M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.

M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la majorité du groupe RDSE s’était fermement opposée à la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, M. le président Mézard l’a rappelé tout à l’heure. Ce texte avait notamment été jugé restrictif en termes de garanties des droits des étrangers et surtout comme allant bien au-delà des dispositions de la directive Retour appelées à être transposées dans notre droit.

D’aucuns regrettent aujourd’hui que le présent projet de loi n’ait pas été l’occasion d’une remise à plat de cette loi, et du droit des étrangers en général. Nous avons entendu cette attente mais nous considérons, comme vous, monsieur le ministre, qu’il importe pour l’heure de mettre au plus tôt notre droit en conformité avec la double jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation.

Je ne reviendrai pas sur la question du régime de la retenue aux fins de vérification de la situation d’un étranger, Jacques Mézard ayant exprimé à ce sujet la position de la majorité de notre groupe. Pour ma part, je concentrerai mon intervention sur les dispositions relatives à l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers.

On se souvient du débat sur le délit dit de « solidarité » qui avait suivi la sortie, en 2009, du film Welcome, lequel avait eu le mérite de mettre en lumière le rôle fondamental des associations humanitaires dans l’aide désintéressée qu’elles apportent à des personnes très souvent en situation de grande détresse, parfois même dessaisies de leur propre destin.

Leur action vient ainsi suppléer les limites des pouvoirs publics et donne toute sa force au terme « fraternité » de notre devise républicaine. L’avocat que je suis peut témoigner de cet engagement multiforme, qui s’inscrit bien trop souvent dans un cadre très précaire et dans une urgence constante.

Comme le rappelle l’étude d’impact annexée au projet de loi, le délit d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier a été institué dès 1938 et régulièrement réformé depuis, en fonction des alternances et des obligations européennes contractées par la France.

Cependant, comme l’a affirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 5 mai 1998, le pouvoir législatif, et lui seul, est parfaitement en droit de créer des immunités pénales au bénéfice de certaines personnes physiques ou morales. Il avait été également ajouté en 2004 que le délit d’aide au séjour irrégulier commis en bande organisée ne saurait concerner les organisations humanitaires d’aide aux étrangers. Cette interprétation n’avait pourtant pas empêché une certaine confusion quant à l’application de l’article L. 622-1 du CESEDA, dans sa rédaction issue de la loi du 9 mars 2004.

C’est d’ailleurs en réaction à cette confusion et à l’insécurité juridique ainsi créée, que des membres du groupe RDSE avaient déposé en avril 2009 une proposition de loi visant à supprimer les poursuites au titre de l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers à l’encontre des personnes physiques ou morales qui mettent en œuvre, jusqu’à l’intervention de l’État, l’obligation d’assistance à personne en danger. Mais M. Besson, alors ministre de l’immigration, avait expliqué, toujours en avril 2009, que le délit de solidarité n’existait pas et que, « en soixante-cinq années d’application de cette loi, personne en France n’avait jamais fait l’objet d’une condamnation pour avoir seulement accueilli, accompagné ou hébergé un étranger en situation irrégulière ».

Or le Conseil d’État lui-même, dans une décision du 19 juillet 2010, désavouant ainsi le ministre, avait clairement indiqué que la circulaire du 23 novembre 2009 permettait bien de « sanctionner l’aide au séjour irrégulier non seulement dans un but lucratif, mais aussi dans un but non lucratif ».

En outre, je peux en témoigner, des poursuites pénales fondées sur le délit de solidarité ont bien été mises en œuvre, même dans mon département, l’Aveyron, qui connaît pourtant, vous en conviendrez, une faible immigration. Monsieur le ministre, je ne peux donc que me réjouir que votre projet de loi s’inscrive dans une philosophie d’ouverture à l’autre et ne soit pas l’expression d’un nouveau réflexe de peur et de repli sur soi.

Si la loi du 16 juin 2011 avait déjà assoupli le régime du délit de solidarité, votre texte, en élargissant le champ de l’immunité pénale, va encore plus loin. Cette immunité, telle que vous l’envisagez, visera désormais les ascendants, descendants, frères et sœur du conjoint de l’étranger. En outre, elle protégera les personnes apportant une aide humanitaire aux étrangers en situation irrégulière, leur permettant alors d’intervenir non seulement dans les cas d’urgences, mais aussi et simplement afin de préserver leur dignité. Nous souscrivons pleinement à cette ambition.

Bien sûr, l’assistance humanitaire ne doit en aucun cas se transformer en soutien actif à la clandestinité. Notre groupe est, vous le savez, fermement attaché à ce que les étrangers présents sur notre sol jouissent de leurs droits fondamentaux, mais aussi à ce qu’ils assument leurs devoirs à l’égard de notre République. C’est en effet quand elle est ouverte et respectueuse, mais aussi respectée, que notre République est exemplaire.

Enfin, et surtout, il importe de renforcer la lutte contre les réseaux mafieux qui exploitent la détresse des migrants, nourrissent des trafics de toute nature et en tirent des profits importants. Dans ce domaine, nous savons aussi pouvoir compter sur vous, monsieur le ministre.

C’est dans cet état d’esprit, combinant humanisme et ordre républicain, que nous voterons votre texte.

Comme le disait l’ethnologue néerlandais Frans de Waal, « l’empathie humaine a un ancrage si profond qu’elle parviendra toujours à s’exprimer ». Monsieur le ministre, votre projet de loi nous semble traduire de façon équilibrée cette expression. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à relever la totale désorganisation de nos travaux : on travaille certains jours, d’autres, non ; il arrive de plus en plus souvent que l’on siège en séance publique non pas le jour, mais la nuit ! Voilà qui est bizarre, mais nous allons sans doute nous habituer à ces méthodes de travail…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas très nouveau !

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président Sueur, ma remarque ne vaut pas que pour les travaux en séance publique, il en va parfois de même en commission…

En tout cas, il est dommage qu’un projet de loi aussi important et urgent que celui que nous examinons aujourd’hui ne fasse pas l’objet d’une certaine priorité, ce qui nous contraint à veiller un peu tardivement, non sans un certain succès d’ailleurs eu égard à la présence …

M. Jacques Mézard. Remarquable !

M. Jean-Jacques Hyest. … remarquable en effet de nos collègues. Quoi qu’il en soit, cela ne nous empêchera pas de délibérer.

Pour faire gagner du temps au Sénat et compte tenu du fait que notre collègue François-Noël Buffet, qui connaît bien ces sujets pour avoir été, pendant de très nombreuses années, rapporteur de tous les textes relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers, avait exprimé de façon claire et équilibrée la position de notre groupe, j’avais décidé de ne pas intervenir. Mais il y a quand même des propos qui me choquent ! Et, lorsque l’on énonce des inexactitudes, je suis obligé de les corriger !

Ainsi, quand on nous reproche de ne pas avoir fait ce qu’il fallait en temps opportun, je tombe des nues !

Monsieur Leconte, vous avez prétendu que nos lois seraient à l’origine de l’article L. 621-1 du CESEDA ? Savez-vous depuis quand existe cet article ? Le savez-vous ? Non ?... Depuis l’ordonnance de 1945 ! Je n’y peux donc rien ! Ce n’est qu’en mai ou en juin 2011 que les cours d’appel d’Aix-en-Provence, de Paris et de Versailles ont confirmé que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne ne s’appliquait pas à ce délit. Il y avait donc un doute,…

M. Jean-Yves Leconte. On voyait les choses arriver !

M. Jean-Jacques Hyest. Vous lisez dans le marc de café, monsieur Leconte ?

À ce propos, je formulerai une réflexion beaucoup plus large : lorsque l’on soulève, dans notre pays, un problème, il y a contrôle de constitutionnalité, ce qui est fort bien. Mais il existe aussi le contrôle de conventionnalité.

En fait, le contrôle de conventionnalité permet à la plus haute juridiction, la Cour de cassation – le Conseil d’État est beaucoup plus prudent –, de s’ériger parfois en cour suprême pour indiquer la manière dont nous devons interpréter les traités. C’est un débat que nous avions eu dans le cadre de la réforme de 2008 ; sans doute vous en souvenez-vous, monsieur Sueur ? (M. le président de la commission des lois opine.) Nous nous étions alors beaucoup interrogés sur les risques de disparité de jurisprudence entre la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel.

Je tenais à faire ces mises au point.

Monsieur Sueur, j’ai eu, à certains moments, l’impression que l’on s’était fourvoyé dans des débats biaisés en confondant contrôle d’identité, vérification d’identité et vérification des titres permettant aux personnes de nationalité étrangère de circuler et de séjourner en France. Quand on fait ces amalgames, cela ne va plus du tout.

Aussi, était-il urgent de trouver une solution au vide juridique provoqué par la décision de la Cour de cassation du 5 juillet 2012. Mon ami François-Noël Buffet a indiqué qu’il aurait préféré que ce texte fasse l’objet d’une navette parlementaire. Pour ce qui me concerne, je vais jusqu’à accepter la procédure accélérée déclarée sur ce texte, car il ne faut pas laisser les services chargés de contrôler l’immigration sans moyens efficaces.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la commission des lois. Vous critiquez M. Guéant, vous êtes sévère !

M. Jean-Jacques Hyest. Non, je ne critique pas ! Je vous explique les raisons pour lesquelles on peut légitimement penser qu’une interprétation différente aurait été possible.

La procédure administrative de seize heures prévue dans le texte nous paraît donc tout à fait indispensable. On sait très bien que le délai de retenue de quatre heures pour vérification d’identité n’est pas suffisant, et qu’une nouvelle procédure était nécessaire ; elle aura lieu sous contrôle judiciaire, ce qui est très bien. Il est évident que, si l’on commence à diviser encore le délai, on limitera l’efficacité du dispositif.

Au demeurant, je suis toujours gêné de voir qu’on suspecte un peu les services de police chargés de cette difficile mission – je pense à la police aux frontières, mais aussi à d’autres services de police – de ne pas respecter la loi.

Ce nouveau dispositif est donc important, d’autant que, si j’ai bien lu l’étude d’impact, chaque année, 60 000 étrangers en situation irrégulière étaient placés en garde à vue sous ce seul chef.

Si l’on supprime le délit prévu à l’article L. 621-1 du CESEDA pour respecter les arrêts de la Cour de cassation, il nous faut bien trouver l’outil idoine pour vérifier, dans des conditions efficaces, les titres permettant aux personnes de nationalité étrangère de circuler ou de séjourner en France.

C’est pourquoi vous proposez, monsieur le ministre, à l’article 5 du projet de loi de supprimer le délit prévu à l’article L. 621-1 du CESEDA, mais de modifier l’article L. 621-2 du code précité afin de maintenir les dispositions pénales réprimant l’entrée irrégulière sur le territoire pour tous les autres motifs pour lesquels cela demeure un délit et de prévoir, à l’article 6, par coordination, les dispositions visant à punir le maintien sur notre territoire. Seul le séjour irrégulier ne peut donc plus être sanctionné.

Monsieur le ministre, vous avez notre soutien, car il est de l’intérêt du Parlement, dans son ensemble, de donner la possibilité au Gouvernement de mettre à la disposition des services chargés du contrôle de l’immigration un outil efficace, parfaitement respectueux des libertés publiques.

Vous avez également évoqué beaucoup d’autres points dans votre discours introductif, qui m’a paru être équilibré.

En ce qui me concerne, comme d’ailleurs beaucoup de mes collègues, je n’ai jamais dit que l’immigration était la cause de tous nos maux – et pourtant, en vingt-six ans, j’en ai vu passer des textes sur le sujet, sous tous les gouvernements !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Encore une critique de M. Guéant !

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le rapporteur, je parle en mon nom ! Je n’ai pas à juger les uns ou les autres !

M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Je trouve que vous y allez un peu fort, monsieur Hyest !

M. Jean-Jacques Hyest. Pour ma part, je n’ai eu de cesse de faire en sorte que l’on respecte les personnes. Au demeurant, si mon ami Bernard Stasi affirmait que l’immigration était une chance pour la France, Michel Rocard, lui, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, disait que l’on ne pouvait pas héberger toute la misère du monde.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cette phrase avait une suite, que l’on oublie toujours ! Vous le savez très bien, monsieur Hyest !

M. Jean-Jacques Hyest. Vous aurez la parole ultérieurement, monsieur Sueur ! De toute façon, vous la prendrez, car vous adorez ça ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas sûr, monsieur Hyest !

M. Jean-Jacques Hyest. Alors, on gagnera du temps ! (Nouveaux sourires.)

Vous avez également parlé, monsieur le ministre, des mesures d’éloignement et de l’intervention du juge administratif et du juge judiciaire, une question sur laquelle il nous faut être extrêmement attentifs.

Je sais que ce point a fait l’objet d’un combat de la part de certains de nos amis. Je rappelle que le juge administratif, autant que le juge judiciaire, doit être respectueux des libertés publiques. Sauf à vouloir rendre totalement inefficace et complexe la procédure, qui ne pourrait alors aboutir, et réduirait à néant toute politique d’immigration, revenir aux dispositifs qui ont été validés par le Conseil constitutionnel me paraît dangereux.

Concernant l’asile, vous avez également dit quelque chose de très important, monsieur le ministre.

L’asile et l’immigration sont deux choses différentes.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest. Des textes européens sur ce sujet sont en préparation.

On sait que le système ne fonctionne pas très bien entre les pays européens, et ce n’est pas pour rien que les pays les plus respectueux des procédures voient affluer un grand nombre de demandeurs d’asile. Ceux qui n’accordent pas l’asile, ou pratiquement pas, renvoient les demandeurs dans les autres pays. Il est donc temps d’avoir une meilleure coordination européenne.

Pour éviter un trop grand nombre de demandes d’asile abusives – vous avez eu raison de le souligner, monsieur le ministre, et je n’ai, pour ma part, jamais cessé de le dire –, il faut accélérer les procédures de l’OFPRA et de la Cour nationale du droit d’asile.

Vous avez fait des promesses, vous avez renforcé les services de l’OFPRA, à l’instar de ce qui a déjà été fait en d’autres époques. C’est indispensable si l’on veut que les dossiers soient traités dans le respect des personnes et si l’on veut éviter que les celles qui méritent de bénéficier de l’asile ne soient rejetées de notre pays. Au demeurant, on connaît très bien le taux d’acceptation des demandes d’asile.

La Cour nationale du droit d’asile et l’OFPRA, qui font bien leur travail, ont également révélé que notre pays avait intérêt à ce que des procédures européennes vraiment nouvelles et acceptées par tous soient décidées et qu’elles fassent l’objet d’une directive, à l’image de la directive Séjour.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, si le texte n’est pas bouleversé, et comme l’a annoncé notre collègue François-Noël Buffet, le groupe UMP votera ces mesures absolument nécessaires et indispensables.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Pour le coup, c’est nous qui sommes bouleversés ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne sais pas si cela tient à l’ordre alphabétique ou au fait d’être membre du groupe socialiste, mais j’ai l’impression d’être toujours le dernier à intervenir dans la discussion générale. Il m’est donc difficile d’éviter les redites.

Tout d’abord, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, de l’action déterminée que vous avez récemment menée et que vous menez encore en matière d’immigration et d’intégration ; en témoigne votre discours liminaire.

Au cours des derniers mois, vous avez en effet abrogé un certain nombre de dispositions réglementaires prises par vos prédécesseurs, ceux-là mêmes qui se sont tristement illustrés, cinq années durant, par une certaine surenchère. Je donne acte à notre collègue Jean-Jacques Hyest de sa position, mais certains de ses amis ont cherché à instrumentaliser ce débat…

M. Jean-Jacques Hyest. Jamais au Sénat !

M. Richard Yung. … en y mêlant les questions de l’immigration, de la place de l’étranger dans notre pays et de la nationalité, ce qui n’est pas digne de la tradition française C’est ce que nous avons particulièrement ressenti en tant que Français de l’étranger.

Aussi était-il devenu urgent de mettre un terme à certaines pratiques qui n’étaient pas à la hauteur de notre pays, patrie des droits de l’homme.

Ainsi, vous avez abrogé la circulaire du 31 mai 2011 qui empêchait des étudiants étrangers de s’installer dans notre pays et d’accéder à un emploi.

De même, pour les familles avec enfants mineurs, vous avez écarté le placement en rétention au profit de l’assignation à résidence.

Vous avez en outre assoupli les conditions d’accès à la nationalité française afin que la naturalisation récompense un parcours d’intégration ; en matière de politique de naturalisation, les dernières mesures nous semblent extrêmement positives.

Enfin, vous avez annoncé votre intention de supprimer la liste des métiers sous tension pour la régularisation des travailleurs sans papiers.

Chaque fois, vous avez fait preuve non seulement de bon sens, mais aussi de courage et d’efficacité, alors qu’un certain nombre de nos collègues de l’opposition nous reprochaient volontiers un angélisme et une inefficacité qui seraient en quelque sorte consubstantiels à la gauche.

M. Jean-Jacques Hyest. Nous ne savions pas que M. Valls serait ministre de l’intérieur ! (Sourires.)

M. Richard Yung. La gauche a montré qu’elle était tout à fait capable de conduire une politique d’intégration responsable et efficace, en même temps que juste, respectueuse et sereine.

Mais nous ne pouvons en rester là. Un travail législatif important est nécessaire pour venir à bout des discriminations et des injustices créées par les lois successives qui ont été votées ces dernières années en matière de sécurité et d’immigration, ou en tout cas pour les réduire.

Monsieur le ministre, vous avez annoncé un vaste projet pour l’an prochain ; je m’en réjouis et je souhaite que les parlementaires soient associés à ce grand chantier.

Puissiez-vous être aidé dans la préparation de ce projet de loi par les travaux nourris que nous avons menés et les amendements nombreux que nous avons déposés ces dernières années lors de l’examen des projets de loi relatifs à l’immigration, en particulier lors de la discussion de la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, dite loi Besson.

Je ne répéterai pas les raisons pour lesquelles le présent projet de loi est soumis à notre examen en procédure accélérée, ni les explications touchant à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Il est clair que l’arrêt de la Cour de cassation fragilisait notre édifice juridique, puisque les forces de police ne disposaient plus, pour mener à bien les vérifications nécessaires, que de la procédure de vérification d’identité, dont la durée ne peut dépasser quatre heures, ce qui est de toute évidence insuffisant.

Il était donc normal et urgent d’adapter notre législation pour la mettre en conformité avec le droit européen, pour combler le vide juridique ouvert par l’arrêt de la Cour de cassation et pour permettre aux forces de police de travailler dans de bonnes conditions.

Telle est la raison d’être du présent projet de loi, qui, en premier lieu, institue un nouveau régime de retenue des étrangers pour vérification du droit au séjour, à mi-chemin entre la garde à vue et la vérification d’identité.

D’une durée maximale de seize heures, ce dispositif me paraît être un compromis équilibré et satisfaisant entre le souci d’efficacité policière en matière de lutte contre l’immigration clandestine et le respect des libertés individuelles garanties par la Constitution.

L’articulation de ces deux exigences est d’autant plus aboutie que la procédure créée est assortie de nombreuses garanties pour l’étranger : droit à un interprète, droit de s’entretenir avec un avocat, droit à être examiné par un médecin, droit de prévenir sa famille et possibilité pour le procureur de mettre fin à la retenue à tout moment.

L’étranger retenu bénéficiera donc d’un ensemble de garanties que les membres de la commission des lois, sous la sage conduite de leur président, ont complétées et renforcées. Ils ont prévu le droit pour l’étranger retenu d’avertir les autorités consulaires, l’interdiction de le placer dans un local destiné aux personnes gardées à vue et la limitation des mesures de contrainte exercées sur lui.

Fort de toutes ces garanties, le dispositif ainsi créé semble à la fois efficace et respectueux des droits légitimes de la personne. Il sera conforme aux exigences fixées par la Cour de justice de l’Union européenne et par la Cour de cassation.

Je n’ignore pas qu’un débat existe sur la longueur de la retenue : doit-elle durer seize heures, dix heures plus six, quatre heures plus douze ?

Même s’il s’agit d’un débat de fond, prenons garde à ne pas nous égarer dans des considérations trop tortueuses et trop complexes. Veillons aussi à ne pas créer un sentiment de défiance à l’égard des forces de police, qui travaillent déjà dans des conditions difficiles.

Il est légitime de demander que le délai prévu pour la retenue soit celui qui est strictement nécessaire aux opérations de vérification.

En second lieu, le projet de loi supprime ce qu’il est convenu d’appeler le « délit de solidarité ».

Comme l’ont dénoncé de nombreuses associations, l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, censé permettre la lutte contre les réseaux de passeurs d’étrangers, a parfois été détourné pour traquer des bénévoles venant en aide aux sans-papiers.

Les orateurs de l’opposition ont prétendu que les cas auraient été peu nombreux. Pour ma part, j’ai le souvenir d’avoir visité il y a deux ou trois ans le camp de Sangatte, dans le Pas-de-Calais, et d’avoir rencontré des personnes ayant fait l’objet d’une mise en cause sur le fondement du délit de solidarité.

Je ne sais pas si les procédures ont par la suite abouti ; (MM. François-Noël Buffet et Jean-Jacques Hyest font signe que non.) mais le fait est que ces personnes avaient bien été poursuivies.

Il est vrai que, souvent, les affaires n’aboutissaient pas, ou bien débouchaient sur un non-lieu ou sur une dispense de peine, grâce au bon sens des juges. Reste que cette intimidation et la menace de représailles judiciaires pour délit de solidarité n’étaient pas acceptables.

Cette situation découle d’une législation imprécise qui, sous couvert d’une incrimination de l’aide au séjour irrégulier, entretient un amalgame entre ceux qu’on appelle les marchands d’hommes et des bénévoles généreux faisant œuvre de solidarité envers des personnes en difficulté.

Il me semble essentiel que la lutte contre les réseaux mafieux de passeurs ne soit pas utilisée comme un alibi pour entraver ou décourager les actions respectables et humanistes de bénévoles désintéressés faisant vivre le troisième principe de notre devise républicaine.

Aussi, je me réjouis que le projet de loi étende les immunités inscrites à l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile à la famille élargie et à toute personne physique ou morale portant une assistance désintéressée à l’étranger en situation irrégulière.

Avant de conclure, j’aimerais revenir sur une question qui me paraît importante, parce qu’elle a occupé une place essentielle dans les débats qui ont accompagné les lois votées ces dernières années en matière d’immigration.

Je veux parler de l’inversion des rôles du juge administratif et du juge judiciaire, à propos de laquelle nous avons eu de longs débats, en commission comme en séance publique.

La loi du 16 juin 2011 a allongé la durée de placement en rétention de deux à cinq jours, reportant d’autant l’intervention du juge des libertés et de la détention, qui est le garant des libertés individuelles.

M. Jean-Jacques Hyest. Les autres juges le sont aussi !

M. Richard Yung. Il est vrai que le juge administratif l’est aussi ; mais c’est la vocation première du juge de la liberté et de la détention, qui ne juge pas la décision du préfet mais tranche la question de la liberté. De là son titre.

M. Jean-Jacques Hyest. Qu’importe le titre ! Tous les juges sont juges des libertés !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur Hyest, n’interrompez pas l’orateur. M. Yung vient de dire que tous les juges sont juges des libertés ; mais il se trouve que le juge des libertés et de la détention porte ce titre.

M. Richard Yung. C’est un fait que le juge des libertés et de la détention a sa spécificité.

M. Jean-Jacques Hyest. C’est bien là le problème !

M. Richard Yung. Exactement ! Le problème vient du fait qu’il y a deux juges.

Pour ma part, je souhaite que l’on revienne sur l’inversion des rôles des juges, mais j’ai bien conscience que cette solution n’est pas forcément la panacée.

Comme vient de le dire M. Hyest, le problème fondamental tient à la coexistence de deux juges. Mais nous ne savons pas très bien comment en sortir ! Après avoir longuement examiné la question, Pierre Mazeaud, auteur du rapport « Pour une politique des migrations transparente, simple et solidaire », a conclu en 2008 qu’il ne fallait pas changer l’édifice.

On peut peut-être changer l’édifice : le Parlement, paraît-il, peut tout faire !

On pourrait créer un ordre de juridiction spécifique, en sorte qu’un seul juge soit compétent pour connaître de l’intégralité des affaires. Autrement dit, le même juge se prononcerait sur la procédure administrative et sur la question de la liberté.

Je dis cela pour souligner l’importance et la complexité de ce problème sur lequel, monsieur le ministre, nous sommes prêts à travailler.

En fin de compte, je me réjouis que, sur des questions de cette importance, nous puissions nous retrouver nombreux. En tout cas, les sénateurs socialistes voteront le projet de loi présenté par le Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)