M. Jacques Mézard. C’est en fait une question de principe, et ce rejet d’une procédure viciée doit être entendu par l'Assemblée nationale.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

M. Jacques Mézard. Faut-il rappeler les errements de ces lois de simplification, concernant, par exemple, l’article qui a permis à l’Église de Scientologie d’éviter les conséquences des décisions judiciaires rendues à son encontre ?

Mme Nathalie Goulet. Ça, c’est vrai !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Hélas !

M. Jacques Mézard. Faut-il rappeler qu’il fut reproché, à juste titre, à l’auteur de la troisième proposition de loi de simplification, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, d’avoir mandaté et fait rémunérer par l’Assemblée nationale un cabinet juridique pour préparer ce texte, avec les risques inhérents que comporte une telle méthode ? Ce n’était pas très glorieux pour l'Assemblée nationale et, plus généralement, pour le travail parlementaire !

M. Alain Fauconnier. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. En fait, ces propositions de loi constituent des véhicules législatifs d’un genre particulier : ils sont dotés d’un turbo par la procédure accélérée, mais avec une carrosserie hétéroclite ! C’est un moyen de locomotion législatif à usages multiples, y compris un usage amphibie, ce qui permet à certains articles d’éviter la surface médiatique. (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Magnifique métaphore !

M. Jacques Mézard. Ce véhicule a, certes, une fonction de nettoyage de la « voirie législative », mais reconnaissons qu’il est peu efficace à cet égard.

M. Jacques Mézard. Une partie du véhicule permet le transport des passagers de première classe : des articles d’origine gouvernementale, même s’il s’agit d’une proposition de loi. En seconde classe, un certain nombre de places sont réservées à différents lobbies. En outre, le véhicule législatif dispose à l’arrière d’une voiture-balai, où l’on entasse toute une série de dispositions éparses, selon une méthode de tri qui ne recevrait pas l’assentiment d’Éco-Emballages… (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. Jacques Mézard. Monsieur le secrétaire d'État, le rituel couplet sur la crise économique – ce texte serait un moyen opportun pour y faire face ! – que vous nous assenez ne constitue pas une argumentation très solide.

S’il y avait des problèmes à régler d’urgence – et il y en a indiscutablement de nombreux ! –, rien ne vous empêchait, pendant les quatre ans et neuf mois écoulés, d’y remédier au travers des projets de loi de finances ou des multiples lois sécuritaires que vous avez présentées, ou des textes sur la dépénalisation de la vie économique, par exemple.

M. Daniel Raoul. D’ailleurs, combien y en a-t-il ?

M. Jacques Mézard. Comme l’a relevé notre excellent rapporteur, vous avez eu recours à des pratiques aberrantes, dont l’introduction de la même disposition dans plusieurs textes, avec l’utilisation parfois concomitante du règlement, comme pour le relèvement à 15 000 euros du seuil en deçà duquel les marchés publics sont dispensés de procédure préalable, puisque cette disposition demeure néanmoins incluse dans le présent texte.

Vous n’hésitez pas à faire figurer, à l’article 49 bis, une disposition qui a déjà été deux fois censurée par le Conseil constitutionnel, ni à revenir dans plusieurs articles sur des dispositions adoptées récemment par le Parlement, y compris dans une précédente proposition de loi de simplification, ce qui est vraiment le comble !

Surtout, une fois de plus, ce texte n’a plus rien à voir avec une loi de simplification, car il comporte de vraies novations juridiques – on peut en contester certaines, mais on peut aussi en approuver d’autres –, et vous reconnaissez d’ailleurs qu’elles sont centrées sur la vie des entreprises. Mais, je l’ai déjà dit, la dépénalisation de la vie des affaires, ce n’est pas de la simplification du droit ! C’est une novation, qui mérite un texte spécifique, afin que les choses ne se fassent pas en catimini !

La substitution de sanctions civiles à des sanctions pénales est l’objet d’un vrai débat politique. Or, ce débat, vous l’escamotez. Présentez-nous donc, monsieur le secrétaire d'État, un texte sur ces sujets économiques, à l’instar du texte sur les droits des consommateurs ! On pouvait être pour ou contre ce texte, mais celui-ci avait une cohérence et une unicité sur le plan législatif.

Le rapporteur a relevé à juste titre, dans son rapport, des dispositions contestables, s’agissant notamment des articles 4, 7 et 10, ainsi que des dispositions hétéroclites, dont l’article 25, qui reprend une disposition censurée au titre de la règle de l’entonnoir.

Outre des dispositions relatives à la vie des entreprises, ce texte comprend tout et n’importe quoi, aborde les sujets les plus divers : le droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, le recours à l’emprunt pour les copropriétés, la durée de validité des promesses de vente, l’immunité pour les membres de la MIVILUDES – ça, c’est une bonne chose –, les horaires de travail des salariés, le code des douanes, les SDAGE – schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux –, le statut des agences de presse, j’en passe et des meilleurs.

Mes chers collègues, tout cela n’est pas raisonnable et ne témoigne pas d’une bonne pratique législative. C’est pourquoi la grande majorité du groupe du RDSE votera tout à l'heure la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur de nombreuses travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.

M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai cru comprendre que l’examen de la proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives risquait de se trouver abrégé, me privant ainsi de l’occasion de m’exprimer sur l’article 21 bis, qui est très largement issu d’une proposition de loi que j’avais moi-même déposée en juin 2011 sur les franchissements de seuils en droit boursier.

Je rappelle que notre législation en matière de transparence des acquisitions de participations dans des sociétés cotées demeure lacunaire.

Pourtant, nous le savons bien, il s’agit d’une législation essentielle, et ce à un double titre : assurer la bonne information des marchés ; protéger les entreprises contre des offres non sollicitées et susceptibles de se manifester après des prises des participations successives aboutissant à une situation irréversible ou presque.

La transparence est essentielle à la bonne vie des affaires. Elle doit, en principe, être telle que les acteurs concernés se dévoilent en temps utile et, lorsqu’ils envisagent de prendre le contrôle d’une cible, qu’ils soient à même d’en payer le prix, primes de contrôle comprises, après avoir révélé publiquement leurs intentions.

C’est la raison pour laquelle la législation sur les franchissements de seuils a été conçue. Or cette dernière est devenue critiquable dans la mesure où elle n’englobe pas, du moins pas assez clairement, les nouveaux instruments financiers ; je veux parler de l’acquisition de droits qui ne sont pas immédiatement des droits de vote mais qui y donnent accès selon différentes formules, il est vrai, de plus en plus complexes.

L’affaire dite « Hermès-LVMH », révélée en octobre 2010, l’a montré : dans notre pays, un investisseur peut monter au capital d’une société de façon rampante, en quelque sorte occulte, et y acquérir, grâce à l’utilisation de ces instruments financiers complexes, une position significative.

Pour échapper à leurs obligations de déclaration de franchissements de seuils, des acteurs économiques en viennent en effet à utiliser des outils financiers qui leur confèrent une exposition économique à une action, sans pour autant que celle-ci soit juridiquement détenue dans l’immédiat.

Or les informations données au marché en matière de détention de ce type d’instruments financiers ne sont, dans le droit actuel, que subsidiaires. Pourtant, cela fait déjà bon nombre d’années que la faille est identifiée. Cette situation n’est du reste pas propre à notre pays. L’Allemagne, par exemple, a connu un cas retentissant d’utilisation de tels instruments financiers lors de l’agression du constructeur Porsche sur son concurrent Volkswagen.

Je rappelle que, en 2008, l’Autorité des marchés financiers avait mis en place un groupe de travail, présidé par M. Bernard Field, lequel avait préconisé, pour le calcul des seuils, une assimilation large des instruments financiers susceptibles de donner accès à la détention directe de capital. Par la suite, est intervenue l’ordonnance de janvier 2009, mais son contenu, monsieur le secrétaire d’État, s’est malheureusement démarqué assez sensiblement des recommandations de ce groupe de travail.

J’avais suggéré, pour ma part, lors de la ratification de l’ordonnance, que puisse être mise en œuvre une conception plus exigeante de notre droit. J’observe que j’avais, à l’époque, prêché dans le désert. Il a fallu que survienne une nouvelle situation « spéciale », dans une autre entreprise cotée, pour que la place financière, les professionnels et, il faut bien le dire, la direction générale du Trésor acceptent de faire évoluer leur raisonnement et de prôner une législation d’une plus grande fermeté.

Ainsi, au sein du texte que nous examinons, l’article 21 bis reprend l’essentiel de ma proposition de loi. Même s’il reste en retrait sur quelques points, je suis naturellement heureux que mon initiative ait été relayée dans le cadre du texte de Jean-Luc Warsmann. Je remercie d’ailleurs Mme le rapporteur général de la commission des finances d’avoir rapporté ma proposition de loi en même temps qu’elle rapportait pour avis le présent texte.

Désormais, selon la rédaction de cet article 21 bis, les instruments conférant une exposition économique à une action seront pris en compte dans le calcul des franchissements de seuils et ne pourront plus être utilisés de manière détournée, occulte, pour prendre le contrôle d’une société.

Cette évolution était indispensable. Nombre de nos partenaires européens ont déjà franchi le pas, certains depuis longtemps, et il est plus que probable, monsieur le secrétaire d’État, que, lors de la prochaine révision de la directive Transparence, le droit communautaire choisira également la voie de l’assimilation large.

J’avais, par ailleurs, souhaité que les instruments financiers conférant une exposition économique puissent entrer dans le calcul du seuil de 30 % contraignant au déclenchement d’une offre publique d’achat.

À ce jour, le mode de calcul du seuil de 30 % dans la législation sur les OPA est strictement aligné sur celui qui s’applique dans le cadre de la législation relative à la transparence de l’information financière, c’est-à-dire les dispositions régissant les franchissements de seuils dont il vient d’être question.

Je persiste à penser, monsieur le secrétaire d’État, qu’il serait souhaitable de maintenir un tel alignement. Je doute fort, en effet, qu’un investisseur en arrive à posséder une exposition à une société, notamment par le biais de la détention d’instruments financiers complexes, supérieure à 30 % de son capital ou de ses droits de vote de manière fortuite. En tout état de cause, le fait d’atteindre ledit seuil laisse planer un doute sur la réalité des intentions de l’investisseur.

C’est précisément contre une telle ambiguïté que nous devrions lutter, car elle est dommageable pour le marché et laisse toujours ouverte la possibilité d’une prise de contrôle en quelque sorte « par surprise ». Le droit britannique a retenu ce raisonnement. Le droit français devrait donc aller plus loin que le texte de l’article 21 bis, dont, à la vérité, je m’explique mal la timidité.

De même, ma proposition, non reprise par l’article 21 bis, d’abaisser le premier seuil de déclaration à 3 % du capital ou des droits de vote me semblerait constituer un élément non négligeable en vue d’assurer une plus grande transparence.

Après avoir évoqué ces aspects techniques, qui reprennent le contenu de ma proposition de loi de juin 2011, je conclurai, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en regrettant que l’éventuelle adoption d’une question préalable par le Sénat nous empêche de débattre de manière plus approfondie de ce sujet comme de bien d’autres qui sont abordés par la proposition de loi Warsmann.

Il est clair que l’intitulé retenu pour ce texte, qui le fait passer pour une proposition de loi « de simplification », est pour le moins approximatif…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très approximatif !

M. Philippe Marini. Pour ma part, je préférerais que l’on s’exprime de façon plus transparente et qu’il soit question d’un texte « portant diverses dispositions d’ordre juridique, économique et financier ».

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Et social !

M. Philippe Marini. Cher président de la commission des lois, le dépôt de textes de cette nature a été, vous le savez aussi bien que moi, une pratique très fréquente, notamment au cours des années 1990.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Et 1980 aussi !

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Cela a été censuré par le Conseil constitutionnel !

M. Philippe Marini. C’est une nécessité législative que de corriger des aspects techniques du droit, sans que cela justifie le dépôt d’un véhicule spécifique pour chacune des mesures.

Selon moi, le rejet par principe de ce type d’outils législatifs va véritablement à l’encontre des droits du Parlement. En effet, c’est bien en examinant des textes portant diverses dispositions que l’initiative parlementaire est maximale,…

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État. Eh oui !

M. Philippe Marini. … en ce qu’elle permet à chacun d’entre nous d’apporter des compléments utiles au sein de la législation.

Si je peux comprendre, monsieur le président de la commission des lois, que vous trouviez une certaine opportunité à agir de cette façon, il ne faudrait pas en arriver à jeter le bébé avec l’eau du bain ! (Sourires.) Car le bébé « diverses dispositions » me semble en définitive bien sympathique pour le législateur que nous sommes, du point de vue tant du respect des droits du Parlement que d’un bon partage des tâches au sein de nos institutions.

Ayant le souci de permettre au Sénat d’exercer au mieux son rôle législatif, vous me voyez attristé par la préconisation exprimée tout à l’heure.

Cela étant dit, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour en revenir au point principal de mon propos, je me réjouis que l’on fasse quelques petites avancées en matière de régulation des marchés et en faveur d’une plus grande transparence de l’information financière grâce à cette proposition de loi. Il convient d’en remercier particulièrement nos collègues de l’Assemblée nationale, plus spécialement votre homologue, monsieur le président Sueur, l’excellent président de la commission des lois de l’Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Françoise Férat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la complexité de notre droit et la lourdeur de nos démarches administratives sont régulièrement dénoncées.

Cette complexité est lourde de conséquences, soulignées d’ailleurs de façon récurrente par le Conseil d’État. L’empilement des normes et leur insuffisante clarté altèrent le fonctionnement de notre économie, découragent les citoyens, qui perdent leurs repères, et désorientent l’autorité publique.

L’accumulation des textes finit par brouiller la perception du politique et, en complexifiant souvent le droit, le rend aussi plus incertain.

Dans le même temps, le Conseil constitutionnel a posé comme principe que l’intelligibilité et l’accessibilité du droit constituent désormais des objectifs de valeur constitutionnelle.

Alors, comment sortir de cette contradiction, avec, d’un côté, une inflation législative dénoncée de longue date et, de l’autre, une volonté affichée, et légitime, d’avoir un corpus de règles juridiques plus lisible et plus accessible pour nos concitoyens ?

Répondre à cette question était précisément l’objet de la présente proposition de loi de simplification du droit.

Cela a été rappelé, mes chers collègues, ce texte n’est, il est vrai, que le tome IV de cette « œuvre » de simplification : il prend la suite de la trilogie commencée en 2007 et poursuivie avec les lois de simplification de 2009 et 2011. En effet, tout le monde le sait, la commission des lois de l’Assemblée nationale a décidé de faire de la simplification du droit l’un des fils conducteurs de son action pour la XIIIe législature, ce qui, il faut le reconnaître, relève plutôt d’une bonne intention.

Le texte qui nous est aujourd'hui soumis était attendu, notamment par les acteurs économiques, car il recèle de nombreuses mesures de simplification, applicables au quotidien dans nos entreprises.

Un texte attendu, donc, mais également un texte plutôt conforme aux préoccupations formulées par le Sénat ces dernières années. Notre Haute Assemblée a regretté à de nombreuses reprises que ces textes de simplification soient trop disparates, trop « fourre-tout ». Sans doute cette proposition de loi n’échappe-t-elle pas totalement à cette critique. Mais le souci de centrer l’objet de cette quatrième loi de simplification sur la vie des entreprises est parfaitement clair et mérite d’être salué.

Un texte attendu, plus conforme aux attentes du Sénat, et sans doute amendable, car certaines dispositions vont bien au-delà de la simplification et n’ont donc pas leur place dans cette proposition de loi. Ce travail d’amendement aurait pu être effectué par notre commission des lois à partir de l’analyse détaillée proposée par notre rapporteur.

Comme nombre de mes collègues, je m’attendais donc à un toilettage du texte, ou plutôt à un vrai travail d’amélioration de cette proposition. Mais il n’en est rien ! Contre toute attente, notre commission des lois préfère balayer ce texte d’un revers de la main plutôt que d’y apporter la plus-value qu’on peut attendre du Sénat.

Je le regrette, et d’autant plus que cette attitude est incohérente. Notre rapporteur, M. Michel, qui a effectué un travail de qualité, a lui-même reconnu qu’il aurait pu supprimer un grand nombre de dispositions de ce texte qui constituaient autant de cavaliers législatifs. Alors, pourquoi ne l’a-t-on pas fait ? Même si cela devait vous conduire, cher collègue, à supprimer huit articles sur dix, cela aurait été un vrai travail sur le fond du texte et aurait correspondu à ce que l’on attend de notre assemblée. Alors que la motion qui nous est proposée nous prive d’un débat au fond.

Nous en serons d’ailleurs définitivement privés puisque ce texte fait l’objet de la procédure accélérée et que, après le vote probable de la question préalable, le Sénat sera de facto, une fois encore, dans l’impossibilité d’amender le texte de nos collègues députés.

Que la nouvelle majorité adopte une position de principe sur certains textes plus politiques, quoi de plus légitime ? Je pense, par exemple, à la proposition de loi Ciotti que nous avons examinée récemment. Dans une telle configuration, la motion de procédure est tout à fait défendable : la majorité est contre le principe même du texte et l’amender ne servirait donc à rien ; la question préalable est alors justifiée puisqu’elle signifie que le Sénat refuse de débattre d’un texte qu’il considère comme inacceptable tant sur le fond qu’en opportunité. Mais ce raisonnement n’est pas applicable en l’espèce dans la mesure où l’on ne saurait qualifier le présent texte d’idéologique !

Notre groupe, vous l’aurez compris, est donc hostile à la motion visant à opposer la question préalable et regrette que notre Haute Assemblée ne puisse pas débattre du fond de ce texte, signant ainsi, une fois encore, un blanc-seing à nos collègues députés ! (Applaudissements sur les travées de lUCR et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’essentiel a été dit par notre rapporteur, Jean-Pierre Michel, qui a auditionné, ces dernières semaines, une centaine de personnes. Le travail qu’il a ainsi accompli était d’autant plus nécessaire et il est d’autant plus appréciable que le manque de concertation est l’un des points faibles de l’élaboration de ce texte.

Disons-le d’emblée, l’objectif de simplification est certainement louable. Qui pourrait prétendre qu’il ne faut pas simplifier notre droit, sans doute devenu complexe. D’ailleurs, si l’on y réfléchit, il ne peut en être autrement puisque le droit doit dorénavant couvrir un champ multiforme, appréhendant toutes sortes de relations : familiales ou de voisinage, bien sûr, mais aussi commerciales, d’affaires, de travail. Il traite, globalement, de questions de société, il doit répondre à de nouvelles formes de violence ou régler des conflits nés des nouvelles technologies. Dans un monde complexe, le droit l’est forcément, lui aussi !

Cette profusion n’est pas nécessairement un mal : peut-on se plaindre que notre société soit une société de droit, c'est-à-dire une société dans laquelle le droit devient le maître mot de la vie quotidienne ? Je ne le crois pas. D’ailleurs, si l’on remontait l’histoire, on verrait que les sociétés sans droit ou celles qui laissent au droit une place moindre que les nôtres ne sont sans doute pas les meilleures possibles. Et je ne pense pas que, là où il y a moins de droit, le droit soit mieux compris ou mieux appliqué.

Disons-le, l’objectif de ce texte est d’autant plus louable que, selon un adage célèbre, « nul n’est censé ignorer la loi ». Si tel est le cas, il vaut mieux que le citoyen puisse davantage la comprendre !

Si la question posée par le texte est donc juste, la réponse qu’il apporte ne nous convient pas.

En effet, la première façon d’améliorer la loi, c’est de respecter le législateur. Cela signifie qu’il convient de lui donner les moyens de faire son travail, en commençant par lui accorder le temps nécessaire pour cela. C’est ainsi que peuvent ensuite être votées des lois claires, dont l’application ne souffre aucune ambiguïté.

L’objectif du président de la commission des lois de l’Assemblée nationale est donc digne de respect dans son principe. Mais il est paradoxal de prétendre y parvenir en nous proposant un texte confus et hétéroclite qui, au cours du rituel parlementaire, n’en finit pas de « s’alourdir », pour reprendre l’expression de Bernard Saugey.

Monsieur le secrétaire d'État, j’ai bien entendu ce que vous nous avez dit à titre liminaire. Vous nous avez expliqué avec beaucoup de ferveur que ces lois sont tout à fait nécessaires à l’intérêt de notre pays. Et vous avez même terminé votre propos en lançant un appel à ce dernier.

Nous vous avons entendu, mais vous ne nous avez pas écoutés ! La question que, nous, nous posons est celle-ci : comment fait-on une bonne loi ? Et c’est la réponse à cette question qui explique la position que notre groupe prendra tout à l’heure.

Voilà quelques instants, mon ami Jacques Mézard a cité un exemple auquel je pensais moi-même, celui de la loi « fourre-tout » de 2009, qui est du même acabit que la présente proposition de loi. Le texte de 2009 était tellement fourre-tout qu’on y a même fourré une disposition qui a permis d’empêcher la justice de prononcer la dissolution de l’Église de Scientologie ! Qui a fourré cette disposition dans la loi ? Nous ne le savons toujours pas ! Comment a-t-on pu faire voter cette disposition par le Parlement ? Nous ne le comprenons toujours pas !

Cela est lié à la nature même de ce genre de dispositif : tout est tellement confus, l’ensemble est tellement hétéroclite qu’on peut y fourrer un article qui va modifier le dernier alinéa de tel article de tel code ! Et, au bout du compte, on ne peut plus prendre, à l’encontre de l’Église de Scientologie, les mesures qui devraient s’imposer ! Avouons que ce n’est pas un exemple de bon travail parlementaire !

Nous sommes arrivés au bout de la méthode employée depuis 2002. Ce type de textes cumule trois défauts : la complexification, la précipitation et l’ambiguïté.

La complexification provient du caractère de « loi fourre-tout » – vous n’aimez pas l’expression, monsieur le secrétaire d'État, mais je la reprends quand même – ou de « loi-balai ». On essaie de modifier trente-six textes à la fois ! Voulez-vous quelques chiffres ? Les quatre-vingt-quatorze articles de ce texte visent vingt et un codes, douze lois et cinq ordonnances ! Pas moins ! Au milieu du texte, le seul article 39, long de quatre pages, comporte quatre-vingt-douze modifications du code du travail ! Voilà à quoi vous nous invitez !

Le Conseil d’État, qu’il est toujours bon d’écouter, a lui-même souligné les limites de cet exercice de simplification et les risques d’insécurité juridique. Dans son rapport de 2006, il nous rappelait que « l’effort de simplification du droit ne conduit pas, dans l’immense majorité des cas, à une réduction du nombre d’articles ou de dispositions applicables, voire entraîne, au contraire, un alourdissement de certains textes, ce qui ne peut que rendre plus incertain l’apport concret pour les citoyens de telles mesures ».

Je pose d’ailleurs la question : pourquoi ne disposons-nous pas de l’avis du Conseil d’État sur le présent texte ? Il nous aurait, à n’en pas douter, très vivement intéressés !

Outre qu’ils sont une succession d’empilements, les textes de cette nature constituent le réceptacle idéal de cavaliers législatifs, qu’ils incitent par là même à introduire. C’est ainsi que près de soixante articles de cette proposition de loi ont été ajoutés entre la rédaction initiale et la version qui nous est soumise.

Deuxième défaut, sur lequel vous ne vous exprimez d’ailleurs guère : la précipitation. Toutes choses égales par ailleurs, pourquoi ne faut-il qu’une seule lecture pour un tel texte ? Nous ne le savons toujours pas !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il n’y a pas d’argument !