M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure générale, mes chers collègues, à l’heure où les Grecs souffrent, sous la pression des gouvernements de leurs voisins, sans doute n’est-il pas superflu de rappeler que ce sont eux qui ont inventé l’Europe. Le terme « Europe » a initialement désigné le territoire de la Grèce continentale, et c’est dans ce berceau que sont nés notre civilisation et les fondements de la démocratie que nous chérissons aujourd’hui.

Dans la crise globale que nous vivons, l’Europe apparaît comme le seul horizon politique pertinent. Les réponses exclusivement nationales ne sont plus à la hauteur de l’enjeu. C’est si évident, pour les écologistes, que nous avons choisi de faire figurer le mot « Europe » dans le nom de notre mouvement.

Les difficultés financières que connaît le monde aujourd’hui ne doivent pas nous abuser. Les racines de cette crise ne sont pas seulement financières : nous vivons le déclin irrémédiable d’un modèle de développement qui avait simplement omis de tenir compte des limites physiques du monde, de la finitude de notre environnement et de ses ressources.

Ce constat ne relève pas d’un quelconque attachement émotionnel ou contemplatif à la nature. Au-delà des dommages infligés à la santé des hommes et à leur bien-être, il s’agit d’une réalité économique : la croissance est désormais intrinsèquement limitée, par exemple, par le coût de l’énergie, celui du pétrole en particulier, qui explose à la moindre reprise d’activité.

À cette crise de la rareté s’en ajoute une seconde, tout aussi déterminante, que l’on pourrait qualifier de crise de répartition ; c’est la crise sociale.

Pendant plusieurs décennies, les libéraux ont justifié le renforcement des inégalités par une hypothèse d’abondance, que l’on entend encore parfois défendre : « puisque le gâteau augmente, chacun verra sa part croître, même si d’aucuns s’octroient des morceaux léonins ».

Cette accumulation inéquitable de capital, réalisée au détriment de l’investissement et des salaires du plus grand nombre, a dû être compensée par un recours incontrôlé à l’endettement, qui est à l’origine, notamment, de la crise des subprimes.

Cette course à la démesure, avant même de se muer en une crise financière, aura donc trouvé sa limite structurelle précisément là où elle avait prospéré : dans la pression immodérée exercée sur les ressources naturelles et la trop inégale répartition des richesses. Tel est l’héritage terrible que nous abandonne aujourd’hui le libéral-productivisme moribond.

Ce diagnostic est capital, car s’il peut ponctuellement y avoir urgence à desserrer l’étau financier qui étrangle tel ou tel pays, aucune réponse exclusivement financière ne pourra amorcer une rémission durable de la crise. C’est un leurre que de croire qu’en réglant la question financière sans s’attaquer aux racines écologiques et sociales de la crise, on réglera le problème économique.

À l’heure de la mondialisation, seules une intégration européenne et une harmonisation de nos politiques environnementales, fiscales et économiques peuvent aujourd’hui apporter une réponse à la triple crise que nous traversons.

Pour commencer à résoudre la crise écologique, rien ne sera possible sans la mise en place d’un véritable budget européen alimenté par des ressources propres, telles qu’une véritable taxe sur les transactions financières et une contribution climat-énergie.

Le Trésor européen, ainsi doté, pourrait financer d’indispensables investissements pour la mise aux normes environnementales des industries européennes, le développement des énergies renouvelables et des transports collectifs, la rénovation thermique des bâtiments, bref pour la transition écologique de la société européenne.

Sur le plan social, il faudra admettre et faire admettre à nos partenaires, notamment à l’Allemagne, que nous ne pouvons plus nous autoriser une politique économique de compétition intra-européenne, qui creuse les écarts de richesse au lieu de les réduire. Comme l’a très récemment démontré l’Organisation internationale du travail, l’OIT, l’Allemagne joue, à cet égard, un rôle dévastateur, en paupérisant sa propre population pour concurrencer les pays les plus pauvres. Or le Président de la République ne nous propose pas autre chose, avec sa « TVA sociale », que de nous aligner sur les moins-disants.

En matière financière, mes chers collègues, nous appelons de nos vœux la création d’un véritable outil de mutualisation des dettes par l’émission d’euro-obligations et la création d’une vraie réserve fédérale européenne pour les gérer. L’objectif principal serait de financer les investissements européens, plutôt que de garantir les risques des créanciers privés.

En début d’année, la Banque centrale européenne a en effet injecté beaucoup de liquidités dans le système bancaire, contribuant d’ailleurs ainsi à apaiser la conjoncture financière. Il est dès lors difficilement compréhensible que le MES ne puisse pas bénéficier de la même facilité, et que l’on envisage plutôt de lui ouvrir la faculté de se financer sur les marchés en recourant à un effet de levier.

Cette politique européenne globale, indispensable à l’ébauche d’une sortie de crise, devra nécessairement aller de pair avec davantage d’intégration politique, c’est-à-dire avec l’abandon de certaines prérogatives nationales et la construction d’une co-souveraineté, démocratique et fédérale, partagée entre les peuples et les États.

Cette gouvernance rénovée, reposant principalement sur le Parlement élu, permettra de gérer démocratiquement les convergences fiscales et macroéconomiques nécessaires à l’harmonisation européenne. Plutôt que de se voir imposer par la Commission européenne une absurde politique de contraction de son économie, la Grèce devrait, par exemple, avoir à engager une réforme de son administration fiscale…

M. Jean-Pierre Caffet. Elle n’en a pas !

M. Jean-Vincent Placé. … pour pouvoir bénéficier de la solidarité fédérale. Mais l’Allemagne devrait également être contrainte de cesser d’assécher les échanges commerciaux intra-européens en jouant d’une compétitivité assise sur de fortes inégalités intérieures.

Malheureusement, le MES, tel qu’il nous est proposé ici, est imprégné de la vision ultralibérale qui prédomine aujourd’hui au sein du couple franco-allemand. Sans même parler du lien avec le traité portant sur la règle d’or, la subordination du MES au FMI éloigne la perspective de la mise en place tant attendue d’un Trésor européen.

Et il n’y a toujours pas de financement direct de la Banque centrale européenne !

Quant au couple franco-allemand, qui dispose de fait d’un droit de veto discrétionnaire, qui pourra lui enjoindre d’arrêter de vendre des armes à la Grèce, laquelle ne peut même plus les payer ? On est là bien davantage dans la juxtaposition intergouvernementale d’égoïsmes nationaux que dans une véritable solidarité fédérale. (M. le ministre soupire.)

Eh oui, monsieur le ministre, vous pouvez soupirer, mais c’est la réalité !

Plaidant pour davantage d’intégration européenne, les écologistes, à une très large majorité, voteront contre le traité instituant le MES.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Au Parlement européen, les Verts ont voté pour !

M. Jean-Vincent Placé. Concernant l’amendement à l’article 136, qui pose simplement le principe d’un mécanisme de stabilité soumis à d’hypothétiques conditions, les écologistes, également à une large majorité, refuseront le piège tendu et ne prendront pas part au vote,…

M. Jean Bizet. Quel courage !

M. Francis Delattre. C’est nul !

M. Jean-Vincent Placé. … indiquant ainsi que, entre l’austérité libérale et le repli national, il existe une voie, que vous combattez depuis bien longtemps, messieurs du Gouvernement et de l’opposition sénatoriale, pour construire une Europe démocratique, écologique et sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Gournac. Courage, fuyons !

M. Jean-Claude Lenoir. C’est incohérent !

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un débat essentiel que celui que nous menons cet après-midi.

En préambule, je me permettrai un petit rappel historique, selon moi de nature à éclairer utilement notre discussion, en citant trois étapes essentielles dans la construction européenne.

La première a été franchie en 1990 lorsque la libre circulation des capitaux est devenue le socle économique de l’Union. Ainsi, aux termes de l’article 26 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ou TFUE, « le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation […] des capitaux est assurée ».

La deuxième étape a été marquée par les débats sur le référendum de 2005, que tout le monde a en mémoire. Ces débats de fond, chacun en conviendra, ont passionné comme jamais nos concitoyens ; jamais l’Europe n’avait à ce point suscité l’intérêt des Français. L’un des arguments majeurs cités par les tenants du « non », dont nous fûmes, avait trait à la notion de concurrence libre et non faussée, inscrite et répétée en lettres d’or au cœur du traité. Je n’aurai pas la cruauté de vous rappeler ici le verdict cinglant rendu à l’époque par le peuple de France.

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Éric Bocquet. La troisième étape a été constituée par le traité de Lisbonne, « frère jumeau » du traité instituant la Communauté européenne de 2005, pour reprendre les mots de M. Valéry Giscard d’Estaing. L’article 49 de ce traité dispose en effet que les restrictions à la liberté d’établissements financiers sont interdites. Quant à l’article 58 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, édicté pour faciliter la libre circulation des capitaux, il institue « la libération des services des banques et des assurances ».

Comment, dès lors, s’étonner aujourd’hui des excès de la finance qui ont conduit l’Europe là où elle est ? Ce sont donc les textes européens qu’il faut réécrire en totalité.

Ainsi donc sommes-nous aujourd’hui invités à intégrer dans notre corpus constitutionnel la modification de l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et, par ailleurs, à valider la participation de la France à l’instrument financier dont les instances européennes entendent se doter pour faire face à la crise des dettes souveraines, à savoir le Mécanisme européen de stabilité. Le MES n’est d’ailleurs en soi que le prolongement, pérennisé, du FESF et du MESF, créés dans l’urgence au printemps 2010, quand les économies de plusieurs pays de la zone euro ont commencé à donner d’alarmants signes de fatigue.

Pour en rester aux mots, le premier problème est que le « S » de MES ne veut pas dire « solidarité », ce qui pourrait aisément se concevoir, mais « stabilité », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. De même, en vertu des dispositions de l’article 12 du traité créant le MES, les politiques menées en correspondance avec l’intervention de l’outil devront se définir à raison des convergences et de la coordination budgétaire entre les États. L’article 13 du traité instituant le MES précise en effet : « Le protocole d’accord doit être pleinement compatible avec les mesures de coordination des politiques économiques prévues par le TFUE ».

L’outil politique est actuellement en cours de fabrication, et il s’agit, pour que nul n’en ignore, du fameux TSCG, qui ne veut pas dire « traité pour la solidarité, la croissance et la générosité » mais « traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ».

M. Éric Bocquet. Sur le strict plan de la linguistique, ce n’est donc pas un outil de solidarité, la « machine à émettre les eurobonds », que tout le monde attend depuis si longtemps que l’on mette en place. Non, c’est beaucoup plus prosaïquement un instrument de vassalisation et de surveillance des économies les plus en difficulté.

M. Éric Bocquet. Derrière la stabilité du MES, nous voyons poindre, non pas l’outil de la solidarité entre Européens, mais bel et bien l’instrument de l’austérité permanente pour l’ensemble des peuples. Quitte à ce que les remèdes associés à la mobilisation du MES demain, comme du FESF aujourd’hui, soient à peu près aussi efficaces que le furent à l’époque les saignées des docteurs Diafoirus de Molière !

Les exemples des pays que l’on a ainsi « aidés » sont particulièrement significatifs.

La Grèce, citée à plusieurs reprises, objet de tant de controverses, a connu en 2011 – singulièrement parce que les plans d’austérité qui ont été imposés en contrepartie de l’action européenne tendaient à contracter la demande intérieure – une récession de 5 % du PIB, de nouvelles hausses du volume de la dette publique, une explosion du chômage au-delà des 20 %, un salaire minimum diminué de 22 %, des retraites amputées de 15 %. Sur onze millions d’habitants, la Grèce dénombre environ trois millions de pauvres sans compter, de surcroît, l’humiliation attachée à cette purge.

La République d’Irlande, autre cas, qui fut également prise dans les filets de la crise financière après avoir été érigée en modèle de la réussite, a connu une croissance quasi nulle en 2011, et le taux de chômage s’y est fortement détérioré, atteignant en effet plus de 14 % de la population active, dans un pays où l’émigration a toujours joué un rôle dans la stabilisation des choses.

L’Italie, pour sa part, confiée au gouvernement de « techniciens » de Mario Monti, connaît elle aussi une quasi-stagnation de son activité économique et ne doit qu’au vieillissement relatif de sa population d’éviter qu’un taux de chômage plus élevé ne vienne corroborer la réalité de cette situation.

Enfin, en Espagne, où les plans de rigueur n’ont pas attendu l’alternance politique, en grande partie par défaut, qu’a connue le pays, la récente annonce de la réforme du marché du travail a jeté dans les rues des plus grandes villes des centaines de milliers de manifestants. Il faut dire qu’avec un marché du travail ultra-flexible, mais rempli de 22 % de chômage et de près de 40 % en ce qui concerne les jeunes, l’Espagne bat de ce point de vue tous les records !

Aucun des pays de l’Union et de la zone euro confronté aux politiques d’ajustement induites par les plans européens, tels qu’ils ont été conçus et tels qu’ils seront encore menés demain, n’a donc véritablement réussi à sortir des difficultés dans lesquelles il était plongé. Bien au contraire, la saignée d’emplois publics, les privatisations, les baisses de salaires et de pensions ont abouti, le plus souvent, à l’aggravation des difficultés, conduisant, comme nous l’avons vu de manière spectaculaire en Grèce, à de véritables impasses budgétaires.

La stabilité de la zone euro, invoquée par les fédéralistes à l’œuvre au sein de la Commission européenne et de la zone euro, à la demande expresse des milieux d’affaires et des marchés financiers, toujours eux, qui ont pourtant tant fait contre elle, ne peut être le prétexte de telles politiques et d’une telle orientation.

La zone euro a été constituée à partir de pays et d’économies dont les atouts et les caractéristiques étaient fort différents et, pour certains aspects, antinomiques. Qu’on le veuille ou non, la construction de l’Euroland – le fait d’avoir choisi cette terminologie est assez symptomatique d’ailleurs – s’est faite à partir de l’intérêt bien compris des économies dominantes dans l’Union européenne et donc, singulièrement, de l’Allemagne fédérale, qui, avec la mise en place de la monnaie unique et de l’élargissement, pouvait à loisir tirer parti des capacités de sa propre zone d’influence, orientée vers l’Est européen, au gré des nécessités de sa propre économie.

L’élargissement de l’Europe à la Tchéquie, à la Pologne ou encore à la Slovaquie et à la Hongrie a donné à l’Allemagne de forts précieux points d’appui pour une partie de ses processus de production, le niveau de qualification des salariés de ces pays étant suffisant pour permettre aux groupes allemands de disposer d’une main-d’œuvre efficace et bon marché.

M. Francis Delattre. C’est le rideau de fer !

M. Éric Bocquet. Le passage à l’euro aura été, dans un autre ordre d’idées, le moyen de dompter l’éventuelle concurrence d’autres pays, notamment le nôtre, puisque tout devenait libellé dans la même monnaie. Je constate d’ailleurs que notre commerce extérieur s’est sensiblement et continûment dégradé depuis l’introduction de la monnaie unique.

Comment, de fait, parler de solidarité, comme certains feignent de le penser, quand l’Euroland continue de fonctionner comme une zone de confrontation et d’antagonismes, où les politiques d’ajustement sont destinées à faire payer le prix fort à ceux qui ont perdu la bataille dans un espace de concurrence libre et non faussée du tous contre tous ?

M. Éric Bocquet. S’il fallait d’ailleurs une bonne raison de ne pas accepter le « paquet cadeau » du MES et du TSCG – que les deux textes soient séparés et que l’adoption du second soit en apparence plus délicate que le premier ne change rien à l’affaire puisque ce sont les mêmes politiques qui inspireront la mise en œuvre de l’un et devraient imprégner la rédaction de l’autre –, ce serait aussi par référence à cette évidence : celle qui veut que, par nature, les dirigeants européens actuels semblent se méfier si singulièrement des peuples ; en effet, aucun Gouvernement signataire, parmi les dix-sept pays de la zone euro, n’entend pour l’heure consulter sa population sur la ratification.

On ne peut, de notre point de vue, donner à penser que l’idée européenne est porteuse d’avenir si l’on continue à priver les peuples de la moindre expression sur le sujet.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Éric Bocquet. De quoi a-t-on peur dès qu’il s’agit du MES et du TSCG ? Que les citoyens, déjà victimes de la confiscation de leur vote négatif du 29 mai 2005 en France, aient la mauvaise idée de voter contre l’adoption du MES et de ses contreparties, dont l’austérité semble la plus prégnante ?

Mme Éliane Assassi. Bien sûr !

M. Éric Bocquet. En tout état de cause, ce n’est pas ainsi que l’on pourra redonner aux habitants de notre pays, comme à ceux de bien d’autres pays, la moindre confiance et la moindre espérance dans une construction européenne qui se fait de plus en plus sans eux et a fortiori contre eux. C’est du moins un sentiment qui semble aujourd’hui largement partagé.

Ne pas voter sur cette question cruciale serait une erreur. Adopter le MES en l’état n’est pas acceptable, et nous ne pourrons donc que nous prononcer contre les textes qui nous sont soumis. Notre groupe a fait ce choix en pleine conscience et nous en appelons solennellement à nos collègues de la nouvelle majorité sénatoriale. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Si le changement est annoncé pour maintenant, le rejet de ce texte, c’est aujourd’hui !

Mes chers collègues, la responsabilité nouvelle du Sénat à gauche est immense. Ne pas refuser ces textes revient à hypothéquer sérieusement les chances de mettre en œuvre, demain, la nouvelle politique tant attendue par une majorité de nos concitoyens à qui il faudrait, sur le sujet, proposer un référendum. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

M. Francis Delattre. Le rideau de fer !

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement à ce qu’affirmait voilà quelques jours le Premier ministre, il n’y a rien d’électoraliste dans la démarche entreprise par la majeure partie des parlementaires de gauche. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.)

Certes, les sénateurs radicaux de gauche et la majorité des membres du RDSE s’abstiendront sur les textes présentés, et ce pas seulement pour marquer notre opposition à la politique menée par Nicolas Sarkozy à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle,…

M. Jean Leonetti, ministre. Ah, l’aveu arrive !

M. Jean-Michel Baylet. … mais bien parce que ces projets de loi sont loin d’être exempts de toute critique et, plus encore, ils sont loin d’être suffisants.

Européens convaincus et ardents défenseurs du fédéralisme, les radicaux de gauche avaient a priori de bonnes raisons d’approuver le Mécanisme européen de stabilité, qui introduit enfin – comme nous l’avions souhaité – un début de gouvernance économique à l’échelon communautaire et constitue peut-être la première étape vers une Europe fédérale que, je le répète, nous appelons de nos vœux et qui est seule capable de maîtriser les dérives de la mondialisation et de redonner à l’Europe une chance de peser de nouveau à l’échelle du monde.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Jusque-là, nous sommes d’accord !

M. Jean-Michel Baylet. Malheureusement, force est de constater que ce mécanisme découle plus de la volonté de garantir nos intérêts financiers et bancaires que d’une réelle solidarité entre pays membres de la zone euro.

Mme Éliane Assassi. Et voilà !

M. Jean-Michel Baylet. En effet, le considérant 5 du traité instituant le MES subordonne l’accès des États à ce mécanisme à l’adoption d’un autre traité intergouvernemental, le fameux traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui pourrait être signé cette semaine et qui imposera aux États l’inscription de la « règle d’or » sur l’équilibre budgétaire au sein de leur Constitution.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais c’est normal !

M. Jean-Michel Baylet. Peut-être, mais vous auriez pu y penser avant !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La solidarité appelle la responsabilité !

M. Jean-Michel Baylet. Or la gouvernance économique qui nous est proposée rime avec rigueur et n’est que punitive. De plus, elle ne nous paraît pas à même de désendetter la Grèce.

Adossé au TSCG, le MES sera vecteur d’austérité dans une telle mesure que toute reprise de la croissance apparaît impossible. Pis, l’Europe, en imposant le respect de règles budgétaires trop strictes, pousse irrémédiablement la Grèce dans la spirale de la récession. C’est pour cette raison que les radicaux de gauche se félicitent de l’engagement pris par François Hollande de renégocier, si les Français lui accordent leur confiance, ce traité dès le lendemain de l’élection présidentielle. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il ne sera pas tout seul à négocier !

M. Jean-Michel Baylet. En tout cas, l’espoir est permis au regard des nombreuses solutions qui peuvent être mises en œuvre pour soutenir la croissance, croissance sans laquelle, bien sûr, les dettes ne se réduiront pas.

De longue date, les radicaux de gauche souhaitent doter l’Europe de moyens économiques renforcés, lesquels sont complètement absents des différents traités qui nous sont soumis aujourd’hui. Je pense notamment à une augmentation du budget communautaire permettant des politiques de relance sur le plan européen ou à la création d’eurobonds et d’un fonds de développement d’investissement émettant des obligations convertibles afin de soutenir des entreprises dans des secteurs d’avenir tels que les nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’énergie ou encore l’aérospatiale.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. Mes chers collègues, nous nous opposons à une rigueur aussi violente pour des populations déjà profondément marquées par quatre longues années de crise, car elle vient nécessairement nourrir une méfiance, si ce n’est un véritable rejet, à l’encontre de l’Europe.

Le MES, indissociablement lié au TSCG, représente un instrument d’austérité que nous ne pouvons soutenir. Il parviendra difficilement à remplir ses objectifs, faute d’une force de frappe financière suffisante, due notamment à l’absence de licence bancaire et au fait qu’il ne sera pas adossé à la garantie de la Banque centrale européenne. Or la sortie de crise passera nécessairement par une gouvernance économique commune. En cela, le projet de loi de ratification du traité instituant le Mécanisme européen de stabilité va dans la bonne direction, mais, malheureusement, j’y reviens, il ne fait qu’une partie du chemin.

Nous ne partageons pas cette vision de la politique économique européenne qui rend illusoire tout espoir de relance dans les pays bénéficiant de l’aide des États membres de la zone euro. Monsieur le ministre, je vous le répète donc, les sénateurs radicaux de gauche s’abstiendront sur ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir. C’est courageux pour un Européen convaincu…

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Vous devez mal dormir la nuit, à l’UMP : vous êtes bien nerveux !

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que l’horizon est un peu sombre, il y a au moins une bonne nouvelle : depuis quelques semaines, nous constatons une accalmie sur les marchés obligataires. Ce résultat, nous le devons à une politique originale de la Banque centrale européenne, certes, contestée à l’intérieur même du conseil des gouverneurs, mais qui démontre que la politique suivie auparavant n’était pas la meilleure. Prenons-en acte ! Reste que cette amélioration du marché ne signifie pas que la crise de la dette souveraine des pays de la zone euro est terminée : les problèmes ne sont pas entièrement réglés.

La réforme de la gouvernance économique et budgétaire européenne est marquée par un déséquilibre entre discipline budgétaire et solidarité financière. Elle tend à enfermer les États membres dans un véritable carcan budgétaire qui empêche le retour à la croissance et, donc, le renflouement des comptes publics. C’est le règne de la pensée unique !

Pour paraphraser un grand Français, il ne sert à rien de sauter sur sa chaise comme un cabri en criant « austérité, austérité ! ». Le dispositif de soutien aux États en difficulté est insuffisant. Sa mise en œuvre est laborieuse, lente, soumise à des atermoiements permanents, les derniers étant le fait de l’Allemagne. Je ne veux pas jeter la pierre à la Chancelière, qui, on le sait, est confrontée à des problèmes politiques internes, mais on a bien constaté hier que, lors de la discussion au Bundestag, l’Allemagne envoyait un message exactement contraire à la politique que nous sommes en train de poursuivre, laquelle vise à rassurer sur la mise en place du dispositif en faveur de la Grèce. C’est tout de même curieux !

Pour autant, le Mécanisme européen de stabilité est indispensable.

Si l’on veut enrayer la crise des dettes souveraines, il est essentiel de mettre en place un dispositif permanent de solidarité entre les États membres de la zone euro. Trop de temps a déjà été perdu. Je rappelle en effet que, en 1989, Jacques Delors avait proposé un mécanisme de ce genre. Je me réjouis de voir qu’il n’aura fallu que vingt-trois ans pour aboutir…

Je me réjouis aussi de l’anticipation de la création du MES, qui devra être mis en place en juillet 2012, ainsi que de l’accélération des versements de capital. Ces décisions devraient contribuer à renforcer la confiance des marchés financiers.

Le MES présente à mon sens plusieurs avantages.

Premièrement, grâce à ses fonds propres, il sera moins sensible à la notation que son prédécesseur, le Fonds européen de stabilité financière. Le MES empruntant sur capitaux propres et non pas en s’appuyant sur la garantie des États membres, ses émissions bénéficieront de meilleurs taux d’intérêt.

Deuxièmement, il disposera de nombreux instruments d’intervention, déjà excellemment exposés par Mme la rapporteure générale.

Troisièmement, l’introduction d’une procédure de décision en urgence, décidée en décembre, devrait faciliter la prise des décisions nécessaires. Le temps de l’Europe n’est pas le temps des marchés financiers : nous courons en permanence derrière la réalité économique et financière. Je ne prétends pas que ce mécanisme de décision résoudra tout, mais il va dans la bonne direction.

Quatrièmement enfin, le fait que les créanciers privés soient appelés à contribuer rapproche le fonctionnement du MES de celui du FMI. L’intervention du secteur financier permettra de mieux protéger l’argent des contribuables, notamment celui de nos contribuables nationaux.

M. Aymeri de Montesquiou. Il y a beaucoup d’avantages !

M. Richard Yung. On s’engage cependant dans cette voie avec beaucoup de délicatesse et, à en croire certaines de leurs déclarations, les ministres des finances considèrent que l’intervention des créanciers privés en faveur de la Grèce est exceptionnelle et ne sera donc pas réitérée. J’attends donc de voir s’il sera ou non de nouveau fait appel à ces créanciers privés.

Cependant, le MES est un dispositif sous-dimensionné financièrement. Il présente en effet un défaut majeur : sa capacité d’intervention est largement insuffisante.

Avec 500 milliards d’euros – excusez du peu ! – de capacité de prêt, le MES ne pourrait couvrir environ que 6 % de la dette publique totale de l’Union économique et monétaire – on me dira que tel n’est pas son objectif, mais ce pourcentage donne un ordre de grandeur – et il ne pourrait donc pas faire face aux besoins éventuels de pays de plus grande taille économique.

J’estime que l’une des erreurs importantes qui est commise est la décision de ne pas combiner le FESF et le MES.

M. Jean Bizet. Ça viendra !