M. le président. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond.

M. Pierre Bernard-Reymond. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les ressources propres ne représentent que 14 % des recettes totales du budget de l’Union européenne, tandis que les deux contributions directes des États, l’une étant fondée sur la TVA et l’autre sur le revenu national brut, en représentent 86 %.

Cette dérive par rapport aux règles fixées en 1970, selon lesquelles l’essentiel des ressources de l’Union européenne doit provenir de ressources propres, constitue une véritable renationalisation des recettes du budget communautaire.

De mon point de vue, cette renationalisation entraîne deux inconvénients : d'une part, l’extrême complexité du dispositif, et, d’autre part, la généralisation de réflexes nationaux conduisant à oublier – Jean Arthuis l’a rappelé tout à l'heure – que l’intérêt de participer à l’Union ne réside pas uniquement dans un calcul budgétaire, et donc à raisonner en termes de juste retour. C’est cette logique qui a conduit à accorder un rabais au Royaume-Uni puis à consentir des rabais sur le rabais à d’autres pays contributeurs nets.

Tout le monde constate que le système actuel a atteint ses limites, mais tout le monde semble s’en satisfaire. On se contente, par des retouches successives, d’ajouter de la complexité à la complexité.

À la suite d’un accord entre les deux branches de l’autorité budgétaire, il a été décidé de revoir cette question dans le cadre des négociations sur les perspectives financières 2014-2020.

La Commission européenne, consciente de la nécessité d’une remise à plat, a formulé des propositions, qu’elle vient d'ailleurs de préciser.

La principale proposition est la création de deux nouvelles ressources propres : d'une part, une partie du produit de la TVA – je rappelle que l’assiette est aujourd'hui utilisée pour calculer une contribution nationale – serait affectée au budget de l’Union européenne ; d’autre part, la fameuse taxe sur les transactions financières, la TTF, serait créée, les deux tiers de son produit étant directement versés au budget de l’Union européenne.

Malheureusement, le Royaume-Uni et la Suède viennent de s’opposer de façon assez catégorique à cette dernière proposition. En revanche, la France et l’Allemagne, ainsi que le Parlement européen, y sont favorables. Notre assemblée s’est elle aussi prononcée en ce sens, par un vote qui a réuni des élus de la majorité et de l’opposition. En effet, cette taxe qui, dans l’idéal, devrait s’appliquer à l’ensemble des États du monde pourrait à la rigueur n’être qu’européenne, voire, au minimum, se limiter aux pays membres de l’Eurogroupe.

Si ces deux nouvelles ressources étaient créées, le pourcentage des ressources propres dans le budget de l’Union européenne passerait de 14 % à 60 %. De mon point de vue, cela constituerait un progrès considérable vers une gouvernance plus intégrée de l’Union. Qui plus est, chaque État retrouverait – j’y insiste – davantage de marges de manœuvre pour son budget national, ce qui, dans les circonstances actuelles, n’est pas négligeable.

Par ailleurs, la Commission européenne propose une réforme radicale des rabais : ceux-ci seraient forfaitisés et leur réévaluation serait interdite. Cette simplification considérable va dans le bon sens.

Monsieur le ministre, dans quel état d’esprit le Gouvernement abordera-t-il cette question ? Que pense-t-il des propositions de la Commission européenne ? Est-il d’accord pour augmenter sensiblement les ressources propres du budget de l’Union européenne – sans pour autant augmenter le budget lui-même ? Approuve-t-il la création des deux nouvelles ressources propres proposées par la Commission européenne ?

Ne faudrait-il pas suggérer la création d’autres ressources, comme, par exemple, un impôt sur les sociétés, des accises sur les carburants, le tabac, l’alcool ou l’énergie, ou encore des ressources fondées sur les quotas de CO2 – ces différentes ressources ont été envisagées puis abandonnées –, voire une taxe sur le commerce des armes ?

Cette réforme peut très bien être intégrée aux réformes institutionnelles qu’induira nécessairement le bilan de la crise actuelle. J’espère que le Gouvernement français jouera, une fois encore, un rôle moteur dans cette nécessaire évolution. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste-EELV.)

MM. Jean Bizet et Aymeri de Montesquiou. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les rapporteurs ayant procédé à une analyse précise de la participation de la France au budget de l’Union européenne, je n’y reviendrai pas. Je précise toutefois que je partage nombre des critiques et inquiétudes qui ont été formulées.

Je m’en tiendrai aux aspects généraux de l’article 30 du projet de loi de finances pour 2012, d’autant que, comme cela a été rappelé, nous nous livrons en réalité à un exercice très contraint, puisque le budget de l’Union européenne n’est toujours pas adopté selon des procédures démocratiques.

Sans surprise, puisque c’est le cas depuis un certain nombre d’années, la contribution française sera supérieure aux retours que nous obtiendrons du budget communautaire. De fait, notre pays est, à l’instar de l’Allemagne, contributeur net au budget de l’Union européenne.

Certes, du fait de l’importance de la politique agricole commune dans le budget communautaire, et dans la mesure où cette politique s’est depuis longtemps substituée à toute véritable politique nationale de soutien aux activités agricoles, nous sommes en droit d’escompter un apport significatif dans ce domaine.

Il est cependant évident que le sujet du temps est bien ailleurs et se situe plutôt dans les perspectives actuelles de la construction européenne. Je ne sais d’ailleurs si le terme « construction » est tout à fait approprié, l’Union européenne, et singulièrement la zone euro, étant de plus en plus l’objet de forces centrifuges qui aiguisent les antagonismes et accroissent les profondes inégalités de développement et de niveau de vie entre les différents pays.

Sans refaire l’histoire, on peut même penser que la crise économique à laquelle l’Europe est aujourd’hui confrontée constitue la plus sérieuse épreuve qu’elle ait eu à affronter depuis le traité de Rome, épreuve d’autant plus sérieuse que les causes en sont endogènes et semblent clairement relever de la conception actuelle de l’Union.

L’Europe est un continent vieillissant, dont la population est appelée, au mieux, à croître fort modérément. Cette situation va de pair avec des équilibres économiques qui semblent de plus en plus participer d’une division du travail à l’échelle internationale, les uns – en général les pays du Nord, en particulier l’Allemagne et les Pays-Bas – disposant encore aujourd’hui d’un appareil industriel performant et pertinent, les autres – en général plutôt les pays du Sud – se transformant de plus en plus en économies de services, singulièrement de services touristiques.

Depuis 2008, le tigre celtique irlandais s’est découvert sans griffes, le schéma de la croissance espagnole, tirée par l’immobilier et le moins-disant fiscal et social agricole, a littéralement explosé, la Grèce s’est trouvée confrontée à des difficultés majeures, les maux commencent à frapper durement le Portugal, l’Italie ou encore la Belgique, et certains des pays d’Europe centrale ont été placés sous le contrôle du FMI…

Dans un article récent, le quotidien madrilène El Paĭs indiquait d’ailleurs que seuls cinq des dix-sept pays de la zone euro, à savoir l’Allemagne, les Pays Bas, le Luxembourg, la Finlande et l’Estonie, étaient en situation de respecter les critères de convergence des politiques économiques et budgétaires.

La pression des marchés financiers se fait sans arrêt plus forte sur les États, qui les ont pourtant largement secourus en 2008 et en 2009. Ainsi, bien que la droite ait remporté les élections générales ce dimanche en Espagne, la Bourse de Madrid a connu une nouvelle baisse des valeurs cotées, tandis que le différentiel des taux de moyen et long terme entre les crédits accordés à l’Allemagne et ceux qui le sont à l’Espagne augmentait encore.

Les marchés en veulent toujours plus, et force est de constater que, pour l’heure, la seule réponse des États – traduite dans les Conseils européens – est bel et bien de leur complaire !

Il y a quelque chose qui frappe en ce moment l’Europe, et singulièrement la zone euro, plus sûrement que la dégradation des notes des dettes souveraines. Je vise ici les politiques d’austérité que tous les gouvernements, quelle que soit leur obédience, sont assignés à mener, avec tout ce que cela peut, à la fin des fins, provoquer, à commencer par une crise de défiance envers les institutions communautaires comme envers le fonctionnement institutionnel propre à chaque pays, crise qui ne pourra engendrer que des frustrations, des aigreurs, des sentiments politiques moins démocratiques et moins ouverts que par le passé.

Le repli sur soi, la xénophobie, la recherche de boucs émissaires d’autant plus faciles à identifier qu’ils sont en position de faiblesse, voilà ce qui guette aussi les sociétés européennes si les politiques budgétaires actuelles continuent à suivre le même chemin pour aller dans les mêmes ornières.

Le jour où le budget européen sera synonyme de croissance, de réponse aux besoins sociaux des peuples de l’Europe, le jour où la Banque centrale européenne, plutôt que de s’ériger en vigilante gardienne de l’inflation, aura décidé de venir au secours des États membres et ouvrira un financement destiné aux plus grands projets structurants propres à chaque pays comme pertinents à l’échelle communautaire, ce jour-là, le groupe communiste, républicain et citoyen votera en faveur de la participation de la France au budget de l’Union européenne. Ce jour n’est, hélas ! toujours pas arrivé, et notre groupe ne votera donc pas en faveur de celle-ci cette année encore. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est dans le contexte de la crise des dettes publiques que nous examinons ce matin l’article 30 du projet de loi de finances pour 2012, article qui fixe, comme chacun sait, le prélèvement annuel sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.

Ce prélèvement n’est pas neutre, car il s’élève à 18,878 milliards de francs, soit 7,6 % des recettes fiscales françaises nettes.

Comme l’ont fort justement souligné MM. les rapporteurs spéciaux, le montant de la contribution de notre pays a été multiplié par cinq en vingt ans, ce qui n’est pas rien. Je rappellerai que le prélèvement sur recettes était seulement de 4,1 milliards d’euros en 1982.

Malgré quelques périodes de contraction des crédits abondant l’article 30, on observe une hausse tendancielle qui découle de l’évolution géographique et structurelle de l’Union européenne.

La France est ainsi le deuxième État contributeur au budget communautaire, une position solidifiée par l’effet conjugué du cadrage financier 2007-2013 et de la règle des « ressources propres » instaurée en 2007.

Si cet engagement peut paraître conséquent pour le contribuable français, il n’est pas inutile de rappeler combien il fonde la solidarité entre les États européens : si l’on est en droit d’attendre un certain retour, ce dernier ne peut pas être automatiquement proportionné. C’est le principe même de la solidarité.

Cette solidarité, on peut le dire, est mise à rude épreuve depuis le début de la crise en 2008. Au-delà de cet article 30 qui reflète spécifiquement le budget de l’Union européenne, les mesures en faveur de la stabilisation financière en Europe ont démontré la capacité de l’Europe à se retrouver sur le front de la crise. Certes, les négociations ont été difficiles, souvent accaparées par le couple franco-allemand et bien trop longues eu égard à l’urgence grecque ; mais elles ont fini par aboutir à un dispositif de solidarité.

Ce dispositif a deux étages : le mécanisme européen de stabilisation financière, instrument strictement communautaire, et le Fonds européen de stabilité financière, « levier » intergouvernemental qui pourrait permettre de mobiliser 440 milliards d’euros d’ici au 30 juin 2013.

Ces instruments, si imparfaits soient-ils, reflètent néanmoins la prise de conscience par les États membres de la nécessité de sauvegarder l’espace européen.

Je ne prétendrai pas qu’un esprit fédérateur rode en permanence sur la zone euro, mais j’estime que le projet européen n’a rien perdu de son importance au fil du temps et, comme le disait François Mitterrand, le 6 décembre 1983, à Athènes, « je crois à la nécessité historique de l’Europe ».

En tant qu’Européen convaincu, je m’approprie cette affirmation. Pour ma part, je crois toujours, malgré tout, en l’avenir de l’Europe. Mais, comme vous le savez, je pense que notre ensemble est perfectible sur le plan tant politique qu’économique.

Sur ce point, j’ai eu l’occasion de dire la semaine dernière, lors de la discussion générale de la première partie de ce projet de loi de finances pour 2012, qu’il était impératif que les politiques budgétaires européennes convergent sur leur contenu. En effet, l’actuelle diversité d’options dans les politiques nationales aboutit à la survivance d’intérêts qui se concurrencent, et il est urgent, pour ne pas dire très urgent, que les politiques des États membres se fassent plus coopératives.

En attendant des cieux plus cléments pour porter plus haut l’ambition européenne, nous sommes tenus chaque année d’alimenter le budget de l’Union européenne, budget qui constitue non seulement le vecteur de solidarité que je viens d’évoquer, mais aussi un outil de croissance.

Pour autant, malgré les besoins, ce budget ne connaîtra finalement pas une évolution très significative : il est « rigoureux », comme l’a qualifié – avec dépit d’ailleurs, me semble-t-il – le commissaire pour la programmation financière et le budget, Janusz Lewandowski, et en réalité stabilisé, contrairement à ce que pouvait laisser attendre l’avant-projet de budget, qui affichait un montant initial de 132,7 milliards d’euros pour les dépenses, soit une hausse de 4,9 % par rapport à 2009.

Les dépenses ont ainsi été réajustées à 129 milliards d’euros samedi dernier à Bruxelles. En revanche, les crédits d’engagement, fixés à 147,2 milliards d’euros, ont conservé leur « bonus » de 12 milliards d’euros.

Il est certain que la hausse globale des moyens affichée dans l’avant-projet de budget pour 2012 était apparue en décalage avec les efforts qui sont actuellement demandés aux États, lesquels ont un solde public très déficitaire. À l’issue de la procédure budgétaire européenne, on aboutit donc finalement à une relative maîtrise des dépenses publiques.

Cependant, mes chers collègues, il m’apparaît que l’adoption ou non de ce budget est au fond surtout une affaire de principe, car les États, même s’ils n’ont pas minimisé les instruments qu’il contient, ont montré qu’ils plaçaient plus d’espoir dans les mécanismes instaurés en marge de celui-ci.

En conclusion, en se référant aux excellents arguments avancés par les deux rapporteurs spéciaux, Marc Massion et Jean Arthuis, l’ensemble du RDSE s’abstiendra lors du vote de l’article 30. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui revêt incontestablement une importance particulière. Chacun sent bien que l’Europe est à la veille de grands changements. Les chefs d’État et de gouvernement ont su réagir à la crise. Il faut maintenant que les parlements nationaux et l’Union européenne le fassent à leur tour.

Ce qui nous réunit aujourd’hui est le budget communautaire. Il faut partir du constat plutôt navrant que l’Union européenne a été quasiment absente du règlement des crises des trois dernières années. Je rappellerai que, en 2009, ce que l’on appelait le plan de relance européen n’était en vérité que la juxtaposition de vingt-sept plans nationaux, le rôle du budget communautaire étant alors réduit à la portion congrue. Sur 200 milliards d’euros annoncés au titre du plan de relance de l’époque, 170 milliards d’euros provenaient ainsi des budgets des États membres, 25 milliards d’euros des prêts de la Banque européenne d’investissement, 5 milliards d’euros seulement du budget communautaire, répartis sur deux ans.

Le budget communautaire a été absent du plan de relance ; il a également été absent du règlement de la crise grecque. Il y a sans doute des raisons techniques, objectives, à cette situation.

D’abord, le budget communautaire n’a jamais, c’est vrai, été conçu pour être un instrument de relance et de stabilisation budgétaire, comme peut l’être un budget national.

Ensuite, le budget communautaire est encadré par des perspectives financières, ce qui a été une grande avancée qu’il ne faut surtout pas abandonner, mais le principe même de cette programmation s’oppose aux ajustements conjoncturels.

Cela ne peut pas durer. Il nous faut réfléchir à la façon de mieux utiliser la dépense communautaire, voire à la façon d’en faire un outil de la relance et de la croissance.

La première idée qui vient à l’esprit est d’augmenter le budget européen. Nous sommes aujourd’hui à 1 % du revenu national brut européen alors que les décisions sur les ressources propres permettraient de relever ce montant à 1,23 %. Ce niveau a été adopté en 1992, avec l’accord du Royaume-Uni : c’est dire s’il était considéré à l’époque comme raisonnable !

Les données budgétaires et politiques m’obligent à dire que cette augmentation est aujourd’hui irréaliste. Une telle augmentation impliquerait une augmentation de la contribution de l’Allemagne et de la France de 5 milliards d’euros chacune. L’Allemagne et la France sont-elles prêtes à mettre 10 milliards d’euros de plus au pot commun de l’Union européenne ? La réponse est évidemment non.

L’ensemble des États sont soumis a des contraintes budgétaires telles qu’il paraît peu vraisemblable qu’ils soient disposés à transférer une partie de leur budget au budget communautaire.

Mais il y a une autre raison à cette opposition, raison politique que je vais aborder par une question.

Mes chers collègues, comme tous les citoyens, tous ici vous connaissez ce que vous payez en impôt sur le revenu pour l’État, en taxe foncière et en taxe d’habitation pour votre commune. Si vous cherchiez bien, vous pourriez aussi trouver ce que vous payez pour votre département et pour votre région ; mais qui, ici, sait combien il paie pour le budget communautaire ?

Peut-on augmenter les dépenses sans savoir aujourd’hui qui les paie ? En d’autres termes, il ne peut y avoir une augmentation des dépenses que si le décideur prend la responsabilité de leur financement. Chaque citoyen français paie aujourd’hui 290 euros au budget communautaire. Sommes-nous prêts à lui demander de payer 400 ou 500 euros ? Tout le reste n’est que vain discours…

La question de la relance par le budget communautaire passe donc par la responsabilité fiscale. Le système actuel de financement est totalement opaque, puisque, si ce budget est juridiquement financé par des ressources propres, 85 % de son financement viennent en réalité des contributions nationales issues des impôts nationaux. Ce système ne peut pas durer. La Commission a proposé deux innovations très intéressantes : l’une serait de créer une véritable ressource TVA en lieu et place d’un simple mode de calcul à partir de la TVA perçue ; l’autre serait d’introduire une taxe sur les transactions financières ; Pierre Bernard-Reymond y a fait allusion.

Ces deux propositions me semblent très intéressantes, mais il faut qu’elles soient adoptées par les vingt-sept États membres et par leurs parlements respectifs. Attendons de voir ce qu’il en sortira ! Si aucune avancée n’a lieu, aucune dépense nouvelle ne pourra être décidée. En effet, il ne peut y avoir de dépense sans responsabilité fiscale, sous peine d’en arriver à cette situation ubuesque où l’Europe engagerait des dépenses en les laissant financer par les États.

Le temps est venu de se poser la question de la souveraineté fiscale. Jusqu’à présent, les parlements nationaux n’ont jamais reculé d’un pouce sur ce sujet. Néanmoins, quand on voit ce qui reste de la souveraineté des États membres, il faut accepter ce débat. L'Assemblée nationale et le Sénat sont-ils prêts à faire voter un impôt par le Parlement européen ? S’il faut prélever 1 % ou 2 % de TVA pour un budget communautaire digne de ce nom, ce sera au législateur européen – Parlement et Conseil européen – d’en prendre la responsabilité. Cela ne peut fonctionner qu’à cette condition.

Une solution de repli serait de recourir à l’emprunt. Or financer le budget par ce biais est catégoriquement impossible. L’équilibre budgétaire du budget communautaire par des ressources autonomes a été une exigence de l’Allemagne en 1957 et il est peu vraisemblable que, dans les circonstances actuelles, celle-ci change d’avis, ce en quoi elle aurait raison. Il serait d’ailleurs pour le moins curieux de réduire la dette des États pour augmenter celle de l’Union européenne.

En revanche, il est une voie qui n’est pas suffisamment explorée, alors qu’elle me paraît prometteuse, celle qui consiste à valoriser l’outil bancaire européen en lançant, en marge du budget courant, un grand programme de travaux d’intérêts communs, qu’il s’agisse de l’énergie – nous sommes en plein dedans, si vous voyez ce que je veux dire... (Sourires) –, de l’environnement, de la protection des côtes ou du climat, financé par un emprunt communautaire. Il me semble qu’un grand emprunt finançant des grands travaux communautaires aurait du sens et montrerait si les citoyens croient ou non en l’Europe.

En marge des questions budgétaires, il me faut évoquer le rôle des parlements nationaux dans la crise. Nous voyons bien qu’ils ont été exclus et qu’il leur faut inventer quelque chose. Ils doivent trouver leur place dans l’architecture communautaire de demain.

Sur les questions communautaires, le Sénat a toujours été innovant. Le débat de ce jour a une histoire. Je rappelle qu’il découle d’une initiative que prit Christian Poncelet en 1989, lorsqu’il était président de la commission des finances. C’est aussi la Haute Assemblée, qui, la première, a réalisé un fascicule sur les relations budgétaires avec l’Union européenne, rapport qui est à l’origine du « jaune » budgétaire que les spécialistes connaissent bien aujourd’hui. L’année dernière, sous l’impulsion du président Larcher, nous avons adopté, pour la première fois de l’histoire parlementaire européenne, une déclaration commune franco-allemande sur une politique commune, et non des moindres, la PAC.

Je ne doute pas que, dans la période actuelle, le nouveau Sénat saura prendre à son tour des initiatives fortes.

Pourquoi ne pas imaginer, lors de la discussion générale du projet de loi de finances, la présence et l’intervention des présidents des commissions des finances des États membres qui le souhaiteraient ? Plus que jamais, il nous faut maintenant raisonner en Européens.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tels sont les éléments d’analyse que je souhaitais apporter à ce débat. Le groupe UMP soutient la proposition du Gouvernement sur la participation de la France au budget de l’Union européenne et votera donc l'article 30. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Jean Arthuis, rapporteur spécial, applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oserons-nous dire avec Hamlet que « cette époque est désaxée » ?

M. Jean Arthuis, rapporteur spécial. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. Pour la première fois, la commission des finances du Sénat a décidé de s’abstenir sur la participation de la France au budget de l’Union européenne, à hauteur de 18,8 milliards d'euros, qui fait d’elle le deuxième contributeur européen.

Dans le contexte de crise mondiale et d’austérité budgétaire, la Commission européenne impose – hélas ! à raison – des mesures drastiques aux États membres pour qu’ils tentent d’assainir leurs finances publiques et reviennent à l’équilibre budgétaire. Pourtant, la valeur de l’exemple lui est étrangère, puisqu’elle use d’artifices de présentation : elle minore les crédits, masque l’inflation et pratique la débudgétisation de fonds européens et de politiques communautaires.

Il faut avoir à l’esprit que ces artifices et cette débudgétisation avoisinent les 184 milliards d'euros ! La sincérité, la cohérence, l’équité, sont des principes inhérents au budget que les instances communautaires prônent. Pourquoi ne les mettent-elles pas en pratique ? De surcroît, des écarts considérables ont été constatés entre la prévision et l’exécution du prélèvement. Où se trouve la fiabilité ?

Certes, c’est une tâche ardue que de négocier avec vingt-sept États membres et trois institutions aux priorités différentes. M. Janusz Lewandowski, commissaire européen à la programmation financière et au budget, a pu le constater, les médias soulignant à son propos qu’il veut 1 000 milliards et qu’il a presque autant d’opposants... Faire de lui un ministre des finances et des affaires économiques ne lui donnerait-il pas une légitimité vis-à-vis des États membres et des institutions ? Ne pourrait-il pas devenir un acteur majeur de la nouvelle gouvernance économique ?

En effet, les turbulences de la zone euro ont été amplifiées par l’absence de gouvernance économique. Cette faute qui date de la création de l’euro pèse plus que jamais. La cohérence budgétaire devient aujourd’hui une nécessité absolue pour que l’Union européenne exprime pleinement sa puissance économique.

Les soldes nets sont au cœur du calcul que fait chaque État sur les retours qu’il peut attendre en contrepartie des contributions qu’il aura versées. C’est la négation absolue de l’esprit qui a présidé au paradigme européen. Ces comptes d’apothicaire sont non seulement opposés à l’esprit européen mais contraires aux intérêts de l’Union européenne.

Je veux souligner de nouveau que la solidarité communautaire transcendant les égoïsmes nationaux est un principe fondateur de la construction européenne et conforme à ses intérêts. Malheureusement, il semble aujourd’hui plus utopiste que réellement mis en œuvre. Les égoïsmes nationaux rendent illusoire la notion d’une Europe politique. Les tandems Giscard d’Estaing-Schmidt et Mitterrand-Kohl s’efforçaient de toujours faire passer au premier plan leur vision d’une Europe, puissance politique, traduisant l’intérêt commun à tous les États membres.

Je partage l’analyse des rapporteurs spéciaux sur l’évolution du budget européen. Si l’abstention est symbolique, elle n’en sera pas moins un signal fort pour l’Union européenne. La France prône une augmentation du budget limitée à l’inflation. La maîtrise des dépenses publiques n’est pas seulement une nécessité nationale ; elle est aussi une nécessité européenne.

La consultation auprès des instances nationales intitulée « Réformer le budget, changer l’Europe » a dégagé trois priorités budgétaires : le recentrage des politiques communautaires autour du changement climatique, de la compétitivité et de la sécurité énergétique ; la mise en œuvre du principe de subsidiarité selon lequel la valeur ajoutée communautaire justifiera le choix des dépenses au niveau de l’Union européenne ; la réforme des ressources propres. Ces priorités s’appliquent aux négociations en cours sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020, sujet sur lequel les tensions entre les États membres, la Commission européenne et le Parlement européen sont les plus fortes.

Avec le président de la commission des budgets du Parlement européen, Alain Lamassoure, changeons de perspective et regardons l’Europe comme un gisement d’économies à portée de main dans différents domaines !

Ainsi, l’espace Schengen rend inutile la présence de consulats au sein de l’Union européenne. En matière de défense, aucun de nos pays n’ayant les capacités financières de son indépendance, la mutualisation dans une défense européenne générera des économies d’échelle. En outre, les agences de sécurité nationales – alimentaire, aérienne, etc. – font double emploi avec les agences européennes. Enfin, la création du service européen d’action extérieure permet de réduire le personnel des ambassades.

Par ailleurs, monsieur le ministre, quelle est votre position sur les projects bonds visant à investir dans de grands projets d’infrastructures ? Souscrivez-vous, comme je le fais, à la proposition du rapporteur spécial Jean Arthuis de demander un état des lieux sur la justification des rabais et corrections des contributions accordés à certains États ? Que pensez-vous de la mise en place d’un Fonds monétaire européen d’une capacité de prêt de 2 000 milliards d'euros, rattaché à la BCE ?

La construction européenne n’est jamais autant stimulée que lorsqu’elle est confrontée à des crises existentielles majeures. La question budgétaire fournirait-elle l’opportunité d’une évolution, quasiment une révolution dans les esprits et les mœurs, la préfiguration d’une Europe fédérale ?

Le traité de Lisbonne a instauré une procédure budgétaire donnant plus de poids au Parlement européen.

Monsieur le ministre, ne pourrait-on envisager une étape supplémentaire en donnant au Parlement européen la prérogative d’autoriser la levée de l’impôt ? Il s’agirait d’un impôt direct qu’acquitteraient les citoyens européens, qui ne s’ajouterait pas aux impôts nationaux mais se substituerait aux prélèvements sur recettes du budget de l’État. Quelles seraient les implications techniques de cette mise en œuvre en matière d’assiette, de taux, de modalités de recouvrement ?

J’ai déjà formulé cette proposition : il faut maintenant l’explorer. Étant fondamentalement Européen, je reste convaincu qu’un impôt direct serait, d’une part, une expression forte de la citoyenneté européenne et, d’autre part, une prérogative légitime du Parlement européen, qu’il pourrait exercer sur proposition du conseil des ministres des finances des États membres à la majorité qualifiée.

En effet, le Parlement européen doit être beaucoup plus qu’« un simple laboratoire législatif ». Il doit devenir « l’âme de l’Europe », comme l’a élégamment affirmé le Président de la République de Hongrie, Pál Schmitt.

La colonne vertébrale franco-allemande est indispensable, puisque ces pays sont les deux principaux contributeurs au budget européen. Cependant, c’est peut-être de la partie orientale de l’Union européenne – les pays de l’ex-bloc de l’Est –, de leur aspiration à une communauté à la gouvernance nouvelle, celle du « souci de l’âme », que viendront la confiance et l’enthousiasme qui manquent aujourd'hui à l’Europe. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUCR et de lUMP.)