M. Jean Leonetti, ministre. Et elle favorisera les spéculateurs, contre lesquels les pays européens ne pourront pas se défendre, faute que cette organisation et cette harmonisation aient été mises en place.

On peut toujours proposer le chaos… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Néri. Celle-là, de Gaulle nous l’a déjà faite !

M. Jean Leonetti, ministre. … et prétendre que les choses seront simples. Mais, franchement, je pense que l’Europe ne mérite pas qu’on joue avec les traités !

D’ailleurs, très habilement – comme d’habitude –, après avoir promis de renégocier les traités, vous venez d’annoncer que vous les compléteriez… C’est différent ! Autrement dit, on ne touche pas aux traités, mais on ajoute quelque chose à côté. Par exemple, au lieu de dire « stabilité », on dit « stabilité et croissance ». On joue avec les mots sans rien changer au fond ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

En ce qui concerne la fiscalité, nous nous orientons vers une harmonisation dans le domaine des accises. Et il est exact qu’en matière d’impôt sur les sociétés, il serait préférable qu’il n’y ait pas de dumping entre des pays appartenant à une même zone monétaire.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dans ce cas, pourquoi n’a-t-on pas imposé de conditions à l’Irlande ?

M. Jean Leonetti, ministre. Madame Lienemann, il y a des décisions qu’on ne peut pas imposer !

Et puis, pourquoi me parler méchamment ? Nous essayons de débattre.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je suis sincèrement en colère !

M. Jean Leonetti, ministre. Et pourquoi, si vous êtes sincère, ne le serais-je pas moi aussi ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je ne dis pas que vous n’êtes pas sincère !

M. Jean Leonetti, ministre. Essayons de réfléchir à la manière de trouver, dans une Europe qui est une construction complexe et où nous sommes bien obligés de considérer que les États sont souverains, des règles communes nous permettant d’être plus compétitifs vis-à-vis du reste du monde.

M. Alain Néri. Votre courage, c’est de vous abaisser devant Merkel !

M. Jean Leonetti, ministre. Car c’est bien là l’enjeu. L’Europe n’a pas à imposer, par exemple, la baisse des retraites en Italie, des mesures aboutissant au doublement du chômage en Espagne ou la baisse des salaires en Angleterre. Ce n’est pas son rôle ! L’Europe essaie simplement de se donner des règles globales communes.

Or, lorsqu’il s’agit de déterminer de telles règles, les vingt-sept États – bientôt vingt-huit avec la Croatie – défendent légitimement leurs propres intérêts nationaux. Il faut donc essayer de trouver l’harmonie dans la diversité : c’est l’esprit de la construction européenne !

Si l’Église orthodoxe grecque n’est pas imposée par le gouvernement grec, ce n’est ni la faute de l’Europe ni celle de la France. L’État grec a la responsabilité de définir sa fiscalité.

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Le 20 février dernier, à l’occasion d’une visite du Premier ministre espagnol, Mariano R.ajoy, à son homologue britannique, David Cameron, douze pays de l’Union européenne ont cosigné une lettre ouverte à Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, et à José Manuel Barroso, président de la Commission européenne.

Quoi que vous en disiez, monsieur le ministre, cette lettre dessine un très ambitieux « plan pour la croissance en Europe ». Ce plan, fondé sur huit priorités majeures, la France et l’Allemagne ne l’ont pas signé.

M. Yves Pozzo di Borgo. Il s’agit notamment de réformer à l’échelon européen nos législations en matière de droit du travail, de financer des clusters européens tournés vers la recherche en matière environnementale et de soutenir nos entreprises hors de l’Union européenne.

Bien sûr, ces propositions doivent être interprétées à la lumière des négociations européennes sur le prochain Pacte budgétaire.

Ce plan est d’inspiration libérale en ce qu’il repose principalement sur l’idée d’une dérégulation nationale et européenne au profit d’un éventuel renforcement des normes prudentielles internationales. Il semble avoir pour vocation de servir de réponse politique à la prépondérance prise par l’Allemagne et la France dans la gestion régulière et intergouvernementale de la crise des dettes souveraines.

Tout à l’heure, monsieur le ministre, vous avez fait à M. Yung une réponse rapide, expliquant qu’il s’agissait d’une initiative uniquement anglaise. Je trouve cette vision un peu caricaturale. À mes yeux, cette lettre exprime un mouvement beaucoup plus profond. Et je rappelle que douze pays européens l’ont signée !

Je souhaite donc que vous vouliez bien exposer la position du Gouvernement français de manière plus étoffée.

Puisque vous avez l’air, monsieur le ministre, de rejeter cette lettre d’un revers de la main, j’aimerais aussi savoir quels sont, selon vous, les ressorts la croissance européenne et s’il existe un plan alternatif qui ne revienne pas finalement à arroser inutilement nos déficits avec les deniers publics.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean Leonetti, ministre. Comme vous l’avez dit, monsieur Pozzo di Borgo, ce plan est d’essence extrêmement libérale.

Parmi les propositions des douze États, certaines sont positives, comme l’ouverture du capital-risque aux PME et la simplification pour celles-ci de l’accès aux marchés publics.

Figure également la possibilité d’ouvrir l’ensemble des marchés, dès lors qu’ils ne concernent pas le domaine social, le domaine culturel et les marchés publics de proximité. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)

Il va de soi que la France, pour sa part, est opposée à la dérégulation de l’ensemble des services sociaux dans nos villes et à leur ouverture à la concurrence. Nous sommes attachés à la préservation d’un service public à la française, ainsi qu’à la notion de délégation de service public, qui prévoit une négociation sur les appels d’offres.

De même, nous refusons qu’on dérégule toutes les professions sous prétexte de créer, artificiellement et de manière temporaire, des emplois, au risque de déstabiliser toute une organisation sociale.

Telles sont les raisons pour lesquelles la France n’a pas signé cet ensemble de propositions.

Je rappelle que, dans la négociation de la directive du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, nous avons obtenu des garde-fous pour conserver l’organisation de nos services publics, à laquelle je suis sûr que l’ensemble des collectivités territoriales et nos concitoyens sont attachés.

Mais il est aussi logique de chercher à identifier les facteurs susceptibles de stimuler la croissance et l’emploi. C’est ainsi que les mesures proposées pour les PME, l’apprentissage et la mobilité des jeunes me paraissent très positives pour la croissance de demain. De même, orienter l’ensemble des budgets vers l’innovation, la recherche, l’économie verte et le numérique est un facteur de croissance et d’emploi.

Il reste que ces mesures, monsieur Pozzo di Borgo, ne vont pas dans le sens que vous avez évoqué : celui de la dérégulation et de la libéralisation totale de l’ensemble des marchés. Vous comprenez bien que cette politique tue complètement l’idée française de la réciprocité puisqu’elle implique que tous les autres pays du monde puissent pénétrer le marché européen en pratiquant le dumping et sans respecter aucun critère social, écologique ou d’innovation.

Certaines des propositions faites par les douze pays sont donc bonnes. Mais il y en a d’autres auxquelles la France n’adhère pas, raison pour laquelle elle n’a pas signé la lettre ouverte.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur trois sujets.

D’abord, je souhaite connaître la position de la France au sujet de l’octroi à la Serbie du statut de candidat à l’Union européenne.

Il s’agit d’une question importante car, malgré toutes les difficultés que nous avons évoquées cet après-midi et ce soir, il y a encore des pays en Europe pour lesquels une adhésion à l’Union européenne représente une perspective de paix et de progrès. Dans une zone encore fragile, il ne faudrait surtout pas assombrir cette perspective en continuant à refuser le statut de candidat à la Serbie, dont l’intégration constituerait un facteur de progrès important.

Je rappelle que le statut de candidat n’a pas été octroyé à la Serbie lors du dernier Conseil européen, en décembre 2011. Quelle sera la position de la France sur ce sujet lors du prochain Conseil européen ?

Ma deuxième question porte sur la circulation sans visa des Russes dans l’espace Schengen.

La perspective d’une éventuelle mise en place de visas biométriques pour les Russes risque de poser de sérieux problèmes dans nos relations bilatérales. En effet, un tel système nécessiterait que les demandeurs se présentent dans les consulats, ce qui semble tout à fait impossible sur un territoire aussi vaste que celui de la Fédération de Russie.

La France adoptera-t-elle une position claire sur ce sujet ? Allons-nous pousser à la suppression des visas pour les citoyens de la Fédération de Russie ?

Enfin, monsieur le ministre, je vous pose la même question à propos de la Turquie.

La décision d’accorder aux Turcs l’autorisation de circuler sans visa dans l’espace Schengen est entièrement liée à la possibilité d’annuler l’antagonisme complet qui existe aujourd’hui entre les politiques d’immigration conduites en Turquie et dans l’Union européenne.

Il est indispensable que nous soyons capables de travailler ensemble à la mise en place d’une politique d’immigration contrôlée qui respecte les droits de l’homme. Or, pour y parvenir, il est important d’offrir à la Turquie une perspective de suppression des visas dans l’espace Schengen.

Monsieur le ministre, la position de la France sera-t-elle aussi claire au Conseil européen que lorsque M. Guéant se déplace à Ankara ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean Leonetti, ministre. Le Gouvernement l’a clairement indiqué : la Turquie n’a pas vocation à entrer dans l’Europe. Par conséquent, aucune libéralisation n’est à envisager.

M. Jean-Yves Leconte. M. Guéant a pourtant fait, à Ankara, des déclarations sur la suppression des visas pour les ressortissants turcs.

M. Jean Leonetti, ministre. Non, il n’y a pas de suppression des visas pour les ressortissants turcs. Les procédures habituelles demeurent.

Quant aux visas biométriques que vous avez évoqués à propos des ressortissants de la Fédération de Russie, une procédure d’échange est en place.

La position de la France à l’égard de la Serbie est claire : elle considère que ce pays a fourni de nombreux efforts. En effet, la Serbie a livré les responsables militaires incriminés au Tribunal pénal international. Elle a accompli d’immenses progrès en matière d’état de droit. Elle a respecté l’ensemble des minorités qui demeurent sur son territoire. Elle a également normalisé ses relations avec la Croatie. Elle a ouvert des négociations et un dialogue constructif avec le Kosovo. Les demandes formulées lors du dernier Conseil européen, à savoir l’ouverture des forums régionaux aux Kosovars, la gestion coordonnée des frontières et la levée des barricades, ont été satisfaites.

Chacun le sait, la Serbie sort d’une guerre. Je me suis moi-même rendu dans ce pays, ainsi qu’en Croatie. J’ai pu observer la volonté d’adhésion à l’Union européenne et de paix du peuple serbe. Pour autant, des mouvements eurosceptiques nationaux agressifs existent.

Si nous ne donnions jamais une réponse positive à l’entrée de la Serbie dans l’Union européenne, nous pourrions désespérer le peuple serbe et le renvoyer vers les anciens démons nationalistes qui ont dévasté les Balkans occidentaux.

La France estime que tous les pays des Balkans occidentaux ont vocation à entrer dans l’Union européenne parce que l’Europe est faiseuse de paix.

Il est légitime que la France accorde son appui à l’accession de la Serbie au statut de candidat à l’Union européenne, ce pays ayant rempli toutes les obligations demandées. Je m’y suis d’ailleurs employé ce matin, lors du Conseil Affaires générales. À l’occasion de cette réunion, seule la Roumanie a fait preuve de réticence : elle considère que la minorité valaque roumaine présente en Serbie est traitée de manière discriminatoire du point de vue linguistique et identitaire. L’unanimité n’a donc pas été obtenue ce matin.

Pour autant, le Conseil Affaires générales a envoyé un message positif, souhaitant que la Serbie franchisse la première étape. La décision est renvoyée au Conseil européen qui, j’en suis sûr, après un dialogue constructif et franc entre la Roumanie et la Serbie, devrait aboutir à l’octroi à cette dernière du statut de candidat à l’Union européenne.

Comme nous l’avons fait voilà quelque temps à l’égard de la Croatie, nous devons faire preuve d’exigence vis-à-vis de tous les pays des Balkans. Ne pas envoyer de message d’espoir constituerait uns erreur fondamentale de la part de l’Europe envers cette zone dévastée par une guerre fratricide d’une rare violence.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 1er et 2 mars prochain.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi modifiant la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération »
Discussion générale (suite)

Conseil national des communes « Compagnon de la Libération »

Suite de la discussion et adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi modifiant la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération »
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, modifiant la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération »

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le mois de février 2012 restera indiscutablement comme un moment où nous avons marqué notre volonté de léguer aux générations futures la mémoire des moments forts de notre passé, de notre Histoire.

Après avoir renforcé, au début du mois, le symbole que constitue la date du 11 novembre, aujourd’hui, par cette proposition de loi, nous voulons pérenniser l’ordre de la Libération.

Cette exceptionnelle reconnaissance nationale a été instaurée par le général de Gaulle, alors à Brazzaville, le 16 novembre 1940. Un arrêté du 1er août 1941 a fixé la place de ce nouvel ordre dans le port des décorations : il arrive immédiatement après la Légion d’honneur et avant la Médaille militaire.

Entre le 16 novembre 1940 et le 23 janvier 1946, l’ordre de la Libération a rassemblé 1 061 titulaires, dont 238 à titre posthume. Les reconnaissances individuelles ont été de très loin les plus nombreuses – on en compte 1 038 –, mais la distinction a également été accordée à dix-huit unités combattantes et cinq communes.

Parmi l’élite que constituent ces 1 038 promus, figuraient six femmes et un Français d’exception, je veux parler de Jean Moulin, désigné comme le « caporal Mercier ».

Au début de ce mois, le décès de René Gatissou a ramené à vingt-huit le nombre des survivants. Les dix-huit glorieuses unités militaires disparaissent ou se restructurent. Demain, les cinq villes que j’évoquais précédemment seront donc la colonne vertébrale de la nouvelle structure.

En examinant l’insigne, on découvre les symboles qui y sont figurés et l’on est ému par sa beauté. Il s’agit d’un écu de bronze poli rectangulaire, traversé par un glaive qui porte la croix de Lorraine. Le revers de la décoration est timbré de la devise suivante : Patriam servando victoriam tulit, autrement dit « En servant la Patrie, il a remporté la victoire ».

À la vue de cette croix de Lorraine, on ne peut s’empêcher de penser à un grand Français, celui qui a institué l’ordre de la Libération et qui, le 15 août 1944, a adressé à la France message d’espérance par la voie des airs.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de vous rappeler un moment fort de mon enfance. Je gardais le petit troupeau familial, à côté de ma mère – j’avais sept ans et demi et c’était plutôt pour moi ma « maman » –, lorsque des escadrilles de messagers aériens lâchèrent du ciel, vers onze heures, des centaines de tracts. Cela fera soixante-huit ans le 15 août prochain et, aujourd’hui, j’ai toujours à l’esprit ce message, que je me permets de vous citer de mémoire : « Les armées des Nations unies ont débarqué dans le Midi. Leur but est de chasser l’ennemi et d’effectuer une jonction avec les forces alliées, les forces de Normandie. Les forces françaises participeront à cette opération, à côté de leurs frères d’armes, sur mer, sur terre et dans les airs. La victoire est certaine. Vive l’âme de la France et tout ce qu’elle représente. »

Depuis cette date, la France a retrouvé sa liberté. Les générations se sont succédé et, au fil des années, l’ordre s’est progressivement étiolé. Aujourd’hui, je l’ai dit, moins de trente glorieux combattants, dont certains furent des combattants de l’ombre, résistent, mais en menant un autre combat : celui de la vie.

Dans un futur indéterminé – l’homme ne choisit ni l’heure de sa naissance ni celle de sa mort –, un relais, placé sous la tutelle du garde des sceaux, sera assuré par les cinq maires en exercice des communes dont je me permets de rappeler les noms par ordre chronologique d’attribution : Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors et l’Île de Sein.

Les titulaires de la croix de la Libération ont fait magnifiquement leur devoir. Aujourd’hui, il est normal que la République fasse le sien en pérennisant leur mémoire individuelle et collective. Nous savons tous que c’est aussi cela, la mission de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du RDSE, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les dispositions techniques de la proposition de loi créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération », qui ont été parfaitement présentées par M. le rapporteur, Jacques Gautier.

Je consacrerai mon intervention à rappeler l’importance que revêt, pour nous, le devoir de mémoire, nous qui sommes les héritiers d’une génération qui a su lutter en se levant contre les actes de barbarie, les humiliations, les tortures et les souffrances pour défendre la liberté et la justice, pour libérer la France et pour rétablir la République assassinée un triste jour du mois de juillet 1940 à Vichy.

Nous avons aussi le devoir de transmettre cette mémoire aux jeunes générations, pour que l’humanité ne connaisse plus jamais cela, comme le confiaient les déportés à leur retour des camps.

L’ordre de la Libération a été créé le 16 novembre 1940 à Brazzaville par le général de Gaulle, et la croix de la Libération n’a été attribuée qu’à 1 038 personnes, 18 unités combattantes et 5 villes, Nantes, Paris, Grenoble, Vassieux-en-Vercors et l’île de Sein. Cette médaille n’a plus été décernée depuis 1946, exception faite, à titre exceptionnel, en 1958, à Winston Churchill et, en 1960, au roi Georges VI. Cette limitation dans le temps lui donne encore plus de valeur.

Deuxième ordre en dignité après la Légion d’honneur, créé par le général de Gaulle qui ne pouvait alors décerner cette haute distinction, l’ordre de la Libération est une décoration particulièrement éminente. La valeur de cette croix se trouve parfaitement résumée dans sa devise : « Patriam servando victoriam tulit », autrement dit « En servant la Patrie, il a remporté la Victoire ». Et il ne s’agit pas de n’importe quelle victoire : il s’agit de celle sur la barbarie nazie !

À cet égard, n’oublions pas les propos que tenait le général de Gaulle en remettant la croix : « Nous vous reconnaissons comme notre Compagnon pour la libération de la France dans l’honneur et par la victoire. »

L’ordre de la Libération est indispensable. Il répond à une circonstance historique particulière, à savoir la Seconde Guerre mondiale, si dramatique pour les pays protagonistes. Certes, la croix de la Libération n’est pas la seule décoration spécifique à ce conflit ; je pense notamment à la médaille de la Résistance ou aux médailles de la déportation. Mais à la différence des autres, il s’agit, je le répète, d’un ordre national, et le deuxième en dignité.

De plus, parmi les autres décorations spécifiquement liées à la Seconde Guerre mondiale, l’ordre de la Libération combine plusieurs critères de mérite, dont le premier est le choix précoce de l’engagement pour libérer la France et retrouver la liberté.

L’Ordre matérialise encore aujourd'hui par l’intermédiaire de ses membres, et demain au travers des villes « Compagnon de la Libération », l’esprit de résistance. Et c’est dans cet esprit qu’il continuera à transmettre l’idée que le courage de quelques-uns peut avoir raison de l’abattement du plus grand nombre, que la voie périlleuse de l’exil peut être le chemin le plus sûr vers le rétablissement de la souveraineté nationale, que l’opprobre des procès truqués intentés par ceux qui se couchaient contre ceux qui se levaient honore les condamnés de Riom. Il glorifie également ceux qui, au plus fort des combats engagés par la Résistance, dans les maquis, au sein des Forces françaises libres et des Forces françaises de l’intérieur, pensèrent et créèrent le programme du Conseil national de la Résistance, plus que jamais d’actualité aujourd'hui.

L’ordre de la Libération honore en fait des femmes et des hommes d’exception, qui surent se lever pour vivre et résister.

Le combat contre l’idéologie nazie fut avant tout celui de la restauration de la République et de l’indépendance nationale. S’engager dans la Résistance revenait aussi à affirmer qu’il n’y a pas de peuple libre dans une nation asservie.

Forces françaises de l’intérieur ou Forces françaises libres, ouvriers et paysans saboteurs, engagés des maquis ou des corps francs, riches ou pauvres, ceux qui y croyaient ou ceux qui n’y croyaient pas, ils étaient tous unis par la même prise de conscience et le même courage autour du message de la première strophe du Chant des partisans :

« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?

« Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ?

« Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme.

« Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes. »

L’ordre national des Compagnons de la Libération représente, et incarne même, la France dans sa diversité, sa générosité et sa grandeur, mais aussi dans son amour pour la liberté, l’égalité et la fraternité.

Sur les 1 036 Compagnons, 271 ont été décorés à titre posthume ; 65 ont été tués avant le 8 mai 1945 et seulement 700 étaient encore en vie le jour de la capitulation nazie, le 8 mai 1945. Un fait est remarquable : 44 étrangers de 18 nationalités ont été faits Compagnons. Le temps faisant inexorablement son œuvre, il ne reste aujourd'hui que 28 Compagnons de la Libération. Bientôt – trop tôt ! –, ils auront tous disparu. Seules les cinq communes resteront, et elles auront, grâce à l’instauration du Conseil national des communes « Compagnon de la Libération », un rôle essentiel à jouer pour assurer la pérennité de l’Ordre.

Rendons hommage à ces cinq villes et à leurs populations qui se sont illustrées dans l’action et le combat pour la victoire de la liberté sur la tyrannie, de la justice sur le totalitarisme, de la démocratie sur la dictature.

Soyons fiers de ceux qui, par leur engagement, allant parfois jusqu’au sacrifice suprême, nous ont légué ce message de dignité, de volonté et de courage.

Cette fierté nous impose un devoir de fidélité pour que la Résistance continue à vivre dans notre mémoire, particulièrement dans celle de nos concitoyens les plus jeunes, et pour que perdure le message de l’espoir et de l’honneur.

Soyons fiers et dignes de nos résistants et du sens de l’honneur et du sacrifice dont ils ont fait preuve dans les moments les plus sombres qu’a connus notre pays. Il nous faut perpétuer leur mémoire, et nous le ferons grâce aux cinq communes « Compagnon de la Libération ».

Nantes fut la première ville distinguée par le général de Gaulle pour son magnifique exemple de courage et de fidélité aux valeurs de la République.

Vint ensuite Paris, martyrisée, mais qui s’est elle-même libérée avant l’arrivée des blindés de la 2° DB du général Leclerc ; puis Vassieux-en-Vercors, symbole et martyr de la République libre du Vercors.

Quant à l’île de Sein, elle donna un formidable signal à l’ensemble de la France en envoyant, dès le premier jour, tous ses pêcheurs s’engager dans les forces de la France libre et rejoindre le général de Gaulle à Londres. En 1940, ceux-ci composaient le quart des effectifs de ces forces.

Enfin, à Grenoble, lors de la manifestation patriotique du 11 novembre 1943, la population affirma son refus de l’occupation, sa foi dans la victoire et sa volonté farouche d’y prendre une part active, au prix de centaines d’arrestations et de déportations.

Dans l’esprit du « pacte d’amitié » signé en 1981, ces villes sauront, je n’en doute pas, assumer, dans le cadre du futur Conseil national des communes « Compagnon de la libération », le souvenir et la pérennité de l’Ordre après la disparition des derniers Compagnons.

Naturellement, vous l’avez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste votera cette proposition de loi. Ainsi, nous perpétuerons la flamme et les valeurs de la Résistance et des résistants. Nous devons, aujourd'hui, par notre vote, que je souhaite unanime, rendre hommage à ceux qui ont su, par leur souffrance et leur sacrifice, rendre honneur et grandeur à la France, fidèle à ses idéaux républicains et à sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Rappelons-nous toujours le message des résistants : vive la République, vive la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et de l’UCR. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.