M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Delphine Batho, ministre. J’ai déjà eu l’occasion de le dire en commission, le Gouvernement est tout à fait défavorable à cette motion. Son adoption priverait le Sénat d’un débat dont la discussion générale a montré tout l’intérêt.

En outre, j’avais déjà contesté, en commission, le fondement d’une telle motion. La proposition de loi que nous examinons est un texte de justice sociale, qui s’inscrit dans le prolongement de l’ambition qui inspirait le Conseil national de la Résistance. Elle vise aussi à l’efficacité écologique.

On peut certes considérer que le texte mérite d’être amélioré sur tel ou tel point ou même qu’il présente des imperfections, mais on ne saurait, à aucun titre, invoquer contre lui une remise en cause des principes inscrits dans le Préambule de 1946 ! L’objet de cette proposition de loi est, au contraire, de prolonger celui-ci, dans la lettre et dans l’esprit, en combattant les inégalités que subissent aujourd’hui nombre de nos concitoyens du fait de l’augmentation des prix de l’énergie.

Le Gouvernement est donc défavorable à cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité et souhaite que la discussion puisse se poursuivre au Sénat, afin d’améliorer le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Lenoir. Ce débat est tout simplement irréaliste. À l’origine, cette proposition de loi émanant de l’Assemblée nationale portait sur la tarification progressive de l’électricité ; elle est devenue, en cours de route, une proposition de loi visant à préparer la transition énergétique.

Or le Président de la République, le Premier ministre et vous-même, madame la ministre, avez annoncé qu’il y aurait un débat sur la transition énergétique au début de l’année prochaine, dans quelques semaines. Par conséquent, pourquoi voulez-vous que, dans des conditions invraisemblables, nous adoptions aujourd’hui des mesures faisant l’objet d’un tel désaccord ?

Nous allons, comme nous l’avons fait en commission, voter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité qui a été déposée par nos collègues communistes.

Je réponds, dès à présent, à une observation que j’ai entendue, en particulier de votre part, madame la ministre : vous avez manifesté votre étonnement que les sénateurs des groupes CRC, UMP et UDI-UC votent ensemble une motion. Madame la ministre, mes chers collègues, comme je l’ai déjà indiqué en d’autres circonstances, il n’y a pas, dans cette assemblée, de pestiférés.

Dans ce débat, nous réaffirmons simplement – et je crois que nos collègues communistes sont exactement sur la même ligne à cet égard – que le présent texte remet en cause les principes fondamentaux posés par la loi de 1946, en particulier celui de la péréquation tarifaire.

Madame la ministre, vous avez dit tout à l’heure que le prix de l’électricité serait le même pour tout le monde, or cette proposition de loi vise précisément à instaurer des différences selon les situations géographiques, sociales, familiales des consommateurs !

Je le dis avec beaucoup de fermeté et de conviction, le dispositif de ce texte est incroyablement compliqué, kafkaïen, ubuesque – je reprends ces qualificatifs, même s’ils ne vous plaisent pas. Quel consommateur pourra comprendre quelque chose à sa facture d’électricité ou de gaz ? Aujourd’hui, ce n’est déjà pas très clair, j’en conviens, mais avec le dispositif que vous nous proposez, personne ne pourra s’y retrouver !

Je veux revenir, dans cette explication de vote, sur un point essentiel ; peut-être n’ai-je pas été suffisamment entendu tout à l’heure.

On invoque aujourd’hui l’urgence, parce que l’hiver arrive.

M. Jean Desessard. C’est exact !

M. Jean-Claude Lenoir. Le général Hiver est déjà là, on ne peut laisser des personnes démunies dans le froid, sans électricité ni gaz !

M. Jean Desessard. C’est vrai !

M. Jean-Claude Lenoir. Ce texte arrive, tel le bon Samaritain, pour sauver la situation ! Eh bien non, je le dis avec fermeté, cette proposition de loi n’apporte rien !

Mme Renée Nicoux. N’importe quoi !

M. Roland Courteau. Et la trêve hivernale ?

M. Jean-Claude Lenoir. Si elle devait être adoptée, les dispositions législatives actuelles, celles qui ont été prises par des gouvernements de droite quand la gauche n’avait rien fait, seraient modifiées sur un seul point : l’administration fiscale, et non plus seulement les caisses d’assurance maladie, fourniront les indications nécessaires à l’identification des personnes éligibles aux tarifs sociaux. Soit dit par parenthèse, l’administration fiscale a déjà informé M. Courteau qu’elle était absolument incapable d’apporter ces renseignements…

Aujourd’hui, on voudrait nous faire croire que les sénateurs des groupes CRC, UMP et UDI-UC se rendraient responsables, en votant cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, du report de l’application de dispositions relatives aux tarifs sociaux ! Franchement, il ne faut pas dépasser les bornes ! Les tarifs sociaux, c’est nous qui les avons mis en place, et leur application peut, je le rappelle, être élargie par décret. Madame la ministre, prenez donc votre plume, faites travailler vos services !

Mme Delphine Batho, ministre. Je vous ai répondu !

M. Jean-Claude Lenoir. Vous ne m’avez absolument pas répondu !

Je le redis, cette loi n’apporte rien, si ce n’est que l’administration fiscale devra fournir des informations. En réalité, vous auriez pu traiter cette question depuis des mois.

Madame la ministre, j’espère que le vote qui interviendra sans doute tout à l’heure ne sera pas qualifié de « cafouillage parlementaire ». Non, ce ne sera pas un cafouillage : nous sommes résolument opposés à ce texte-là !

Je comprends que cette semaine est quelque peu éprouvante, mais, rassurez-vous, avec le pont du 1er novembre, les risques de couacs, de difficultés supplémentaires sont relativement limités…

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Claude Lenoir. J’en ai presque terminé, monsieur le président. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Il est absolument nécessaire que s’ouvre une véritable concertation afin de répondre à certaines urgences, concernant notamment les plus démunis de nos concitoyens. Nous y sommes prêts.

Je conclurai en évoquant une fable de La Fontaine, Le Gland et la Citrouille, qui vous permettra de relativiser vos difficultés, madame la ministre.

Un villageois, se promenant dans la campagne percheronne, observe ce qu’il pense être une anomalie : les citrouilles sont posées sur des tiges fragiles, tandis que les glands sont accrochés aux grosses branches de chênes immenses. Il s’étonne de ce désordre de la nature et en fait reproche au bon Dieu, avant de s’endormir sous le chêne. Mais son sommeil est brutalement interrompu par la chute d’un gland sur son nez, et il se dit alors que la nature est finalement bien faite : mieux vaut recevoir un gland sur le nez qu’une citrouille ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)

Madame la ministre, mieux vaut prolonger la réflexion de quelques semaines que subir un nouvel échec ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Le groupe écologiste votera évidemment contre cette motion.

Le médiateur de l’énergie, qui n’est pas de ma sensibilité politique, vient de faire réaliser une enquête montrant que 79 % des Français expriment une profonde inquiétude à l’égard des questions énergétiques. Le Sénat risque de répondre ce soir à cette inquiétude en refusant d’examiner la proposition de loi et en la renvoyant sans modification à l’Assemblée nationale. Un tel message ne correspond absolument pas à l’état d’esprit actuel de nos compatriotes ! Cette situation m’inspire un certain malaise.

Un autre motif de malaise tient à l’argumentaire des partisans de la motion. On les entend invoquer 1789, 1936, 1946…

Mme Éliane Assassi. Et alors ? C’est ce qui fonde ce que nous sommes aujourd’hui !

M. Ronan Dantec. Or on sait parfaitement que l’accès à l’énergie est aujourd’hui marqué par de profondes injustices ! Ce sont les pauvres qui paient le plus cher l’énergie ! Et quand un texte vise à ouvrir le débat, à essayer d’améliorer les choses, vous déposez une motion tendant à opposer l’irrecevabilité ! Cela ne marche pas ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

Vous invoquez donc 1789 ou 1946,…

M. Ronan Dantec. … mais ne faut-il pas plutôt évoquer les années soixante et la reconstitution d’une ligue dissoute : je pense à l’accord sur le tout-nucléaire qui a été passé entre les forces politiques dont des représentants siègent aujourd’hui des deux côtés de cet hémicycle ? (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe UMP.) Cet accord sur le tout-nucléaire et la promotion du chauffage électrique figurent parmi les causes des situations de précarité énergétique que l’on connaît aujourd’hui !

Comme vient de le dire assez clairement, et avec raison, notre collègue Lenoir, vous vous apprêtez en fait à voter contre l’ouverture du débat sur la transition énergétique (Non ! sur les travées de l’UMP.), qui a fait l’objet d’un engagement pris par François Hollande. Vous ne voulez pas d’un rééquilibrage du mix énergétique, et vous commencez la bataille ce soir ! Là-dessus, les choses sont extrêmement claires.

Avec le vote de ce soir, nous allons obligatoirement prendre du retard dans l’extension des tarifs sociaux, aux dépens des populations en situation de précarité énergétique. C’est une conséquence mécanique de ce vote. J’espère que le Gouvernement trouvera le moyen de réduire cette perte de temps au minimum.

Seconde conséquence, alors que les industriels de l’éolien s’étaient jusqu’à présent efforcés de tenir en espérant l’arrivée aux affaires d’un gouvernement qui les entendent enfin et qui ne soit pas « anti-éolien », comme l’était le précédent, nous prenons là aussi plusieurs semaines, voire plusieurs mois, de retard ! Vous adressez là un signal très négatif à une filière d’avenir qui représente des centaines de milliers d’emplois partout ailleurs dans le monde ! Il faut mettre un terme à l’obscurantisme dans notre pays ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Vous prendrez vos responsabilités, nous prendrons les nôtres. Il y avait pourtant de la place pour débattre et faire des propositions sur la base du travail réalisé par Roland Courteau, mais vous avez préféré adopter une posture politicienne. J’espère simplement que le Gouvernement fera preuve de détermination pour passer outre vos manœuvres d’obstruction ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Jean-Jacques Mirassou. J’observe que cette proposition de loi, jugée inutile et obsolète par certains de nos collègues, mobilise nos énergies depuis maintenant cinq heures !

Le travail de grande qualité réalisé par Roland Courteau, qui a répondu aux diverses objections de façon très précise, devrait faire regretter à ceux d’entre vous qui possèdent un tant soit peu d’honnêteté intellectuelle de ne pas pouvoir poursuivre le débat.

Mme Éliane Assassi. Nous sommes honnêtes !

M. Jean-Jacques Mirassou. Certains, dans cet hémicycle, ont abordé le débat avec l’idée préconçue que la présente proposition de loi devait être rejetée sans examen, en cherchant d’ailleurs de nombreux prétextes pour justifier leur attitude.

Selon vous, monsieur Lenoir, il serait facile de procéder par décret pour étendre l’application des tarifs sociaux. Mais à l’heure où 8,5 millions de nos concitoyens sont touchés par la précarité énergétique, vous conviendrez, mon cher collègue, que graver dans le marbre de la loi un tel dispositif lui donnerait tout de même un tout autre poids !

M. Jean-Claude Lenoir. Il ne figure pas dans le texte !

M. Jean-Jacques Mirassou. D’ailleurs, si prendre des mesures au moyen d’un décret est aussi simple et efficace que vous le dites, pourquoi ne l’avez-vous pas fait quand vous étiez au pouvoir ?

M. Jean-Claude Lenoir. Nous avons pris ces mesures !

M. Jean-Jacques Mirassou. Je pourrais aisément démontrer que, avec les dispositions actuellement en vigueur, les tarifs sociaux sont en réalité très difficilement accessibles. Elles laissent sur le bord du chemin les deux tiers des personnes éligibles.

M. Jean-Claude Lenoir. Prenez un nouveau décret !

M. Jean-Jacques Mirassou. Faut-il vous rappeler, chers collègues de droite, qu’un nombre considérable de personnes connaissent aujourd’hui, au XXIe siècle, dans notre pays, qui est la cinquième puissance mondiale, une situation de précarité énergétique ? Après dix années aux affaires, votre responsabilité est évidente ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Que vous le vouliez ou non, ce sont, au moins pour partie, les conséquences sociales et économiques de votre gestion qui ont plongé 8,5 millions de personnes dans une situation de précarité énergétique.

Vous avez évoqué Kafka et parlé d’irréalisme ; pour ma part, je soulignerai l’hyperréalisme de la situation de nos concitoyens en situation de précarité énergétique : comme vous l’avez dit vous-même, le général Hiver frappe à la porte !

Renvoyer ce texte dans les méandres du cheminement parlementaire nous fera incontestablement perdre du temps. Vous prenez le risque de retarder la généralisation de la trêve hivernale et l’extension des tarifs sociaux.

Permettez-moi de vous dire enfin que ce qui est irrecevable aujourd’hui, c’est de balayer d’un revers de main, comme vous le faites en obéissant à des arrière-pensées qui ne concernent que vous, nos concitoyens confrontés à la précarité énergétique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Roland Courteau. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Je ne relèverai pas certains propos méprisants tenus ce soir à l’encontre des élus de mon groupe. Je me bornerai à offrir à M. Dantec, en guise de réponse, quelques brochures expliquant notre position sur la question de l’énergie. J’espère qu’il dormira bien après les avoir lues ! (Sourires sur les travées du groupe écologiste.)

Cette motion tendant à opposer l’exception l’irrecevabilité, que M. le président de la commission des affaires économiques a présentée sans doute à contrecœur, avait été défendue en commission par ma collègue Mireille Schurch. Sans revenir sur le détail des arguments que nous avions alors développés, je voudrais insister ce soir sur deux points qui revêtent, à nos yeux, une importance particulière.

Nous regrettons tout d’abord la présence, quoi qu’on en dise, de cavaliers législatifs dans ce texte, s’agissant en particulier des dispositions relatives aux éoliennes.

Nous sommes tous ici des gens honnêtes et responsables. On nomme « cavaliers » des amendements dépourvus de tout lien avec l’objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie. Or les articles relatifs à l’implantation d’installations de production d’énergie mécanique, introduits à l’Assemblée nationale par voie d’amendements gouvernementaux déposés durant la nuit, n’avaient pas de lien avec un texte relatif à la tarification progressive de l’énergie. C’est une réalité !

Mme Delphine Batho, ministre. Et l’article 45 ?

Mme Éliane Assassi. Malgré tous vos efforts, vous ne nous avez pas convaincus du contraire ! Le changement tardif de l’intitulé de la proposition de loi ne constitue à cet égard qu’une manœuvre tout à fait inopérante.

Nous regrettons également la façon dont ces amendements ont été présentés, sans avoir fait l’objet d’un examen par la commission, dans le mépris du travail d’analyse technique que peuvent accomplir les différents groupes parlementaires.

La procédure parlementaire n’est pas une affaire de pure forme ! Elle garantit l’expression démocratique des représentants du peuple.

M. Jean-Claude Lenoir. Très juste !

M. Jean Desessard. Vous pourriez revoir celle du Sénat !

Mme Éliane Assassi. Je ne m’attarderai pas sur certaines objections surréalistes entendues en commission. Figurez-vous que, l’électricité n’existant pas en 1789, les principes posés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen seraient donc inapplicables en l’occurrence… Je tiens néanmoins à insister sur le fait que le respect du principe d’égalité affirmé à l’article VI de ce texte fondamental, qui fait partie du bloc de constitutionnalité, s’impose au législateur.

Le dispositif prévu au titre Ier de la proposition de loi rompt avec ce principe, en ce que sa mise en œuvre placera une partie de nos concitoyens, du fait des contraintes insurmontables imposées par leur condition sociale, dans l’impossibilité d’adopter le comportement vertueux visé par le texte. Il ne s’agit pas simplement ici des personnes bénéficiant des tarifs sociaux, mais de tous les foyers qui n’ont pas les moyens de financer les travaux d’isolation et de rénovation de leur habitation.

M. Jean Desessard. Et alors, que comptez-vous faire ?

Mme Éliane Assassi. Certainement pas ce qui est prévu dans la proposition de loi !

Il s’agit aussi des locataires qui ne pourront, en raison d’un rapport de force déséquilibré en faveur des propriétaires, imposer la réalisation de travaux ou récupérer des malus dont ils ne sont pas responsables. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Laurence Rossignol. Ils doivent donc continuer à vivre ainsi ?

Mme Éliane Assassi. J’en viens aux autres motifs d’inconstitutionnalité.

M. Jean-Pierre Plancade. Vous nous empêchez d’en discuter !

Mme Éliane Assassi. Nous considérons que des risques non négligeables d’annulation pèsent sur cette proposition de loi, en raison de la violation de l’article 34 de la Constitution – encore un grand texte ! –, au regard de l’incompétence négative du législateur, au titre de l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui pose le principe de la proportionnalité de l’effort fiscal, ainsi que du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution du 17 octobre 1946, qui dispose que « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité », en raison notamment de la privatisation de l’effacement.

La proposition de loi qui nous est soumise pose donc de grandes difficultés sur le plan constitutionnel. C’est pourquoi nous voterons sans hésitation la motion présentée par la commission, d’autant que son adoption n’hypothèquera en rien les dispositions sociales importantes qu’elle contient.

M. Pierre Hérisson. Absolument !

Mme Éliane Assassi. Il serait vraiment malhonnête de faire accroire que le groupe CRC se rend responsable du report de la généralisation de la trêve hivernale. Je vous rappelle, madame la ministre, mes chers collègues, que nous étions seuls, l’hiver dernier, à proposer et à faire adopter par cette assemblée les dispositions que l’on retrouve à l’article 8 de cette proposition de loi !

Un sénateur de l’UMP. C’est vrai !

Mme Delphine Batho, ministre. Mais vous n’avez pas gagné les élections !

Mme Éliane Assassi. Nous avons retravaillé ces dispositions depuis lors, afin d’interdire non seulement les coupures de fourniture, mais également les résiliations unilatérales de contrat par des opérateurs peu scrupuleux.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. Vous l’aurez compris, nous voterons cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, outil parlementaire dont certains ici ont su user, à bon droit, lorsqu’ils étaient dans l’opposition. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’objet de la motion qui a été adoptée la semaine dernière par la commission des affaires économiques et qui vient de nous être présentée en séance publique comporte plusieurs critiques à l’endroit de cette proposition de loi : rupture d’égalité devant l’accès à l’énergie, rupture du principe de péréquation tarifaire, incompétence négative du législateur et non-respect du principe de proportionnalité de l’effort fiscal.

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble de ces critiques, même si je les reprends à mon compte.

Je l’ai dit lors de la discussion générale, les objectifs de cette proposition de loi sont défendables, et même louables.

Sur toutes les travées, nous sommes prêts à accélérer la transition énergétique en améliorant la performance des logements.

Sur toutes les travées, nous sommes prêts à accompagner la hausse inéluctable des tarifs de l’énergie en luttant contre la précarité énergétique et en instaurant une véritable progressivité des tarifs.

Néanmoins, rien n’a été fait, tant sur la forme que sur le fond, pour nous permettre de travailler dans la sérénité.

Tout d’abord, le choix de déposer une proposition de loi plutôt qu’un projet de loi nous prive d’une étude d’impact, de l’avis juridique du Conseil d’État ou encore de la possibilité de consulter la Commission nationale de l’informatique et des libertés sur la gestion des fichiers de consommateurs d’énergie. (Mme la ministre le conteste.)

Il aurait été préférable de recourir à un autre vecteur législatif pour traiter ce sujet si important, qui touche l’ensemble des ménages français. Je ne minimise pas l’importance des propositions de loi, mais le législateur a aussi besoin des expertises des administrations centrales pour établir la loi, pour qu’elle soit acceptée et applicable. Lorsqu’un texte est aussi complexe, c’est une nécessité.

Ensuite, le recours à la procédure accélérée traduit une fois de plus l’impréparation du Gouvernement dans l’organisation de ses réformes et sa désinvolture à l’égard du Parlement. Nous légiférons sur les outils visant à améliorer la consommation énergétique, alors qu’un débat national et un projet de loi de programmation sur la transition énergétique nous ont été promis.

Par ailleurs, sur un texte aussi technique, une seule lecture ne saurait évidemment permettre aux deux assemblées de trouver un accord. Mais peut-être souhaitez-vous passer en force, madame la ministre ?

Comme nous l’avons souligné lors de la discussion générale, le vote de cette motion annonce le rejet ultérieur des éventuelles conclusions de la commission mixte paritaire. Cela permettra, si le Gouvernement souhaite encore l’adoption de ce texte, une nouvelle lecture à l'Assemblée nationale et au Sénat. Profitons du temps qui nous sépare de cette échéance pour approfondir les propositions du Sénat et perfectionner des dispositifs applicables, simples et surtout justes.

Le manque de justice du dispositif présenté est la critique majeure qui a retenu mon attention lors de la présentation de la motion. Les mesures proposées nous semblent très injustes et de nature à créer des distorsions entre les consommateurs, en pénalisant principalement les classes moyennes. Malheureusement, l’application du dispositif de bonus-malus aurait surtout pour effet de créer un malus-malus pour les classes moyennes, qui vivent dans des logements pas toujours neufs, pas toujours bien isolés et qui consomment déjà beaucoup d’énergie. Ce sont les mêmes ménages qui n’auront pas les moyens d’investir dans leur logement pour en améliorer la performance énergétique.

En ce qui concerne la question des tarifs sociaux et de la trêve hivernale, nous sommes prêts à examiner un texte spécifique.

S’agissant de l'arc républicain qui soutient la motion, je rappellerai que tous les orateurs ont exprimé leur scepticisme sur le texte. Vous avez pu les entendre voilà plus de quinze jours en commission, madame la ministre, mais vous avez préféré faire la sourde oreille et continuer votre chemin, malgré le court-circuit provoqué par l’adoption de la motion.

Vous nous enjoignez de voter ce texte parce que l’hiver est là, mais un tel argument vous renvoie à votre propre impréparation !

M. Claude Dilain. Cela vous renvoie à votre politique !

M. Vincent Capo-Canellas. L’arrivée de l'hiver n’est une surprise pour personne !

Enfin, inviter à voter un mauvais texte, reconnu comme tel par beaucoup dans cet hémicycle, au prétexte que le Gouvernement n'a pas su faire mieux, voilà qui est tout de même absurde ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Le Parlement se respecte : il vote un texte s’il est bon, il le rejette s’il ne l’est pas. Pour notre part, nous considérons que le dispositif n’est pas améliorable dans les conditions qui nous sont proposées.

En conclusion, parce que le texte présenté ne permettra pas d’atteindre tous les objectifs assignés et que la réflexion doit être largement approfondie, le groupe UDI-UC votera cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il apparaît que ce texte va disjoncter… (Sourires.)

Plutôt qu’un texte ménageant une transition vers un système énergétique sobre, il nous faudra bientôt un texte de transition vers un système législatif sobre. (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)

À une très forte majorité, le groupe RDSE ne votera pas cette motion tendant à opposer l’exception d'irrecevabilité. En effet, nous partageons les objectifs généraux affichés au travers de cette proposition de loi, qu'il s'agisse de la recherche de la sobriété énergétique ou de la progressivité tarifaire, tandis que les quatre motifs avancés pour justifier le dépôt de la motion ne nous ont pas convaincus.

Premièrement, cette proposition de loi serait contraire à l'article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, car elle introduirait une rupture d'égalité dans l'accès à l'énergie. Nous ne considérons pas que ce soit le cas.

Deuxièmement, elle romprait avec le principe de la péréquation tarifaire. Cela n’est pas du tout évident à notre sens.

Troisièmement, elle remettrait en cause les acquis du Conseil national de la résistance, car il s'agirait, là encore, d'une rupture du principe d'égalité dans l'accès à l'énergie. Nous n’en sommes pas non plus tout à fait convaincus.

Quatrièmement, elle serait contraire à l'article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, car ses dispositions ne respecteraient pas le principe de proportionnalité de l'effort fiscal, faisant peser une large part des malus contraints sur les ménages qui n'ont pas les moyens de procéder aux travaux d'isolation de leur logement.

Si ces arguments ne nous ont pas convaincus, nous aurions pu comprendre le dépôt d’une motion tendant au renvoi à la commission. Cela aurait été possible, même après engagement de la procédure accélérée, en application des dispositions de l'article 44, alinéa 5, du règlement du Sénat, avec l'accord du Gouvernement.

Cela nous aurait donné du temps pour élaborer un meilleur texte. Je crois que nous sommes tous d’accord ici sur la nécessité de légiférer sur ce thème. Pour notre part, nous sommes de ceux qui considèrent qu'il faut maintenir, voire développer, la filière nucléaire, mais aussi les énergies renouvelables. Nous ne sommes pas pour la décroissance, nous sommes pour la croissance. Nous sommes aussi de ceux qui considèrent qu’il faut mettre en place des mesures importantes d'économie d'énergie, permettre un meilleur accès à l'énergie pour nos concitoyens les plus en difficulté. Voilà un véritable programme, et c'est celui que nous souhaitons voir appliquer.

Madame la ministre, à vouloir aller trop vite, on n’atteint pas toujours le résultat souhaité. Chi va piano va sano ! Nous avons déjà eu l’occasion de le dire à l’occasion d’autres débats : il faut reprendre un rythme normal, sans recourir systématiquement à des propositions de loi et à la procédure accélérée. Le sujet qui nous occupe aujourd'hui méritait davantage de temps. Pour autant, ne voulant pas contrarier l'action du Gouvernement et étant sensibles aux objectifs qu’il a esquissés, une grande majorité des membres de notre groupe voteront contre la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. Nous espérons toutefois, madame la ministre, que notre message sera enfin entendu. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)