MM. Jean-Patrick Courtois et Michel Mercier. Très bien !

M. Manuel Valls, ministre. Le dispositif français de prévention et de répression du terrorisme est le fruit d’une expérience de vingt-cinq ans. Dès 1986, la pratique administrative, la loi et la jurisprudence ont forgé des instruments performants. La France s’est dotée d’un dispositif judiciaire spécifique, à forte composante préventive, dont le pivot est la répression de l’association de malfaiteurs à caractère terroriste. Ce dispositif maintient le juge au cœur de la lutte antiterroriste, tout en instaurant un équilibre entre l’efficacité de la lutte contre ce phénomène et les libertés publiques. La France l’a progressivement fait évoluer en l’adaptant sans cesse à l’émergence de nouvelles menaces. Aujourd’hui, il faut donc à la fois préserver cet acquis et consolider son efficacité d’ensemble.

C’est l’esprit qui a présidé à l’élaboration du présent projet de loi. Nous avons pris le temps de la réflexion, de la concertation. Nous avons tiré les conclusions du passé, étudié les retours d’expérience. Nous avons aussi analysé les différentes propositions qui avaient pu être faites, sans esprit partisan, car il ne peut y avoir d’esprit partisan quand il s’agit de lutter contre le terrorisme.

Ce travail, je l’ai mené en étroite coopération avec la garde des sceaux. Je suis convaincu que la lutte contre le terrorisme, comme la lutte contre la délinquance, ne peut être efficace que si elle associe pleinement les ministères de la justice et de l’intérieur.

Cette complémentarité entre les services de renseignement, la police et les juridictions spécialisées en matière de terrorisme est l’une des forces du modèle français. Nous devons tous préserver cette dynamique.

C’est pourquoi, avec Christiane Taubira, nous avons réuni des représentants de la direction centrale du renseignement intérieur, de la police judiciaire et du parquet antiterroriste. Notre objectif était simple : favoriser l’expression commune des besoins de ceux qui font quotidiennement face au terrorisme, qui en mesurent les risques et en connaissent les évolutions.

Ce projet de loi est le fruit de ce travail commun. Nous avons retenu ce que les praticiens estimaient utile, ce dont ils ont concrètement besoin. Toute surenchère inutile a été évitée. Il ne s’agit pas non plus d’un texte de réaction. En matière de terrorisme, peut-être encore plus qu’en d’autres domaines, l’émotion est un mauvais guide pour le législateur.

Cette élaboration en partenariat avec le ministère de la justice représente également une garantie, celle d’un équilibre entre efficacité de la lutte contre le terrorisme et préservation des libertés publiques.

Face au risque terroriste, les vaines polémiques n’ont pas leur place. Je suis très heureux de présenter ce texte d’abord au Sénat, dont je connais la sagesse.

La volonté de parvenir à une réponse unique a guidé l’élaboration du projet de loi. J’espère vivement qu’elle guidera également son examen. À ce stade, monsieur le rapporteur, cher Jacques Mézard, je ne peux que saluer le travail très constructif que vous avez mené. La lecture des débats qui ont eu lieu mercredi dernier me laisse à penser, cher Jean-Pierre Sueur, que l’esprit qui anime la commission des lois sur ce thème est le même que le mien : celui de l’unité républicaine.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

M. Manuel Valls, ministre. Nous souhaitons que ce projet de loi soit un texte de mobilisation : mobilisation de la représentation nationale, bien évidemment, mais surtout mobilisation de toute la société française contre ceux qui cherchent ou chercheraient à lui imposer une volonté qui n’est pas la sienne et qui ne sera jamais la sienne.

Ce projet de loi se veut pragmatique. Il s’appuie sur deux volets : un volet préventif, qui permettra notamment à notre système de renseignement de mieux détecter, identifier, appréhender la menace ; un volet répressif, qui permettra de sanctionner plus efficacement les activités terroristes.

Le volet préventif, contenu dans l’article 1er, consiste en la prorogation des dispositions temporaires de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, dispositions qui, au fil du temps, ont fait la preuve de leur utilité pour les services spécialisés et les magistrats chargés de l’antiterrorisme.

Les contrôles d’identité préventifs dans des gares routières ou ferroviaires et sur des portions de ligne, notamment dans les trains à grande vitesse transfrontaliers, doivent être favorisés.

Les dispositions permettant de ne pas enfermer l’action de contrôle des services de police dans un délai trop court sont source d’efficacité opérationnelle ; elles doivent donc être maintenues. Elles ont notamment permis l’augmentation, je veux le souligner, du nombre de patrouilles mixtes à bord des trains internationaux sur les liaisons ferroviaires avec l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la Suisse et l’Italie. Cela a représenté une avancée très positive, car certaines lignes ferroviaires, par leur caractère symbolique, ont pu constituer ou constituent des cibles d’action pour certains réseaux terroristes.

L’accès préventif des services de renseignement aux données techniques recueillies dans les communications électroniques ou lors de la consultation de sites internet est un autre outil fondamental. Il permet notamment de vérifier ou de recouper de manière continue, y compris dans l’urgence, les informations recueillies à titre préventif. C’est au demeurant ce qui constitue le lot quotidien dans toute activité de renseignement. Ainsi sont accumulés et étayés, ou au contraire écartés, les soupçons portant sur des personnes ou des réseaux potentiellement dangereux.

Cette activité s’effectue sous le contrôle préalable d’une personnalité qualifiée directement subordonnée à une autorité administrative indépendante. Notre modèle garantit la fluidité et la judiciarisation des informations accumulées dès que les faits détectés justifient l’ouverture d’un cadre d’enquête.

L’analyse des données de connexion a ainsi permis, au cours des derniers mois, d’identifier les administrateurs d’un site islamiste dont l’objectif était notamment le recrutement de candidats au djihad. Sur la base des informations recueillies, une procédure judiciaire a pu être ouverte, et le principal administrateur du site a été arrêté et écroué.

Internet, les réseaux sociaux et Twitter sont devenus des lieux de propagation de la haine, des lieux où les propos les plus odieux se diffusent et où les projets les plus ignobles peuvent se préparer. Dans ce domaine, il nous faut être particulièrement mobilisés et savoir apporter les réponses, précises et solides sur le plan juridique, qui conviennent.

Le Gouvernement propose de proroger une dernière fois les dispositions de l’article 6 de la loi du 23 janvier 2006. Je sais que c’est un point auquel vous êtes attentifs. Ce sera la dernière fois, car il me semble désormais opportun de mettre à profit ce nouveau délai pour repenser – le Parlement sera évidemment étroitement associé à la réflexion – l’articulation de ces dispositions avec celles de la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques et faire converger les unes et les autres. Plusieurs amendements ont été déposés à cet effet.

Cette évolution s’inscrira également à la suite du Livre blanc. Celui-ci définira les priorités stratégiques et opérationnelles propres à assurer la sécurité des Français. C’est dans ce cadre renouvelé qu’il faut mener une réflexion sereine et approfondie.

L’accès à certains traitements automatisés administratifs – cartes nationales d’identité, passeports ou encore permis de conduire – permet aux services spécialisés de procéder à de multiples vérifications et de contrôler, par exemple, si un titre d’identité saisi est vrai ou faux. Il permet également, dans une démarche d’anticipation, de suivre les déplacements internationaux de personnes, notamment ceux d’individus suspectés d’islamisme radical. D’une manière plus générale, ces consultations de fichiers participent de l’activité permanente de documentation des services habilités.

Pour être efficace, notre droit doit être clair. C’est pourquoi j’avais proposé la ratification qui aurait permis que le code de la sécurité intérieure acquière valeur législative. La commission des lois du Sénat a estimé qu’elle avait besoin de davantage de temps pour examiner ce code. Je l’entends parfaitement. Le code de la sécurité intérieure fera toutefois l’objet d’un amendement à l’Assemblée nationale.

Le volet préventif vise donc à renforcer, dans la continuité, l’efficacité de la lutte antiterroriste. Il est complété d’un volet répressif.

La législation française en matière de lutte contre le terrorisme est particulièrement complète. Elle comporte toutefois une insuffisance à laquelle seule la loi peut remédier. Il s’agit de poursuivre et de condamner les personnes qui participent à l’étranger à un acte terroriste ou à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste mais qui n’ont commis aucun acte délictueux en France.

Concrètement, cette évolution permettra de poursuivre pénalement – et nous en avons vu toute la nécessité – les ressortissants français qui se rendraient à l’étranger pour y suivre des travaux d’endoctrinement ou pour intégrer des camps d’entraînement. Ces ressortissants français pourront être poursuivis, j’y insiste, alors même qu’ils n’auront pas encore commis d’actes répréhensibles sur le territoire français. C’est une avancée importante, sinon décisive. La neutralisation judiciaire des djihadistes revenant ou tentant de revenir sur notre sol est en effet, j’en suis convaincu, un impératif. Il y a une continuité territoriale de la menace ; il faut donc une continuité territoriale des poursuites.

En matière de répression, ce projet de loi prévoit enfin, à son article 3, d’améliorer nos procédures d’expulsion visant les ressortissants étrangers tenant des discours radicaux ou soutenant le terrorisme. Je veux le répéter pour que les choses soient claires : ceux qui se trouvent sur le territoire de la République avec l’intention de lui nuire doivent être expulsés sans ménagements.

La menace est là. Elle est diverse. Nous devons, comme chaque fois par le passé, la regarder en face, lucidement, avec détermination, sans jamais céder à la crainte : il n’y a pas de raisons de le faire. Les différents gouvernements et les différentes majorités qui ont été confrontés au terrorisme ont agi avec la même détermination. Les Françaises et les Français doivent savoir que tout est mis en œuvre pour garantir leur sécurité. Elle est, naturellement, la priorité du Président de la République et celle du Gouvernement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en vous présentant, aujourd’hui, ce projet de loi, je vous invite à donner à la France, à la République, une entière capacité d’action. Elle est nécessaire pour la défense de ce qu’est notre pays, pour la défense des fondements mêmes de ce que nous sommes, pour la défense, tout simplement, de la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le ministre, vous avez employé les mots qui conviennent, dans un discours marquant une véritable volonté politique quand la République est menacée, comme elle l’est dans la période actuelle.

Les méthodes du terrorisme évoluent, pas son fondement, contraire à ce qui fait l’essence de l’humanité. Le terrorisme est de toutes les époques. Il renaît constamment de l’expression du fanatisme, monstre issu de tous les obscurantismes et croissant au gré des misères des peuples.

Chaque renaissance du terrorisme est vécue comme la survenance d’un mal nouveau. En réalité, les peuples ont peu de mémoire. Qui se souvient aujourd’hui des attentats anarchistes de la fin du xixsiècle ? Qui se souvient que la iiie République a perdu deux de ses Présidents, Sadi Carnot et Paul Doumer ? Il n’est de régime auquel le terrorisme ne s’est attaqué, et il en est ainsi depuis la période historique.

La violence est rarement légitime, et nombre de justes causes l’emportèrent sans y recourir – Gandhi en donna l’exemple –, mais elle est encore plus illégitime lorsqu’elle s’en prend à des régimes fondés sur la volonté du peuple et la démocratie.

Revendications territoriales, revendications sociales ou, plus fréquemment, fanatismes religieux, dans tous les cas, le terrorisme s’en prend au fondement même de nos sociétés démocratiques. Qu’il s’agisse d’actions de fondamentalistes religieux ou de l’ETA, ou encore d’assassinats en Corse – tel celui du préfet Érignac, l’actualité démontrant que ces actes ignobles ont toujours cours –, le processus est similaire.

Nous devons combattre ce fléau en n’oubliant pas que, au-delà des actes abjects visant des personnalités, ce sont plus souvent des citoyens anonymes qui tombent, victimes de cette barbarie.

Les moyens utilisés par les terroristes évoluent avec la société ; aujourd’hui, l’utilisation de nouveaux moyens de communication, de déplacement, a changé la donne. Nos sociétés doivent adopter des moyens de lutte adéquats. La menace, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, ne vient pas seulement de l’extérieur, elle a aussi gangrené l’intérieur.

Quels sont les objectifs d’une politique antiterroriste dans un pays démocratique ?

Il s’agit de donner les moyens humains, matériels et législatifs aux services compétents et aux magistrats pour prévenir le terrorisme et le réprimer.

Il s’agit d’appliquer la loi de la République sans aucune faiblesse, en faisant usage de la force si nécessaire : aucune concession, aucun laxisme.

Il s’agit aussi, parce que la France est une belle démocratie, de respecter les principes fondamentaux de notre droit et les libertés fondamentales de nos concitoyens.

Cet équilibre peut et doit faire l’objet du plus large consensus, c’est l’intérêt national : vous nous y avez appelés, monsieur le ministre. Je ne suis pas choqué, à cet égard, que l’exposé des motifs du présent texte reprenne littéralement certains éléments du projet de loi déposé en avril dernier par Michel Mercier, alors garde des sceaux. Il est des constats dont la pertinence perdure quels que soient les changements de majorité.

Cela étant dit, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui présente des différences notables avec le texte précédent.

Il vient en urgence, pour une raison évidente qui ne saurait échapper à personne : ce projet de loi inclut la question de la prorogation des dispositions temporaires instituées par la loi du 23 janvier 2006, dispositions expirant le 31 décembre 2012 et considérées comme indispensables par les services compétents, qu’elles soient prorogées ou pérennisées.

Il fallait que la procédure législative soit respectée, Mme Troendle y tenait à juste titre ; voilà qui est fait.

Le texte du gouvernement précédent n’incluait pas la question de la prorogation des dispositions de la loi de 2006, et si la droite était restée aux commandes de l’exécutif, il eût fallu de toute façon présenter un nouveau texte en urgence.

Autre différence notable, le texte précédent créait en droit pénal quatre nouvelles incriminations, ce qui pouvait d'ailleurs expliquer qu’il soit porté par le ministre de la justice, alors que le texte qui nous est soumis procède de M. le ministre de l’intérieur.

M. Michel Mercier. Mme la ministre de la justice vous saura certainement gré de ces propos !

M. Jacques Mézard, rapporteur. Monsieur le ministre, au travers de ce texte, vous avez manifestement visé un objectif principal : donner les moyens nécessaires aux professionnels chargés de la lutte contre le terrorisme, en évitant de créer, d’accumuler de nouveaux textes pénaux dont l’utilité n’aurait pas été démontrée. Nous ne pouvons que partager avec conviction ce choix, ayant toujours considéré que l’accumulation de nouvelles lois pénales, à chaque vague médiatique, ne relevait pas d’une approche raisonnée de la construction de notre édifice juridique. Nous nous félicitons de cette nouvelle approche, qui correspond à la position que nous avons toujours soutenue.

Que nous ont dit les professionnels chargés de la lutte contre le terrorisme ? Je résumerai ainsi leurs propos : en l’état, l’arsenal législatif dont ils disposent est relativement complet, mais subsiste une lacune concernant la difficulté à poursuivre devant les juridictions pénales françaises les Français ayant commis à l’étranger un délit en lien avec le terrorisme, par exemple la participation à des camps d’entraînement terroriste.

Le projet de loi, par son article 2, va combler cette lacune sans créer une nouvelle incrimination, par extension du texte relatif à l’association de malfaiteurs.

Les mêmes professionnels ont exprimé clairement que les dispositions des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 leur étaient très utiles, la loi du 10 juillet 1991, en l’état, ne permettant pas de couvrir toutes les questions.

À ce stade, il convient de rappeler les grands traits de notre dispositif antiterroriste, qui est, selon les praticiens que nous avons entendus, relativement bien construit et efficace.

D’un point de vue organisationnel, bien qu’en principe les juridictions locales et le tribunal de grande instance de Paris disposent d’une compétence concurrente dans ce domaine, la poursuite des actes terroristes est, en pratique – mais pas de droit –, centralisée au niveau de la juridiction parisienne. Celle-ci comprend en effet un pôle antiterroriste au sein du parquet et au sein du siège, regroupant des juges spécialisés ; nous avons entendu M. Christen pour le parquet et M. Trévidic pour les juges d’instruction. Par ailleurs, le jugement des crimes terroristes relève d’une cour d’assises spécialisée.

Du point de vue de la loi pénale, le terrorisme est défini par la combinaison d’un crime ou d’un délit de droit commun et d’une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Surtout, l’efficacité du dispositif repose sur l’infraction d’association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes, entrée en vigueur après la promulgation de la loi du 22 juillet 1996. Cette infraction permet en effet de poursuivre facilement des personnes dès l’instant qu’elles ont accompli des actes les associant à d’autres en vue de la préparation d’actes de terrorisme.

Enfin, le dispositif antiterroriste repose sur des instruments spéciaux dont disposent les services enquêteurs, c’est-à-dire, en particulier, la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire, la SDAT, l’unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT, et la direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI, sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou, dans certains cas, en amont de l’intervention de celle-ci.

Il s’agit notamment de la possibilité de réaliser des saisies et des perquisitions, de « sonoriser » et de filmer des véhicules et des lieux, de capter des données informatiques.

En amont de la phase judiciaire, les services, essentiellement la DCRI, disposent des outils dont les a dotés la loi du 23 janvier 2006. Ce sont précisément ces outils dont l’article 1er du projet de loi prévoit de proroger l’existence jusqu’au 1er janvier 2015, alors que, sans cette prorogation, ils deviendront caducs à la fin de l’année.

Le premier outil, c’est la possibilité de demander aux opérateurs de communications électroniques et aux fournisseurs d’accès internet les données de connexion des utilisateurs. Ces demandes concernent en particulier les fameuses « fadettes », c’est-à-dire les factures détaillées des abonnés. Il peut aussi s’agir d’une demande de géolocalisation d’une personne. Ces données de connexion constituent aujourd’hui un des principaux outils dont se servent les services enquêteurs pour comprendre le fonctionnement des cellules ou réseaux soupçonnés de préparer des actes terroristes.

Le deuxième instrument, dont vous avez rappelé l’utilité, monsieur le ministre, ce sont les contrôles d’identité dans les trains internationaux.

Enfin, les services de renseignement ont accès à des fichiers administratifs afin de déterminer l’identité complète d’une personne, de vérifier une identité ou encore de retrouver la trace de personnes surveillées parties à l’étranger et qui demandent un passeport.

Ces dispositifs sont étroitement encadrés, chaque utilisateur devant être habilité. S’il y a eu des dérives, y compris du côté de la justice, elles ont été assez peu fréquentes, d’après les acteurs que nous avons entendus, et ne sont pas imputables au cadre législatif. Ces dérives concernent des cas où certains services semblent s’être affranchis de ce cadre légal, comme nous avons pu le voir dans certaines affaires récentes.

Je vous propose donc, mes chers collègues, d’accepter cette prorogation de trois ans, qui me paraît plus pertinente qu’une pérennisation, laquelle nécessite un bilan et vraisemblablement une refonte avec les dispositions de la loi du 10 juillet 1991, qu’il faudra entreprendre un jour.

Par ailleurs, l’article 2 vise à compléter le code pénal afin de prévoir l’application de la loi pénale française aux crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme commis par un Français hors du territoire de la République.

Aujourd'hui, en effet, l’arsenal législatif laisse subsister une lacune : l’impossibilité de poursuivre et de condamner un Français qui, sans commettre aucun délit sur le territoire national, participe à l’étranger à une infraction à caractère terroriste.

Cette difficulté résulte des règles gouvernant l’application de la loi pénale française dans l’espace. Celle-ci n’est en effet applicable à une infraction commise à l’étranger qu’à plusieurs conditions cumulatives.

D’abord, qu’il s’agisse d’un crime ou d’un délit, la compétence de la loi pénale française est subordonnée à deux conditions : l’auteur de l’infraction doit posséder la nationalité française le jour du déclenchement des poursuites ; en vertu de la règle non bis in idem, aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu’elle a été jugée définitivement à l’étranger pour les mêmes faits.

Ensuite, s’agissant des délits, deux conditions supplémentaires sont requises : les faits doivent être punis par la législation du pays où ils ont été commis ; la poursuite ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public et doit être précédée d’une plainte de la victime ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis.

Si ces conditions n’interdisent pas d’engager des poursuites à l’encontre de l’un de nos ressortissants, elles peuvent en revanche compliquer l’ouverture d’une procédure concernant un Français soupçonné d’un délit commis hors du territoire national. En effet, il est très improbable que les pays qui tolèrent des camps d’entraînement sur leur territoire répondent à l’exigence de réciprocité d’incrimination et procèdent à une dénonciation officielle.

Certes, la qualification d’association de malfaiteurs permet de couvrir des actes commis à l’étranger dès lors qu’ils sont connexes à d’autres faits en relation avec une entreprise terroriste commis en France. Les uns comme les autres forment, selon notre jurisprudence, un tout indissociable.

Cependant, il peut arriver qu’aucun acte préparatoire n’ait été commis en France, soit que l’auteur ait quitté depuis longtemps le territoire national, soit qu’il se soit rendu à l’étranger pour des motifs qu’il n’est pas facile de mettre en relation avec une entreprise terroriste, des motifs familiaux par exemple. L’évolution des modes opératoires en matière de terrorisme rend ces situations de plus en plus fréquentes.

La disposition présentée à l’article 2 permet d’écarter non seulement – comme tel est déjà le cas pour les crimes –l’exigence de réciprocité d’incrimination, de dépôt d’une plainte ou de dénonciation, mais aussi la condition relative à l’absence de condamnation pour les mêmes faits en vertu du principe non bis in idem. Seule demeure la condition de nationalité française du mis en cause.

Cette évolution est cohérente avec la compétence déjà reconnue par l’article 113-10 du code pénal, sans mention d’aucune exception à la loi pénale française. L’infraction commise à l’étranger susceptible de compromettre gravement notre ordre public est traitée de la même manière qu’une infraction commise en France.

La mesure couvre un champ plus large que celle qui avait été envisagée dans le projet de loi présenté en mai 2012, qui, d’une part, ne concernait que la participation à l’étranger à l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, et, d’autre part, prévoyait de ne déroger qu’à la condition de réciprocité d’incrimination et à celle liée à la dénonciation officielle par l’autorité du pays où l’acte a été commis.

En revanche, contrairement au projet de loi du précédent gouvernement, cette mesure ne vise que les ressortissants français, et non les personnes résidant habituellement sur le territoire français. Après la réunion de la commission de ce matin, je pense que nous pourrons trouver une formule qui contentera tout le monde sur ce point.

Aussi le projet de loi n’a-t-il pas, à ce stade, retenu les nouvelles incriminations spécifiques présentées dans le projet de loi déposé en mai dernier, dans des conditions d’urgence telles que le recul manquait sans doute pour procéder à une évaluation approfondie du droit en vigueur.

Si le cadre juridique actuel est très complet, il peut néanmoins être appelé à évoluer, dans le respect des principes et libertés constitutionnellement garantis, afin de répondre à une menace dont les formes sont à la fois multiples et mouvantes.

L’efficacité de la lutte contre le terrorisme dépend aussi pour beaucoup des pratiques de ses acteurs. Les affaires récentes, notamment celle qui, au printemps dernier, a profondément ému nos concitoyens, montrent que l’enjeu porte principalement sur le moment où les magistrats sont saisis par les services de renseignement d’une affaire. Cette judiciarisation ne doit intervenir ni trop tôt, afin que les éléments recueillis par les services de renseignements soient suffisamment établis pour constituer l’infraction, ni trop tard, afin que l’attentat puisse être empêché.

À cet égard, la faculté de poursuivre plus facilement les infractions commises à l’étranger ne doit empêcher ni de remonter les filières ni de collecter les informations nécessaires sur les intéressés. En tout état de cause, l’extension de compétence de la loi pénale prévue par le nouvel article 113-13 du code pénal n’exonèrera pas les services spécialisés de réunir les preuves du comportement délictueux à l’étranger.

L’article 3 du projet de loi initial visait à encadrer le délai dont dispose la commission départementale d’expulsion pour se prononcer. Vous avez d’ailleurs eu raison de dire, monsieur le ministre, qu’il y a des cas où la République doit expulser sans faiblesse.

Cette commission doit donner son avis, qui n’est pas un avis conforme. Or, actuellement, lorsqu’il y a un renvoi de séance à la demande de l’étranger, la commission se prononce très largement après le délai d’un mois qui lui est pourtant imposé. Le Gouvernement proposait donc de prévoir dans la loi qu’un décret fixe le délai au-delà duquel l’avis sera réputé rendu.

Nous avons considéré qu’il s’agissait là d’une atteinte, certes justifiée par la sauvegarde de l’ordre public, à la liberté individuelle et que la fixation de ce délai relevait plutôt du législateur. La commission des lois a donc adopté un amendement tendant à inscrire dans la loi le délai d’un mois et à prévoir, en outre, un délai supplémentaire d’un mois lorsque l’étranger a demandé le renvoi pour un motif légitime.

Monsieur le ministre, vous avez bien voulu convenir que notre demande de suppression de l’article 5 était fondée. Dont acte ! Cette suppression était, à mon sens, tout à fait logique, compte tenu du délai très court dont nous disposions.

Quant à l’article 6, il tend à autoriser le Gouvernement à prendre une ordonnance pour inclure dans le code de la sécurité intérieure les dispositions de la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif. Cette loi doit en effet modifier à compter du 6 septembre 2013, certains articles du code de la défense, dont une partie a été transférée depuis le 1er mai 2012 au code de la sécurité intérieure. Là aussi, le délai très bref entre la promulgation de la loi relative au contrôle des armes et celle de l’ordonnance n’avait pas permis d’intégrer les dispositions de cette loi dans le nouveau code.

L’article 6 tend en outre à habiliter le Gouvernement à opérer l’extension du code de la sécurité intérieure à la Polynésie française et aux autres collectivités d’outre-mer.

Compte tenu de la suppression de l’article 5, le Parlement pourra ainsi ratifier l’ensemble du code de la sécurité intérieure et ses adaptations ou extensions à l’outre-mer lorsqu’il examinera le futur projet de loi de ratification.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a voté à une large majorité le texte qui nous est soumis.

Nos concitoyens sont inquiets, et c’est logique, des menaces terroristes. En effet, les esprits ont été marqués par l’affaire Merah, et le terrorisme frappe aveuglément.

Les récentes arrestations ont fait la preuve de la vigilance et de la compétence des services en charge des missions de sécurité, ainsi que de leur courage, qui va parfois jusqu’à l’abnégation. En la matière, vous avez aussi su faire le ménage là où c’était nécessaire.

Il faut une forte volonté politique. L’État doit agir. L’État doit rassurer. L’État doit être respecté. Cette volonté politique, vous l’avez, monsieur le ministre. Vous le démontrez chaque jour, et les Français y sont sensibles. Préserver la sécurité de nos concitoyens en même temps que sauvegarder les libertés publiques, c’est le fondement même de la République que nous aimons.

Ce faisant, vous vous inscrivez dans le droit fil d’un autre ministre de l’intérieur, Georges Clemenceau, qui sut toujours, dans les pires épreuves, affirmer la puissance de l’exécutif dans le respect des libertés. Vous ne serez donc pas étonné que je conclue par une phrase qu’il prononça ici même, dans cet hémicycle, au cœur de la tourmente : « Il faut que l’éducation des hommes se fasse, elle n’est possible que par la pratique. Nous avons le devoir de leur assurer la liberté contre les envahissements du pouvoir mais aussi contre ceux de l’anarchie ». Aussi, j’invite le Sénat à voter le texte de la commission. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)