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Dossier législatif : proposition de loi relative à la simplification du fonctionnement des collectivités territoriales
Discussion générale (suite)

Simplification des normes applicables aux collectivités territoriales

Renvoi à la commission d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la simplification du fonctionnement des collectivités territoriales
Demande de renvoi à la commission (début)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales, présentée par M. Éric Doligé (proposition n° 779 [2010-2011], rapport n° 338, avis nos 343 et 344).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Éric Doligé, auteur de la proposition de loi.

M. Éric Doligé, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Mme le rapporteur de l’important travail qu’elle a accompli dans un temps limité afin que nous puissions à tout le moins engager aujourd’hui une discussion générale sur cette proposition de loi relative à la simplification des normes applicables aux collectivités locales.

Je remercie également le groupe UMP d’avoir accepté d’inscrire ce texte dans une niche avant la suspension des travaux du Sénat.

Depuis des années, comme beaucoup d’entre vous, je suis au contact permanent des citoyens, des entreprises et des fonctionnaires de nos collectivités. Tous étouffent sous le poids des contraintes politiques de notre société, et nous-mêmes, dans nos diverses fonctions, nous ne sommes pas les derniers à nous plaindre de devoir nous plier à la norme.

Nombre de nos collègues se sont déjà penchés sur ce sujet au cours des dernières années, notamment Alain Lambert, qui a présidé un groupe de travail portant sur les relations entre l’État et les collectivités territoriales, Claude Belot, au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, et bien d’autres encore. De surcroît, vous fûtes nombreux à prendre part à ces travaux et à soutenir toute proposition allant dans le sens d’un allégement.

Deux décisions majeures ont été prises ces dernières années, qui ne produisent pas encore tous les effets attendus : la création de la commission consultative d’évaluation des normes, la CCEN, et le moratoire sur l’édiction des normes réglementaires, instauré par une circulaire du Premier ministre datée du 6 juillet 2010, sans oublier la nomination d’un commissaire à la simplification.

Comme je l’ai écrit dans le rapport que j’ai remis au Président de la République l’année dernière, « exponentiel, instable, obscur, l’édifice normatif est devenu au fil des ans un véritable engrenage pour les collectivités territoriales. Alors qu’il devrait favoriser la culture de projets et soutenir les initiatives locales, il apparaît comme un frein à la compétitivité, une source de complexité, voire une perte de temps ».

Durant trois mois, dans le cadre de la mission qui m’a été confiée par le Président de la République, j’ai eu l’opportunité de rencontrer les présidents de chacun des organismes qui représentent les différents niveaux de collectivités : AMF, ADF, ARF, association des maires ruraux, celle des maires de montagne, des maires des grandes villes, des villes moyennes et des villes du littoral, de multiples associations, sans oublier de nombreux syndicats professionnels et organismes.

J’ai également auditionné un certain nombre de ministres et j’ai pu dépouiller des centaines de questionnaires.

Comme un leitmotiv, tous m’ont fait la même déclaration : « Nous n’en pouvons plus. Nous croulons sous le poids des lois, des normes, des règlements, des circulaires ; dans ces conditions, nous ne pouvons pas être compétitifs dans un monde qui change et qui nécessite de la réactivité. »

Par ailleurs, nul n’est en mesure de connaître les 400 000 normes applicables aux collectivités et qui, par définition, doivent être respectées à la lettre.

L’explosion normative n’est pas uniquement imputable aux services de l’État, loin s’en faut. L’Europe, les collectivités, le Parlement, les organismes spécialisés ne sont pas en reste.

Mes chers collègues, tout ce qui est écrit dans la présente proposition de loi m’a été « dicté » par vous et par ceux qui vous représentent, au sein de vos diverses associations d’élus. Puis-je me permettre de préciser que celles-ci sont majoritairement de gauche ? Or j’ai entendu exactement les mêmes arguments sur l’ensemble du spectre de l’échiquier politique : il faut réformer, il faut simplifier, il faut être réaliste et pragmatique et ne plus reporter à demain ce qui doit être fait aujourd’hui – plus encore, peut-être, en période de crise.

Par décence, je ne citerai pas nominativement mes interlocuteurs : je risquerais d’en mettre certains mal à l’aise.

Comme vous tous, je circule beaucoup, je participe à des réunions d’élus, organisées par les associations des maires des différents départements, dont les représentants me demandent sans cesse où en est la proposition de loi de simplification des normes. Ils ne comprennent pas pourquoi ce texte, attendu depuis si longtemps, n’est pas encore adopté. Je serais surpris qu’ils acceptent que cette proposition de loi devienne l’otage d’intérêts purement politiques.

Mes chers collègues, cette situation ne donne pas une bonne image du Parlement. En outre, nous n’assumons pas notre rôle de défenseur des collectivités ! Je n’ai pas assisté à une réunion d’élus sans que me soit donné l’exemple de situations ubuesques et inacceptables qui, pourtant, font écho à des réalités que vous connaissez bien.

Je me souviens qu’il y a une dizaine d’années, alors que je recevais, en tant que président des maires du Loiret, M. Jean-Paul Delevoye, alors président de l’association des maires de France, notre collègue Jean-Noël Cardoux avait proposé la création d’un « prix du Père Ubu » afin de dénoncer les absurdités de notre système.

Nous avons, pour la plupart, une expérience d’exécutif local. Nous ne pouvons plus tolérer qu’un projet d’aménagement qui doit être réalisé en dix-huit mois attende trois ans, voire quatre ou plus, avant de voir le jour, subissant trop souvent des évolutions considérables. Et je ne parle pas des règles administratives qui évoluent sans cesse, imposant des études supplémentaires et, comme chacun le sait, des surcoûts insupportables.

Faute de pouvoir respecter les délais auxquels nous nous sommes engagés, nous avons vu des entreprises opter pour d’autres territoires. Si celles-ci choisissent une autre implantation sur notre sol national, ce n’est qu’un moindre mal. Mais il n’est pas rare qu’elles retiennent un pays plus pragmatique que le nôtre.

Lorsque vous estimez à deux ans – en ménageant déjà une certaine marge de manœuvre – le délai nécessaire à l’installation d’une entreprise ou d’un équipement public, vous vous heurtez à la législation sur l’eau, puis aux fouilles archéologiques, en passant par la case diagnostic, et en espérant qu’il n’y ait pas une trace de pollution, un scarabée doré ou encore un crapaud calamite ! (Sourires.) Finalement, un délai de quatre, voire de cinq ans n’est pas rare, et l’addition finit par s’allonger : de 2 millions à 4 millions d’euros pour des fouilles, encore plus pour la dépollution et 100 000 euros pour un couple de batraciens… Ce n’est pas une exception, et, je le répète, c’est insupportable ! (M. le ministre acquiesce.)

Il nous faut impérativement opérer une simplification urgente face à l’engrenage normatif qui entrave l’action des collectivités territoriales. À cette fin, il faut réformer la gouvernance normative entre l’État et les collectivités locales, en créant une instance d’évaluation partagée des normes pour prendre en compte la réalité territoriale.

À titre d’exemple, je propose la création d’une instance indépendante comprenant des représentants des personnels de l’État et des collectivités locales et disposant d’un système d’information partagé s’appuyant sur une modélisation de l’impact financier par type de collectivité. De fait, il est impératif de structurer les processus de consultation pour permettre aux collectivités territoriales d’exercer un contre-pouvoir normatif.

Seuls le comité des finances locales et ses émanations semblent véritablement en mesure de développer une approche transversale de la réglementation applicable aux collectivités locales.

L’article 1er du présent texte vise à introduire dans notre droit positif le principe de proportionnalité des normes et celui de leur adaptation à la taille des collectivités. J’ai déposé un amendement sur cet article comme sur d’autres, à la suite des observations formulées par le Conseil d’État, dont l’avis a été sollicité sur le fondement du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution.

En effet, j’avais à l’époque demandé au président du Sénat, Gérard Larcher, de bien vouloir saisir le Conseil d’État, ce qui était une première pour la Haute Assemblée, comme votre rapport le souligne, madame le rapporteur. Cette décision a fait l’objet d’un important débat en commission des lois.

Je précise également que le nouveau président du Sénat, M. Jean-Pierre Bel, a demandé au Conseil d’État d’achever ses travaux d’analyse et de lui remettre son rapport. Ce document m’a été particulièrement utile pour les modifications et adaptations que j’ai proposées et que la commission n’a pas étudiées.

Ainsi, l’article 1er prévoit que la loi prenne en compte, pour les collectivités territoriales, la notion de capacité financière lorsqu’elle fixe des critères de dérogation aux normes. Par ailleurs, elle peut prévoir des mesures de substitution. De plus, le principe de proportionnalité devra être systématiquement respecté dans le cadre des mesures réglementaires d’application de ces lois.

Contrairement à ce que certains d’entre vous semblent affirmer, cette disposition n’est pas anticonstitutionnelle : de fait, il existe déjà beaucoup de différences dans nos lois et règlements selon les tailles des communes. C’est vrai pour les lois électorales, c’est vrai pour les règles d’attribution de subventions dans nos départements et conseils régionaux. Chacun d’entre nous peut citer une multitude d’exemples.

Qui peut soutenir aujourd’hui qu’il est possible d’assurer une égalité de services à la population, à la campagne comme en ville ? L’exemple du temps de déplacement pour l’intervention des pompiers figure dans votre rapport, madame le rapporteur. Entre les zones urbaines et rurales, de grandes différences peuvent exister.

En outre, le II de cet article ouvre une possibilité de dérogation dans la procédure d’agrément, délivrée par le conseil général, pour exercer la profession d’assistant maternel ou celle d’assistant familial.

Comme vous le constatez, cet article 1er ne fait plus mention de l’accessibilité des bâtiments publics, à condition que la commission des lois adopte l’amendement que j’ai déposé à cette fin.

En effet, ce point particulier a fait l’objet de vives réactions de la part de certaines associations de handicapés. Afin d’éviter une polémique inutile, il m’a semblé préférable d’extraire cette disposition du texte. Toutefois, je suis conscient que nous devrons nécessairement aborder cette question à l’avenir et qu’il nous faudra en discuter sérieusement autour d’une table.

Savez-vous que le premier sujet d’inquiétude des élus est de savoir comment ils pourront être, au 1er janvier 2015, en totale adéquation avec les obligations fixées par la loi de 2005 ?

Si ces dispositions ne sont pas respectées, les sanctions prévues par ce texte relèvent du pénal. Vous pouvez dès à présent prévenir vos maires qu’ils seront tous très probablement poursuivis au pénal à partir de 2015 ! À mon sens, nous ne pouvons rester passifs.

Savez-vous que, pour les collectivités, le fait de se mettre en conformité avec la règle de base d’accessibilité, s’agissant des bâtiments anciens recevant du public, impliquera, au cours des trois années à venir, la réalisation d’investissements de l’ordre de 17 milliards d’euros? Vous savez certainement qu’elles n’en ont pas les moyens et que la loi ne sera pas respectée. Ce n’est pas une supputation de ma part ; c’est une certitude.

J’ai bien compris que le moment n’était pas venu pour la majorité sénatoriale de regarder en face ce problème et d’accepter d’engager le débat. L’examen de cette proposition de loi aura au moins permis de rechercher une issue positive pour tout le monde ou, quoi qu’il en soit, de poser les termes du débat.

Mon rapport formule vingt-sept propositions sur l’accessibilité : ces dernières méritaient probablement de faire l’objet d’une discussion, hors de toute polémique et de toute démagogie. En lisant le rapport de Mme Gourault et le compte rendu de ses auditions, j’ai eu confirmation qu’il s’agissait là d’un véritable problème. Mes chers collègues, nombre d’entre vous, ainsi que les organismes auditionnés l’ont classé comme problématique numéro 1.

La motion tendant au renvoi en commission, adoptée par la commission des lois, n’a permis ni d’étudier les nombreux amendements que j’avais déposés ni de prendre en compte la suppression des articles 23, 24, 26, 29 et 33, que j’avais proposée.

Ainsi, les acteurs du monde du handicap sont persuadés que ces dispositions figurent toujours à l’article 1er : ce n’est malheureusement plus le cas. Au demeurant, ce constat permet de relancer la polémique. Dès que la proposition a été inscrite à l’ordre du jour, j’ai de nouveau vu s’exercer les mêmes pressions !

Mes chers collègues, permettez-moi de citer l’exemple de la mise aux normes d’un certain établissement recevant du public, nommé Sénat. Je me permettrai de conseiller d’établir d’urgence un programme prévisionnel d’investissements : nous devons rendre tous les points de ce palais accessibles avant trois ans, quelles que soient les contraintes techniques et financières. Or ces dernières seront multiples, difficilement surmontables et elles nous conduiront à solliciter des dérogations à la loi que nous avons votée, voire des délais supplémentaires.

Vous devriez dès à présent, chers collègues, en informer le président Jean-Pierre Bel. À mon avis, pour rendre le palais totalement accessible, il doit prévoir de réserver la totalité des crédits d’investissement du Sénat des cinq ou dix années à venir ! Et il reste moins de trois ans – dans lesquels il faut inclure les délais d’études et d’autorisations des architectes en chef des monuments historiques – pour se mettre aux normes !

Cette proposition de loi fixe par ailleurs diverses conditions d’utilisation de la dématérialisation en vue de faciliter la vie de nos collectivités, d’abaisser les coûts et de gagner un temps précieux.

Elle clarifie les différentes étapes de la procédure de dissolution, qui s’avère relativement complexe en cas d’obstacle à la liquidation d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’un syndicat. Ce texte pourrait grandement simplifier le fonctionnement de nos collectivités en cette période de constitution de communautés de communes et de dissolution de syndicats.

Elle assouplit le régime des régies comptables et les délégations données aux maires, présidents de conseils généraux et présidents de conseils régionaux.

Elle allège les tâches de transmission des comptes de gestion au contrôle de légalité et traite, dans son article 10, le problème, que chacun connaît, de la lourdeur des délibérations relatives aux admissions en non-valeur.

La recherche de subventions est aussi une tâche particulièrement complexe, qui peut être simplifiée pour toutes les collectivités. Il est ainsi proposé d’élargir le champ des délégations données aux exécutifs.

Cette proposition de loi prévoit, en outre, de multiples dispositifs de simplification relatifs au règlement intérieur des conseils généraux, au quorum des commissions en matière de délégation de service public, aux régimes de la mise à disposition des documents relatifs aux délégations de service public ou des accords-cadres.

Le chapitre 5 vise à simplifier les procédures relatives aux déclarations d’état d’abandon manifeste d’une parcelle ou encore à assouplir le régime des centres communaux d’action sociale, les CCAS.

Je m’arrêterai quelques instants sur ce sujet.

L’article 18, qui traite spécialement des CCAS, fait l’objet d’une polémique ; du reste, il a déjà été évoqué plusieurs fois par certains d’entre vous lors de précédents débats. Il est vrai que l’Union nationale des CCAS a inondé tous les élus d’une circulaire annonçant que je proposais la suppression des CCAS ! Et les membres de cette Union nationale, lors de leur récent congrès de Montpellier, arboraient un badge « Touche pas à mon CCAS ! ». Pour ma part, j’y ai plutôt lu : « Touche pas à mes cotisations ! »

La lecture du texte de la proposition de loi devrait pourtant les rassurer. Je suggère simplement de remplacer le mot « doivent » par le mot « peuvent ». En effet, le code de l’action sociale et des familles dispose que chaque commune doit créer un CCAS. Je propose que l’on écrive que les communes peuvent créer un CCAS.

Pourquoi cette proposition ? Je vais m’en expliquer au travers de quelques chiffres et d’un exemple.

Savez-vous, mes chers collègues, que, en 2010, la direction générale des finances publiques dénombrait 33 095 CCAS, dont 289 CIAS, ou comités intercommunaux d’action sociale. Or nombre de ces structures peuvent être considérées comme inactives. Ainsi, 1 791 CCAS sont des coquilles vides sur le plan budgétaire et comptable, 5 417 n’ont connu aucune opération budgétaire au cours de l’exercice 2010, 5 825 ont des produits et des charges inférieurs à 1 000 euros par an, et 9 443 des produits et des charges inférieurs à 2 000 euros par an.

Au total, 45 % des CCAS et des CIAS sont inactifs ou très peu actifs, ce qui montre que près de la moitié des collectivités sont en totale contravention avec la loi.

Ces chiffres montrent qu’il convient de se pencher sérieusement sur la question. Certains d’entre nous semblent se satisfaire du fait que la loi soit impossible à respecter. Mais alors, il n’est peut-être pas interdit de se demander si elle est bien faite…

Je rappelle que, le 8 novembre 2011, M. Maurey et les membres du groupe de l’UCR déposaient un amendement portant sur les difficultés rencontrées par les CIAS face à des contrôles de l’URSSAF ?

Permettez-moi de vous donner lecture d’un courrier très éloquent que j’ai reçu : « Je suis maire depuis près de vingt ans d’une petite commune de 89 habitants, dont le budget de fonctionnement est inférieur à 49 000 euros et qui compte entre six et huit enfants scolarisés en primaire. J’approuve votre proposition. En effet, depuis maintenant plusieurs années, je demande la suppression du CCAS dans ma commune. Cette instance ne nous sert à rien, sinon à payer tous les ans une cotisation URSSAF, et j’ai bien du mal à réunir les membres pour voter un budget qui ne comprend que cette ligne. » Ainsi s’exprime Mme le maire de Chaudardes, dans l’Aisne.

Mais je pourrais multiplier les exemples puisque 15 000 communes sont dans cette situation. Et je rappelle que, sur les 36 000 communes françaises, 30 000 environ comptent moins de 1 000 habitants.

Comment peut-on continuer à soutenir contre vents et marées qu’il ne faut rien faire ou, plus exactement, qu’il faut toujours repousser les décisions à plus tard ?

Le débat sur ce texte que vous me refusez aujourd’hui, chers collègues, aurait été l’occasion de formuler des propositions. J’ai d’ailleurs lu dans le rapport de Mme Gourault que M. Détraigne avait suggéré de rendre facultatif le CCAS en dessous d’un certain seuil de population. La solution est peut-être là. Le problème, en France, c’est qu’on se met toujours à crier avant d’avoir mal !

Je n’ai d’ailleurs pas fait figurer dans ma proposition de loi toutes les pistes que j’ai analysées dans mon rapport. Je n’ai retenu que les points les plus importants, qui pouvaient être traités dans un délai réaliste et acceptés par le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel. Mon rapport contient, lui, 268 propositions pour simplifier le droit applicable aux collectivités locales.

À titre de rappel, les préoccupations récurrentes des collectivités locales portent principalement sur les coûts, le temps et la gouvernance.

Tout d’abord, en ce qui concerne les coûts, il ressort des analyses que l’accessibilité, les fouilles, le sport, l’eau et l’assainissement, mais également la fonction publique, font peser des contraintes financières trop lourdes sur les collectivités locales.

S’agissant ensuite du temps, les collectivités ne peuvent que regretter, d’un côté, la lenteur de certaines procédures et, de l’autre, les délais trop courts pour appliquer les textes et se mettre aux normes. En particulier, les délais définis par le Grenelle de l’environnement ou les fédérations sportives sont fustigés par les collectivités.

Enfin, en ce qui concerne la gouvernance, les collectivités ont le sentiment de subir la normalisation.

Guidé par ces divers éléments, le rapport formule des propositions dans quinze domaines retenus par les élus : l’accessibilité, le sport, la culture, l’urbanisme, l’eau, l’environnement, le fonctionnement des collectivités, les services départementaux d’incendie et de secours, les finances locales et quelques autres…

Je pensais, un peu naïvement, je l’avoue, que l’ensemble des dispositions de la proposition de loi extraites du rapport seraient examinées avec une attention très favorable. En effet, comme je l’ai déjà indiqué, ces propositions ont été faites par des élus de tous bords, et même, statistiquement, davantage par des élus de gauche.

Certains points méritaient sans doute d’être discutés et enrichis : après tout, c’est le rôle de la Haute Assemblée. En revanche, je n’avais pas imaginé que ce texte pourrait être pris en otage dans le cadre d’un environnement purement politique. Depuis le changement de majorité au Sénat, j’ai le sentiment que l’enjeu n’est plus de répondre aux aspirations des élus de terrain et des citoyens, mais de faire de la politique, à la veille des échéances qui se profilent. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Catherine Troendle. Absolument ! C’est la vérité !

M. Éric Doligé. Vous êtes naïfs, chers amis ! Je ne le nommerai pas, mais, tout à l’heure, l’un d’entre vous, qui est aussi président de conseil régional, m’a confié dans les couloirs qu’il espérait que ma proposition de loi serait rapidement adoptée, car il trouvait ce texte très intéressant pour sa région, qui n’est d’ailleurs pas très éloignée de la mienne.

M. Jean Bizet. Eh oui !

M. Éric Doligé. Il tenait en particulier à ce que l’article 1er reste en l’état et m’a dit qu’il n’approuvait pas l’amendement que j’avais présenté en commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Éric Doligé. Je n’ose croire que votre réelle motivation, chers collègues de la majorité sénatoriale, serait de rejeter ce texte uniquement parce que la commande viendrait du chef de l’État… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste du groupe CRC.)

M. Roland Courteau. Comment pouvez-vous penser une chose pareille ? (Sourires sur les mêmes travées.)

M. Éric Doligé. Les propositions contenues dans ce texte ont été élaborées en lien avec les présidents et les bureaux de l’Assemblée des départements de France, de l’Association des régions de France, de l’Association des maires de France ou encore de l’Association des maires ruraux de France. Ils les ont d’ailleurs reprises dans des documents que je tiens à votre disposition. Ne me dites que les présidents de ces associations ne sont pas des références pour nous tous !

Mme Catherine Deroche et M. Christophe Béchu. Très bien !

M. Éric Doligé. Il n’y a dans ce texte aucune proposition qui, sur le terrain, ne soit pas soutenue par les élus, y compris celles qui font encore polémique avec quelques associations.

Madame le rapporteur, permettez-moi de vous remercier à nouveau de votre travail important. Je veux aussi remercier M. le ministre du soutien qu’il m’a apporté tout au long de ce travail, avec l’appui de la direction générale des collectivités locales. Je lui sais gré, en particulier, d’avoir mis à ma disposition une personne de très grande qualité, issue de l’inspection générale de l’administration. Il y a dans nos administrations un nombre important de personnes qui n’aspirent qu’à la simplification et qui souhaitent nous aider à la mener à bien.

La commission des lois a choisi de repousser d’au moins six mois l’étude de ce texte au motif qu’il fallait en approfondir certains aspects. Est-ce une marque d’intérêt ? Est-ce une attitude politique ? Il est certes plus satisfaisant pour moi de retenir la première de ces hypothèses...

À titre d’information, je rappelle que j’ai déposé cette proposition de loi le 4 août 2011. Chacun a donc eu largement le temps de l’examiner. L’argument du manque de temps et de recul me surprend quelque peu. Beaucoup d’entre vous l’ont déjà amplement analysée et ont été approchés par divers groupes de pression qui n’ont pas forcément intérêt à certaines simplifications.

Le coût des normes représente certainement plusieurs milliards d’euros : il y a donc là un gisement important d’économies pour nos collectivités, économies qui pourraient être faites sans effort. Il y a aussi la source d’un considérable gain de temps.

Je n’arrive pas à comprendre ce refus de simplifier la vie des élus, de redonner quelques couleurs à nos budgets, de saisir l’opportunité qui nous est donnée de répondre à des attentes déjà anciennes. Aussi, chers collègues, je vous donne rendez-vous après les échéances électorales des mois à venir. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, mes chers collègues, nous sommes donc aujourd’hui appelés à examiner la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales élaborée par notre collègue Éric Doligé.

Comme il l’a rappelé lui-même, ce texte constitue la traduction législative de quelques-unes des propositions du rapport qu’il a remis au Président de la République le 16 juin 2011 et qui était relatif au poids des normes sur l’activité quotidienne des collectivités territoriales.

La mission qui lui avait été confiée s’inscrivait dans un contexte global de croissance exponentielle des normes, de leur manque de lisibilité et de cohérence et de leur décalage par rapport aux réalités locales.

Ce constat est ancien. En 1991, déjà, le Conseil d’État relevait le phénomène de « surproduction normative ». En 2000, la mission commune d’information du Sénat chargée de dresser le bilan de la décentralisation concluait que les administrations de l’État avaient pris l’habitude d’intervenir sous forme de règlements. Il était notamment relevé que, sans dessaisir, au moins en théorie, les autorités locales, cela avait contribué à limiter significativement les pouvoirs de ces dernières. En 2007, le groupe de travail chargé d’étudier les relations entre l’État et les collectivités territoriales avait également conclu à l’accroissement des charges pesant sur les collectivités, d’une part en raison de l’inflation des textes normatifs qu’elles doivent appliquer, d’autre part au regard de la complexité des procédures qu’elles doivent mettre en œuvre.

À ce jour, aucune étude exhaustive n’a été conduite pour évaluer le coût global de ces normes dans les budgets locaux. Nous ne disposons à l’heure actuelle que de quelques études sectorielles, réalisées par les associations nationales d’élus. Ainsi, l’Association des maires de France évalue à 400 000 le nombre de normes que les élus locaux sont appelés à appliquer !

D’autres données confortent cette analyse. En 2009 et 2010, 339 « projets de normes » émanant de l’État ont donné lieu à une évaluation : elles représenteraient plus de un milliard d’euros de dépenses supplémentaires pour les collectivités territoriales.

Ce coût est accentué par l’instabilité des normes. En dix ans, 80 % des articles législatifs et 55 % des articles réglementaires du code général des collectivités territoriales ont été modifiés. Et s’y ajoutent les centaines de dispositions supplémentaires issues des nouveaux textes législatifs et réglementaires !

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce foisonnement.

Tout d’abord, la croyance inconditionnelle dans les vertus de la norme. On peut véritablement parler à ce titre de « zèle normatif » des administrations de l’État, centrales et déconcentrées, qui se traduit par l’extrême précision réglementaire des décrets, arrêtés et circulaires.

Par ailleurs, certaines normes, comme les normes professionnelles AFNOR ou ISO, se sont transformées en normes obligatoires, en raison des secteurs dans lesquelles elles s’appliquent ou parce que les assurances imposent souvent le respect de ces normes, rendant de facto celles-ci obligatoires.

Un autre facteur tient à la gouvernance multiple et insuffisamment partagée de la norme. Le responsable régulièrement pointé du doigt est l’État, même s’il convient de nuancer quelque peu cette mise en cause : il partage en effet cette responsabilité avec le législateur, mais aussi avec les autorités communautaires – notre pays fait souvent du zèle en verrouillant encore davantage les normes par rapport à la directive communautaire –, les organismes de droit privé investis d’un pouvoir réglementaire, telles les fédérations sportives, ou encore les collectivités territoriales elles-mêmes, qui peuvent subordonner certaines de leurs subventions au respect d’exigences techniques et qui imposent aux autres collectivités ces nouvelles normes.

Cette parcellisation est néfaste pour les relations entre l’État et les collectivités territoriales, mais aussi pour les relations entre collectivités territoriales. La gouvernance normative ne repose pas suffisamment sur une culture partagée de l’information et, surtout, de l’évaluation des politiques publiques locales.

Tout cela nuit à nos territoires et à leur compétitivité. La mise en place de politiques publiques locales adaptées se trouve entravée du fait de l’application uniforme et rigide de certaines normes ou de la lourdeur de certaines procédures administratives. Car ce « maquis normatif » s’applique à l’ensemble des politiques publiques locales.

À la demande du Président de la République et du Premier ministre, les commissions permanentes du Sénat et les associations nationales d’élus ont identifié les secteurs dans lesquels la production réglementaire est la plus intense. Ce travail a été réalisé par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sous la houlette de notre collègue Claude Belot. L’accent a été mis sur l’accessibilité – sans que le bien-fondé de cet objectif soit aucunement remis en question –, l’urbanisme et l’environnement. Le sport et les règles de sécurité constituent également des domaines de prédilection en matière de normes.

Face à ce constat, diverses réponses ont été apportées.

En premier lieu, a été créée, en décembre 2007, la commission consultative d’évaluation des normes, la CCEN, qui a permis d’instaurer un contrôle approfondi et exigeant des normes réglementaires, favorisant ainsi une nouvelle culture de l’évaluation des normes au sein des administrations centrales.

En second lieu, un moratoire sur l’édiction des normes réglementaires a été instauré par une circulaire du Premier ministre en date du 6 juillet 2010. Ce moratoire s’applique à l’ensemble des mesures réglementaires dont, je le précise, l’adoption n’est commandée ni par la mise en œuvre d’engagements internationaux de la France ni par l’application des lois, ce qui en limite évidemment la portée.

Parallèlement, a été créée la commission d’examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs, ou CERFRES, tandis qu’était nommé un commissaire à la simplification.

C’est dans ce contexte qu’intervient l’initiative de notre collègue Éric Doligé tendant à desserrer l’étau normatif auquel sont soumises les collectivités territoriales.

Cette proposition de loi répond à une véritable demande de tous les acteurs de terrain, qui ont d’ailleurs inspiré de nombreuses préconisations de son rapport. Nous ne pouvons donc qu’approuver cette démarche de simplification et de clarification d’un échafaudage réglementaire quelque peu vacillant !

Elle rencontre un écho chez toutes les personnes concernées, comme j’ai pu le constater moi-même au cours des quelques auditions auxquelles j’ai pu procéder ; en effet, comme l’a indiqué Éric Doligé, nous n’avons disposé que de très peu de temps pour mener ce travail de consultation.

Il est clair que, sur certains points du texte, tout le monde est d’accord, et je n’ai pas besoin de m’y attarder. En revanche, il en est d’autres qui nécessitent de plus amples réflexions.

Bien entendu, au sein de la commission des lois, la discussion a porté essentiellement sur les sujets qui faisaient débat, notamment tout ce qui concerne l’urbanisme et, en particulier, les secteurs de projets, dont traite l’article 20. Il n’y a évidemment pas d’hostilité a priori sur ce qui concerne les secteurs de projets, mais un certain nombre de nos collègues, ainsi que l’Association des maires de France, que j’aie entendue sur ce sujet, voulaient assortir cet article de garanties juridiques plus solides.

Toujours en ce qui concerne l’urbanisme, n’est-il pas un peu risqué, pour les maires, que soit autorisée, comme le prévoit l’article 24, la signature de promesses de vente ou de location avant la délivrance du permis d’aménager un lotissement ?

Est-il opportun d’organiser, à l’article 23, la caducité du cahier des charges d’un lotissement s’il n’est pas publié au bureau des hypothèques dans les cinq ans ?

Voilà quelques points qui ont fait l’objet de débats.

Bien sûr, la rationalisation des moyens est aussi un aspect très important, surtout dans le contexte de restriction budgétaire que nous connaissons, et certains articles y pourvoient. Mais d’autres articles soulèvent des interrogations, s’agissant par exemple des CCAS – Éric Doligé en a parlé.

J’ai reçu les représentants de l’Union nationale des CCAS et CIAS : le fait de rendre facultatifs les centres communaux d’action sociale est très discuté et provoque de nombreuses réactions.

Cela étant, l’action sociale, je le dis en tant qu’élue locale, peut s’exercer aussi en dehors des CCAS : ceux-ci ne sont pas l’unique moyen de l’action sociale dans une commune.

Bref, toutes ces questions méritent d’être examinées de manière approfondie et en concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, afin de répondre au mieux aux difficultés soulevées.

Par ailleurs, a très vite surgi la question de savoir si le temps prévu pour ce débat était suffisant eu égard à l’importance du sujet et à la longueur du texte.

J’en profite pour dire que, au-delà du cas de la présente proposition de loi, les conditions dans lesquelles nous sommes amenés à examiner les propositions de loi me deviennent assez insupportables : elles sont littéralement « coincées » dans des semaines où l’ordre du jour est tel que l’on ne peut guère consacrer à chacune que trois heures de discussion en séance publique. Cette restriction de la durée du débat a pesé très lourd sur la manière dont la commission a abordé ce texte. En effet, même si la motion de renvoi à la commission que la commission des lois vous présentera tout à l’heure n’était pas adoptée, nous n’aurions pas le temps d’examiner l’ensemble du texte.

J’adresse donc, à titre personnel, et par votre intermédiaire, madame la présidente, un message au bureau de notre assemblée : il faut, à mon sens, revenir sur cette organisation qui ne permet pas de travailler dans de bonnes conditions et qui, de surcroît, crée des ambiguïtés. On peut croire, par exemple, que certains groupes demandent le renvoi à la commission par principe ou par calcul politique.

Autrement dit, si nous avions vraiment temps de débattre comme il convient, nos échanges gagneraient en transparence et cela nous permettrait d’avancer.

Le président Sueur, qui ne pouvait être présent ce soir, mais qui est remplacé par M. Jean-Pierre Michel, m’a autorisé à dire que, au sein de la commission des lois, nous étions tous attachés à ce texte, quelles que soient nos sensibilités. Ce n’est pas parce qu’il y a une motion de renvoi à la commission qu’il ne sera pas examiné, et je prends personnellement l’engagement d’œuvrer à ce qu’il soit de nouveau discuté le plus tôt possible.

Pendant les mois d’été, comme la moitié d’entre nous, j’ai sillonné mon département, et j’ai bien entendu les maires : les normes sont pour eux une préoccupation majeure. Il reste que nous avons peu de temps pour examiner cette proposition de loi, l’honnêteté m’oblige à le dire. Outre les raisons de fond que j’ai évoquées – il y en a d’autres, mais je n’ai pas voulu allonger le débat –, c’est ce qui a conduit la commission des lois à déposer une motion de renvoi à la commission que je défendrai tout à l'heure. (Applaudissements sur les travées de l'UCR, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et au banc des commissions.)