M. le président. La parole est à M. Pierre Charon, sur l'article.

M. Pierre Charon. L’histoire du droit de vote est un chemin précieux de l’histoire de notre pays et de notre démocratie. Il est éclairé par un principe simple : « Un homme une voix ».

Si, dans l’Histoire, la mise en place de cet idéal fut longue et parfois douloureuse, nous devrions espérer que, en 2012, c'est-à-dire cinquante ans après l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct et soixante-sept ans après qu’on a accordé le droit de vote aux femmes et aux militaires, nous soyons parvenus à honorer au mieux ce fameux principe.

Pourtant, si l’élection présidentielle respecte effectivement le principe « un homme une voix », les élections locales sont soumises à la loi de la carte électorale.

Il ne s’agit évidemment pas d’en contester le principe, dans la mesure où les évolutions de population sont inévitables et où la mobilité est l’une des caractéristiques principales de la société contemporaine. Cependant, notre rôle de législateur est bien de mesurer ces évolutions et d’y apporter la réponse la plus respectueuse du grand principe qui régit la représentativité de l’élu dans notre démocratie.

Malheureusement, les « ajustements » de la carte électorale n’ont pas toujours été réalisés sans arrière-pensées. Il est d’ailleurs amusant de noter qu’une forme de justice immanente a souvent puni la main qui avait essayé de tordre le cou aux électeurs.

C’est aujourd’hui en tant que sénateur et élu de Paris que j’interviens sur cet article, qui modifie la clef de répartition des élus parisiens, au regard des évolutions de population qu’ont connues les différents arrondissements de la capitale depuis trente ans. À cet égard, le tableau fourni en page 67 du rapport est tout à fait clair ; il présente un certain nombre de problèmes quant à l’équité des variations proposées par ce projet de loi. En effet, si la population a, globalement, légèrement augmenté dans la capitale, nous constatons de fortes disparités dans la répartition de cette progression.

La logique de la réforme de la répartition des conseillers de Paris devrait viser à rétablir les équilibres de représentation, en ajustant le nombre de sièges aux évolutions constatées. Dès lors, comment comprendre, par exemple, que le XVIIe arrondissement se voie privé d’un représentant alors que sa population est stable, à 0,6 % près, faisant passer à 14 000 le nombre d’habitants par élu, quand, dans le même temps, le IVarrondissement, qui a vu sa population chuter de 17,1 %, garde ses trois sièges, ce qui équivaut à un ratio de 9 000 habitants par élu ?

Plus généralement, comment ne pas soupçonner une autre logique que celle de l’équité quand les trois conseillers de Paris ajoutés dans ce projet de loi l’ont été dans des arrondissements majoritairement à gauche et les trois qui ont été retirés l’ont été dans des arrondissements majoritairement à droite : VIIe, XVIe, XVIIe ?

Les Ier, IIe et IIIe arrondissements et, dans une moindre mesure, le IVe arrondissement profitent d’une surreprésentation au conseil de Paris : leur population a fortement diminué en trente ans, mais le nombre de conseillers de Paris qui y siègent n’en a pas été affecté, et il ne le sera pas non plus après l’adoption du projet de loi.

Peut-être est-il temps de réfléchir à la question du regroupement des quatre arrondissements centraux au sein d’une seule et même entité. Pour l’heure, le projet de loi ne règle rien : il institutionnalise un déséquilibre qui existe depuis trente ans et qui conduit à ce que la voix d’un électeur du centre de la capitale vaut près du double de celle de tout autre électeur parisien.

Comme cela apparaît dans le tableau, la fourchette se situe entre 5 871 habitants par élu dans le Ier arrondissement et 15 069 pour le Ve, soit un rapport de un à plus de deux fois et demie !

Une telle disparité, qui compte plus que les évolutions démographiques elles-mêmes, aurait pu être gommée à l’occasion de ce projet de loi. Bien au contraire, elle est aujourd’hui accentuée dans les trois arrondissements concernés par la suppression d’un siège au conseil de Paris ! Par exemple, dans le VIIe arrondissement, on passe de 11 000 à 14 000 habitants par élu. Il s’agit là non pas d’une réforme, mais bien d’une manipulation visant à fausser la représentation des électeurs des VIIe, XVIe, et XVIIe arrondissements au conseil de Paris.

La solution la plus équitable me semble être celle que notre collègue Yves Pozzo di Borgo propose dans son amendement, dont je suis d’ailleurs cosignataire. Il s’agit de fixer à deux le nombre de sièges au conseil de Paris pour les Ier, IIe et IVe arrondissements et à treize ceux du XVIe et du XVIIe.

Mes chers collègues, il est de notre devoir de législateur de veiller aux meilleures conditions d’épanouissement de la démocratie, et non de l’aménager indignement pour truquer ses équilibres. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme Cécile Cukierman. En somme, vous ne voulez pas de rééquilibrage démographique dans les cantons, mais vous le voulez à Paris ! C’est un peu fort de café !

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, sur l'article.

M. Yves Pozzo di Borgo. Depuis la Révolution française et la loi du 28 pluviôse an VIII – voilà qui ne nous rajeunit pas ! –, les fonctions de conseillers municipaux et de conseillers généraux sont confondues à Paris. Il s’agit d’un statut dérogatoire : celui des conseillers de Paris, qui sont actuellement au nombre de cent soixante-trois. D’ailleurs, à Paris, nous sommes les seuls élus à être à la fois conseillers d’arrondissement, conseillers municipaux, conseillers généraux et, parfois parlementaires. Chez nous, la limitation du cumul à deux mandats, cela n’existe pas ! (Sourires.)

Je regrette que ce texte n’ait pas permis d’avoir une vraie réflexion sur le statut de Paris. Cela aurait été une belle occasion. Je défends depuis toujours l’idée que le statut particulier de la capitale devrait être remis à plat.

La loi du 31 décembre 1982 relative à l’organisation administrative de Paris, Marseille, Lyon et des établissements publics de coopération intercommunale, dite loi PLM, était un texte de circonstance ; M. le rapporteur s’en souvient bien, puisqu’il occupait à l’époque des fonctions auprès du Premier ministre. Il s’agissait de permettre au ministre de l’intérieur de l’époque, M. Gaston Defferre, de garder la mairie de Marseille. Il a ainsi été réélu en étant minoritaire, tout comme d’ailleurs Bertrand Delanoë a été élu maire de Paris en 2001 avec 5 000 voix de moins. C’est le statut de Paris ou Marseille qui permet cela.

Cette loi devrait être revue et remise à plat, afin de nous inciter à aborder la gouvernance du Grand Paris pour adapter ce pôle urbain aux grands pôles internationaux. Car Paris, avec ses 2 millions d’habitants, est une petite capitale.

Actuellement, les cent soixante-trois conseillers de Paris, également conseillers généraux, sont élus à la proportionnelle, et il y a la parité. Pourquoi les conseillers généraux de Paris ne sont-ils pas élus comme des conseillers généraux classiques ? Des cantons pourraient être tracés dans chaque arrondissement pour ancrer les conseillers départementaux dans un quartier de la capitale.

Quels seraient les avantages d’une telle réforme ? Elle s’inscrirait dans l’évolution historique parisienne de ces cinquante dernières années, réduirait le nombre de conseillers généraux parisiens et, enfin, décloisonnerait Paris, à l’heure de la mise en place du Grand Paris.

La loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales avait d’ailleurs banalisé le statut des conseillers territoriaux de Paris. Son article 1er était ainsi rédigé : « Les conseillers territoriaux sont élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours » – il n’y avait pas de précisions particulières pour les élus parisiens ; c’est donc le scrutin uninominal majoritaire qui leur aurait été applicable – « selon les modalités prévues au titre III du livre Ier du code électoral. Ils sont renouvelés intégralement tous les six ans. » Il n’y avait aucune référence au statut particulier de Paris, et cette banalisation avait été validée.

Cette loi obligeait un redécoupage des circonscriptions cantonales dans la capitale. Cela aurait eu pour incidence de faire élire les conseillers territoriaux de Paris non pas à la propositionnelle, mais, comme c’est indiqué à l’article 1er, au scrutin majoritaire.

J’en viens à l’amendement que j’ai déposé sur cet article. M. Charon l’a d’ailleurs déjà évoqué.

L’article 19 du projet de loi prévoit de supprimer un siège de conseiller de Paris dans les VIIe, XVIe et XVIIe arrondissements pour les transférer dans l’Est parisien. Il paraîtrait plus juste de les supprimer dans les arrondissements du centre : Ier, IIe et IVe. Si je suggère cette modification, c’est parce que, au delà des variations démographiques, la question du nombre d’habitants par élu est fondamentale.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à rappeler que nous avons déjà passé longtemps, à juste titre, à débattre des écarts de nombre d’élus pas habitants entre cantons d’un même département. Mais il semble que cette logique ne s’applique pas avec la même rigueur dans la capitale. En effet, comme l’a rappelé mon collègue Pierre Charon, dans le Ier arrondissement, chaque élu représente 5 871 habitants alors que la moyenne municipale dépasse les 13 000 habitants par élu ! On est loin, très loin – certes, je reconnais que le contexte n’est pas le même – du tunnel des plus ou moins 20 %.

Les Ier, IIe et IVe arrondissements sont donc surreprésentés au sein du conseil de Paris avec trois conseillers de Paris là où ils n’en mériteraient en fait que deux au vu de leur population.

Par ailleurs, le VIIe arrondissement, avec le site de l’hôpital Laennec, et le XVIIe arrondissement, avec le site des Batignolles, vont connaître une hausse significative de leur population du fait d’importants programmes immobiliers. Il faut donc anticiper – c’est la moindre des choses pour un politique – cette évolution en cours dès aujourd’hui en sauvegardant le cinquième conseiller de Paris dont disposent aujourd’hui ces arrondissements.

La véritable justice électorale est de mieux répartir les conseillers de Paris vis-à-vis des populations des arrondissements, pas d’effectuer des transferts politiciens vers l’Est au détriment des habitants des grands arrondissements de l’Ouest.

Je sais bien que certains nos collègues s’inquiètent quant à leurs chances de garder la mairie de Paris. Mais je crois tout de même que nous sommes en présence d’une manœuvre qui n’est guère correcte.

L’objet de cet amendement est d’imputer la baisse d’un conseiller prévue par le texte aux Ier, IIe et IVe arrondissements, et non aux VIIe, XVIe et XVIIe arrondissements. En effet, pour les Ier, IIe et IVe arrondissements, le ratio d’habitants par conseiller de Paris est particulièrement disproportionné par rapport à la moyenne parisienne. Par ailleurs, la fixation d’un seuil à deux conseillers pour un arrondissement avait été prévue dans le texte initial de la loi PLM. C’est suite à l’adoption d’un amendement que les socialistes avaient déposé que ces arrondissements ont obtenu trois conseillers généraux au lieu de deux.

La solution proposée dans le projet de loi ne règle pas le problème que le Conseil constitutionnel a soulevé à de nombreuses reprises en rappelant que le principe constitutionnel d’égalité du suffrage imposait l’élection de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale « sur des bases essentiellement démographiques selon une répartition des sièges. »

La nouvelle répartition ne règle pas du tout de problème. À mon sens, le Conseil constitutionnel serait également en droit de censurer cet article. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, sur l'article.

M. Philippe Bas. Si je prends la parole, bien qu’étant élu d’un département rural, c’est parce que cet article ne concerne pas seulement Paris.

Nous sommes dans un cas où la répartition de la population et des élus se fait par la loi. C’est un test grandeur nature de ce que le Gouvernement a certainement l’intention de faire quand il aura la main sur le découpage, c'est-à-dire lorsque cela relèvera du décret.

Et que voit-on lorsque le Gouvernement est obligé de se dévoiler ? Comme l’ont souligné avec beaucoup de justesse et de mesure les deux orateurs précédents, en relevant des chiffres et des faits irréfutables, on constate que le découpage n’est ni neutre ni impartial, donc ni transparent ni déontologique. Voilà ce qui nous préoccupe !

Par conséquent, se pose ici une question qui retentit sur l’ensemble de la réforme proposée par le Gouvernement. Quand le Gouvernement est obligé de dire ce qu’il doit faire au Parlement, on constate des dérapages très graves. C'est la raison pour laquelle notre groupe, très uni sur cette question, s’oppose à cet article. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

M. le président. L'amendement n° 152 rectifié, présenté par MM. Pozzo di Borgo et Charon et Mme Jouanno, est ainsi libellé :

Alinéa 2, tableau, troisième colonne

1° Deuxième, troisième et cinquième lignes

Remplacer le chiffre :

3

par le chiffre :

2

2° Huitième ligne

Remplacer le chiffre :

4

par le chiffre :

5

3° Dix-septième et dix-huitième lignes

Remplacer le chiffre :

12

par le chiffre :

13

La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Michel Delebarre, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Nul ne peut contester le bien-fondé de l’objectif visé ici, car il était nécessaire d’actualiser la prise en compte des évolutions de la population.

S’agissant de Paris, cela n’a pas été fait depuis trente ans. Par conséquent, on ne peut pas nous accuser d’agir dans la précipitation.

La méthode doit respecter un certain nombre de principes, qui, soit ont été actés par le Conseil constitutionnel à l’occasion de textes précédents, soit ont fait l’objet jusqu’à présent d’un consensus.

La première décision est de savoir si l’on maintient ou pas un nombre plancher d’élus par arrondissement. Cette règle a été votée dès le départ en 1982 et a été validée par le Conseil constitutionnel. La possibilité de son maintien ne souffre donc aucune discussion.

J’observe que, depuis 1982, personne au Sénat – sous aucune majorité et à l’occasion d’aucune discussion – n’est venu remettre en cause cette règle que le Gouvernement souhaite maintenir. J’ajoute que vous étiez vous-mêmes partisans d’une règle avec un plancher.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Autant qu’il m’en souvienne, le texte sur le conseiller territorial reprenait exactement les mêmes modalités et prévoyait une règle plancher, c'est-à-dire un nombre minimum d’élus attribué dès le départ à chaque secteur géographique.

Nous ne faisons ici qu’appliquer des règles communes tout en essayant d’actualiser la répartition en fonction de l’évolution de la population.

J’observe, d’ailleurs, pour pousser la comparaison jusqu’au bout, que, en 1987, à l’occasion d’une modification à peu près comparable pour Marseille, des règles strictement identiques avaient été retenues.

Je ne peux donc accepter vos arguments. La règle que nous appliquons a été validée par le Conseil constitutionnel et a toujours fait l’objet d’un consensus depuis 1982, y compris lorsqu’elle a été utilisée sous d’autres majorités, notamment quand il a fallu réactualiser la répartition dans des circonstances identiques.

L’adaptation à l’évolution de la population nous semble nécessaire au bout de trente ans. C’est la proposition du Gouvernement. Voilà pourquoi je suis défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.

M. Philippe Kaltenbach. Le groupe socialiste votera contre cet amendement.

J’ai écouté les explications alambiquées de l’UMP et de l’UDI-UC. Je renvoie nos collègues à l’excellent rapport de Michel Delebarre, page 67, où se trouvent clairement exposée l’évolution démographique et la répartition actuelle des élus, arrondissement par arrondissement, ainsi que la répartition proposée par le Gouvernement. On y voit clairement qu’il n’y a aucune volonté de manipuler, de tricher ou de favoriser les arrondissements dits « de gauche » par rapport à ceux dits « de droite ».

M. Philippe Kaltenbach. À partir du moment où l’on est d’accord pour fixer le seuil minimal par arrondissement à trois sièges, les petits arrondissements auront un nombre d’habitants par élu faible.

Le plus favorisé est le Ier arrondissement de Paris. Or tous ceux qui connaissent la carte électorale parisienne savent que c’est un arrondissement à droite ; il le restera d’ailleurs encore pendant quelques années !

Le VIIIe arrondissement, qui aura 13 426 habitants par élu, est également très favorisé. Il n’est pourtant pas connu pour être un bastion de la gauche, loin s’en faut.

Mme Cécile Cukierman. C’est sûr !

M. Pierre Charon. Ce n’est pas ça un bastion : il n’y a que deux élus dans le VIII!

M. Philippe Kaltenbach. Le tableau à la page 67 du rapport établit clairement les variations de répartition : on voit que la fourchette est très restreinte. Vous pouvez toujours discourir de manière alambiquée, mais les chiffres sont têtus. La population des XIXe et XXe arrondissements a augmenté de 14 %. Quoi d’anormal si ces deux arrondissements ont plus de sièges ? Le XVIe arrondissement a perdu 6 % de sa population et le VIIe arrondissement 15 %. Il est logique qu’ils perdent des sièges.

C’est un calcul mathématique simple ; le résultat est connu, il est lisible et clair. Pourquoi crier à la manipulation pour trois sièges supprimés dans des arrondissements dits « de droite » et pour trois sièges créés dans des arrondissements dits « de gauche » ?

M. Philippe Bas. Avouez que c’est une curieuse coïncidence !

M. Yves Pozzo di Borgo. Tout à fait !

M. Philippe Kaltenbach. Ce n’est pas une coïncidence, c’est la conséquence d’une évolution démographique bien réelle : la population des arrondissements populaires augmente alors que celle des arrondissements plus aisés diminue. Le tableau est limpide sur ce point. Vous avez les chiffres de la population, le nombre d’élus et le nombre d’habitants par élu. Il suffit de diviser pour obtenir le ratio.

C’est vrai que, dans certains arrondissements, en raison d’un effectif minimum de trois sièges, le quotient du nombre d’habitants par siège est beaucoup plus bas que le quotient moyen.

M. Philippe Bas. Vous avez parfaitement fait vos calculs !

Mme Cécile Cukierman. On demande plus de souplesse pour les départements afin de répondre aux besoins des territoires ; c’est la même chose pour Paris !

M. Philippe Kaltenbach. Mais ce n’est pas une raison pour faire un mauvais procès au Gouvernement. Ce tableau est bien la preuve que le Gouvernement n’est pas dans une logique de magouille, de tripatouillage et de charcutage. Si certains en doutaient encore, la répartition proposée pour Paris prouve bien que le Gouvernement cherche l’équité pour assurer le principe d’égalité de tous les citoyens devant le suffrage. Il serait anormal qu’un habitant du XVIe arrondissement pèse plus lourd qu’un habitant du XIXe. C’est ce qui est corrigé grâce aux modifications proposées par le Gouvernement.

Il ne faut surtout pas voter l’amendement de M. Pozzo di Borgo, qui, malheureusement, va dans le sens d’une manipulation pour favoriser son camp politique. (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Je ne pensais pas intervenir sur un sujet pour lequel mes compétences sont limitées, même si j’ai vécu toute ma jeunesse et ma maturité à Paris dans le XIIIe, dans le XVe, puis aujourd’hui dans le IXe arrondissement. Je suis capable de citer à peu près toutes les stations du métropolitain.

Mais c’est en tant que provincial que je souhaite appeler l’attention du ministre sur la contradiction joyeuse à laquelle il s’expose au détriment des départements ruraux s’il n’approuve pas l’amendement n° 152 rectifié, admirablement défendu par Pierre Charon et Yves Pozzo di Borgo, qui en sont les coauteurs.

Vous vous souvenez peut-être que Paris est à la fois une ville et un département. Paris élira donc des conseillers départementaux. Ces derniers auront, comme dans les autres départements, une assise géographique. Hier, dans les départements ruraux, il s’agissait des cantons issus de la Révolution et insuffisamment modifiés, je le confesse volontiers ; à Paris, ce sont les arrondissements, qui datent du découpage d’Haussmann et du Paris de 1860, époque où les communes périphériques ont été intégrées au sein de l’enceinte de Louis-Philippe.

Certes, la population a évolué, mais il y a tout de même deux poids, deux mesures. La loi de 1982, à laquelle vous faites allusion et que vous reprenez, fixe un nombre minimum d’élus par arrondissement. Or ce minimum de représentation par arrondissement, c'est-à-dire pour le découpage territorial du département de Paris, que vous ne contestez pas, vous le refusez aux cantons ruraux de l’immense majorité des départements français.

Mme Cécile Cukierman. Non, parce qu’il y a un seuil minimum !

M. Gérard Longuet. Il y a donc bien deux poids, deux mesures.

Le IVarrondissement perd des habitants, mais il conserve ses trois élus. Pourquoi n’en irait-il pas de même pour les cantons ruraux, qui ont perdu des habitants, et qui ont tout autant le droit de vivre ? La gloire de la rue Saint-Antoine vaut bien, j’en suis persuadé, celle du canton de Villedieu-les-Poêles ou de Saint-Pois !

En un mot, vous créez pour une même collectivité départementale, et Paris est un département, une inégalité dont je me réjouis, mais nous demandons l’application du principe à tous. À défaut, il faudrait accepter d’appliquer à Paris la même proportionnalité dans le tunnel de 20 % que celle que vous souhaitez mettre en œuvre pour les cantons binominaux. Sinon, vous tombez dans une contradiction.

Je constate, c’est un sujet plus polémique, mais il n’est pas mauvais de se faire plaisir un vendredi, en milieu d’après-midi, que vous tenez compte de la population et non des électeurs.

En province, par exemple dans la Meuse, au cœur de l’Argonne, la différence est faible entre les habitants et les électeurs, car la plupart des habitants sont électeurs quand ils ont l’âge. Mais, à Paris, les quartiers évoluent, comme vous l’avez souligné à juste titre. Paris est une métropole internationale, c’est une ville à la dimension mondiale, et nous sommes fiers d’accueillir des populations de toutes origines.

Mme Cécile Cukierman. Attention aux mauvais glissements !

M. Gérard Longuet. Néanmoins, ces populations ne sont pas encore électrices. Pourtant, c’est le nombre de la population, étrangers compris, qui constitue votre base de référence.

Il eût été intéressant pour la commission de faire valoir ce que représente cet écart de population, car il est vrai, connaissant Paris et aimant tous ses quartiers, depuis les Buttes-Chaumont et le métro Botzaris jusqu’à la Muette, que nous n’avons pas toujours affaire à des populations homogènes. Ce ne sont pas toujours des électeurs qui viennent grossir les différents quartiers de Paris. Il n’aurait pas été anormal d’en tenir compte. Bien que le Président Hollande ait sursis à cette proposition, la perspective du vote des étrangers explique que vous intégriez déjà comme des électeurs ceux qui ne sont que des habitants, en leur permettant par leur simple existence de justifier des élus supplémentaires. C’est un aveu auquel l’opinion sera sensible ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Effectivement, ce texte contient certaines contradictions, mais il y en a également dans les positionnements des différents groupes.

Votre dernier argument, monsieur Longuet, est très intéressant.

À l’article 1er, j’ai interpelé M. le ministre sur la question du droit de vote des étrangers. Il ne m’a pas répondu directement. Néanmoins, si comme vous le dites cet article constitue un pas en faveur du droit de vote pour les étrangers aux élections locales, droit en faveur duquel nous plaidons depuis plusieurs années, je le voterai encore plus volontiers et je m’opposerai à l’amendement n° 152 rectifié !

M. Gérard Longuet. Vous avez raison, madame, c’est un pas !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.

Mme Catherine Procaccia. Comme la plupart des habitants de la petite couronne ou de la grande couronne, je suis née à Paris. Je suis parisienne depuis toujours.

La situation qui vient d’être décrite par mes deux collègues est très choquante, et pas seulement pour les Parisiens. Gérard Longuet, ex-ministre et ancien président de groupe, a bien exposé les faits. Je ne vois donc qu’une seule explication à votre positionnement : vous adorez que vos textes passent devant le Conseil constitutionnel. (Sourires sur les travées de l'UMP.) C’est une vraie addiction ! Vous souhaitez une nouvelle fois qu’une de vos dispositions soit annulée.

Permettez-moi également de m’interroger : pourquoi n’y a-t-il à cette heure aucun sénateur parisien dans les travées socialistes ? Vos élus auraient-ils peur de devoir se justifier par la suite ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 152 rectifié.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 83 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 346
Majorité absolue des suffrages exprimés 174
Pour l’adoption 170
Contre 176

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas passé loin !

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote sur l’ensemble constitué par l'article 19 et l’annexe.

M. Philippe Kaltenbach. Le groupe socialiste votera bien évidemment l’article 19. Je voudrais toutefois répondre à M. Longuet.

En France, pour toutes les élections, il est de tradition – c’est conforme au code électoral – de tenir compte du nombre d’habitants et non du nombre d’électeurs. Affirmer que la mesure qui est proposée s’inscrit dans la perspective du droit de vote des étrangers non communautaires, c’est donc nous faire un faux procès. Je comprends que cette modification irrite certains de nos collègues de droite, mais elle n’a rien à voir avec le vote des étrangers. Je le répète, en France, les découpages, la prise en compte des seuils tiennent toujours compte de la population – je pense par exemple aux Français de moins de dix-huit ans – et non des électeurs.

Ne faites pas dévier le débat vers celui que nous aurons bientôt, je l’espère, sur le droit de vote des étrangers. Nous discutons ici d’équité électorale, d’égalité devant le suffrage, et c’est bien ce que propose le Gouvernement avec cet article.