M. le président. La parole est à M. Christophe Béchu, pour explication de vote.

M. Christophe Béchu. Les arguments que je souhaitais développer ont été très largement défendus par nos trois collègues qui viennent de s’exprimer. J’ajouterai donc brièvement un commentaire, car je vois une double contradiction dans la position de la majorité sénatoriale.

Premièrement, comment des gens qui se sont parfois opposés avec tant de force et de conviction au principe d’automaticité des peines planchers peuvent-ils plaider aujourd’hui pour un dispositif lui aussi automatique ?

Deuxièmement, nous allons assister à une inflation répressive, parce qu’il est évident que les juges auront tendance, dans un certain nombre de cas, à être plus sévères pour être certains que l’incarcération soit effective. (M. Philippe Bas applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Malgré une légère divergence de vues avec M. le garde des sceaux sur les services pénitentiaires d’insertion et de probation, je soutiens totalement cet amendement du Gouvernement, pour toutes les raisons qui ont été rappelées, notamment le choc salutaire de la prison, évoqué par notre collègue Jean-René Lecerf.

Nous savons tous que les peines courtes peuvent ne pas être utiles,…

Mme Éliane Assassi. Elles font des ravages !

Mme Nathalie Goulet. … mais nous devons aussi tenir compte de ce que ressentent les victimes. Si les délinquants qui encourent des peines d’emprisonnement inférieures à trois mois savent qu’ils vont « dans tous les cas », selon les termes du texte adopté par la commission, échapper à la prison, je crains que nous n’ayons à déplorer des débordements, tout en suscitant une incompréhension encore plus grande de la part des victimes. L’adoption de l’amendement du Gouvernement me paraît donc, de ce point de vue, tout à fait nécessaire.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. Jusqu’à maintenant, personne n’a pu m’expliquer comment envisager une politique de réinsertion en établissement pénitentiaire pour les condamnés à des peines d’emprisonnement de moins de trois mois, mais peut-être certains de nos collègues sont-ils en mesure de le faire ?

Les victimes, dont la situation nous interpelle tous, sont tout aussi chagrines de voir les condamnés ne pas exécuter leur peine que de les voir revenir inchangés d’un bref passage en prison, voire plus ancrés dans la délinquance, comme nous pouvons de plus en plus le constater. En effet, sans programme efficace de réinsertion, domaine dans lequel beaucoup reste à faire – mais rien de sérieux n’est envisageable dans le cadre de l’exécution d’une peine de deux mois d’emprisonnement –, la prison tend plutôt à offrir de nouvelles occasions de retomber dans la délinquance.

Les effets de l’emprisonnement sont assez néfastes pour l’avenir, dans la mesure où l’incarcération totale coupe tout contact avec la société, la famille, le travail ; en effet, même si beaucoup de délinquants sont au chômage, un certain nombre d’entre eux ont malgré tout un travail au moment de leur condamnation. On laisse donc peu de chances à celui qui a purgé une peine de trois mois de retrouver une vie permettant de sortir de la délinquance.

J’ajoute que les mesures alternatives à l’emprisonnement sont une modalité d’application de la peine et certains semblent oublier qu’elles peuvent être diverses. Pardonnez-moi d’insister sur ce point, mais vous avez l’air de considérer que les mesures alternatives équivalent à un sursis

Le régime de semi-liberté, par exemple, reste contraignant : le condamné peut exercer une activité – il n’est pas inintéressant de pouvoir travailler –, mais il passe la nuit en détention.

Le placement sous surveillance électronique n’est pas non plus une partie de plaisir. Être sous surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre représente une contrainte assez forte !

Si j’en crois le projet de loi initial, le Gouvernement estime que les personnes condamnées à de courtes peines doivent être enfermées, puisqu’il veut créer des établissements pour courtes peines. Nous, nous demandons plus d’établissements réservés à la semi-liberté : notre choix est donc bien différent.

Si l’on veut aller dans le sens de ce que préconise la loi pénitentiaire, c’est-à-dire l’aménagement des peines inférieures à deux ans d’emprisonnement – donc, a fortiori, les peines inférieures à trois mois –, il faut s’en donner les moyens ; tous les acteurs, y compris les juges – en tout cas, leurs organisations représentatives – y sont favorables.

Je maintiens donc ma position, et j’espère que la majorité me suivra. J’ajoute que, puisque le projet de loi reviendra devant l’Assemblée nationale, le débat aura lieu. Il est d’ailleurs bon qu’il se poursuive, car cette proposition n’est pas sortie de notre cerveau fébrile : elle est proposée par de très nombreux acteurs, compte tenu de ce qu’est la réalité. Ne raisonnons pas sur une fiction : raisonnons sur la réalité des courtes peines, sur la réalité des prisons, sur la réalité de la délinquance, sur la réalité sociale des personnes emprisonnées.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je ne veux pas abuser du temps de la Haute Assemblée, mais nous touchons à un point important.

Madame le rapporteur, je ne caricature pas vos propos, alors ne caricaturez pas la position du Gouvernement : il n’est pas question d’emprisonner tous ceux qui sont condamnés à une peine inférieure à trois mois d’emprisonnement, mais nous estimons qu’il peut s’avérer nécessaire d’en emprisonner certains, c’est tout ! Nous contestons donc le caractère systématique de l’aménagement de peine.

En vous écoutant, on a l’impression que les personnes emprisonnées sont simplement gardées. Cette vision des choses ne correspond pas du tout à la réalité ! Les personnes condamnées à une courte peine, notamment, se voient proposer des stages de formation à la citoyenneté, d’initiation à la rédaction d’un curriculum vitae ou des bilans de santé, dont elles ont le plus grand besoin. Pendant le temps passé en prison, elles ne sont pas simplement gardées, on les aide à se reconstruire. Je rends donc hommage à l’administration pénitentiaire qui accomplit ce travail.

Le temps des gardiens, c’est le XIXe siècle ; nous sommes à une autre époque ! Allez à Agen visiter l’École nationale d’administration pénitentiaire, vous verrez que les agents de cette administration ne sont pas formés à la seule activité de gardien. Les agents de l’administration pénitentiaire aiment leur travail, qui est très difficile, et ils savent bien que le but de leur action est de reconstruire des citoyens.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. Monsieur le ministre, si vous ne voulez pas que vos propos soient dénaturés, je ne souhaite pas non plus que l’on dénature les miens.

J’écoute et j’entends – il ne s’agit pas de la même chose ! – ce que disent les surveillants, auxquels je rends hommage. J’en connais personnellement un certain nombre : ils affirment, en ce qui concerne l’exécution des courtes peines, que leur action se résume essentiellement au rôle de porteurs de clés.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. Ils sont donc eux-mêmes favorables à un dispositif qui consisterait à soumettre automatiquement à un aménagement les peines inférieures à trois mois d’emprisonnement. Le débat se poursuivra très certainement, mais il est intéressant que nous le poursuivions en toute connaissance de cause.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 15.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote sur l’article.

M. André Reichardt. Je ne peux naturellement pas voter l’article 4 A dans ces conditions.

Je m’étonne de l’obstination de Mme le rapporteur à ne pas vouloir comprendre nos explications : nous ne sommes pas hostiles aux aménagements de peine ; nous sommes contre leur systématisation. Un aménagement de peine doit être accordé à un délinquant dans la mesure où sa personnalité le permet. Dès lors que le juge estime qu’une incarcération est justifiée, comment pouvons-nous, ici, décider l’inverse ?

Par ailleurs, mes chers collègues, je vous laisse imaginer l’impact médiatique qu’aurait l’adoption d’un tel article. Dès demain, le Sénat serait pointé du doigt par la presse, pour avoir exonéré – elle ne le dirait pas autrement – de peines fermes de prison, donc d’incarcération, toutes les personnes condamnées à des peines égales ou inférieures à trois mois. Songez donc aux répercussions !

M. Alain Dufaut. Négatives !

M. le président. Je mets aux voix l’article 4 A.

(L’article 4 A est adopté.)

Article 4 A (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines
Article additionnel après l'article 4 B

Article 4 B (nouveau)

I. – Après l’article 712 du code de procédure pénale, il est inséré un chapitre Ier bis ainsi rédigé :

« Chapitre Ier bis

« Du mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire

« Section 1

« Du mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire et des conditions de sa mise en place

« Art. 712-1 A. – Aucune détention ne peut ni être effectuée ni mise à exécution dans un établissement pénitentiaire, au-delà du nombre de places disponibles.

« Pour permettre l’incarcération immédiate des nouveaux condamnés, des places sont réservées dans chaque établissement, afin de mettre en œuvre le mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire prévu à l’alinéa précédent. Un décret définit la proportion de places nécessaire à la mise en œuvre de ce mécanisme.

« Section 2

« De la mise en œuvre du mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire par l’administration pénitentiaire et par le juge de l’application des peines

« Art. 712-1 B. – Lorsque l’admission d’un détenu oblige à utiliser l’une de ces places réservées, la direction doit :

« – soit mettre en œuvre une procédure d’aménagement de peine pour une des personnes détenues condamnées à une ou des peines d’emprisonnement dont le cumul est égal à deux ans ou condamnées à une ou des peines dont le cumul est inférieur ou égal à cinq ans et dont le reliquat de peine est égal ou inférieur à deux ans selon la procédure simplifiée d’aménagement des peines prévue pour les condamnés incarcérés aux articles 723-19 à 723-27 du code de procédure pénale. Cet aménagement de peine peut prendre la forme d’un placement extérieur, d’une semi-liberté, d’une suspension de peine, d’un fractionnement de peine, d’un placement sous surveillance électronique, ou d’une libération conditionnelle ;

« – soit mettre en œuvre le placement sous surveillance électronique prévu comme modalité d’exécution de fin de peine d’emprisonnement à l’article 723-28 pour toute personne condamnée à laquelle il reste quatre mois d’emprisonnement à subir ou, pour les peines inférieures ou égales à six mois à laquelle il reste les deux tiers de la peine à subir.

« Le service d’insertion et de probation prépare sans délai cette mesure.

« Art. 712-1 C. – La décision d’aménagement de peine ou de mise en œuvre du placement sous surveillance électronique prévu par l’article 723-28 du code de procédure pénale doit intervenir dans un délai de deux mois à compter de la date d’écrou du détenu entré en surnombre. Elle doit être mise en œuvre sans délai.

« Art. 712-1 D. – À défaut de décision dans le délai de deux mois, le détenu le plus proche de la fin de peine dans l’établissement, choisi parmi ceux condamnés à une ou des peines d’emprisonnement dont le cumul est égal ou inférieur à deux ans ou ceux condamnés à une ou des peines dont le cumul est inférieur ou égal à cinq ans et dont le reliquat de peine est égal ou inférieur à deux ans bénéficie d’un crédit de réduction de peine égal à la durée de l’incarcération qu’il lui reste à subir.

« Art. 712-1 E. – En cas d’égalité de situation entre deux ou plusieurs personnes condamnées, le crédit de réduction de peine prévu à l’article 712-1 D est octroyé en prenant en compte les critères et l’ordre des critères suivants à :

« – la personne détenue qui n’a pas fait l’objet de procédure disciplinaire, ou qui en compte le moins à son encontre ;

« – la personne détenue qui a été condamnée à la peine la plus courte.

« Art. 712-1 F. – La décision d’octroi du crédit de peine doit intervenir dans les huit jours à l’expiration du délai de deux mois prévu à l’article 712-1 D.

II. – Les dispositions du I entrent en vigueur dix-huit mois après la promulgation de la présente loi.

M. le président. L’amendement n° 16, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Cet amendement est particulièrement important car il vise à supprimer l’article 4 B, introduit par la commission des lois du Sénat, qui prévoit un mécanisme au demeurant relativement simple : pour pouvoir incarcérer une personne, il faut en faire sortir une autre de prison.

C’est ce que je comprends de la rédaction de ce nouvel article. J’en rappelle les termes : la direction de l’établissement doit « soit mettre en œuvre une procédure d’aménagement de peine […] soit mettre en œuvre le placement sous surveillance électronique […] À défaut de décision dans un délai de deux mois, le détenu le plus proche de la fin de peine dans l’établissement, choisi parmi ceux condamnés à une ou des peines d’emprisonnement » est mis en liberté.

C’est ce que l’on appelle, peut-être de façon un peu abusive, la règle du numerus clausus, par laquelle, j’y insiste, pour mettre quelqu’un en prison, il faut en sortir un autre.

M. Yves Détraigne. Selon le principe des vases communicants !

Mme Nathalie Goulet. Comme dans un parking !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Parmi tous les problèmes que pose l’application de cette règle, le plus grave est que le jugement initial n’est pas respecté et que le juge n’est pas associé à la décision de libération.

Madame la rapporteur, comment pouvez-vous soutenir cette idée selon laquelle on ne pourrait faire exécuter une peine de prison qu’en libérant quelqu’un qui n’a pas fini de purger la sienne et sans qu’un magistrat soit présent pour prendre la décision ? Compte tenu des graves conséquences à attendre d’une telle disposition, j’aurais préféré que vous la supprimiez de vous-même. À défaut, je demande au Sénat de voter l’amendement de suppression présenté par le Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. Je suis évidemment défavorable à cet amendement de suppression de l’article 4 B, qui reprend l’une des dispositions figurant dans une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par notre collègue député Dominique Raimbourg.

Contrairement aux arguments avancés par M. le ministre, le mécanisme proposé ne met pas en cause l’autorité des décisions de justice puisqu’il n’interdit pas l’incarcération immédiate d’une personne, dans la mesure où un volant de places disponibles est prévu dans chaque établissement.

Par ailleurs, un délai de deux mois à compter de l’entrée du détenu en surnombre est fixé pour permettre la préparation d’une mesure d’aménagement de peine. Or on trouve toujours dans les prisons une ou plusieurs personnes qui font l’objet d’une telle procédure en cours.

Il s’agit, à mes yeux, d’une mesure très intéressante, pour pousser aux aménagements de peine, pour favoriser la sortie et pour restreindre le nombre de personnes en détention.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Madame la rapporteur, cette disposition n’est décidément pas raisonnable. Elle va, d’ailleurs, à l’encontre de tout ce que vous nous dites vous-même sur la nécessité de prévoir des aménagements de peine en fonction, non pas du nombre de places disponibles dans nos prisons, mais de la situation particulière de chaque condamné et des projets éducatifs ou d’insertion que celle-ci peut justifier ou rendre possibles.

Le mécanisme prévu à l'article 4 B fait de l’aménagement de peine une mesure subordonnée aux capacités d’accueil des établissements en vue de permettre l’enfermement des nouveaux condamnés.

Au cours des débats en commission des lois, auxquels j’ai participé, il a été reproché à certaines dispositions de venir en discussion sans avoir fait l’objet d’un minimum de concertation. Celle qui nous est proposée ici en est un exemple typique : elle prévoit une procédure extrêmement complexe, sort tout droit de ce que je qualifierai un « travail en chambre », en faisant fi de tout dialogue préalable. Voilà qui me paraît singulier en matière de politique pénale !

Les raisons pour lesquelles nous nous sommes opposés aux dispositions de l’article 4 A ressurgissent avec encore plus de force ici, pour nous interdire – mais à la puissance 10 par rapport à tout à l’heure ! – d’adopter ce type de mécanisme, parfaitement aveugle, arbitraire, automatique, dans un domaine où, au contraire, la dimension humaine doit absolument prévaloir sur l’esprit de système.

C’est la raison pour laquelle notre groupe s’opposera avec fermeté à une telle mesure, car elle fait bon marché du caractère individuel de la justice et tend à remplacer les magistrats par les directeurs d’établissement pénitentiaires. (MM. François-Noël Buffet et Alain Dufaut applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Michel. Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais je me dois de faire une mise au point après les interventions de MM. Bas et Reichardt, qui caricaturent véritablement nos positions.

L’objectif que nous recherchons est d’éviter la récidive.

M. André Reichardt. Nous aussi !

M. Jean-Pierre Michel. Or, depuis cinq ans, chers collègues de l’opposition sénatoriale, la mise en application du système pénal et pénitentiaire que vous avez soutenu n’a fait que produire de la récidive : les chiffres sont là pour l’attester !

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Jean-Pierre Michel. De notre point de vue – nous n’avons peut-être pas raison, nous verrons bien… –, parmi l'ensemble de la population, on trouve certaines catégories de personnes qui doivent, d’abord et avant tout, être réinsérées. Pour celles-ci, il faut éviter, autant que possible, un enfermement dans un établissement pénitentiaire.

Tel est l’objet de l'article précédent, que nous avons introduit par amendement en commission des lois et sur lequel je n’avais pas jugé utile de prendre la parole. Mais je ne peux pas laisser M. André Reichardt brandir la menace de répercussions médiatiques désastreuses et faire des annonces préélectorales sans réagir.

La récidive est le pire des fléaux. Depuis cinq ans, et même dix, c’est ce que la politique gouvernementale, la vôtre, a produit. Nous pouvons toujours discuter, mais, au moins, essayons un autre système !

Monsieur le garde des sceaux, si je vous fais crédit de votre honnêteté, ne déformez pas la réalité. S’agissant du numerus clausus pénitentiaire, ne dites pas qu’il équivaut à faire sortir un détenu de prison pour en enfermer un autre : c’est faux, et vous le savez !

Ce dispositif existe déjà ailleurs, notamment aux Pays-Bas et dans certains pays nordiques. Il consiste à favoriser un travail de coordination, au sein d’un ressort particulier, entre le juge de l’application des peines, le parquet et l'administration pénitentiaire, pour connaître la quantité de places libres dans les établissements, identifier les détenus pouvant bénéficier d’une libération conditionnelle ou d’un aménagement de peine, et donc avoir une idée des prochaines sorties prévues et de leur nombre.

Je le rappelle, seul le mandat de dépôt à l’audience entraîne une incarcération immédiate. Or les magistrats n’en prononcent que très peu, même lorsqu’ils condamnent à un an ferme et plus, parce qu’ils savent très bien que leurs décisions ne pourraient pas être exécutées ou qu’elles le seraient dans de très mauvaises conditions.

Le juge de l’application des peines, le parquet et l'administration pénitentiaire doivent pouvoir se mettre autour d’une table pour discuter, faire en sorte qu’il y ait toujours des places libres, selon les règles de la loi pénitentiaire, afin que la personne nouvellement condamnée puisse intégrer l'établissement, pas immédiatement puisque, je le répète, il n’y a que très rarement de mandat de dépôt à l’audience, mais dans un délai qui sera fixé par le juge de l’application des peines.

Voilà en quoi consiste le numerus clausus pénitentiaire. C’est une bonne mesure, qui obligera les professionnels concernés à se concerter, pour savoir véritablement ce qu’il advient des personnes condamnées, où on les place et dans quelles conditions.

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.

M. Jean-René Lecerf. Monsieur le ministre, mes chers collègues, ayons bien à l’esprit les conséquences qu’aura, dans les mois et les années à venir, l’instauration du numerus clausus pénitentiaire. Dans certains points de notre territoire, tels que la région parisienne ou le département du Nord, du fait de la très forte densité carcérale qui y est recensée, ce dispositif entraînera des libérations en nombre. Dans d’autres, comme peut-être le Massif central ou la Bretagne, il n’y en aura aucune.

Que je sache, notre pays est un État unitaire, et non pas fédéral. La loi doit y être la même pour tous. Or la présente disposition peut entraîner une violation directe du principe d’égalité devant la loi.

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour explication de vote.

M. François-Noël Buffet. L’un de nos collègues, il y a quelques instants, a commencé son intervention en invitant le Sénat à ne pas tomber dans la caricature.

Mme Catherine Tasca. C’est toujours valable !

M. François-Noël Buffet. Mais il l’a poursuivie avec des propos, qui, de ce point de vue, sont pour le moins surprenants…

Au travers de l’amendement adopté en commission des lois, devenu l’article 4 B du présent texte, il s’agit, en réalité, de prévoir la libération automatique des détenus dont le reliquat de peine est le plus bas en cas d’incarcération d’un nouveau condamné. Je ne vois là rien d’autre que l’application de la règle « pour une entrée, une sortie ».

En nous expliquant le dispositif proposé, notre collègue a tout à l’heure insisté sur le fait que magistrats et responsables de l'administration pénitentiaire allaient se réunir pour trouver des solutions. Mais c’est déjà ce qui se passe aujourd'hui ! Le système actuel offre assez de souplesse pour permettre un tel travail de collaboration.

Avec le numerus clausus pénitentiaire, nous allons entrer dans un système d’automaticité, contraire à une bonne administration de la justice.

M. Christophe Béchu. Très bien !

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. Monsieur Michel, comment pouvez-vous, dans le même temps, nous reprocher de caricaturer les positions de la gauche sénatoriale et nous accuser d’avoir créé de la récidive au cours des dernières années ? Si ce n’est pas de la caricature… En l’occurrence, c’est vraiment l’hôpital qui se moque de la charité !

Revenons au fond du sujet : j’ai le sentiment, mes chers collègues, que nous retombons dans le débat que nous avons déjà eu, tout à l’heure, à propos de l’article 4 A, dans la mesure où le principe de l’individualisation des peines, ô combien nécessaire, n’est véritablement pas pris en compte. L’instauration d’un numerus clausus pénitentiaire fait fi, très clairement, de la situation du délinquant, de sa personnalité et, ce qui est encore plus grave, des risques éventuels que sa libération anticipée peut faire courir à la société.

Sans vouloir charger la barque ni être particulièrement pessimiste à cet égard, je voudrais rappeler qu’un juge, lorsqu’il prononce une condamnation, se fonde sur un certain nombre d’études et de travaux effectués par la machine judiciaire. Par la suite, une mesure d’aménagement de peine peut être décidée, mais ce n’est qu’une possibilité, jamais une obligation. Il n’y a aucune automaticité.

Je le dis à titre personnel, l’instauration d’un numerus clausus est une hérésie, pour reprendre le terme que j’ai précédemment utilisé. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je tiens à réagir aux propos qui ont été tenus.

En effet, nous devons nous garder de tomber dans la caricature si nous voulons progresser. Sur ces questions difficiles, il est indispensable que chacun puisse s’exprimer tranquillement et sincèrement.

Cela dit, jamais le Gouvernement, pas plus que l’ancienne majorité sénatoriale, n’a proposé ni défendu l’idée selon laquelle il fallait laisser les personnes en prison pendant toute la durée de leur peine, qu’il fallait que tous les condamnés fassent de la prison. Beaucoup d’autres modes d’exécution de la peine sont possibles, à l’instar de la liberté sous condition ou du placement sous bracelet électronique ; mais c’est le juge qui décide.

C’est probablement à cela que M. le président de la commission des lois faisait allusion dans son intervention liminaire, lorsqu’il soulignait que le garde des sceaux avait tendance à prendre des circulaires destinées à vider les prisons.

La formule était sans doute quelque peu excessive, mais il est vrai que nous nous efforçons, d’ores et déjà, de gérer les sorties de prison. Il existe ainsi des conférences régionales d’aménagement des peines, semestrielles, et des commissions d’exécution des peines, qui se réunissent dans le ressort des tribunaux. J’ai eu l’occasion de rencontrer les magistrats qui siègent au sein de la commission d’exécution des peines du tribunal de grande instance d’Évry, dont le travail est particulièrement difficile, compte tenu de la présence dans ce ressort de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, et je puis vous dire qu’ils font preuve d’une conscience professionnelle exceptionnelle. Le Gouvernement fait donc en sorte d’organiser l’aménagement de la peine.

Par ailleurs, la circulaire du 12 mai 2011 vise à permettre aux détenus ne bénéficiant pas d’aménagement de peine, mais présentant des garanties suffisantes de représentation, d’être reçus lors de rendez-vous pénitentiaires destinés à préparer l’incarcération.

Je suis tout à fait d’accord pour que les situations individuelles fassent l’objet d’un examen concerté et pour que l’on organise les sorties de prison, mais votre texte prévoit tout autre chose. L’article 4 B prévoit en effet que la direction de l’établissement doit libérer le détenu au bout de deux mois mais que, en l’absence de décision d’aménagement de peine ou de mise en œuvre du placement sous surveillance électronique prise dans ce délai, c’est le détenu le plus proche de la fin de peine dans l’établissement qui doit sortir.

L’automaticité de cette disposition, qui ne prévoit pas l’intervention du magistrat, la rend inacceptable.

Je suis tout prêt à discuter avec vous du renforcement du rôle des commissions d’exécution des peines, mais je n’accepte pas le caractère automatique de ce dispositif purement administratif, qui évacue le magistrat.

Selon Mme la rapporteur, cet article ne pose aucun problème : la décision du juge est respectée et il y aura des places vides supplémentaires pour accueillir les entrants. Ce faisant, elle reconnaît qu’il faut construire de nouvelles places !

Telle est la principale faiblesse de son argumentation : il n’est pas très raisonnable de considérer que des places vides permettront d’accueillir de futurs détenus, alors que nous manquons d’ores et déjà de places de prison. Si nous n’en construisons pas de nouvelles, il n’y en aura jamais de libres !

Au demeurant, tant le caractère automatique du dispositif que le fait de confier son organisation à la direction de l’établissement me paraissent contraires au principe de l’individualisation des peines. Et que devient le juge de l’application des peines, dont l’intervention constituait un vrai progrès ? Il me semble incompréhensible de vouloir l’évacuer ! J’espère donc que cette position sera revue.

Ce système avait été envisagé et débattu à l’Assemblée nationale, mais la proposition n’avait pas abouti. Quant à Mme Lebranchu, elle y avait également renoncé lorsqu’elle était garde des sceaux.

J’insiste donc auprès de la Haute Assemblée pour qu’elle vote l’amendement de suppression du Gouvernement.