M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais essayer de répondre aux différents orateurs qui se sont exprimés.

Je partage le sentiment de M. le rapporteur et de M. Michel, qui est aussi celui de la plupart d’entre vous : le texte qui vous est présenté est un texte d’équilibre.

Le souhait du Gouvernement est à la fois de lutter efficacement contre l’immigration irrégulière et de garantir le respect des droits des étrangers, sans laisser place au moindre arbitraire.

Comme MM. Michel et Leconte l’ont fait observer, le projet de loi ne touche pas à l’ensemble des aspects du droit des étrangers. Mais il apporte des réponses concrètes qui sont nécessaires et attendues.

Le projet de loi va être enrichi par vos amendements s’agissant de la limitation du contrôle de titres au faciès, de la fin du délit de séjour irrégulier, dont le caractère symbolique a été souligné, et de la fin du délit de solidarité pour les associations désintéressées.

En revanche, je ne crois pas que le fait de scinder la période de retenue en deux temps marquerait un progrès ; à mes yeux, ce serait un élément de complexité supplémentaire, n’apportant aucune garantie réelle pour l’étranger retenu.

Les garanties figurent déjà dans le projet de loi et M. Yung les a énumérées : il s’agit notamment de la présence d’un avocat, d’un médecin et d’un interprète. Monsieur Sueur, elles ont incontestablement été enrichies par la commission des lois.

Cela dit, je suis attentif au problème soulevé par M. Hyest : la difficulté du travail des policiers et des gendarmes est une réalité. Ne croyons pas un seul instant que la tâche qui leur est confiée soit des plus facile ! Elle est indiscutablement compliquée, d’un point de vue juridique mais aussi d’un point de vue humain.

Mme Cohen s’est déclarée désenchantée par le projet de loi ; je ne doute pas que Mme Assassi nous exposera, dans la suite du débat, les raisons de cette position.

Il est vrai que nous n’avons pas proposé la dépénalisation totale du droit des étrangers. Quand toutes les procédures administratives prévues par le droit européen ont échoué, il reste une place, subsidiaire mais nécessaire, à la sanction pénale.

Je me garderai bien d’écarter d’un revers de la main la question importante et compliquée du rôle du juge des libertés et de la détention ; M. Yung en a présenté les termes de la manière la plus équilibrée possible.

Monsieur le président de la commission des lois, sur ces questions complexes, nous devons essayer d’avancer en nous gardant de légiférer dans l’urgence.

Le Premier ministre a accepté de désigner un parlementaire en mission pour examiner la question de la garantie juridictionnelle des droits et préparer un autre projet de loi touchant notamment à la création d’un nouveau titre de séjour pluriannuel.

Mme Cohen et M. Leconte ont évoqué ce que l'on appelle les « contrôles au faciès ». Je les combats, et je pense que nous les combattons tous. C’est pourquoi je vous invite à voter l’amendement que le Gouvernement a déposé sur ce point.

Le sujet est complexe : il n’est qu’à regarder les expériences à l'étranger. Des outils existent pour lutter contre le contrôle au faciès, et nous allons les examiner, avec le souci d’aider les policiers à accomplir leur mission : cela va du vouvoiement à l’affichage du matricule, en passant, pourquoi pas, par la caméra embarquée dans certaines circonstances, sans oublier la refonte du code de déontologie à laquelle nous sommes en train de travailler et qui aboutira très vite. J’y suis évidemment sensible, tout comme le sont policiers et gendarmes.

Pour autant, ne croyons pas que les outils juridiques ou techniques suffisent. C'est plutôt une question d'état d'esprit : il faut redonner aux forces de l'ordre les moyens d’exercer pleinement leur mission, autrement dit ce qui constitue le cœur de métier, à savoir s'attaquer à la délinquance, aux trafics de drogue et d'armes, aux violences sur les personnes, aux cambriolages, etc. Ces évolutions prendront nécessairement du temps car, durant plusieurs années, l’attention a été trop centrée sur cet aspect dont nous parlons du travail de la police.

M. Marseille, s’exprimant au nom du groupe UDI-UC, a rappelé que ce texte avait notamment pour objet de réparer un vide juridique qui résultait d'une mauvaise transposition de la directive Retour.

La mesure proposée, la retenue – nous nous sommes d’ailleurs beaucoup interrogés sur la dénomination –, répond ainsi à ce vide juridique, que la seule vérification d’identité de quatre heures ne pouvait combler étant donné la complexité humaine, juridique, technique, géographique de ces contrôles.

La retenue s’exerce pour une durée maximale de seize heures : c’est nettement inférieur au temps de la garde à vue, qui devenait la norme pour l’éloignement des étrangers. Scinder ce délai, je l’ai dit, fragiliserait juridiquement cette procédure, sans offrir de véritables garanties.

M. Marseille a souligné à juste titre que la fin du délit de solidarité pour les associations désintéressées constituait une mesure attendue et légitime. Dans notre pays, nul ne doit être inquiété parce qu’il a apporté une aide purement humanitaire à un étranger, celui-ci fût-il en situation irrégulière. Certes, cette incrimination n'était pas appliquée mais, incontestablement, elle pesait comme une épée de Damoclès sur les associations. C'est la raison pour laquelle, mesdames, messieurs les sénateurs – c'est le seul conseil d'ancien parlementaire que je formulerai, d’autant que je sais votre assemblée d’ores et déjà tout à fait consciente du problème –, je vous invite à ne pas légiférer si cela revient à prévoir des sanctions qui ne sont pas applicables et, de fait, pas appliquées.

En tout cas, la politique mise en œuvre par ce gouvernement – maîtriser les flux migratoires sans pour autant accepter les stigmatisations et les amalgames, qui n’ont du reste sûrement pas cours ici – se veut équilibrée, respectueuse à la fois du droit et des droits.

Monsieur Mézard, je vous remercie de voir dans ce texte, qui répond effectivement à l’urgence, non une preuve de reniement et une source de désenchantement, mais la manifestation de la raison. Il s’agit d’allier les exigences d’une politique cohérente et lucide avec celles, humanistes, d’une tradition d’accueil. Ces valeurs constituent d’ailleurs le socle de votre formation politique et rassemblent tous les républicains. Il est toujours facile de qualifier un texte d’une façon ou d’une autre, mais nous parlons là de politique concrète.

Vous avez évoqué de façon fort pertinente, comme tous ceux qui sont intervenus au nom de la majorité, les effets très négatifs de l'empilement législatif sur le droit des étrangers. Vous avez aussi rappelé que l’on ne pouvait pas improviser notre politique migratoire et renoncer à lutter contre l’immigration irrégulière.

Je veux souligner combien ces questions sont complexes partout en Europe. Lundi dernier, à l'occasion de l'assemblée générale d'Interpol, j'ai longuement discuté avec mon homologue italienne, en charge de ces questions en tant que ministre de l'intérieur. L'Italie est confrontée, du fait de sa position géographique, à des problèmes majeurs (M. Jean-Jacques Hyest acquiesce) et à des tragédies épouvantables. Voilà deux jours encore, plusieurs migrants se sont noyés entre la Libye, la Tunisie et l'Italie.

L’Europe doit également faire face à de fortes pressions, par exemple dans le secteur de Ceuta et Melilla, au Maroc, et à des drames humains intolérables. Nous voyons combien l'Europe, c'est-à-dire les pays qui en sont membres, doit organiser cette politique migratoire. Ce sont là des défis que notre société doit relever.

Monsieur Mézard, vous avez souligné que le Gouvernement n’avait pas travaillé dans la précipitation. La durée de seize heures a été fixée après un examen vigilant des contraintes pesant sur l’administration, pour limiter la durée de cette retenue au temps strictement nécessaire. Après la décision de la Cour de cassation, nous avons fait en sorte d’aboutir à un texte équilibré et juste.

Monsieur Buffet, je tiens à souligner la qualité et la précision de votre intervention. Il est vrai que vous connaissez parfaitement ces sujets. Je suis prêt à ouvrir avec vous, comme avec M. Hyest, un débat sur les raisons pour lesquelles nous devons aujourd'hui légiférer. Je l’ai dit tout à l'heure, le gouvernement précédent aurait dû anticiper cette décision.

Ce sont des sujets compliqués, nous l'avons vu en matière de garde à vue, voilà deux ans. Monsieur Hyest, nous pourrions reprendre vos analyses sur la Cour de cassation, tant il est vrai que la Cour de justice de l'Union européenne a donné un certain nombre d'indications que la Cour de Cassation a appliquées de manière très stricte. Le Gouvernement est mis face à ses responsabilités et doit traiter ce problème : il les assume.

Je partage évidemment l'idée selon laquelle la maîtrise des flux migratoires constitue une nécessité, un impératif des politiques publiques. Peut-être suis-je naïf, mais cela doit faire l’objet d’un débat public serein, d’une qualité égale à celle qui caractérise notre discussion de ce soir. Le pays y gagnerait beaucoup.

Monsieur Buffet, vous avez souligné que l’utilisation de la seule procédure de vérification d’identité ne nous permettait plus d’assurer une lutte contre l’immigration irrégulière qui soit à la fois efficace et respectueuse des droits. Je prends acte de votre soutien, en espérant qu’il sera confirmé dans la suite de la discussion.

Sur le délit de solidarité, vous avez rappelé avec raison que la jurisprudence du Conseil constitutionnel avait encadré le délit d’aide au séjour irrégulier et que des immunités pénales existaient déjà dans le texte antérieur. Néanmoins, reconnaissez avec moi que le texte de la loi n’était pas dépourvu d’ambiguïté pour ce qui concerne les associations et qu’il convenait de faire en sorte que l'aide désintéressée des associations ne puisse pas être poursuivie pénalement. Ce texte est pour nous l’occasion d’avancer sur ce point et l’examen des amendements nous permettra d’apporter les précisions nécessaires.

En tout cas, je vous remercie du soutien que vous apportez à ce texte, qui n'est en rien, je le répète, une cathédrale législative traitant l’ensemble des problématiques relatives à l'immigration ; il me paraît important qu’il puisse être approuvé à large majorité.

Monsieur Mazars, je vous remercie d'avoir rappelé l'urgence qui nous rassemble aujourd'hui. J'ai dû engager la procédure accélérée sur deux textes, la loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, car il fallait procéder à des modifications législatives avant le 31 décembre prochain, et le présent projet de loi, car nous devons absolument disposer très vite d'outils efficaces dans le domaine concerné.

En matière de lutte contre l'immigration irrégulière, il faut retrouver une cohérence de l'action publique. Monsieur Mazars, vous avez insisté à juste titre sur le symbole que constituait la suppression du délit de solidarité. Vous avez également fait référence à un film illustrant la détresse de ceux qui se trouvent dans une situation épouvantable, depuis la suppression de Sangatte, dont on a « fêté » la fermeture. Reconnaissons que ces problèmes, s'ils ont été en partie résolus sur le secteur du Pas-de-Calais, se sont en revanche étendus sur l'ensemble de la côte française ainsi qu’en région parisienne. Il nous faut aussi faire face à l’augmentation des flux migratoires et des demandes d'asile – j’y reviendrai –, ainsi qu’aux drames que cela engendre.

Monsieur Leconte, je partage votre sentiment : l'intervention du Gouvernement était nécessaire pour redonner à nos procédures d'éloignement la sécurité juridique dont elles ont besoin. La directive Retour et son interprétation par la Cour de justice de l'Union européenne rendaient impossible le maintien de la garde à vue dans le cadre d'une procédure administrative d'éloignement : le seul fait de se trouver sans titre de séjour sur le territoire national ne doit pas relever du droit pénal.

Vous avez également souligné que l'un des objets de ce texte était d'assurer la conformité des contrôles des titres de séjour avec Schengen.

Lors de mon premier conseil Justice et affaires intérieures, à Luxembourg, au mois de juin dernier, j'ai réaffirmé l’attachement de la France à cet espace. Des défis se présentent à nous, notamment à l’occasion de l'entrée dans Schengen de la Roumanie et de la Bulgarie. Ce n'est guère facile, car nous sommes parfois allés trop vite sur ces questions. Il n'en demeure pas moins que Schengen reste un espace de liberté, tout comme l'espace judiciaire, dont l'actualité nous a démontré à quel point il était important dans la lutte contre le terrorisme.

De ce point de vue, les déclarations de mon prédécesseur, qui donnaient à l'ensemble de nos partenaires européens le sentiment que nous allions sortir de Schengen sans qu’elles trouvent jamais leur traduction en actes, m’ont troublé. J'ai, pour ma part, réaffirmé la volonté de la France, sous l'autorité du président Hollande, de rester dans Schengen. L'accord que nous avons trouvé dans le cadre du conseil JAI me paraît équilibré. Nous devons assumer nos obligations communautaires.

Pour ce faire, il faut aussi que la lutte contre l'immigration irrégulière au sein de l'Union européenne s'effectue selon des règles communes. En matière d'immigration, de garde à vue, de rétention, d'asile, ces règles sont en train d'évoluer. Avec le Parlement, nous devons être capables d'anticiper toutes ces évolutions dans des domaines aussi complexes que ceux que je viens d'énumérer. C'est plus qu’un souhait, c’est presque une requête que je formule, monsieur le président de la commission des lois.

Je tiens à vous rassurer sur la durée de la retenue. Le texte qui est présenté prévoit que la retenue ne peut excéder le temps strictement nécessaire ; le procureur peut y mettre fin à tout moment. Il n'y aura pas de retenue dont la longueur serait abusive ou « de confort ». Ce qui était abusif, c'était l'utilisation de la garde à vue dans le cadre d'une procédure administrative d'éloignement.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Manuel Valls, ministre. Enfin, comme vous l’avez noté, un amendement du Gouvernement vise à limiter les contrôles des titres de séjour « au faciès ». Cette insertion dans la loi de principes dégagés par le juge judiciaire doit répondre à votre attente et consacrera juridiquement la nécessité que les contrôles de titres de séjour ne soient jamais source de stigmatisation. Ne soyons pas naïfs : nous connaissons les problèmes que cela peut engendrer. Il reste que le cadre juridique sera bien posé. J'ai déjà eu l'occasion de m’expliquer sur ce point.

Monsieur Hyest, comme vous, je regrette que le projet de loi soit examiné en séance publique à une heure aussi tardive, mais la qualité du débat doit effacer tout regret. Pour ma part, je me plie à l’ordre du jour et je ne peux que prendre acte de la durée du débat précédent.

Je vous remercie de souligner que la réforme proposée par le Gouvernement n’est pas anodine : 60 000 gardes à vue en moins, ce n’est pas rien !

À la place de mesures très coercitives, nous instaurons une procédure de retenue plus brève et, je le crois, protectrice des droits. Il faudra y veiller, mais je suis volontariste : je ne partage pas la forme de pessimisme exprimée tout à l’heure par M. Jean-Pierre Michel.

Comme vous, je souhaite que la politique d’immigration soit équilibrée. Il ne faut jamais confondre la nécessaire maîtrise des flux migratoires avec la stigmatisation des migrants et des étrangers, qui est certes, et depuis longtemps, une réalité de nos sociétés, mais qui n’en est pas moins inacceptable.

M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !

M. Manuel Valls, ministre. Vous avez enfin eu raison de souligner, monsieur Hyest, que l’asile n’est pas l’immigration. Il s’agit d’un droit constitutionnel, garanti et protégé par des conventions internationales. Toutefois, pour que ce droit soit réel et qu’il ne soit pas détourné de son objet, il faut des procédures permettant d’accéder rapidement, le cas échéant, au statut de réfugié.

M. Manuel Valls, ministre. Le Président de la République s’y est engagé. Je l’ai dit, nous avons pour objectif de réduire à neuf ou dix mois le délai d’examen des demandes d’asile, tout compris, c'est-à-dire en additionnant les délais d’examen par l’OFPRA et l’éventuel recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA.

Cela me paraît d’autant plus nécessaire que nous assistons – j’ai eu l’occasion d’en discuter avec mes collègues européens, notamment avec mon homologue allemand – à un détournement du droit d’asile de la part d’un certain nombre d’étrangers, souvent en provenance de l’est de l’Europe. Ils posent des problèmes majeurs dans certaines villes françaises, plus particulièrement à l’est de notre pays, par exemple à Dijon, le président Rebsamen pourrait en témoigner. Ces populations, qu’elles viennent de Macédoine, d’Albanie, de Bosnie-Herzégovine, de Serbie, constituent un défi pour notre espace public : nous savons qu’elles seront déboutées du droit d’asile mais, faute d’un traitement et d’une gestion adéquats, nous nous trouvons confrontés à des difficultés qu’il nous faut résoudre.

Merci, en tout cas, monsieur Hyest, de votre soutien, de la qualité de votre intervention et de votre modération. J’en tire beaucoup de conclusions pour tous les débats qui viendront dans les prochains mois sur ces questions.

Ce souhait est loin d’être une simple posture. Je crois profondément que les grandes formations républicaines devraient, sur la question de l’immigration et sur la place des étrangers dans notre société, être capables de converger. Ces problèmes sont lourds et il y a une certaine distance entre le discours que des élus tiennent au sein de l’une ou l’autre des assemblées parlementaires et la façon dont ils sont amenés à traiter les difficultés auxquelles ils ont à faire face sur le terrain. Combien d’entre eux doivent intervenir, et c’est normal, pour régler des problèmes de régularisation ? Parce qu’il est bien évident que certaines situations peuvent devenir impossibles ! Qui peut rester insensible devant la détresse d’une famille, devant des enfants mêlés à un drame auquel ils ne peuvent rien, dans le Pas-de-Calais ou ailleurs ?

Mais, en même temps, parce que nous sommes comptables de la cohésion et de l’avenir de la Nation, il nous faut mener ces politiques.

Encore une fois, ce texte n’embrasse pas l’ensemble des politiques d’immigration mais, lorsque je présenterai un autre texte au cours du premier semestre 2013 – il portera notamment sur les titres de séjour pluriannuels –, j’essaierai, sous l’autorité du Premier ministre, de trouver les voies d’un rassemblement le plus large possible.

Moi, je ne suis pas un adepte des abrogations. En tout cas, quand on abroge un dispositif, il faut toujours y substituer un autre qui soit efficace. Je le dis à chacun : nous n’avons rien à gagner à faire de l’immigration un sujet de clivage. Les républicains que nous sommes y perdraient de toute façon : il y aura toujours ceux qui, loin de la réalité ou prêts à utiliser ce sujet à des fins politiques, seront capables de se faire entendre au moment où nos concitoyens doutent et sont en très grande difficulté.

À cet égard, monsieur Yung, merci d’avoir remis ce projet de loi dans le contexte général de la nouvelle politique d’immigration voulue par le chef de l’État : clarté des règles et respect des personnes en sont les lignes directrices. Vous l’avez dit, aucun juge n’a le monopole de la défense des libertés et, pour creuser cette délicate question, le Premier ministre a nommé un parlementaire en mission, dont les travaux viendront éclairer vos propres réflexions, déjà particulièrement riches.

Merci à tous : avant même d’entamer le débat sur les amendements, je suis conforté par la qualité de vos interventions et de vos propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

Chapitre Ier

Dispositions relatives à la retenue d’un étranger aux fins de vérification de sa situation

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées
Article additionnel avant l'article 2

Article 1er

(Non modifié)

L’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :

1° Au début du premier alinéa est insérée la mention : « I. – » ;

2° Au second alinéa, la référence : « et 78-2-1 » est remplacée par les références : « , 78-2-1 et 78-2-2 » ;

3° Il est ajouté un II ainsi rédigé :

« II. – Dans les zones et lieux mentionnés au huitième alinéa de l’article 78-2 du code de procédure pénale, le contrôle des obligations prévues au I du présent article ne peut être pratiqué que dans les conditions prévues par la dernière phrase de cet alinéa. »

M. le président. L'amendement n° 6, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

1° Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

1° Le premier alinéa est supprimé ;

2° Alinéa 3

Compléter cet alinéa par les mots :

et les mots : « visés à l’alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « sous le couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France »

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Ce projet prévoit un encadrement minimal des contrôles aux frontières du fait de la remise en cause de notre législation sur ce point par une décision de la Cour de cassation en date du 6 juin 2012.

Il ne modifie pas le premier alinéa de l’article L. 611-1 du CESEDA, relatif au contrôle des titres de séjour sur l’ensemble du territoire.

L’amendement n° 27 du Gouvernement, qui vise à préciser, dans l’article L. 611-1, que les contrôles ne sont autorisés que lorsque la qualité d’étranger peut se déduire d’éléments objectifs extérieurs à la personne est, nous semble-t-il, inutile puisqu’il ne fait que reprendre une formulation de la Cour de cassation. Vous intégrez ainsi dans le code, monsieur le ministre, un élément déjà présent dans notre droit positif.

Ce qui est dérangeant dans cet article du CESEDA, c’est qu’il autorise, en son premier alinéa, les contrôles de titres de séjour en dehors de tout contrôle d’identité. Cela légalise tous les abus puisque cela signifie que les contrôles de titres de séjour sont possibles à tout moment, pour n’importe quelle raison, alors que les contrôles d’identité, encadrés par le code de procédure pénale, ne sont possibles que sous certaines conditions, notamment lorsqu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’une personne a commis ou tenté de commettre une infraction, ou bien qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit.

L’amendement n° 27 n’est pas du tout satisfaisant au regard du principe de non-discrimination et du droit pour toute personne d’aller et venir sans être arrêtée arbitrairement, mais aussi au regard de la prohibition des contrôles au faciès, qui font largement débat actuellement.

Il convient de supprimer purement et simplement le premier alinéa de l’article L. 611-1. Les contrôles de titres de séjour ne pourront ainsi se faire que dans le cadre du droit commun, par renvoi du CESEDA aux dispositions du code de procédure pénale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission a examiné cet amendement avec beaucoup d’attention. Il s’inscrit dans une logique qui consiste à vouloir ramener dans un cadre judiciaire une procédure ayant une spécificité administrative. C’est bien le sens de l’article L. 611-1.

Je ne suis pas certain qu’il faille effectivement aller jusque-là. En effet, le grand acquis du dispositif dont nous discutons aujourd’hui, qui permet de faire disparaître le délit de séjour irrégulier – en tout cas dans sa conception actuelle –, est justement d’opérer une distinction claire entre procédure administrative et procédure judiciaire.

Si l’on vous suivait, madame Assassi, cela voudrait dire que le contrôle des titres de séjour ou des titres autorisant la présence sur le territoire passe nécessairement par un contrôle préalable d’identité. Autrement dit, cela reviendrait à supposer que la personne contrôlée a commis une infraction, représente une menace pour l’ordre public ou se trouve dans un des différents cas énumérés par le code de procédure pénale où ce type de contrôle est autorisé.

Pour le coup, nous obtiendrions un effet qui pourrait se révéler contre-productif, laissant à penser que ce type de contrôle ne peut s’exercer qu’en direction de l’étranger soupçonné a priori d’être un délinquant ou de pouvoir entrer dans un processus délictuel.

Il faut aborder cette question avec beaucoup de précaution. Les différents encadrements prévus, et notamment l’amendement dont nous discuterons tout à l’heure, nous permettent d’apporter quelques garanties à ce processus spécifique, qui peut évidemment donner lieu à des excès : comment, en effet, déterminer qu’une personne est étrangère à partir du moment où l’on va effectuer le contrôle ? Je crois que l’amendement présenté par le Gouvernement permettra de répondre à cette question.

Je comprends tout à fait l’esprit et le sens de votre démarche, ma chère collègue, mais je ne partage pas totalement la conclusion à laquelle vous arrivez. C’est pourquoi j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Le projet de loi serait dépourvu de cohérence si, parallèlement à la suppression du délit de séjour irrégulier, il interdisait, du fait de la suppression que vous proposez, madame Assassi, le contrôle administratif de la régularité du séjour.

L’équilibre du texte exige le maintien de cette procédure autonome de vérification, indépendante des contrôles d’identité diligentés à la demande de l’autorité judiciaire.

Nous sommes donc défavorables à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 27, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Au premier alinéa, les mots : “de nationalité étrangère” sont remplacés par les mots : “dont la nationalité étrangère peut être déduite d'éléments objectifs extérieurs à la personne même de l'intéressé” ;

La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Cet amendement vise à répondre à la question importante des critères auxquels ont recours les forces de l’ordre lorsqu’elles vérifient, en dehors du contrôle d’identité, le droit au séjour des personnes étrangères.

Il a parfois été reproché à ce contrôle d’être exécuté « au faciès » et de viser ainsi une partie de la population, des Français ou des étrangers en situation régulière, qui ne doivent pas subir, simplement du fait de leur apparence, des contrôles si réguliers qu’ils en deviennent stigmatisants ou insultants.

Il s’agit d’un problème constaté par les élus et les associations, et qui pèse aussi sur le travail de la police et de la gendarmerie.

En vue de le résoudre, cet amendement inscrit dans la loi une solution arrêtée par la Cour de cassation : la vérification des titres de séjour opérée en application de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers doit reposer sur des éléments objectifs extérieurs à la personne même de l’intéressé.

Ces deux critères, objectivité et extériorité à la personne de l’intéressé, doivent permettre d’assurer que sont exclues les appréciations ou perceptions subjectives telles que la couleur de peau ou l’apparence. Ils n’interdisent pas tout contrôle, comme le révèle une jurisprudence abondante : le fait de sortir d’une voiture immatriculée à l’étranger constitue, par exemple, un critère accepté.

Cet amendement vise donc à inscrire dans la loi des critères qui ont fait leurs preuves et qui n’interdisent pas toute action des forces de l’ordre. À défaut, on risquerait de les désarmer totalement dans un travail de terrain qui nécessite du discernement, certes, mais, en même temps, un tant soit peu d’action.

Le but de l’amendement n’est donc pas de bouleverser le droit positif mais de le consolider, de le réaffirmer. Au-delà, cette inscription dans le CESEDA contribuera à l’œuvre de pédagogie et de conviction dont nous avons besoin pour renforcer nos propres valeurs.

À l’article 4, un autre amendement sera présenté par le Gouvernement, qui vise à introduire dans l’article 67 quater du code des douanes la même formule tirée de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Soyons conscients de la difficulté du travail des forces de l’ordre dans ce registre de la lutte contre l’immigration irrégulière. Je crois que vous pourrez en convenir, régler ce problème-là n’est pas l’obsession des policiers et des gendarmes, surtout si l’on sort de la politique du chiffre. Il s’agit simplement de leur fournir un appui dans la lutte contre l’immigration irrégulière et de consolider la politique du Gouvernement en la matière.