M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur ancien, monsieur le rapporteur nouveau (Sourires.),…

MM. Jacques Mézard et Robert Tropeano. Très bien !

M. Jean-Claude Requier. … monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, nul ne peut contester que la préparation de la transition énergétique doit être une priorité et qu’il convient d’anticiper le nouveau modèle énergétique français. C’est la raison pour laquelle il est difficile de ne pas partager les objectifs de la présente proposition de loi, texte voté – il faut le dire – péniblement, nuitamment et dans la douleur par nos collègues députés.

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Jean-Claude Requier. Car, mes chers collègues, ce texte part d’un bon sentiment et d’une idée séduisante :…

MM. Jacques Mézard et Robert Tropeano. Oui !

M. Jean-Claude Requier. … inciter nos concitoyens à réaliser des économies d’énergie et à participer ainsi activement à la protection de l’environnement par l’adoption d’un comportement sobre et respectueux de nos ressources.

En proposant ainsi d’instaurer un système de bonus-malus sur l’électricité, le gaz et la chaleur, de permettre d’appliquer un prix au kilowattheure plus élevé selon que l’on consomme plus, et un prix au kilowattheure plus bas lorsque la consommation se limite aux besoins essentiels d’un ménage, ce texte vise à récompenser les bons comportements et à pénaliser le gaspillage. Jusque-là, nous sommes d’accord et nous partageons l’objectif.

M. Ronan Dantec. Tout à fait !

MM. Jacques Mézard et Robert Tropeano. Très bien !

M. Jean-Claude Requier. Trois tranches sont alors prévues correspondant, premièrement, aux besoins essentiels, deuxièmement, à un dépassement limité de ces besoins et, troisièmement, à un niveau de « gaspillage ».

Les économies d’énergie sont indispensables si l’on veut diversifier le bouquet énergétique français, assurer la sécurité des réseaux électriques et garantir l’indépendance énergétique de la France, ce qui doit être notre priorité. Or cette indépendance passe aujourd’hui, et pour encore longtemps, par la production nucléaire d’une grande partie de notre électricité.

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Jean-Claude Requier. Dans le même temps, les économies d’énergie doivent être une priorité, surtout si l’on décide de réduire la part du nucléaire dans le bouquet électrique français et de clore – sans débat – le dossier sur les gaz de schiste, comme le Gouvernement l’a affirmé, un peu vite selon nous, lors de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre.

Cependant, si le principe du bonus-malus est simple en théorie, il est particulièrement complexe à mettre en œuvre. Et c’est là que les difficultés commencent et que, partis d’une belle idée, on se retrouve avec un meccano compliqué, que d’autres ont qualifié à juste titre d’« usine à gaz » ! L’enfer, dit le dicton, est souvent pavé de bonnes intentions !

M. Jean-Claude Requier. Mes chers collègues, essayons d’y voir un peu plus clair (Sourires.) : chaque ménage se verrait attribuer un volume de base calculé à partir d’un volume de référence correspondant aux besoins essentiels d’un ménage, modulé en fonction du nombre de membres du foyer, de la localisation géographique du logement et du mode de chauffage. (Nouveaux sourires.)

M. Yves Détraigne. Et de l’âge du capitaine !

M. Jean-Claude Requier. Afin de ne pas pénaliser certains utilisateurs, il est prévu un renvoi au pouvoir réglementaire pour fixer les équipements concernés, comme les appareils respiratoires ou l’utilisation d’une voiture électrique. Les utilisateurs feront l’objet d’une majoration de leur volume de base. Il en est de même pour les personnes âgées, plus frileuses et plus consommatrices de calories. (Rires.)

En ce qui concerne le chauffage ou l’eau chaude pour les immeubles collectifs, les volumes de base seront modulés en fonction de la surface du logement, de sa localisation géographique, de son mode de chauffage et de production d’eau chaude sanitaire. Le bonus-malus peut alors se révéler inéquitable, car la répartition des charges dans un immeuble est loin d’être facile.

Ainsi, le texte tente d’apporter une réponse à toutes les situations particulières pour que les ménages ne soient pas pénalisés par une consommation dont ils ne seraient pas responsables. Toutefois, il est évident que ce texte n’embrasse pas et ne pourra jamais embrasser toutes les situations possibles, d’autant moins que les actuels diagnostics énergétiques ne sont pas fiables.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Jean-Claude Requier. Une enquête de l’UFC-Que Choisir a prouvé que, pour cinq diagnostics réalisés dans cinq maisons différentes réparties sur tout le territoire français, les estimations de consommation varient du simple au triple !

Le bonus-malus énergétique exigera donc un grand nombre de calculs tous les ans pour s’assurer que le système sera neutre, pour réaliser un équilibre entre les bonus et les malus. Des moyens humains et financiers seront indispensables pour mettre en œuvre le dispositif, notamment pour contenir une fraude assez tentante, car le fraudeur n’encourt, selon le texte, qu’une peine de 1 500 euros d’amende.

Par ailleurs, la proposition de loi opère un renvoi systématique au pouvoir réglementaire, ce qui ne permet pas de procéder à des simulations. Je serais plutôt favorable à la fixation des seuils par la loi.

Ce texte manque de lisibilité aux yeux non seulement du législateur, mais aussi et surtout aux yeux du consommateur.

MM. Jacques Mézard et Robert Tropeano. Oui !

M. Jean-Claude Requier. Si le texte venait à être adopté en l’état, il faudrait alors faire œuvre d’une grande pédagogie pour essayer de rendre simple un mécanisme bien compliqué.

Cependant, je tiens à saluer le travail remarquable de notre cher collègue et ex-rapporteur Roland Courteau, qui a porté ce texte avec beaucoup de sérieux et de réalisme.

MM. Jacques Mézard et Robert Tropeano. Très bien !

M. Jean-Claude Requier. Homme de bon sens, il a tenté de simplifier un dispositif particulièrement complexe pour ne retenir que le facteur climatique et supprimer le bonus. Cette version simplifiée n’a pourtant pas suffi à rassurer.

Si le malus énergétique est vertueux, il reste prématuré, car il ne peut être appliqué équitablement et simplement qu’à condition de procéder à la rénovation thermique massive des logements et à la généralisation des compteurs individuels.

Certains pays ont déjà appliqué la tarification progressive de l’électricité, notamment l’Italie,…

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Jean-Claude Requier. … mais, dans ce pays, les compteurs individuels sont limités en puissance et il faut dire aussi que le chauffage électrique y est peu répandu, contrairement à ce qui est constaté en France.

M. Roland Courteau. C’est vrai aussi !

M. Jean-Claude Requier. Le bonus-malus énergétique dépend avant tout d’investissements préalables. À ce titre, la France enregistre un grand retard dans la modernisation des réseaux électriques, notamment dans le développement des réseaux intelligents.

Toutefois, les membres du RDSE constatent avec regret l’échec vers lequel nous semblons nous diriger, car ce texte contient ou contenait de nombreuses mesures importantes et autant d’avancées véritables.

En effet, il aurait permis d’étendre l’éligibilité aux tarifs sociaux du gaz et de l’électricité, le nombre de foyers éligibles passant de 2 millions à 4 millions. Aujourd’hui, seuls 650 000 ménages en bénéficient de manière effective, car il n’est pas toujours sollicité.

L’automatisation de l’attribution de ces tarifs permettrait ainsi à ces foyers de sortir de la précarité énergétique.

Tout cela néanmoins a un coût…

M. Jean-Claude Requier. … et le prochain débat national sur la transition énergétique devra être l’occasion de réfléchir à la réforme de la contribution au service public de l’électricité, la fameuse CSPE, qui connaît actuellement un déficit de 4 milliards d’euros et qui pèse sur les tarifs de l’électricité.

Le volet social de ce texte a été renforcé par l’Assemblée nationale avec la consécration législative de la tarification sociale de l’eau, ce qui sécurise des pratiques qui existent déjà au niveau local. L’article 13 permet aux collectivités territoriales qui le souhaitent de moduler les tarifs selon le nombre de personnes qui composent le foyer ou selon ses revenus.

Par ailleurs, l’article 7 vise à favoriser l’effacement, c’est-à-dire l’arrêt pendant un temps donné de la consommation en électricité lorsque la demande est supérieure à l’offre. C’est la fameuse pointe de dix-neuf heures l’hiver. Il limiterait ainsi le recours à des moyens de production polluants tels que les centrales thermiques. Il s’agirait donc d’un élément essentiel de gestion de cette pointe électrique.

Enfin, des mesures sur l’éolien simplifient les démarches administratives, condition indispensable pour que les projets soient viables. Il convient également de saluer certaines dérogations apportées à la loi Littoral. Le raccordement des éoliennes offshore est ainsi facilité et le développement de l’éolien terrestre dans les départements ultramarins, favorisé.

Ces mesures sont d’autant plus urgentes que l’éolien terrestre connaît un net ralentissement et que les objectifs fixés lors du Grenelle de l’environnement sont compromis : madame la ministre, vous l’avez dit tout à l’heure, moins de 7 000 mégawatts sont actuellement raccordés, alors que l’objectif était de 19 000 mégawatts de puissance installée d’ici à 2020.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Claude Requier. Madame la ministre, mes chers collègues, le groupe du RDSE auquel j’appartiens est très attentif au développement des énergies renouvelables. Notre position est déjà connue : l’indépendance énergétique de la France est un objectif incontournable qui doit reposer sur la recherche et le développement concomitant de deux filières d’excellence : le nucléaire, d’une part, et les énergies renouvelables, d’autre part.

M. Jean-Claude Requier. Aussi, pour nous, ces énergies renouvelables supposent une stratégie nationale claire et compréhensible par tous les acteurs – à commencer par les ménages – qui rendrait confiance aux industriels et qui permettrait les investissements nécessaires pour mener une véritable politique énergétique.

C’est donc à ce consensus et à cette volonté politique commune qu’il nous faut parvenir, si nous voulons réussir tous ensemble la transition énergétique ! (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le moins que l’on puisse dire – chacun peut le constater ici ce soir –, c’est que cette discussion générale se déroule dans des conditions atypiques et presque « surréalistes »,…

M. Pierre André. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Jean-Jacques Mirassou. … pour reprendre le terme de l’un de nos collègues. C’est que plane encore et toujours sur ce texte – de plus en plus, à mesure que l’heure avance – la menace d’une motion d’irrecevabilité, qui, si elle est adoptée, risque de nous priver par la suite de tout débat et de disqualifier du même coup le travail réalisé en amont. Je pense ici aux très nombreuses auditions qui ont été menées pendant plus de quinze jours et qui ont, en toute logique, servi de support aux amendements rédigés par la suite.

Je tiens donc à ce propos, et à mon tour, à saluer la qualité du travail réalisé par notre excellent collègue Roland Courteau, qui n’a pas ménagé ses efforts et qui a mis à contribution son talent et son expérience de parlementaire – elle est grande – pour améliorer le texte issu de l’Assemblée nationale, tout simplement parce qu’au fur et à mesure des auditions nous nous sommes rendu compte que cela correspondait à une véritable nécessité.

Le but recherché était de proposer un texte, notamment en ce qui concerne le titre Ier, plus simple dans sa rédaction, et surtout moins compliqué à mettre en œuvre.

Je pense, d’ailleurs, et nous sommes un certain nombre à partager cette idée, que ce but restait à portée et je demeure persuadé que le débat en commission - s’il avait eu lieu - puis dans l’hémicycle - s’il a lieu -, pouvaient nous permettre d’aller encore plus loin dans l’amélioration de cette proposition de loi.

La finalité, on l’a dite : à partir d’un diagnostic pourtant partagé, il s’agirait de la première étape d’une réforme qui, comme vous l’avez dit, madame la ministre, consisterait à engager un tournant dans notre politique énergétique, en faveur de plus d’efficacité et de sobriété, et ce en prenant soin, au préalable, de relever un formidable paradoxe, mais également une formidable injustice sociale.

Il y a en effet dans notre pays, quatrième ou cinquième puissance mondiale, un nombre considérable de personnes qui ne peuvent pas se chauffer tout simplement parce qu’elles n’en ont pas les moyens financiers. De fait, elles appréhendent chaque année l’arrivée des premiers froids. Ici, nous sommes bien évidemment dans l’actualité.

Aujourd’hui même, un grand quotidien évoquant ce sujet explique que, au cours de l’hiver précédent, un Français sur deux a été contraint de restreindre son chauffage pour échapper à des factures trop élevées.

Ce n’est pas tolérable et c’est la raison pour laquelle le caractère social du dispositif proposé devrait permettre, à travers l’instauration d’un bonus-malus simplifié, de dresser un indispensable état des lieux permettant d’y voir plus clair sur l’état du parc de logements de notre pays, en évaluant au cas par cas les performances thermiques de ces logements. Ce travail serait effectué à partir du niveau de consommation de chaque foyer, comparé à un volume de référence local défini pour chaque type d’énergie.

Cela reviendrait à mettre en place un dispositif d’alerte pour les consommateurs dépassant deux fois le volume de référence, dispositif qui leur permettrait ainsi d’accéder à un diagnostic, mené à bien par un organisme désigné par décret. Ce bilan serait suivi de travaux améliorant la performance énergétique du logement.

D’ailleurs, en plus des aides existantes et grâce aussi au renforcement des moyens de l’ANAH, les aides accordées dans le cadre de ces travaux seraient également issues du produit de l’application du malus, en prenant en compte les revenus des ménages et donc en ciblant, bien sûr, les foyers les plus modestes.

Afin de ne pas pénaliser ces familles, un malus spécifique, plus symbolique qu’effectif, quasiment neutre financièrement, s’appliquerait aux bénéficiaires des tarifs sociaux, ainsi qu’aux familles nombreuses.

Nous le voyons bien, il s’agit donc de mettre en place un dispositif à caractère social, qui permettrait de mener une politique d’isolation thermique ambitieuse, tout en affichant comme priorité la réhabilitation, le plus rapidement possible, des logements considérés comme étant de véritables passoires thermiques. On en compte au moins 4 millions dans notre pays !

D’après les simulations réalisées, les sommes ainsi obtenues pourraient atteindre 180 millions d’euros par an, et ce dès la deuxième année de fonctionnement du dispositif. Dans le même temps, les travaux d’isolation et de réhabilitation permettraient la création de nombreux emplois, ce qui est loin d’être négligeable dans le contexte que nous connaissons.

Je pense très sincèrement, madame la ministre, que cet exemple précis ne contredit pas – bien au contraire ! – votre conception de la transition énergétique, qui sera au cœur du projet de loi de programmation que vous soumettrez à notre examen dans les mois à venir.

J’ai choisi de parler de ce fameux système de bonus-malus parce que ce sont sa définition initiale et sa mise en œuvre qui ont suscité le plus d’interrogations, lesquelles pourraient d’ailleurs être levées par le texte de Roland Courteau, si du moins on le laisse vivre…

Chacun aura pu le constater, j’emploie le conditionnel dans mon intervention. En effet, si se déroule, à l’issue de la discussion générale, le même scénario qu’en commission des affaires économiques, le débat dans cette enceinte sera clos, n’en déplaise à ceux qui voudraient démontrer le contraire, ce qui nous privera de la possibilité d’améliorer le texte.

Pour des raisons complètement différentes, le groupe CRC et le groupe UMP ont choisi, en commission, de sanctionner le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.

Pour défendre sa motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, le groupe CRC a déployé des arguments exagérément décalés, à notre sens, par rapport à la réalité du sujet,…

Mme Éliane Assassi. C’est bien connu, nous sommes décalés !

M. Jean-Jacques Mirassou. … invoquant – excusez du peu ! – les principes posés par le programme du Conseil national de la Résistance, et même ceux qui prévalaient en 1789 !

Quant à nos collègues de l’UMP et de l'UDI-UC, ils ont profité en quelque sorte de l’effet d’aubaine que constituait la présentation de cette fameuse motion pour faire un coup politique ; nous commençons à y être habitués ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Lenoir a évoqué des risques de distorsions en termes d’égalité territoriale : c’est un peu fort de café quand on l’a cassée pendant cinq ans à grands coups de RGPP !

Dois-je le redire, en adoptant la motion en séance publique, vous détruirez le travail sénatorial : c’est le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale qui reviendra, comme on dit dans les jeux télévisés, en deuxième semaine.

M. Jean-Jacques Mirassou. Comprenne qui pourra !

Puis-je me permettre de vous faire également remarquer que, ce faisant, vous porterez atteinte non seulement au travail sénatorial, mais aussi à la crédibilité de notre institution.

M. Jean-Jacques Mirassou. En ce qui nous concerne, nous avons encore la faiblesse de penser que, fidèle à son habitude, notre assemblée, forte de son expérience, pourrait apporter une plus-value à ce texte, qui en a sûrement besoin.

Mais il y a plus grave !

Tous les orateurs ont évoqué les 8,5 millions de personnes se trouvant en situation de précarité énergétique, qui attendent la mise en place d’un dispositif leur permettant, à court terme, de pouvoir, tout simplement, se chauffer correctement.

Mme Éliane Assassi. Les décrets !

M. Jean-Jacques Mirassou. Or les dispositions du titre II du texte seraient de nature à répondre à ce qu’il faut bien appeler une urgence sociale, puisque l’extension des tarifs sociaux de l’électricité et du gaz à 4,2 millions de foyers satisferait cette attente, n’en déplaise aux champions du recours aux décrets !

Parallèlement, ouvrir à tous la possibilité de bénéficier de la trêve hivernale protègerait ceux qui, à la suite d’un accident de la vie, se retrouvent, du jour au lendemain, sans ressources.

Ces deux mesures propres à protéger les plus vulnérables et les plus exposés correspondent d’ailleurs à un engagement de campagne du Président de la République.

Mme Éliane Assassi. Il y en a eu d’autres !

M. Jean-Jacques Mirassou. Ce débat n’est donc pas si précipité que ne le prétendent certains !

Tous ceux qui prendront le risque de différer la mise en place de ces mesures en renvoyant sans examen le texte dans le circuit parlementaire auront vraisemblablement des comptes à rendre aux 8,5 millions de personnes qui, actuellement, se demandent comment elles vont passer l’hiver ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Mme Éliane Assassi. Ben voyons !

M. Gérard Le Cam. Faux argument !

M. Jean-Jacques Mirassou. Telles sont, madame la ministre, mes chers collègues, les remarques que je voulais formuler sur cette proposition de loi, qui a manifestement soulevé plus de problèmes de forme que de fond, les arrière-pensées étant, à l’évidence, omniprésentes.

La gauche gouvernementale au Sénat, consciente à la fois des véritables enjeux et de l’urgence sociale, a su se rassembler et prendre ses responsabilités. Elle avait fait le pari du débat, du dialogue et du nécessaire travail parlementaire. Elle a investi, notamment grâce à Roland Courteau, beaucoup d’énergie dans cette perspective.

En conclusion, j’en appelle de nouveau à une prise de conscience du plus grand nombre d’entre nous, afin que cette discussion générale ne constitue pas un acte manqué. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre est au cœur d’une problématique globale dont trop peu ont conscience qu’elle recouvre une véritable révolution.

Le dispositif essentiel de cette proposition de loi repose sur la mise en place d’un système de bonus-malus.

J’apprécie l’auteur de ce projet, qui est un voisin. Je dois avouer que je ne retrouve pas vraiment, au travers du mécanisme qui nous est présenté comme simple et sans coût, alors que sa mise en œuvre paraît tout au contraire compliquée et onéreuse, si l’on en croit Bercy, le sens du concret et le pragmatisme que je lui reconnais.

J’en resterai donc à ma première impression.

Si, comme cela nous est annoncé pour nous rassurer, ce malus sera non pas une pénalité, mais un simple signal, je crains alors que la mesure ne soit d’une utilité toute relative et incertaine.

Si, pour le rendre incitatif – un tel système a été mis en œuvre, dans un tout autre contexte, par un État américain –, le malus est fixé à un niveau élevé, la mesure deviendra alors injuste, en ce qu’elle touchera, pour une part importante, des populations qui subissent déjà leur environnement énergétique plus qu’elles ne le maîtrisent : je veux parler des personnes âgées, des familles nombreuses ou des personnes à faibles revenus disposant d’un habitat insuffisamment isolé, celles qui vivent la précarité énergétique, dont le journal télévisé de 20 heures vient de parler fort clairement. Je renvoie, sur ce point, à l’intervention éloquente de notre collègue Jean-Claude Lenoir.

Pour ma part, j’évoquerai plutôt, madame la ministre, les dispositions relatives à l’effacement, qui relèvent de l’article 7 ; je sais tout l’intérêt que leur porte également l’auteur de la proposition de loi.

Pour le coup, il s’agit d’un thème faisant l’objet d’un large consensus. Le rapport Poignant-Sido l’avait analysé avec une grande pertinence, tandis que la loi NOME avait posé les principes et le cadre de la mise en œuvre du dispositif, dans la perspective de la création d’un marché capacitaire.

Or nous sommes loin d’une mobilisation significative d’une capacité d’effacement qui est pourtant réelle, importante et, pour une grande partie, déjà disponible.

Les États-Unis, que l’on sous-estime souvent dans ce domaine, ont atteint depuis déjà plusieurs années une capacité d’effacement de 10 % à 12 %, contre à peine 3 % ou 4 % pour la France, alors que la capacité d’effacement de notre pays était quasiment du double il y a dix ou quinze ans.

Or, au même moment, plusieurs autorités européennes et RTE soulignent la situation dans laquelle se trouverait « l’Europe du Centre-Ouest » en cas de vague de froid, considérant que des délestages sur le réseau électrique ne seraient pas impossibles.

S’agissant de la puissance manquante en France, le bilan prévisionnel de 2011 l’avait estimée à 2,2 gigawatts en 2014 et à 7,2 gigawatts en 2016. Dans le bilan prévisionnel de 2012, elle est passée à 3,1 gigawatts en 2014 et à 7,5 gigawatts en 2016. La gestion de la pointe n’est donc plus une option, elle est devenue une nécessité.

L’une des réponses, c’est bien évidemment l’effacement diffus, dont on peut raisonnablement attendre une capacité de 4 à 5 gigawatts, mais celle-ci ne pourra être obtenue avant que ne soit équipé le parc national des particuliers.

Malgré cela, la France dispose dès aujourd’hui, avec les gros consommateurs, d’un gisement de capacité d’effacement pouvant atteindre de 4 à 5 gigawatts d’ici à 2016, avec une progression de 0,5 à 1 gigawatt chaque année.

Atteindre cet objectif relève plus de l’affirmation d’une volonté politique des différents acteurs que du règlement d’une difficulté technique ou du développement du gisement.

Si je me permets d’attirer votre attention sur cette question avec une telle insistance, madame la ministre, c’est que la mobilisation de la capacité d’effacement des gros consommateurs permettrait à la fois de répondre aux besoins de notre pays et d’assurer une juste rémunération des acteurs concernés, qui, pour une part importante, sont des entreprises électro-intensives, pour lesquelles la valorisation de leur capacité d’effacement représente, sur les plans industriel et financier, un gain significatif, voire indispensable.

Il est donc important que l’article 7 puisse être adopté et mis en œuvre conformément à l’esprit de la loi NOME, qui avait fait de l’effacement tant un défi en matière de développement durable qu’un enjeu économique.

Toutefois, un système énergétique sobre doit aussi être optimisé et équilibré.

À cet égard, permettez-moi d’évoquer rapidement le volet particulièrement sensible de la cogénération, plus précisément celui de la biomasse forestière, que l’actualité illustre par l’émergence de maints projets. Ainsi, le groupe E.ON se félicite d’ouvrir, dans le Sud, une centrale « verte » d’une capacité de 700 000 à 900 000 tonnes, au moment même où il ferme des centrales thermiques, ce que nous ne pouvons qu’approuver.

Or le grand Sud-Est, qui comprend la région Rhône-Alpes, concernée par ce projet, se trouve déjà dans une situation d’approvisionnement insuffisant, et le déséquilibre, s’aggravant rapidement, met aujourd'hui plusieurs entreprises en difficulté, sans parler de la déstabilisation du marché et de ses conséquences.

Votre cabinet, madame la ministre, a bien voulu recevoir tout récemment la direction de Cascades, pour évoquer la situation particulière de cette papeterie, reprise avec un vrai succès, il y a quelques années, par des industriels canadiens.

Le maintien, et plus encore le développement, de cette entreprise, comme de bien d’autres industries, est directement lié aux réponses qui seront apportées quant à la mobilisation des plaquettes, du bois-énergie, et à la valorisation de la biomasse, qui constituent un enjeu capital.

De toute évidence, les autorisations de la CRE et les études de disponibilité de la ressource soulèvent aujourd'hui des questions qui deviennent cruciales.

La transition vers un système énergétique sobre relève donc non pas d’une mesure isolée, mais de la mobilisation d’un système particulièrement complexe, dans lequel tous les acteurs et opérateurs ont un rôle – une mission, allais-je dire –, une responsabilité à assumer.

Jeremy Rifkin considère que l’énergie et les technologies de la communication sont à la base de la troisième révolution industrielle, vision à laquelle j’adhère volontiers.

En matière d’efficacité énergétique, il revient donc au Parlement et au Gouvernement d’arrêter une politique volontariste et ambitieuse. Il incombe en outre au Gouvernement d’en définir le cadre, qui doit être clair, simple et stable. Or, vous en conviendrez, madame la ministre, ce n’est pas le cas avec ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)