M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. En premier lieu, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, de la hauteur de vue dont vous avez fait preuve en rappelant ce que doit être la République laïque, ouverte à tous ceux qui la respectent en tant que telle.

Les questions du droit au séjour, de l’immigration et de l’asile suscitent bien des débats et des affrontements, d’autant qu’elles sont souvent invoquées de manière démagogique à des fins strictement électoralistes, et ce pas seulement d’un seul côté de l’échiquier politique.

Entre ceux qui font de l’absence de tout contrôle et de l’accueil de tout étranger une incantation d’autant plus déraisonnable qu’ils n’émettent aucune proposition sérieuse pour la rendre possible, et ceux qui souhaitent rétablir des barbelés à nos frontières en stigmatisant l’étranger et son cheval de Troie, l’Europe, il existe la solution de raison : conjuguer la règle de droit avec la tradition humaniste de notre République.

Monsieur le ministre, c’est la solution que vous nous proposez : en conséquence, les dix-huit sénateurs de notre groupe voteront unanimement ce projet de loi dans une version que nous espérons la plus proche de son état initial.

Le débat sur l’identité nationale a laissé un goût d’amertume au-delà des clivages politiques. François Baroin lui-même avait considéré ce débat « gros comme un hippopotame dans une mare desséchée » suscitant « la confusion, l’amalgame et les facilités de langage pouvant flatter les bas instincts ».

En réalité, la nation n’a pas de problème d’identité avec elle-même. Elle ne saurait oublier la contribution de tant de vagues d’immigration au cours des siècles, le sang à elle donné par tant d’enfants venus d’ailleurs. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est le fil conducteur de notre République : l’appliquer loyalement, c’est le premier programme de tout élu de la République. (M. Stéphane Mazars acquiesce.)

Au demeurant, sur ces questions d’accueil des étrangers, le décret-loi du 2 mai 1938 sur la police des étrangers, largement confirmé par l’ordonnance du 2 novembre 1945 – deux textes rédigés l’un avant et l’autre juste après la guerre – constitue encore le socle moderne de notre droit des étrangers. Le président du Conseil Édouard Daladier notait d’ailleurs à cette époque, dans son rapport au Président de la République, que ce projet créait « une atmosphère épurée autour de l’étranger de bonne foi », et qu’il maintenait « pleinement notre bienveillance traditionnelle pour qui respecte les lois et l’hospitalité de la République ».

Le précédent cycle législatif a été marqué par la restriction des droits des étrangers. Cinq lois votées en seulement huit ans fondent nécessairement une instabilité juridique mettant au jour la volonté qui animait la précédente majorité de ne pas fixer un cap clair et humaniste.

La majorité de notre groupe avait ainsi fermement combattu la loi du 16 juin 2011, qui, loin d’assurer une simple transposition des directives communautaires, consacrait une véritable pénalisation du droit des étrangers.

Dans un environnement toujours plus ouvert, marqué non seulement par la mondialisation économique, mais aussi par les aléas climatiques, les mouvements de population ne pourront que prendre de l’ampleur. Du reste, le 25 octobre dernier, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits des migrants a appelé les États à favoriser les migrations climatiques.

Cette tradition d’accueil dont la France peut s’enorgueillir, bien qu’elle ait été malmenée, ne signifie pas pour autant que nous pouvons accueillir sur notre sol tout étranger qui frapperait à notre porte : notre groupe n’est pas favorable à l’entrée et au séjour irréguliers d’étrangers, pas plus qu’à des régularisations massives. À cet égard, monsieur le ministre, nous avons entendu avec intérêt et très positivement les précisions que vous nous avez apportées.

La République doit assurer, conformément à sa Constitution et à ses engagements internationaux, dans le cadre de ses lois, une politique migratoire et d’asile respectueuse de la dignité de la personne humaine.

Cela signifie également que la lutte contre l’immigration clandestine est légitime, dans la mesure où elle se veut respectueuse de l’humain et impitoyable envers ceux qui tirent profit de la misère.

Le présent projet de loi ne procède pas à la nécessaire remise à plat du droit des étrangers que vous préparez. Il répond à l’urgence posée par des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation, lesquelles ont jugé qu’un étranger en situation irrégulière ne pouvait être placé en garde à vue pour ce seul motif, les mesures prévues par la directive Retour devant être mises en œuvre avant tout placement en détention.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la circulaire de Mme la garde des sceaux datée du 6 juillet 2012 précise qu’une garde à vue ne peut être envisagée que si une autre infraction punie d’une peine d’emprisonnement est relevée.

La nouvelle procédure de retenue d’un étranger aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français, prévue à l’article 2 du présent texte, tire simplement les conséquences de ces jurisprudences et tend à mettre notre droit en conformité avec nos engagements européens. Cette retenue, qui ne se confond pas avec une garde à vue, offre à l’étranger la possibilité d’exercer un certain nombre de droits.

Comme le rappelle le Gouvernement via l’amendement n° 26, la durée initialement prévue de seize heures maximum répond – précisément parce que c’est un plafond ! – à des considérations extrêmement précises et concrètes, à commencer par la durée nécessaire aux services compétents pour procéder aux vérifications requises et, le cas échéant, pour coordonner leur travail avec celui d’autres services.

Cette durée comprend également le temps de conduire la personne dans un local de police, de l’informer de ses droits, de permettre l’entretien avec son avocat, de procéder aux vérifications requises, de permettre un examen médical, de consulter les fichiers nécessaires ou encore de communiquer avec la préfecture.

De surcroît, le procureur de la République est avisé dès le début de la procédure et peut y mettre fin à tout moment.

Ces obligations qui incombent à l’officier de police judiciaire sont lourdes mais nécessaires à la garantie des droits de l’étranger. Scinder la durée de cette retenue en deux parties de dix heures, puis de six heures supplémentaires, ne paraît donc pas raisonnable : en effet, cette méthode conduirait mécaniquement à alourdir non seulement le travail des forces de police mais aussi celui du procureur.

De plus, si la situation de séjour irrégulier est avérée, les autorités préfectorales doivent prendre plusieurs décisions qui nécessitent une analyse juridique différenciée et complexe.

Une durée de retenue trop brève affaiblirait l’efficacité des services de l’État. L’action de ces services, au premier rang desquels figurent la police et la gendarmerie, est difficile : mes chers collègues, ce constat doit être signalé car, si la stigmatisation de l’étranger est inacceptable, celle de nos forces de sécurité l’est tout autant, n’en déplaise aux professionnels de l’angélisme. (M. le ministre sourit.)

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, permettez-moi de citer les propos de l’un de vos prédécesseurs, qui vous est aussi cher qu’à moi : « Le Gouvernement n’a d’ennemis que ceux qui violent la loi. »

Respect de la personne dans tous les cas, sanction contre les abus de pouvoir, bien sûr, mais aussi respect de la loi de la République et sanction contre ceux qui la défient : voilà quel doit être, à nos yeux, le fil conducteur de la politique de la République. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dresserai, en premier lieu, un constat simple : il est urgent de mettre notre législation en conformité avec la jurisprudence de la Cour de justice, faute de quoi les services de police et de gendarmerie seront dépourvus de tout instrument juridique approprié.

Permettez-moi de relever, une fois de plus, que, si ce texte exige la célérité, la procédure accélérée nous prive d’une navette nécessaire et utile sur deux sujets aussi importants l’un que l’autre dans le cadre de la politique d’immigration que nous menons sans relâche dans notre pays.

Ce texte, tel qu’il est, répond à une nécessité, mais il faut bien sûr observer dans le détail s’il sera opérationnel. Voilà pourquoi ce type de procédure nous paraît inapproprié.

Depuis les arrêts de la Cour de cassation du 5 juillet 2012, il est interdit de placer en garde à vue les étrangers en situation irrégulière. À ce jour, les forces de l’ordre ne peuvent donc retenir les étrangers que pendant quatre heures, délai maximal prévu par la procédure de vérification d’identité. C’est tout à fait insuffisant, notamment pour que les préfectures puissent prendre des décisions solides et argumentées avant de lancer des procédures d’éloignement du territoire.

Vous avez donc inventé une procédure proche de la garde à vue : la retenue. Nous devons simplement nous assurer que celle-ci offre des protections suffisantes pour nos concitoyens et permette aux forces de l’ordre d’exercer au mieux leurs missions.

Nous avons déjà longuement débattu de l’aide humanitaire : personne n’a été condamné à ce titre. Nous devons veiller à ce que les passeurs et animateurs de filières qui exploitent les étrangers soient toujours poursuivis à l’avenir ; j’y reviendrai dans quelques instants.

Mes chers collègues, la France est une terre d’accueil de l’immigration. Elle continue à délivrer près de 180 000 titres de long séjour chaque année, ce qui la place désormais au deuxième rang mondial, derrière les États-Unis, pour l’accueil des réfugiés.

Cependant, notre pays doit rester une terre d’intégration. De fait, notre cohésion nationale ne s’est pas construite par la juxtaposition de communautés. Dans la conception française de la Nation, tout ressortissant étranger qui s’établit en France a vocation à s’intégrer, puis à s’assimiler, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, et donc à terme et sous conditions à devenir Français.

De fait, nous devons garder constamment à l’esprit la préoccupation d’assurer un équilibre entre le respect de notre tradition d’accueil et d’intégration, d’une part, et la fermeté de la lutte contre l’immigration illégale, de l’autre. Fermeté et humanité sont les deux pans d’une même politique ; c’est grâce à l’application rigoureuse des objectifs de lutte contre l’immigration clandestine que peut vivre la tradition d’accueil et d’intégration de la France.

Par ailleurs, nous concourons à la construction progressive d’une politique européenne de l’immigration et de l’asile, complément indispensable du grand espace de libre circulation issu des accords de Schengen. Elle est à l’origine du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté à l’unanimité par l’ensemble des États membres de l’Union européenne le 16 octobre 2008, et négocié, à l’époque, par le ministre Brice Hortefeux et le gouvernement de François Fillon.

Trois directives européennes, adoptées par la suite et transposées en droit français à travers la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, que nous avons votée en 2011, créent un cadre juridique global et harmonisé pour une politique européenne de l’immigration.

Rappelons rapidement les principaux éléments de ce texte : le rééquilibrage entre l’immigration familiale et économique ; la création d’une administration centrale chargée de suivre l’ensemble du parcours d’un étranger candidat à l’immigration en France, depuis l’accueil au consulat jusqu’à l’intégration dans notre pays et l’éventuel accès à la nationalité française ; le renforcement de la lutte contre l’immigration illégale, au moyen notamment d’une augmentation du nombre d’éloignements effectivement réalisés et de l’intensification du démantèlement des filières et de la répression du travail clandestin ; la relance de la politique d’intégration autour d’un contrat d’accueil et d’intégration ; la promotion du développement solidaire et de la gestion concertée des flux migratoires ; enfin, la définition d’une politique de gestion des flux migratoires à l’échelon européen.

Mais nos efforts d’intégration de l’immigration légale et de lutte contre l’immigration illégale seront vains si l’ensemble de nos procédures sont inopérantes.

Nous devons poursuivre notre bataille contre l’immigration illégale, dont la lutte s’est manifestement intensifiée depuis 2007, comme en atteste notamment la hausse importante du nombre d’éloignements effectifs du territoire métropolitain.

Toutefois, s’agissant précisément des procédures administratives d’éloignement des étrangers, la garde à vue est désormais devenue impossible.

Or la garde à vue permettait à la préfecture, pendant les vingt-quatre – ou quarante-huit heures, en cas de prolongation – au cours desquelles la personne appréhendée était à la disposition des services de police ou de gendarmerie, de prendre une décision d’éloignement et de placement en rétention qui était immédiatement exécutée.

Depuis cet été, les services de police et de gendarmerie ne disposent plus que de la procédure de la vérification d’identité, dont la durée maximale est de quatre heures, pour mener à bien l’ensemble des opérations nécessaires au placement en rétention lorsque l’étranger se trouve dans une situation qui justifie une telle mesure.

Cette durée, comme l’ont régulièrement évoqué les représentants des forces de police et de gendarmerie, est beaucoup trop courte pour faire le point sur la situation administrative exacte de l’intéressé et pour que le préfet puisse éventuellement prendre une décision d’éloignement.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, votre proposition de créer une retenue de seize heures nous semble tout à fait pertinente. Elle l’est d’autant plus que vous y avez associé les garanties indispensables au regard des lois de la République.

La commission des lois, sur proposition du rapporteur, a souhaité scinder en deux temps ce délai de seize heures. Nous sommes un certain nombre, sur différentes travées, à penser que cette scission serait tout à fait déplorable.

Le délai de seize heures reste très inférieur à celui de la garde à vue. Le procureur pourra ainsi exercer son contrôle dès le début de la procédure et y mettre fin à tout moment. Cette scission risquerait de compliquer la procédure d’examen de la situation de la personne. Il nous apparaît donc important de rester sur cette durée intégrale de seize heures.

Enfin, en ce qui concerne le délit de solidarité, vous avez souhaité adjoindre des dispositions destinées à restreindre le champ du délit d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers.

Vous avez souhaité accéder, monsieur le ministre, à une revendication des associations en nous proposant d’élargir significativement le champ des immunités pénales applicables à ce délit, d’une part, aux membres de la famille du conjoint de l’étranger, d’autre part, aux associations humanitaires apportant une aide désintéressée aux étrangers sans papiers.

Vous avez également souhaité, monsieur le rapporteur, inclure dans la liste des personnes protégées par une immunité pénale les associations et leurs personnels engagés dans la fourniture de soins médicaux aux étrangers.

Jusqu’à la loi du 16 juin 2011, que nous avons voulue et soutenue, toute personne qui, par une aide directe ou indirecte, facilitait ou tentait de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France encourait cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Ces peines étaient applicables lorsque ce délit était commis par une personne se trouvant sur le territoire d’un État partie à la convention de Schengen. Ces mêmes peines étaient encourues par celui qui facilitait ou tentait de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger sur le territoire d’un État partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale de 2000.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 5 mai 1998, avait rappelé « qu’il appartenait au juge, conformément au principe de légalité des délits et des peines, d’interpréter strictement les éléments constitutifs de l’infraction [...], notamment lorsque la personne morale en cause est une association à but non lucratif et à vocation humanitaire, ou une fondation, apportant, conformément à leur objet, aide et assistance aux étrangers ».

Dans sa décision du 2 mars 2004, le Conseil avait par ailleurs indiqué que « le délit d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée ne saurait concerner les organismes humanitaires d’aide aux étrangers », et que la qualification de cette infraction devait tenir compte « du principe énoncé à l’article 121-3 du code pénal, selon lequel il n’y a point de délit sans intention de le commettre ».

L’ensemble de ces dispositions, destinées à lutter contre les filières d’immigration clandestine et les réseaux de passeurs, étaient conformes à nos engagements internationaux et communautaires.

Mais, afin de ne pas inclure dans le champ de la répression des comportements relevant de l’assistance familiale ou humanitaire, nous avions toutefois institué une immunité pénale qui pouvait être invoquée par un certain nombre de personnes, s’inspirant ainsi de l’état de nécessité défini à l’article 122-7 du code pénal.

Nous le savions bien, en 2011, lorsque nous avons discuté de la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, dont j’étais le rapporteur : l’application de l’ensemble de ces dispositions suscitait un large débat, notamment au sein des réseaux associatifs impliqués dans l’assistance humanitaire aux étrangers, qui craignaient alors de faire l’objet de poursuites pénales sur le fondement de ce délit sans pouvoir se prévaloir de l’immunité pénale, dont le champ serait trop restreint.

C’est pourquoi le gouvernement de François Fillon avait décidé de répondre à ces inquiétudes en élargissant le champ de l’immunité pénale. Ainsi, ne pouvait faire l’objet de poursuites pénales la personne physique ou morale dont l’acte reproché est, face à un danger actuel ou imminent, « nécessaire à la sauvegarde de la personne de l’étranger ». Cette définition permet de viser, au-delà des situations de dangers extrêmes ou les périls quasi-mortels, les situations de dénuement auxquelles remédient les associations à vocation humanitaire notamment.

Nous sommes donc aujourd’hui quelque peu dubitatifs sur l’utilité de la précision apportée en commission par M. le rapporteur, qui étend explicitement l’immunité pénale aux personnes apportant des soins médicaux aux étrangers en situation irrégulière. Cette situation nous paraît pourtant évidente.

Nous attendons que le Gouvernement et le rapporteur nous apportent des éclaircissements sur ces propositions, afin que nous puissions délibérer avec plus de précisions.

Je conclurai en rappelant tous les efforts que nous avons menés, depuis plus de cinq ans, en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. Je souhaite que cette lutte puisse se poursuivre. En vous écoutant, monsieur le ministre, j’ai cru comprendre que ce serait le cas. Le groupe UMP votera naturellement ce texte. Nous veillerons toutefois aux décisions qui seront prises pendant les débats, et nous rappelons que nous sommes très attachés au principe de l’unité de temps de seize heures prévue par le texte initial du Gouvernement.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante, sous la présidence de M. Jean-Patrick Courtois.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Patrick Courtois

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi témoigne, comme plusieurs de ceux que nous avons étudiés depuis l’élection de François Hollande à la présidence de la République, de l’état dans lequel la majorité précédente a laissé la France.

Comme pour la situation sociale de notre pays, sa situation industrielle ou les déficits publics, la majorité sortante a, sur la question de la vérification du droit au séjour, procrastiné.

Elle a préféré laisser à ceux qui prendraient sa relève la responsabilité de trouver une solution qui permette la vérification du droit au séjour dans le respect de nos engagements européens et des garanties offertes par notre Constitution.

Lorsque l’on y repense, c’est assez incroyable : les gouvernements Fillon, qui ont légiféré de manière compulsive, maladive, sur le droit des étrangers, ont laissé pourtant le dispositif législatif de la vérification du droit au séjour s’étioler progressivement.

La réforme de la garde à vue, en 2011, a été imposée au gouvernement de l’époque par notre environnement juridique : Cour européenne des droits de l’homme, Conseil constitutionnel, Cour de cassation. Le Gouvernement a dû, bien malgré lui, et au dernier moment, limiter l’usage de la garde à vue aux auteurs présumés de délits punis d’une peine d’emprisonnement.

Parallèlement, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré, sur la base de la directive Retour, pourtant négociée sous le gouvernement Fillon, que le seul séjour irrégulier ne pouvait faire l’objet d’une peine d’emprisonnement.

Les forces de l’ordre ne pouvaient donc plus faire usage de la garde à vue pour retenir les étrangers afin de vérifier leur situation et prendre ensuite les mesures de leur reconduite à la frontière si nécessaire.

C’est pourquoi la Cour de cassation en a logiquement tiré les conséquences dans son arrêt du 5 juillet 2012. Dès le lendemain matin, Mme la garde des sceaux adressait une circulaire prenant acte de cette décision jurisprudentielle, faisant preuve d’une belle réactivité.

Constatant cette réactivité nouvelle, nous pouvons vraiment nous interroger sur les raisons pour lesquelles le gouvernement précédent n’avait rien engagé pour corriger cette impasse juridique et opérationnelle, dont nul ne pouvait nier l’existence depuis, pour les plus myopes, l’arrêt du 6 décembre 2011 de la Cour de justice de l’Union européenne, Achughbabian contre France.

C’est la raison d’être de ce projet de loi : remettre en place une législation conforme avec la jurisprudence, notamment la jurisprudence européenne et celle de la Cour de cassation en matière de législation sur les étrangers en situation irrégulière.

Ce projet de loi prend acte de cette jurisprudence et supprime le délit de séjour irrégulier, ce qui était rendu inévitable par deux arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne et qui démontre bien à quel point le gouvernement précédent s’était fourvoyé.

Pendant dix ans, les gouvernements précédents de droite ont beaucoup légiféré sur le droit des étrangers. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, n’a eu de cesse d’être modifié et remodifié.

Cinq lois sont venues bouleverser le droit des étrangers et le droit d’asile en France. Mes collègues sénateurs d’alors, tout comme les députés socialistes des précédentes législatures, avaient bataillé ferme contre un certain nombre de dispositions, concernant notamment le recul des droits des étrangers, la banalisation de leur enfermement comme technique de gestion de l’immigration, la marginalisation du rôle du juge judiciaire et le renforcement des pouvoirs de l’administration.

Les dernières dispositions qui avaient été adoptées par la droite en 2011 avaient pour objectif affiché la mise en conformité de notre législation avec la directive Retour, du 16 décembre 2008. Mais elles avaient, en réalité, dénaturé la philosophie de cette directive et il est salutaire que, dans le cadre de ce projet de loi, vous replaciez, monsieur le ministre, notre législation dans les rails.

Car la directive Retour a pour principe fondamental de ne prévoir de dispositions pénales qu’en cas d’ultimes recours, une fois toutes les mesures administratives préalables épuisées.

Le droit pénal ne devrait intervenir que pour protéger un intérêt légitime suffisant, lorsqu’aucun autre moyen, moins coercitif, ne permet d’atteindre l’objectif fixé.

Le droit pénal doit permettre d’assurer les fonctions de répression, de dissuasion, de réparation, de resocialisation qui sont les siennes, en exigeant par principe une responsabilité fondée sur une culpabilité.

C’est pourquoi le Gouvernement établit un délit de maintien sur le territoire dans des conditions conformes à la jurisprudence et dont les conditions sont précisées dans son amendement n° 39. Ce délit ne pourra être prononcé que si l’autorité administrative a mis préalablement en œuvre toutes les procédures permettant l’exécution d’une mesure d’éloignement.

La rétention ne doit être utilisée qu’en dernier recours, si des mesures moins coercitives pour l’éloignement de la personne n’apparaissent pas efficaces. Lors de la campagne présidentielle, François Hollande a d’ailleurs dénoncé le fait que le précédent gouvernement « a banalisé la rétention [en en faisant] un instrument de sa politique du chiffre alors même que, comme toute privation de liberté, elle doit rester exceptionnelle et n’être utilisée qu’en dernier ressort ».

Ainsi, dans son discours au Bourget, le 24 janvier 2012, François Hollande affirmait avec force ce qui constitue notre armature et auquel nous ne pouvons que souscrire : « Présider la République, c’est être ferme, ferme y compris à l’égard de l’immigration clandestine et de ceux qui l’exploitent. Mais c’est traiter dignement les étrangers en situation régulière et ceux qui ont vocation à l’être sur la base de critères objectifs. »

C’est bien cette philosophie qui prévaut dans ce texte et qui répond à une urgence juridique, mais qui renoue avec les valeurs républicaines en revoyant le champ des immunités du délit institué par l’article L. 622-1 du CESEDA, qui dit : « Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros. »

Auparavant, le champ des immunités était très faible. Avec ce texte, les immunités familiales sont élargies, tandis que les immunités humanitaires s’appliquent à l’aide désintéressée en matière de conseil juridique ou de prestations de restauration, hébergement, soins médicaux ayant pour but d’assurer des conditions de vie dignes et décentes.

Nous pouvons ainsi affirmer que ce qui était communément appelé « délit de solidarité » est supprimé. En pratique, resteront punis les passeurs, ceux qui font commerce de la situation de détresse des migrants et les complices de l’entrée sur le territoire.

Ce projet de loi répond en grande partie aux recommandations jurisprudentielles. Sur plusieurs points, il est apparu au groupe socialiste que le rôle du Parlement devait être de conforter l’esprit dans lequel il a été rédigé, en présentant quelques amendements. Le dialogue avec le Gouvernement, initié lors de l’étude du texte en commission, s’est poursuivi jusqu’à la séance d’aujourd’hui puisque nous examinerons, au cours de la discussion des articles, des amendements ayant vocation à préciser la compréhension du texte, son interprétation et la bonne prise en compte de la jurisprudence.

L’article 1er tire les conséquences de l’arrêt du 6 juin 2012 de la Cour de cassation et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, selon laquelle un contrôle de titre de séjour ne saurait s’apparenter à un contrôle frontalier. C’est bien ainsi, car Schengen, bel acquis de la construction européenne, espace de circulation et de liberté, ne saurait être remis en cause. Bien des efforts, bien des concertations, d’harmonisations sont encore nécessaires dans cet espace.

Ainsi, par exemple, chaque pays délivre des visas de court séjour dans l’ensemble de l’espace Schengen, mais nos conditions de délivrance du même document sont très différentes d’un pays à l’autre, engendrant la fiction que nos politiques migratoires sont indépendantes les unes des autres dans l’Union européenne, dans l’espace Schengen.

Nos différences de législation, les superpositions des directives, des dispositions du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et des législations nationales rendent la gestion de cet espace particulièrement compliquée, mais la seule voie possible est l’harmonisation et la mise en conformité aux principes communs.

En tenant compte des exigences européennes, ce projet de loi renforce effectivement nos valeurs communes et l’espace Schengen.

Renforcer l’espace Schengen, sa cohérence, le caractère mutualisé de son évaluation et la bonne prise en compte des contraintes législatives et réglementaires qu’il impose doit être un combat de tous les instants, combat auquel le Sénat est très attaché. L’Espace Schengen est l’un des symboles les plus précieux de la construction européenne. Pouvoir circuler librement de Gibraltar à Gdansk, d’Athènes à Bergen est et doit rester une fierté pour l’ensemble de notre continent. Pour les citoyens de plusieurs des derniers pays intégrés dans cet espace il y a quelques années, il symbolise la réussite d’un chemin vers la démocratie et une garantie de sa stabilité.

L’article 1er affirme le principe d’une vérification du droit au séjour en vertu de l’article L. 611-1 du CESEDA. Il s’ajoute ainsi à l’article 78-2 du code de procédure pénale, qui constituait depuis la circulaire de la garde de sceaux du 6 juillet dernier la seule base légale de tous les contrôles d’identité et de vérification de droit au séjour.

Une disposition s’adresse aux étrangers, l’autre s’adresse à tous. Un contrôle autonome du droit au séjour a une pleine justification, mais présente un risque de contrôle au faciès et mérite d’être encadré. En effet, comment savoir, avant vérification, que la personne faisant l’objet d’un contrôle est française ou étrangère ? Conserver une possibilité de contrôle spécifique du droit au séjour pose la question des critères sur lesquels se fonde l’autorité de police judiciaire pour déterminer l’extranéité de l’étranger supposé afin de procéder à sa vérification.

La jurisprudence a clairement condamné le principe du contrôle au faciès qui a fait l’objet d’un rapport détaillé du Défenseur des droits.

Vous avez indiqué, monsieur le ministre, les dispositions que vous entendez prendre, en particulier avec le vouvoiement et le retour du matricule sur l’uniforme, pour que les forces de l’ordre retrouvent la place qu’elles doivent occuper au cœur du pacte citoyen comme acteur reconnu de la défense des valeurs républicaines.

Nous savons combien les dernières années ont été difficiles pour les forces de police, combien le manque de moyen, conjugué à un discours stigmatisant des autorités politiques sur l’immigration, les étrangers, la jeunesse, a pu induire des comportements incompris de l’extérieur et qui ont jeté le trouble sur la relation entre la police et le citoyen. C’est cela qu’il nous faut aujourd'hui corriger.

Nous savons aussi combien les contrôles d’identité sont mal vécus dans les circonstances actuelles. Le Président de la République, alors candidat, avait pris un engagement de campagne au travers de sa proposition 30 : « Je lutterai contre le “délit de faciès” dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens. […] Je combattrai en permanence le racisme et l’antisémitisme. »

L’amendement que dépose le Gouvernement sur cette question a vocation à répondre à cette préoccupation en tirant les enseignements des arrêts de la Cour de cassation. Mais cela sera-t-il lisible ? Cela sera-t-il compris et exploitable par les forces de l’ordre devant mettre en œuvre ces dispositions au jour le jour ?

De nombreuses associations mais aussi des institutions de l’État, comme le Défenseur des droits ou la Commission nationale consultative des droits de l’homme, mènent actuellement une action de sensibilisation sur cette question fondamentale du contrôle au faciès. Des principes forts peuvent en être tirés : veiller toujours à ce que rien ne devienne un outil de discrimination ; veiller à ce qu’à tout moment, chaque citoyen sente que la République est la même pour toutes et tous, que l’État est le garant de la sécurité de chacun.

C’est notre préoccupation, c’est votre préoccupation, et c’est la raison pour laquelle le dialogue sur ce texte a été constant depuis plusieurs semaines.

L’article 2 du projet de loi prévoit un nouveau dispositif, le placement en retenue de l’étranger afin de procéder à la vérification de son identité. En effet, les quatre heures prévues par l’article 78-3 du code de procédure pénale, qui étaient devenues la norme depuis que la Cour de cassation avait pris acte de la non-conformité aux textes des procédures utilisées précédemment, ne suffisaient pas dans tous les cas. La commission s’est interrogée sur une césure de la durée de retenue initialement proposée de seize heures. Une proposition de dix heures, puis six heures après information au procureur a été introduite dans le texte de la commission. Il est vrai que les garanties proposées dès le début de la retenue permettent d’aborder la question d’une manière différente de la retenue pour vérification d’identité, limitée à quatre heures mais accompagnée de beaucoup moins de garantie.

Toutefois, les principes conventionnels, issus de la Cour européenne des droits de l’homme, et constitutionnels, affirmés dans le texte suivant : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi », imposent qu’une personne retenue dans le cadre d’une procédure administrative sans être soupçonnée d’avoir commis un crime ou un délit, et sans même que l’on sache parfois si elle se trouve en situation irrégulière, ne puisse être retenue plus longtemps que nécessaire à l’exacte mise en œuvre des diligences qu’imposent les vérifications et les dispositions éventuelles qui s’ensuivent. Dans la pratique, si la loi prévoit une durée maximale de seize heures pour tenir compte des contraintes des officiers de police judiciaire, il importera dans chaque cas que l’usage de cette période soit effectif et ne conduise pas à des retenues allongées au maximum sans autre justification que de simples motifs de confort.

Nous comprenons que ce projet de loi, présenté en urgence pour rétablir un droit conforme au droit européen, ne préjuge pas d’un prochain texte révisant en profondeur le CESEDA, texte que vous avez évoqué dans votre exposé, monsieur le ministre. Le chantier d’une mise à plat de notre législation sur le droit des étrangers est en effet bien plus vaste.

En temps de crise, alors que la France n’arrive pas à s’occuper de tous ses citoyens, engendrant peur et repli sur soi, il est essentiel de rappeler que notre pays trouve sa force dans ses valeurs, son humanisme. Qu’ils soient venus à la recherche d’un travail, d’une formation, d’une protection car ils n’étaient pas en sécurité chez eux pour raison de guerre ou d’opinions divergentes, c’est auprès de ses migrants que la France a, au cours des siècles derniers, puisé une partie de son dynamisme, de ses valeurs, de sa capacité à aborder et comprendre le monde. Dans les moments les plus difficiles pour le pays, ils furent nombreux à s’en souvenir en résistant, en défendant notre patrie.

Oui, oublier cela, c’est tourner le dos à notre passé, à notre identité, et donc à notre avenir. En période de crise, ce serait criminel. Ce que vous avez annoncé, monsieur le ministre, comme perspective de révision du CESEDA est donc bienvenu.

Vous savez en particulier l’attachement des parlementaires à ce que, après concertation et analyse des moyens le permettant, une approche plus humaniste de notre politique vis-à-vis du droit des étrangers sur notre territoire soit proposée et que nous revenions notamment sur la disposition de la loi de juin 2011, qui prévoit l’intervention en centre de rétention du juge des libertés et de la détention seulement après le cinquième jour de rétention. Il s’agit de mettre en œuvre une interprétation moins restrictive que celle présentée par le gouvernement Fillon de l’article 66 de notre Constitution, que j’ai cité tout à l’heure.

Monsieur le ministre, le Gouvernement, par ce projet de loi, souhaite répondre à l’urgence engendrée par la négligence du gouvernement Fillon quant au bon respect par notre législation des principes du droit européen et de notre Constitution. Cette négligence a remis en cause des dispositifs qu’il convenait, aussi rapidement que possible, de redéfinir afin de pouvoir lutter contre l’immigration irrégulière efficacement.

Parallèlement, le délit de solidarité, contraire aux droits de l’homme, qui piétinait notre valeur de fraternité, est abrogé. C’est le signal fort que la République est de retour.

C’est la raison pour laquelle, nous, parlementaires socialistes, abordons la discussion parlementaire qui va s’engager maintenant avec la résolution de voter ce premier texte. Le dialogue qui va maintenant s’engager a pour objet de le rendre le plus clair et le plus exploitable possible pour ceux qui auront la lourde responsabilité de le mettre en œuvre dans les meilleures conditions pour toutes et tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)