sont pas calculées de la même façon, ne renvoyant pas à la même réalité et ne reposant pas sur les mêmes assiettes.

En outre, la somme avancée est, selon toute vraisemblance, en décalage avec la réalité, puisque, au cours des vingt dernières années, jamais l’évaluation initiale du prélèvement sur recettes ne s’est révélée juste – elle fut tantôt supérieure, tantôt inférieure –, sauf à de très rares exceptions ou grâce à des « effets d’optique ».

À partir de là, je vois mal comment nous pourrions ne pas nous abstenir purement et simplement sur cet article.

À cet égard, je saisis l’occasion qui m’est donnée pour élargir le débat. Cette somme de 19 milliards d’euros représentant la contribution française au budget de l’Union européenne est tout à la fois trop faible et trop importante.

Elle est trop faible, parce que nous savons déjà que le budget de l’Union européenne, tel qu’il vient d’être adopté, ne suffira pas à son bon fonctionnement pour l’année 2012.

Nous savons aussi qu’il est trop largement déconnecté des objectifs qu’il est supposé atteindre.

Les discussions qui se terminent à Bruxelles rappellent tristement celles de l’an dernier, à l’issue desquelles les propositions de nos collègues parlementaires européens avaient été repoussées par les États membres. À l’époque, les gouvernements nationaux avaient refusé d’augmenter le budget communautaire de plus de 2,9 % par rapport à 2010.

Le résultat est là : le Parlement européen a révélé très récemment, le 7 novembre dernier, que l’Union avait urgemment besoin de 550 millions d’euros supplémentaires pour pouvoir terminer l’année sans devoir couper dans des programmes aussi importants que le Fonds social européen, dont il est inutile ici de rappeler le rôle qu’il joue dans nos territoires, en particulier dans les plus en difficultés.

Pourtant, l’histoire se répète. Loin de retenir la leçon, nous reproduisons aujourd’hui exactement la même erreur. Avec un budget prévisionnel pratiquement stable en euros constants, nous serons, à la fin de l’année prochaine, loin du compte.

Dans leurs propositions, la Commission européenne et le Parlement européen tablaient, tous les deux, sur une augmentation du budget global proche de 5 %. Il s’agissait là d’une augmentation, certes importante, mais surtout cohérente compte tenu des compétences, en plein développement, de l’Union européenne.

Aussi, il est fort probable que, d’ici à la fin de l’exercice 2012, plusieurs centaines de millions d’euros, au moins, manqueront de nouveau au budget de l’Union pour remplir les missions que nous lui attribuons.

Mais cette somme est également trop importante dans la mesure où nul ne peut se satisfaire d’une situation dans laquelle le budget communautaire, théoriquement autonome des budgets nationaux, dépend à ce point des finances des États membres.

En effet, ce qu’on appelle les « ressources propres traditionnelles » de l’Union européenne ne représente, aujourd’hui, que 14 % de son budget global, contre 86 % pour les ressources apportées par les États membres, alors que ces dernières ne sont censées servir, initialement, qu’à d’éventuels rééquilibrages.

La situation qui en découle est quelque peu ubuesque, si je peux me permettre ce terme.

D’un côté, la Commission européenne, dans ses recommandations, demande aux États membres plus de rigueur budgétaire. De l’autre, ces mêmes États sont déjà contraints financièrement à plus d’austérité pour ne pas être déclassés par les marchés financiers.

Parallèlement, afin d’être en mesure de mener non seulement des politiques d’investissement pour l’avenir du continent, mais aussi des politiques de rééquilibrage et de cohésion économique et sociale au sein de l’Union, les institutions européennes réclament l’accroissement du budget fédéral.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Dans la contradiction la plus totale !

M. André Gattolin. C’est là que réside, en effet, le paradoxe : sans une politique hardie de relance de l’économie à l’échelle européenne, la multiplication des plans nationaux d’austérité risque fort de condamner le plus grand et le plus riche marché régional de la planète, c’est-à-dire l’espace européen, à une longue et douloureuse spirale récessionniste.

Dans les années quatre-vingt, on utilisait une étrange et belle expression, celle du « coût de la non-Europe », pour désigner le coût économique et financier de la non-réalisation du marché intérieur.

Il serait aujourd’hui parfaitement opportun de parler du coût de la non-fédéralisation de l’Europe, et peut-être plus encore du coût économique et financier de l’absence de véritable gouvernance économique et politique de l’Union.

M. Philippe Marini, président de commission des finances. Qui dit fédéralisme, dit référendum.

M. André Gattolin. La crise actuelle des dettes souveraines nous renvoie directement et violemment à l’absence de gouvernance économique et politique qui a suivi l’instauration de la monnaie unique.

Bien sûr, depuis les années quatre-vingt, il s’est tout de même établi une forme de gouvernance européenne minimale, au travers du trilogue Conseil européen, Commission européenne et Parlement européen. Pour être honnête, il faudrait d’ailleurs comptabiliser, dans cette gouvernance baroque, au moins deux autres acteurs : les marchés financiers et le FMI, appelé à jouer un rôle de plus en plus important.

Puisque j’en suis à réhabiliter quelques vieilles et belles formules des années quatre-vingt, je n’oublierai pas de souligner le profond déficit démocratique qui caractérise le fonctionnement de ce substitut de gouvernance européenne censé aujourd’hui orienter l’Union.

Nous devons, plus que jamais, remettre l’Europe au cœur de nos politiques, et la démocratie au centre d’une Union qu’il faut absolument rapprocher de ses citoyens.

Nous devons mutualiser une partie de nos dettes, les emprunts et les investissements de nos États, pour que la solidarité européenne devienne, enfin, plus qu’une esquisse laissée à l’abandon.

Nous devons donner aux institutions communautaires des moyens autonomes et à la hauteur des défis qu’elles ont devant elles.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je dois vous faire un aveu. Je ressens aujourd’hui plus d’amertume que d’autosatisfaction à voir nos dirigeants européens et nationaux commencer à peine, et avec une terrible timidité, à considérer comme potentiellement justes et opportunes à la lumière de la crise que nous traversons, des solutions politiques et économiques pour l’Europe, que, pendant trois décennies, bien souvent sous les sarcasmes, j’ai prônées, en tant qu’écologiste et plus encore en tant que fédéraliste européen.

Oui, cela fait plusieurs décennies que, à la suite d’Altiero Spinelli, un des pères de l’Europe démocratique, nous demandons, plus qu’une gouvernance minimale de l’Union, un véritable gouvernement économique et politique de nature fédéral et véritablement démocratique pour l’Europe.

Oui, voilà désormais près de trois ans que, dans la foulée de la crise financière de l’automne 2008, les écologistes et fédéralistes européens préconisent l’émission d’euro-obligations par la Banque centrale européenne, la mise en place d’un grand emprunt européen, pour faire face à l’endettement financier des États membres et assurer une relance saine et durable de nos économies.

M. Philippe Marini., président de la commission des finances. Emprunter pour rembourser la dette, c’est intéressant…

M. André Gattolin. Oui, voilà plus d’une décennie que nous prônons l’instauration d’une taxe sur les transactions financières, à la fois pour réguler la folie spéculative qui s’est emparée des marchés et pour doter, enfin, l’Union européenne de ressources propres à la hauteur de ses besoins croissants.

Sur ce dernier point, nous demandons au Gouvernement de faire clairement connaître sa position sur le projet de taxe sur les transactions financières, tel qu’il a été repris très récemment par le président de la Commission, M. José Manuel Barroso. S’il s’y est dit favorable, le Gouvernement se garde bien de donner quelque détail que ce soit, tandis que certains de ses alliés conservateurs commencent déjà à en rejeter les prémisses.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je formerai, en conclusion, un triple vœu pour l’Union européenne : plus de politique européenne, plus de solidarité européenne, et des moyens communautaires réinventés. Ce serait un triptyque infiniment plus utile qu’une simple ligne au milieu d’une loi de finances comptant des centaines de pages. Il est de notre responsabilité de garder à l’esprit cet impératif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean Leonetti, ministre auprès du ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, messieurs les rapporteurs spéciaux, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de présenter devant vous les crédits inscrits à l’article 30 du projet de loi de finances pour 2012, relatifs au prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.

La contribution française, évaluée à 18,878 milliards d’euros pour 2012, est en augmentation par rapport à l’année dernière, puisque la prévision d’exécution du prélèvement sur recettes pour 2011 s’établit à 18,2 milliards d’euros.

Vous avez parfaitement raison, monsieur le rapporteur Massion, d’avoir rappelé que ce débat budgétaire se déroule dans un contexte particulier. À cet égard, monsieur Gattolin, il ne s’agit pas de savoir si le budget européen est trop élevé ou pas assez ; vous-même avez défendu successivement ces deux hypothèses ! Il nous faut mener une réflexion plus globale.

Monsieur le rapporteur Arthuis, j’ai bien noté votre révolte.

Mme Nathalie Goulet. Légitime !

M. Jean Leonetti, ministre. Je sais que, dans votre esprit, la révolte est meilleure que l’indignation, puisqu’elle conduit généralement à l’action, selon la vision camusienne.

Rappelons l’essentiel : notre contribution est le prix à payer pour permettre à la France et à l’Europe d’être au rendez-vous du xxisiècle. C’est le prix pour que l’Europe soit un véritable moteur, une puissance au service non pas des intérêts nationaux, mais d’un espace commun de valeurs et de démocratie.

C’est la raison pour laquelle il faut mettre l'Union européenne en mesure de financer les dépenses d’avenir, porteuses d’un grand espoir. Je pense, par exemple, à Galileo et GMS, ainsi qu’au développement de l’économie verte.

Ces 18,878 milliards d’euros ne peuvent masquer, bien sûr, l’élan européen. Malgré les difficultés que nous rencontrons, nous devons nous donner les moyens de nos politiques communes.

Il importe de faire reposer ce projet que bâtit l’Europe sur des bases raisonnables, en pleine harmonie avec la réalité vécue par les États. Comment imaginer qu’il puisse être déconnecté du contexte de crise mondiale que nous connaissons ?

Mesdames, messieurs les sénateurs, la contribution française au budget européen est, comme vous le savez, calculée sur la base de la position exprimée par le Conseil. Je suis particulièrement satisfait aujourd’hui du compromis qui a été trouvé, dans la nuit de vendredi à samedi, entre le Conseil et le Parlement européens. Le montant des crédits de paiement qui a finalement fait consensus est celui que le Conseil avait adopté, soit 129 milliards d’euros. Le prélèvement aujourd’hui soumis à votre vote garde donc toute sa validité.

Ma satisfaction sur ce compromis est grande, car nous sommes parvenus à ramener plus de raison dans les ambitions affichées dans le cadre du débat budgétaire européen. Celui-ci avait débuté sur des bases inacceptables, qui entendaient exonérer totalement le niveau européen des contraintes budgétaires pesant sur les États membres.

Comme vous le savez, le prélèvement sur recettes, bien qu’il retrace les recettes collectées pour le compte de l’Union, est inclus depuis 2008 dans la norme de dépenses de l’État, assise sur la règle du « zéro valeur », particulièrement contraignante. Le Gouvernement français est pleinement conscient de la nécessité de défendre constamment la maîtrise des dépenses et la bonne gestion financière, dans les instances européennes comme au sein de chaque État membre.

Je le redis, le budget européen ne peut s’exonérer des contraintes budgétaires nationales. J’attire votre attention sur ce point : ce ne serait pas populariser l’Europe que de demander à nos concitoyens de faire des efforts sur le plan intérieur tout en faisant preuve de laxisme pour les dépenses communautaires.

La Commission avait présenté en avril dernier un projet de budget affichant une croissance de 3,7 % des crédits d’engagement et de 4,9 % des crédits de paiement. Le Conseil a, par la suite, adopté une position limitant la progression à 2,02 %, laquelle atteint finalement 1,86 % compte tenu du budget 2011 révisé.

Outre des efforts de maîtrise des dépenses renforcés par rapport à l’année dernière, nous sommes en mesure de prévoir une budgétisation au plus près des besoins réels, sans pour autant dégrader les ambitions européennes.

J’y insiste, le budget 2012, tel qu’il a été revu et voté de façon consensuelle, est un réel budget d’action, ambitieux, centré sur des besoins réels en crédits de paiement, en fonction des prévisions d’exécution de chaque rubrique.

Les crédits en faveur de la politique de cohésion, pour ne citer qu’eux, augmenteront ainsi de 5,2 % par rapport à 2011. La France assume sa position en la matière, contrairement aux contre-vérités que j’entends parfois : ce n’est pas parce qu’il en appelle à la discipline budgétaire que notre pays prône le démantèlement de la politique de cohésion.

Le Gouvernement a fait preuve d’une grande détermination dans le débat de cette année, en faisant valoir à la fois le montant de la dépense communautaire et l’indispensable amélioration de sa qualité et de son efficacité.

Je le répète une fois de plus, il défend l’idée selon laquelle il faut dépenser mieux, pas forcément plus. Plus d’Europe ne signifie pas une Europe plus chère. L’objectif est de parvenir à une Union mieux gérée et orientée vers des objectifs de croissance.

Pour avancer, la politique européenne doit reposer sur le tryptique « discipline budgétaire, solidarité, croissance et relance ».

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’évoquerai maintenant un sujet qui m’est cher, dont le Sénat s’est intelligemment et brillamment emparé, par la voix notamment de MM. Bizet, Bernard-Reymond et de Montesquiou ; je veux parler des ressources propres.

Je partage totalement le constat que vous avez fait, messieurs, sur l’essoufflement du système actuel de financement du budget européen, enserré dans la logique du « juste retour », héritée d’une formule thatchérienne. Il faut lutter contre ce marchandage perpétuel, qui consiste à dire : « J’ai donné tant, alors j’attends tant en retour ! » Cela correspond à une politique totalement dépassée aujourd’hui, car pesante et handicapante pour le budget européen.

La France est donc ouverte à une réflexion sur une réforme. Celle-ci aura lieu dans le cadre du débat sur les perspectives financières 2014-2020, qui est engagé depuis le mois de juin et qui va se poursuivre tout au long de l’année 2012.

La politique française est nette : nous sommes pour un système plus simple, plus transparent et plus juste. Cela signifie, en clair, que nous sommes opposés à la pérennisation du système des rabais, porteur de handicaps considérables par rapport aux objectifs que je viens d’exposer.

Face aux pistes de nouvelles ressources, vous le savez, la position de la France est parfaitement définie. Elle est favorable à la création d’une taxe sur les transactions financières. Je rappelle seulement à M. Sutour et à l’ensemble des sénateurs ici présents qu’en vertu des règles de fonctionnement de l’Union européenne la France ne peut pas imposer ce qu’elle souhaite à l’ensemble des vingt-sept autres États membres ! Ce serait contraire aux principes que nous défendons de respect de la démocratie et de l’autonomie des États membres. Elle ne peut pas davantage imposer au monde entier une taxation sur les transactions financières !

Quoi qu’il en soit, toute nouvelle ressource propre devra venir en déduction des contributions nationales actuelles. Les contributions nationales doivent, en effet, s’effacer devant des ressources propres qui impulsent au budget la dynamique nécessaire à la recherche de la croissance indispensable, tout en l’orientant vers la discipline.

Quand l’heure est aux politiques de discipline budgétaire pour les États membres, il faut que l’Europe soit porteuse de grands projets et de croissance.

En ce qui concerne la question du financement des grands travaux européens, soulevée à juste titre par MM. Bizet et de Montesquiou, vous savez que la Commission a proposé la création de project bonds. Soyons ouverts au recours à ces instruments financiers innovants, sous réserve, bien sûr, que l’encadrement soit suffisant. Nous souhaitons qu’ils portent sur des projets dont la rentabilité socio-économique est prouvée, avec une implication de la Banque européenne d’investissement et des garanties claires sur l’absence de risque pour le budget communautaire. J’y vois l’un des éléments qui méritent d’être encouragés, en particulier dans les perspectives budgétaires 2014-2020.

Concernant la problématique de la débudgétisation qu’a évoquée M. Massion, notre attachement à la sincérité budgétaire est total. Et nous nous opposons à l’idée que l’on puisse sortir du cadre financier 2014-2020 de grands projets comme ITER ou GMES. De tels choix fausseraient, de toute évidence, la sincérité du budget tel qu’il nous est présenté.

Sur les perspectives financières, la position de la France est également claire. Elle souhaite que l’on dépense mieux et pas forcément que l’on dépense plus. C’est tout aussi clairement qu’elle exige la stabilisation de l’une des principales politiques communautaires, la politique agricole commune. Enfin, elle souhaite, là encore clairement, que, dans le cadre de l’agenda 2020, on s’oriente vers une politique qui, plutôt que de réduire les moyens, les oriente sans ambiguïté vers la croissance, la compétitivité et l’emploi.

Dans la compétition mondialisée à laquelle l’Europe se trouve confrontée, elle ne peut pas s’affranchir d’une vision prospective qui conjugue espoir, croissance et emploi. La réindustrialisation, les énergies renouvelables, la recherche sont des points forts qui, éventuellement conjugués avec des projects bonds, peuvent permettre à l’Europe de suivre l’exemple français et de dépasser l’approche purement comptable du budget, pour l’aborder dans une perspective financière de croissance.

M. le président Marini a affirmé son soutien, et je salue, une fois de plus, sa compétence et la pertinence de ses propositions.

Je partage son analyse sur la situation de l’Europe, à la croisée des chemins, et sur la nécessité de franchir une étape décisive. Le couple franco allemand est, je le sais, le moteur indispensable à ce franchissement d’étape.

La détermination du Président de la République sera un élément essentiel pour le passage à une autre Europe, une Europe nouvelle qui soit plus déterminée dans ses ambitions, non contrainte par un budget directement dépendant des États membres, et capable de définir des perspectives d’avenir.

Solidarité, discipline budgétaire, croissance, tels doivent être les objectifs de l’Europe. Contrainte de passer obligatoirement par une étape de fédéralisme économique, l’Europe doit définir son avenir, et pour cela elle pourrait s’inspirer de la réflexion actuellement menée par M. Arthuis sur ce que devra être demain la gouvernance de la zone euro.

Au terme de cet exposé, j’ai l’honneur de demander, au nom du Gouvernement, à votre assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs, d’approuver l’article 30 du projet de loi de finances.

La révolte doit mener à l’action, disions-nous. Et, si le Gouvernement partage les réflexions sur les perspectives 2014-2020 que vous avez exprimées aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, il n’en reste pas moins qu’un budget doit être voté pour que l’Europe, porteuse d’espoir et de démocratie, puisse continuer à fonctionner. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Jean Arthuis, rapporteur spécial, applaudit également.)