Mme Éliane Assassi. Pas moi, en tout cas !

M. Michel Mercier. Que vous ayez pu, en quelques jours seulement, les faire ainsi changer d’avis mérite un grand coup de chapeau de notre part !

La réunion de la commission mixte paritaire a été assez intéressante : on se serait cru au conclave au cours duquel le patriarche de Venise, détenteur du secret de l’empereur, venait donner ses ordres pour que le cardinal Merry del Val ne soit pas élu souverain pontife ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

M. Michel Mercier. Que s’est-il passé ? Le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui est quelqu’un que j’apprécie beaucoup, nous a clairement dit être porteur d’ordres… C’était assez sensationnel !

Monsieur le ministre, il serait bon, eu égard à une philosophie qui doit vous être chère, celle du partage, que vous nous informiez également, à l’avenir, de vos ordres, afin que nous puissions avoir l’illusion d’avoir nous-mêmes opéré les choix ! (M. le ministre sourit.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous préférons ne pas recevoir d’ordres du tout !

M. Michel Mercier. Je tenais à revenir sur ce point, car il est important. Toutefois, nous faisons la part des choses entre le fond et la forme : le groupe UDI-UC apporte un soutien résolu et réfléchi à ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai eu l’occasion de le dire lors de la première lecture, le texte initialement déposé par le Gouvernement n’était pas sans poser problème.

Tout d’abord, ce texte présentait des difficultés du point de vue de la méthode, en raison du déclenchement de la procédure accélérée et du peu de temps laissé à la réflexion des parlementaires.

Ensuite, sa rédaction n’était pas satisfaisante sur le fond : on ne peut pas, au prétexte que la lutte contre le terrorisme est nécessaire, faire adopter un texte dont certaines dispositions sont susceptibles de porter atteinte aux libertés individuelles.

La lutte contre le terrorisme est une nécessité impérieuse et, chacun aura eu l’occasion de le signaler, les récents événements de Toulouse, de Montauban et de Sarcelles nous ont rappelé notre vulnérabilité devant l’obscurantisme.

Je veux donc réaffirmer ici la certitude qu’a le groupe écologiste que la lutte contre toute forme de violence doit être menée sans relâche, ainsi que mon rejet de toute forme de terrorisme et ma haine des fossoyeurs de notre civilisation,…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Heureusement !

Mme Esther Benbassa. … auxquels nous devons faire face avec détermination.

Si nous avons le devoir de mener un combat résolu contre ce fléau, nous ne devons pas pour autant agir sans prendre certaines précautions, conformément à la tradition constante du pays des droits de l’homme et de la femme que la France entend être.

Je souhaite réaffirmer aujourd’hui, comme l’a fait mon collègue écologiste Paul Molac à l’Assemblée nationale, qu’il est surtout urgent de s’attaquer aux causes profondes de l’émergence d’un terrorisme désormais endogène.

À ce titre, il est indispensable de se donner les moyens d’inventer des solutions pratiques – et non de pur principe – à l’école, en prison, dans la vie de tous les jours, pour que la laïcité ouverte qui nous rassemble retrouve tout son sens.

Il convient de développer à nouveau, dans les zones sensibles, une police de proximité, auxiliaire indispensable pour cerner à temps les problèmes et pour prévenir le basculement de certains de la délinquance dans une forme de radicalité religieuse pouvant mener au terrorisme.

Monsieur le ministre, il est tout aussi impératif de remédier aux effets du grippage de notre ascenseur social et à l’abandon de nos quartiers populaires. Si aucune action concertée, énergique et efficace n’est rapidement engagée, ces territoires risquent, à la longue, de se transformer en réservoirs de terroristes.

J’ai la certitude que, sans une prise de conscience de ces problèmes, notre combat contre le terrorisme pourrait être perdu d’avance, quel que soit le nombre de projets ou de propositions de loi dont nous serons conduits à débattre.

Considérant que la rédaction initiale du présent texte n’était pas satisfaisante au regard de la protection des libertés individuelles, le groupe écologiste s’était abstenu lors de la première lecture ; nous constatons à regret que celle du texte de la commission mixte paritaire ne l’est pas davantage.

L’article 3 a trait aux droits des étrangers et tend à modifier l’article L. 522-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, en assouplissant la procédure devant la commission d’expulsion via l’ajout d’un alinéa. Si cette commission n’a pas émis son avis sur l’expulsion dans un délai d’un mois, celui-ci est réputé rendu. Cette mesure est loin d’être anodine puisque, en cas de carence de la commission, laquelle statue en général dans des délais bien supérieurs à un mois, l’administration sera libre de décider.

Peut-être pour rester dans l’esprit d’une loi relative à la lutte contre le terrorisme, le Sénat – je le rappelle – avait restreint le champ de cette disposition aux seuls cas d’activités terroristes. Le texte de la CMP revient hélas sur cette restriction. Tous les étrangers seront concernés par cette modification du CESEDA et pourront donc faire l’objet d’une mesure d’expulsion sans avoir pu s’exprimer et se défendre devant la commission.

Les lois antiterroristes sont nécessaires, monsieur le ministre, mais elles ne doivent pas avoir d’autres objectifs que la lutte contre le terrorisme ni pouvoir être instrumentalisées à d’autres fins.

Que penser, à cet égard, d’une loi antiterroriste qui modifie la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ?

L’article 2 ter du texte de la CMP prévoit en effet la possibilité de placer en détention provisoire les personnes mises en examen pour apologie des actes de terrorisme ou provocation à commettre de tels actes. Cette disposition vient déroger au principe selon lequel la détention provisoire n’est pas possible en matière de délits de presse.

C’est la liberté d’expression qui est ici en jeu, monsieur le ministre, ainsi que la liberté de la presse, deux des libertés les plus précieuses et les plus nécessaires à notre démocratie ; des libertés dont la protection est aussi un rempart contre toutes les formes d’intégrisme et d’extrémisme.

Si la loi de 1881 a sans doute besoin d’être réformée, particulièrement son régime procédural, cela mérite certainement réflexion et concertation, et cela justifie surtout que l’on prenne les plus grandes précautions.

Les dispositions que je viens d’évoquer, ainsi que d’autres de ce texte, ont toutes des conséquences sur les garanties offertes aux individus pour la protection de leurs libertés et droits fondamentaux.

Je dois le dire : je ne suis pas convaincue que le texte qui est soumis à notre vote aujourd’hui permettra de nous protéger contre les Mohamed Merah de demain.

En l’état, les écologistes considèrent que la rédaction retenue par la CMP ne garantit pas un juste équilibre entre les exceptions au droit commun qu’elle prévoit et la protection des libertés fondamentales. Notre groupe s’abstiendra donc sur ce texte.

M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa.

M. Christophe-André Frassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, par solidarité, notre droit français assimile dans certaines circonstances les actes de terrorisme à des actes de guerre. Il le fait notamment pour permettre aux enfants des victimes de bénéficier du statut de pupille de la Nation.

Dernièrement, notre collègue Jean-Yves Leconte nous a proposé de confirmer notre attachement à cette institution. Permettez-moi, monsieur le ministre, de regretter que son texte ne vienne pas en discussion en séance publique et soit systématiquement retiré de l’ordre du jour !

La réalité politique nous oblige à dire que ces deux types d’actions ne sont pas comparables, tant d’un point de vue stratégique que d’un point de vue philosophique. Alors que, en principe, la guerre répond aux règles de l’honneur, le terrorisme ne respecte que les règles de la lâcheté. Ses motivations sont bien souvent moins politiques qu’idéologiques, son action est fondée sur la violence contre les civils et son objectif est l’emprise psychologique sur les peuples épris de liberté.

Le terrorisme n’est l’ennemi que des démocraties et notre République doit se dresser impitoyablement contre lui.

Si, par chance, l’affaiblissement de ses réseaux et l’efficacité de nos services de lutte antiterroriste nous permettent d’être relativement épargnés par les attentats, les événements récents orchestrés sur notre territoire par un fanatique déséquilibré dont je ne citerai pas le nom, la tragédie d’Oslo, en 2011, et, plus récemment, les manifestations qui ont eu lieu en Irak devant l’ambassade américaine ou les événements de Corse nous rappellent que la lutte contre le terrorisme demande une adaptation continue et une fermeté sans faille.

Nous le savons, le terrorisme tire sa force d’une logique extrémiste dans laquelle il s’enferme. Malheureusement, dans un monde globalisé, le manque de structuration de son organisation joue parfois en sa faveur.

C’est pourquoi la lutte contre ces groupuscules relève d’un acharnement quotidien et d’une vigilance toute particulière. Je saisis donc cette occasion pour saluer le travail de nos services de renseignement, qui font preuve d’un engagement sans faille et d’un grand professionnalisme.

Pour autant, il est de notre responsabilité de leur donner les moyens de s’adapter et de se perfectionner dans le combat qu’ils mènent de manière admirable et sans relâche. Nous devons pour cela renforcer les outils mis à leur disposition afin d’empêcher les agissements des terroristes.

Dans le cadre de cette lutte internationale, nous devons opposer aux étrangers qui souhaiteraient venir sur notre territoire à seule fin de perpétrer des attentats et de porter atteinte à son intégrité un refus catégorique de circulation à l’intérieur de nos frontières et, le cas échéant, une expulsion ferme et définitive.

Mais, plus largement, ce qui doit être condamné, ce sont les agissements insidieux de certains de ces criminels, qui consistent généralement à entretenir la propagande et à assurer le recrutement de terroristes en puissance. La prise en compte de ces actes est importante, car ce sont eux qui contribuent à l’enracinement dans l’esprit de certains marginaux d’une haine qui se radicalise.

Ces deux orientations constituent le fil rouge du projet de loi que nous étudions aujourd’hui. L’une se traduit par la prorogation de la loi du 1er décembre 2008 portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, mais aussi par la réforme de la commission d’expulsion, l’autre par le développement des sanctions pénales contre les instigations, la propagande et le recrutement terroristes.

Ainsi, les travaux que nous avions engagés sur l’initiative de notre collègue Michel Mercier, alors garde des sceaux, portent leurs fruits.

Je peux donc réaffirmer que nous approuvons ce texte sans aucune réserve, dans l’esprit qui a toujours guidé nos travaux, la lutte contre le terrorisme étant l’une de nos préoccupations premières.

À force de travail, le droit français a fini par couvrir la grande majorité des situations. Aujourd’hui, il est vrai que la compétence spécialisée de la juridiction parisienne, la création de l’infraction d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme, l’allongement de la prescription des crimes et délits de terrorisme ou encore l’extension des prérogatives des services de police et de gendarmerie compétents dans ce domaine permettent de réprimer et de prévenir efficacement le passage à l’acte.

Je sais que certains ont insisté, au cours des débats, sur l’attention toute particulière qu’il fallait porter à la préservation des libertés publiques ; je crois que le texte que la commission mixte paritaire a établi va dans ce sens.

C’est d’ailleurs – le Conseil constitutionnel le rappelle en chaque occasion – le devoir du législateur que d’opérer « la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public, sans lequel l’exercice des libertés ne saurait être assuré ».

Cette conciliation étant faite, le moment est donc venu de procéder à l’adoption du projet de loi qui nous est soumis.

Comme je l’ai dit, et je crois que cet avis est largement partagé, ce texte est à mon sens une arme nécessaire et utile pour lutter contre le terrorisme. Lorsque la France combat le terrorisme, elle se fait l’amie de l’humanité tout entière. Le groupe UMP votera donc en faveur de l’adoption des conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous connaissons l’enjeu que recouvre ce texte : faire face à la menace terroriste, ne jamais la minimiser, s’adapter à ses nouvelles formes. Nul n’a en effet oublié les drames de Toulouse et de Montauban. Le terrorisme peut venir de l’extérieur, d’Afghanistan ou du Mali ; il peut aussi germer dans nos quartiers.

La première question qui nous était posée, à l’occasion de l’examen de ce texte, était celle de la prévention du terrorisme.

Dans le contexte de l’affaire Merah, cette question était lourde. Pourquoi, comment Mohamed Merah, suivi depuis 2006, a-t-il pu passer à l’acte ? Pourquoi ses séjours dans des camps d’entraînement djihadistes n’ont-ils pas fait l’objet d’un suivi précis ? Pourquoi un individu repéré en juin 2011 pour sa radicalité dangereuse n’a-t-il plus fait l’objet d’une surveillance prioritaire six mois plus tard, trois mois avant qu’il ne tue sept innocents ?

Le rapport de l’Inspection générale de la police nationale, que M. le ministre de l’intérieur a eu raison de demander, a souligné ces « défaillances objectives » des services de renseignement. Elles sont en effet objectives, car elles ne relèvent pas de la simple erreur humaine, mais procèdent d’un ensemble d’omissions et de cloisonnements entre le renseignement intérieur, la police judiciaire, la sécurité publique.

Le travail critique sur ces événements, leurs causes, leur dénouement, sera poursuivi par la mission d’évaluation des services de renseignement mise en place par Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, ou par la commission d’enquête demandée par le groupe écologiste.

Ces investigations sont nécessaires, non pas uniquement pour comprendre comment un drame a pu se produire, mais aussi pour éviter que, selon la formule du ministre de l’intérieur, des dizaines d’autres Merah puissent passer à l’action.

En examinant ce texte, nous nous sommes rassemblés autour d’une première préoccupation : ne pas affaiblir ce combat difficile. Concrètement, cela implique de conforter la notion d’association de malfaiteurs, pivot du dispositif pénal, qui a été reprise par le droit européen, comme nous le rappellent constamment les magistrats spécialisés.

Lutter contre le terrorisme exige de bien connaître le cyberdjihadisme. En préparant cette intervention, hier soir, j’ai eu la curiosité de consulter l’un de ses sites, Global Jihad. Je dois dire que j’en suis resté effaré. La page d’accueil donne le mode d’emploi du terrorisme moderne : « le Jihad mondial a deux piliers : les kamikazes sur le plan opérationnel et internet pour la gestion. […] Les trois composantes de commandement, de contrôle et de communication indispensables à toutes opérations réussies, y compris les attaques terroristes, sont réalisées presque exclusivement par internet. Le cyberespace est également le principal outil du militantisme islamique de la propagande, du recrutement et de la collecte des fonds. »

Tout est dit ! Nous voyons bien que, face à une telle volonté de tuer, affirmée à presque toutes les pages du site, il convient de renforcer nos dispositifs.

Nous l’avons fait en autorisant l’accès des services de renseignement aux données de connexion, sous l’égide – nous y tenions – d’une autorité administrative indépendante, en renforçant les moyens de procédure, par exemple avec l’allongement des délais de prescription concernant la loi sur la presse applicable aux cas de terrorisme, tout en conservant –j’ai entendu ce que disait Mme Benbassa – le cadre de la loi de 1881, ou encore en prorogeant la date de consultation de divers fichiers.

Bien entendu, prévenir ne suffit pas ; il faut réprimer. Actuellement, les magistrats ne peuvent, sauf rares exceptions, poursuivre en France un délit terroriste commis à l’étranger. Le texte leur en donnera la possibilité. Le Sénat est d’ailleurs allé plus loin que sa rédaction initiale, qui ne visait que les Français, en incluant dans le champ du dispositif toute personne disposant d’un titre de séjour en France. La commission mixte paritaire s’est finalement accordée pour faire référence à « toute personne résidant habituellement sur le territoire français », notion qui inclut les citoyens européens et les personnes en situation irrégulière.

À l’instar de M. le rapporteur, je ne cacherai pas que l’article 3, relatif aux procédures devant les commissions d’expulsion, a donné lieu à de nombreuses discussions, parfois un peu longues, entre les deux assemblées. Toutefois, comme nous le rappelle régulièrement M. le président de la commission des lois, nous sommes dans notre rôle chaque fois que nous veillons au respect des droits fondamentaux.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que, sur l’initiative du Sénat, un droit nouveau a été conféré aux personnes menacées d’expulsion, celui d’obtenir le renvoi de leur affaire pour un motif légitime. L’Assemblée nationale a accepté cette disposition.

Nous avons également souhaité que les différents délais soient mentionnés dans la loi, et non renvoyés à un décret.

Restait un point qui nous préoccupait : à qui la nouvelle procédure d’expulsion devait-elle s’appliquer ? En soulevant cette question, nous entendions prévenir toute confusion –confusion trop souvent rencontrée ces dernières années – entre étrangers et auteurs d’actes de terrorisme.

Les membres de la commission mixte paritaire ont procédé à une lecture très attentive des différentes dispositions du CESEDA, notamment de ses articles L. 521-1, L. 521-2 et L. 521-3. Celle-ci nous a rassurés : il en ressort que cette procédure d’expulsion ne concerne que l’étranger dont la présence en France constitue une grave menace pour l’ordre public. En outre, un certain nombre d’étrangers se trouvent exclus du champ de cette procédure, notamment les parents d’enfants mineurs résidant en France, les conjoints de Français ou les étrangers vivant depuis plus de dix ans régulièrement en France : dans ces cas, l’expulsion doit constituer une « nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État et la sécurité publique ».

Enfin, les étrangers vivant en France depuis vingt ans ou depuis l’âge de 13 ans, les conjoints de Français depuis plus de quatre ans et les parents, résidant en France depuis plus de dix ans, d’enfants mineurs résidant en France ne peuvent être expulsés qu’en cas de « comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités à caractère terroriste ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ».

Les expulsions visées par le présent texte sont donc toutes liées à la préservation de l’ordre public ou de la sûreté de l’État ou à des activités terroristes. Dans tous les cas, elles seront précédées de l’avis, généralement suivi par l’autorité administrative, d’une commission composée de trois magistrats.

Au vu de l’ensemble de ces dispositions, nous avons considéré que nous pouvions accepter de conserver une procédure unique d’expulsion dans le CESEDA.

J’ai rappelé tout à l’heure combien notre assemblée tenait à exercer la plénitude de ses attributions. Ce souci nous a conduits à refuser de ratifier l’ordonnance relative à la partie législative du code de la sécurité intérieure. Il s’agissait là pour nous d’une question de principe. Nos collègues de l’Assemblée nationale nous ont dit avec franchise l’avoir accepté au nom du pragmatisme. Ils considèrent que, même avec davantage de temps pour examiner les quelque 550 articles du code de la sécurité intérieure, notre travail n’aurait pas nécessairement été de meilleure qualité. Nous avons préféré maintenir notre position, que nos collègues députés ont finalement ralliée. Nous pouvons tous nous en féliciter : en tant que législateur, nous ne pouvons pas faire aveuglément confiance, sans nous assurer que le droit concerné par les textes soumis à notre ratification est bien constant. À cet égard, M. Hyest a rappelé que l’expérience, s’agissant des ordonnances relatives à l’outre-mer, nous a instruits sur la relativité de cette constance… Il est notre devoir de législateur de refuser de ratifier une ordonnance dans de telles conditions.

Reste un dernier article introduit via l’adoption d’un amendement du Gouvernement et correspondant à un engagement du Président de la République. Chacun a perçu la détresse des familles des victimes de Mohamed Merah ou des attentats de Karachi. Elles se trouvent prises dans l’engrenage monstrueux d’un terrorisme qui frappe l’État ou la Nation à travers des personnes innocentes ; pourtant, elles n’étaient pas considérées jusqu’à présent comme des victimes d’une guerre qui, pour être secrète, n’en est pas moins réelle.

Le nouvel article 6 bis a fait l’objet d’un consensus. Il introduit dans notre droit la mention de « Victime du terrorisme » et celle de « Mort pour le service de la Nation ». Au-delà du symbole, en lui-même déjà très important, cet article produira des effets concrets en matière de pensions ou d’attribution du statut de pupille de la Nation.

En adoptant ce dispositif qui sera soumis à la décision du garde des sceaux, chargé de l’état civil, nous réparons une injustice et nous montrons l’unité de la Nation face au terrorisme.

Je conclurai en saluant à mon tour l’engagement du ministre de l’intérieur. Sa mobilisation et son ouverture d’esprit ont permis d’obtenir un large accord au sein des deux assemblées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, à l’occasion de chaque discussion d’un texte relatif à la lutte contre le terrorisme, nous condamnons tous avec la plus grande fermeté ces atteintes à la République que sont les actes ou les menaces terroristes, sous toutes leurs formes, où qu’ils se produisent et quels qu’en soient les responsables.

Les actes à caractère terroriste commis sur le sol de la Corse sont intolérables et méritent d’être condamnés avec la plus grande sévérité. Les Corses sont inquiets, à raison. Au-delà des déclarations, affronter cette situation suppose de prendre les mesures nécessaires, en écoutant attentivement les élus locaux. Certains d’entre eux ont été cités ici ; pour ma part, je voudrais saluer particulièrement mon ami Dominique Bucchini, président de l’Assemblée de Corse, qui fait preuve de courage et de détermination, ne ménage pas ses efforts, ne mâche pas ses mots pour dénoncer ces actes et formuler des propositions en vue d’attaquer le mal à sa racine et de lutter contre les dérives criminelles.

Cette « union sacrée » ne doit cependant pas faire oublier que les débats relatifs à la lutte contre le terrorisme ont toujours soulevé un dilemme démocratique : comment concilier quête de sécurité et respect des libertés et des droits fondamentaux ?

Pour notre part, nous nous sommes toujours refusés à concevoir le combat contre le terrorisme à travers le seul prisme sécuritaire et avons toujours été attentifs au respect des droits fondamentaux. Nous considérons en effet que le respect des droits humains et des libertés fondamentales n’est pas un luxe réservé aux époques de prospérité.

Nous n’avons eu de cesse d’affirmer que la démocratie n’est pas un acquis. La faire vivre requiert une vigilance permanente et un travail constant. Elle repose sur un ensemble de libertés et de droits que l’on ne peut démanteler, même dans les moments difficiles, sans porter atteinte à ses fondements mêmes.

Des réalités aussi fondamentales que celle d’aller et venir ou le droit au respect de la vie privée sont en réalité la base d’une sécurité durable, et non un obstacle à celle-ci.

C’est la raison pour laquelle les articles 1er, 2 et 3 de ce projet de loi ne peuvent nous satisfaire.

Je n’y reviendrai pas dans le détail, mais je rappelle que l’article 1er proroge jusqu’au 31 décembre 2015 les articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006, dont le dispositif avait été adopté à titre expérimental. Comme l’ensemble de la gauche l’avait souligné, notamment en 2008, l’article 3 de cette loi vise à lutter non pas contre le terrorisme, mais bien contre l’immigration clandestine, en instaurant un amalgame inadmissible entre terrorisme et immigration.

L’article 2 a pour objet l’extension de l’application de la loi pénale française aux actes de terrorisme de nature délictuelle commis à l’étranger. Cette possibilité existe déjà, notamment grâce à la notion d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, qui permet de poursuivre les auteurs de tels faits. De plus, cette notion large laisse de facto beaucoup de souplesse au régime antiterroriste français. Des Français détenus à Guantanamo, libérés par les autorités des États-Unis, ont ainsi été condamnés à leur retour dans notre pays.

L’article 3 dispose que si la commission départementale d’expulsion n’a pas émis son avis dans un délai d’un mois, il sera réputé rendu. Cela fera supporter aux ressortissants étrangers les conséquences des encombrements des audiences des commissions d’expulsion. En effet, depuis la loi du 24 août 1993, dite « loi Pasqua », les avis de cette commission ne revêtent qu’un caractère consultatif et, à la suite de multiples modifications du CESEDA, elle n’est pas saisie en cas d’urgence absolue.

Introduire ainsi la notion de rejet implicite revient à anéantir doucement mais sûrement le rôle de la commission d’expulsion, pourtant essentiel à la garantie des droits de la défense.

Cette situation est d’autant plus déplorable que l’Assemblée nationale a élargi le champ d’application de l’article 3 : le Sénat avait souhaité le restreindre aux activités à caractère terroriste, mais les députés sont revenus sur ce point, entretenant, là encore, une confusion entre les dispositions relatives au terrorisme et celles qui ont trait à l’immigration.

Mes chers collègues, vingt-six années de législation antiterroriste ont-elles permis de réduire le phénomène ? La question est complexe ; la réponse, pour autant qu’il y en ait une, ne l’est pas moins. En tout état de cause, à l’évidence, ce n’est pas en accroissant notre arsenal législatif en réaction à des actes plus horribles les uns que les autres que nous identifierons les causes réelles du terrorisme afin de mieux les combattre : il y faut du temps.

Surtout, nous ne devons pas nous satisfaire d’une politique sécuritaire qui se bornerait à un fichage généralisé, chaque citoyen étant considéré comme un terroriste potentiel. En cette matière plus qu’en toute autre, le législateur doit donc prendre le temps de l’analyse, à travers un contrôle politique, juridique et citoyen de la situation, avant d’envisager les mesures nécessaires.

Or le texte qui nous est proposé prévoit, à l’inverse, de proroger des mesures qui ont déjà prouvé leur inefficacité, par exemple lors du drame de Toulouse. De surcroît, le gouvernement précédent n’a pas respecté l’obligation de déposer chaque année un rapport d’évaluation de ces dispositions instaurée à l’article 32 de la loi de 2006. Par ailleurs, le rapport sur les éventuels dysfonctionnements des services de renseignement français demandé par M. le ministre de l’intérieur ne nous a pas encore été communiqué. Cela étant, je me félicite de ce que la création d’une commission d’enquête portant sur ce sujet vienne d’être décidée par l’Assemblée nationale.

Il serait donc logique et de bonne méthode d’adopter une approche inverse : d’abord analyser, puis légiférer. Le recours à la procédure d’urgence ne saurait, pas plus aujourd’hui qu’hier, se justifier, eu égard à l’inachèvement du travail d’analyse entrepris, sinon pour proroger des dispositions mises en place par l’ancienne majorité, que l’ensemble de la gauche, je le répète, avait pourtant critiquées et rejetées.

Chers collègues, la perplexité dont vous avez fait montre lors de l’adoption de ces dispositions, confortée depuis par la démonstration de leur inefficacité, devrait vous conduire à prendre le temps de les analyser en profondeur, dans l’intérêt de tous. (Mme Esther Benbassa applaudit.)