M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat sémantique ne fait guère avancer les choses !

M. Bernard Saugey, rapporteur. C’est sûr !

M. François Fortassin. Si vous expliquez à l'homme de la rue, qui au passage est aussi un électeur, que les fonctions sont gratuites mais que les élus perçoivent malgré tout de l'argent, il aura le sentiment profond – et je feutre le langage ! – qu'on le roule dans la farine ! (Sourires.)

M. Philippe Dallier. Bonne image !

M. François Fortassin. Il suffit de dire que les fonctions ne donnent pas droit à rémunération, mais peuvent être indemnisées.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien ! M. Fortassin a trouvé la synthèse entre Pierre-Yves Collombat et moi.

Mme Jacqueline Gourault. Avec l'accent ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Lenoir. Comme vous, monsieur le président de la commission des lois, je suis convaincu que les petits pas permettent d'avancer.

La question du statut de l'élu local se pose depuis des dizaines d'années, et c'est par petites touches et retouches que nous ferons progresser l'idée que les élus qui se consacrent à la gestion de leur territoire peuvent recevoir une indemnité.

En revanche, j'ai été surpris par l'argument que vous avez avancé. J’y répondrai avec précaution, car vous avez tout à l'heure reproché à vos collègues de ne pas comprendre le sens de vos propos.

Vous vous référez à 1831, aux débuts de la monarchie de Juillet.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui !

M. Jean-Claude Lenoir. Faisons un peu d’histoire. Ceux qui dirigeaient la France alors n'avaient qu'une obsession : écarter des postes électifs ceux qui ne le méritaient pas,...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Vous avez raison.

M. Bernard Saugey, rapporteur. C'est vrai !

M. Jean-Claude Lenoir. ... c'est-à-dire ceux qui travaillaient : ouvriers, employés, etc. En posant le principe de la gratuité, il s’agissait de réserver ces postes à ceux qui avaient les moyens d'agir sans être indemnisés.

M. François Grosdidier. Les rentiers !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. L'indemnité parlementaire a été un combat de la gauche !

M. Jean-Claude Lenoir. C'est la raison pour laquelle je me tourne vers mes collègues Philippe Dallier et Pierre-Yves Collombat pour leur dire qu'ils ont tout à fait raison. Corrigeons ce texte qui remonte à 1831 et qui a tout simplement donné naissance à l'aristocratie républicaine. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Dans cette assemblée, on a l'habitude, et je le salue, d'être extrêmement raisonnable.

Le régime indemnitaire n’a pu être ouvert, y compris pour les parlementaires, que parce que la gratuité de la fonction a été établie.

Si l’on suit votre logique jusqu'au bout et que l'on rémunère cette fonction au lieu de l'indemniser, elle deviendra alors, comme tout salaire, imposable à 100 %. Choisir la rémunération revient à donc à remettre en cause le principe du régime indemnitaire des élus.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Au détour d’une loi qui entend améliorer le statut de l'élu, recommencer tous les travaux qui ont été menés pour l’ensemble des régimes indemnitaires, ceux des parlementaires comme ceux des autres élus de France, c’est possible, mais il faut dans ce cas demander une suspension de séance ! Nous devrions en effet examiner toutes les conséquences que cela emporte en termes de cotisations sociales, d'impôt sur le revenu, de statut de la rémunération, de contrôle de son utilisation, et le faire jusqu’au bout.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je n’avais pas l’intention de convoquer cet argument, mais, au bout d'une demi-heure, j’y suis contrainte : le régime indemnitaire permet aux élus d'avoir un statut protégé et de qualité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Ce débat est passionnant, parce que nous posons une question de principe qui est à mon avis essentielle. L’élu doit-il être désormais considéré comme salarié par sa collectivité ? Au contraire, son mandat est-il gratuit ? Dans ce dernier cas, dès lors que, en général, l’exercice de ses fonctions entraîne et une perte de rémunération et des frais, il lui faut en quelque sorte une indemnité compensatrice à la fois de ce manque à gagner et des dépenses qu'il engage, ne serait-ce que les frais de déplacement, qui sont parfois très importants pour les élus.

En ce qui me concerne, je préfère cette dernière philosophie ; elle est noble.

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Philippe Bas. Je n'ai pas peur d'être taxé d'hypocrisie en affirmant que nos concitoyens, que j’ai aussi l'occasion de rencontrer, ont suffisamment de discernement pour comprendre la valeur de ce principe.

Par conséquent, nous ne devons pas supprimer l'article du code qui affirme que les fonctions électives sont gratuites. Quel que soit le mandat que nous exerçons, nous ne sommes pas les salariés de nos collectivités. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je m’inscris dans la même tendance que mes collègues Fortassin et Bas et que Mme la ministre !

M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, pour explication de vote.

M. François Grosdidier. Je suis bien embarrassé : je voulais dire ce que notre collègue Fortassin a exprimé mieux que moi, et avec l'accent ! (Sourires.)

M. François Fortassin. J'espère qu'il n'y avait pas que l'accent, tout de même !

M. François Grosdidier. Pour nos concitoyens, il est incompréhensible qu'une activité qui, par principe, doit être exercée gratuitement puisse donner lieu à une contrepartie financière ne se limitant pas à la stricte indemnisation des frais qui auraient été engagés.

Pour autant, le débat juridique est posé. Le fait qu'une activité ne soit pas nécessairement gratuite signifie-t-il que celle-ci ne peut être rémunérée que sous la forme d'un salaire ? Cela me semble contestable et je ne partage pas ce point de vue, mais une telle question ne doit pas être prise à la légère. On a évoqué les sapeurs-pompiers volontaires et cité d'autres formes de contrepartie financière pour des activités exercées au profit de la collectivité.

Madame la ministre, je m'inscris en faux contre vos propos, sauf si l'on me prouve le contraire. Vous affirmez que ce dispositif ouvre de larges possibilités d'indemnisation réelle des frais engagés par des conseillers ou des élus municipaux.

M. François Grosdidier. Dans ce cas, il faudrait en transmettre le décompte aux autorités de tutelle et aux préfectures.

Il n’est qu’à voir, par exemple, les difficultés que rencontrent les pères pour se faire rembourser leurs frais de garde d’enfants ; nous y reviendrons lors de l'examen de l'article 2. Aujourd'hui, pour un grand nombre d'élus, non seulement le mandat électif n'a pas de contrepartie financière, mais il entraîne souvent un coût largement supérieur au montant des indemnités perçues, et bien sûr un coût certain lorsqu'il n'est pas indemnisé du tout.

Certes, le principe d’une non-indemnisation des conseillers municipaux peut continuer à coexister avec un régime d'élus indemnisés. En revanche, poser le principe de la gratuité pour tous, sauf pour certains, délégitime aux yeux de l'opinion publique le principe même de l'indemnité…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mais non !

M. Jeanny Lorgeoux. Fermez le ban !

M. François Grosdidier. Nous ne réglerons sans doute pas ce problème ce soir, car nous n'en mesurons pas encore toutes les conséquences, mais le sujet mérite qu’on le retravaille avant la fin du quinquennat.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Peyronnet. Mme la ministre a sorti l'arme nucléaire ; pour ma part, je me contenterai d'une arme de poing, ou à peine. (Sourires.)

Je l’ai dit lors de la discussion générale : dans ce domaine, je suis partisan de la politique des petits pas. Tout ce qui peut améliorer le statut des élus est positif.

De façon tout à fait modeste, ce texte apporte une petite avancée, mais une avancée tout de même. Et depuis 1992, finalement, le pas que nous avons franchi est assez important.

On peut parler de la gratuité. J’ai moi-même appelé de mes vœux cette discussion. Pour autant, il faut bien avoir à l’esprit que, si nous votons ces amendements identiques, c'est une autre logique qui s'imposera.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui !

M. Jean-Claude Peyronnet. Aussi, tout ce qui concerne le statut actuel de l'élu tombera et il n'y aura plus lieu de poursuivre la discussion de ce texte qui me semble assez consensuel.

C'est pourquoi il serait bienvenu que les auteurs de ces amendements identiques les retirent.

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.

M. Philippe Dallier. Les fonctions électives sont gratuites... C'est beau comme l'antique ! Certes, cela remonte à 1831, une période où le suffrage était censitaire,...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Effectivement !

M. Philippe Dallier. ... et où les élus étaient désignés et avaient les moyens d'assumer leurs fonctions et de trouver ailleurs des revenus. Nous n'en sommes plus là.

Un autre point me gêne dans l'argumentaire des détracteurs de cet amendement : l’opposition gratuité versus professionnalisation. Je ne sais même pas ce que ce dernier terme recouvre : nous ne sommes pas titulaires d'un CDI !

M. Jeanny Lorgeoux. Ce sont des CDD renouvelables !

M. Philippe Dallier. Au terme de notre mandat, les électeurs jugent notre compétence et nous reconduisent ou non dans nos fonctions. De quoi parlons-nous au juste ? La compétence des élus, c'est un autre débat ! (Mme Jacqueline Gourault acquiesce.)

Comme un certain nombre de mes collègues, madame la ministre, vous affirmez que supprimer le principe de la gratuité ferait tomber tout le reste et nous empêcherait d'indemniser les élus ou de les défrayer.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mais non !

M. Bernard Saugey, rapporteur. Pas du tout !

M. Philippe Dallier. Pour ma part, je n'en suis absolument pas certain.

La suppression d’un article du code qui prévoit que certaines fonctions électives sont gratuites nous empêche-t-elle vraiment de continuer à affirmer que les élus peuvent être indemnisés ou défrayés de certaines dépenses qu'ils auraient engagées ?

Dans la mesure où le doute existe, je retire l’amendement n° 18 rectifié qui, de toute façon, était un amendement d’appel. Cela étant, madame la ministre, j’aimerais tout de même être convaincu.

M. le président. L'amendement n° 18 rectifié est retiré.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce débat n'est pas inutile.

À la suite des propos de Jean-Claude Lenoir et de Philippe Dallier, je tiens à rappeler que l'indemnité des parlementaires, comme celle des élus locaux, est le fruit d’un combat mené et soutenu par ceux qui voulaient que tous les citoyens – ouvriers, paysans, employés, tout le monde ! –, et pas seulement les rentiers, puissent accéder aux fonctions électives. Sous la monarchie de Juillet, le régime était censitaire.

Toutefois, comme certains d'entre vous l’ont dit avec beaucoup de clarté – trois phrases ont suffi à François Fortassin pour nous soumettre une belle synthèse,…

M. Jeanny Lorgeoux. C’est le bon sens rural !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … tandis que Philippe Bas a très bien exposé les enjeux, à l’instar de Mme la ministre et de Jean-Claude Peyronnet –, nous sommes dans une logique où les indemnités servent à compenser les frais engagés, le temps que nous consacrons à l’exercice de nos fonctions et la perte de revenus qui en découle.

C'est une logique claire, et je crois sage que nous en restions là pour ce soir.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. J'espère que l'avis du président de la commission des lois sera suivi.

Puisque l’on m’a directement interrogée, je réponds. C'est grâce au principe de gratuité que nous avons pu prévoir un régime indemnitaire. Mme l'auteure de la proposition de loi a tenu à rappeler qu'il s'agissait bien d'une indemnité.

L’indemnité n’a rien à voir avec le salaire, ni avec l'achat d'une prestation de services. Ce sont trois possibilités différentes parmi lesquelles il faut choisir. Soit on verse un salaire, soit on achète une prestation de services, soit, quand on refuse ces deux modes, on crée une indemnité, qui compense un renoncement à un métier et couvre un certain nombre de frais. C'est la raison pour laquelle les indemnités n’ont pas le même statut que le salaire et, par exemple, ne sont pas soumises au même régime au titre de l’IRPP. Soyons donc bien attentifs à ce que nous faisons.

Pour ma part, je suis d'accord avec vous pour mener de façon approfondie une recherche juridique sur l'abandon de la gratuité. Néanmoins, au moment où je vous parle, pour maintenir les indemnités, donc des régimes indemnitaires ou des compensations de frais, nous n’avons d’autre solution que de garder le principe de gratuité.

Je l'ai dit tout à l'heure, certaines associations qui ont, par exemple des délégations de service public demandent, pour un certain nombre de fonctions, à pouvoir poser le principe de la gratuité accompagnée d'un régime indemnitaire. Nous sommes dans la même situation, mais, aujourd'hui, je n'ai pas la solution en droit.

En adoptant l'amendement n° 43 rectifié, vous feriez donc une erreur, me semble-t-il.

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, pour explication de vote sur l'amendement n° 43 rectifié.

M. Jean Boyer. Ce débat me rappelle quelques souvenirs. Voilà quarante-sept ans, j’ai pour la première fois été élu maire d’une commune de 250 habitants. J’ai passé la main en 1995, mais cette expérience me permet de porter un jugement sur le passé et le présent, mais aussi de tracer des pistes pour l’avenir.

Qui faisait le travail en 1965 ? Mes amis secrétaires de mairie… À l’époque, nous n’avions pas de marchés à passer. Dans les communes rurales, la tâche incombait aux agriculteurs : ils représentaient 80 % de la population et n’hésitaient pas à faire les corvées dans les chemins ! Nous n’avions pas de négociations à mener, pas de normes sanitaires à respecter ; la responsabilité du maire était très limitée.

Aujourd’hui, je peux vous dire, par expérience personnelle, qu’un maire est un responsable. Pourtant, parmi les élus, c’est peut-être celui qui doute le plus de sa raison d’être.

Je m’explique : les communautés de communes ont hérité, à juste titre, des responsabilités d’investissement, dépossédant progressivement les communes rurales de cette compétence. Or, sans que cela soit une question d’orgueil, assurer un mandat dans une commune, c’est aussi vouloir, avec le conseil municipal, laisser une trace de son passage. Si, demain, le maire d’une commune rurale se contente d’un rôle de président d’association, d’officier d’état civil ou de garde-champêtre, il ne sera pas très motivé pour être maire.

Très simplement, madame la ministre, nous devons, à travers cette proposition de loi, convaincre les maires qu’on veut les comprendre et les aider.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 43 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d'une discussion commune.

L’amendement n° 44 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Barbier, Fortassin, Hue, Plancade, Requier et Tropeano, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa de l'article 432-12, les mots : « un intérêt quelconque » sont remplacés par les mots : « un intérêt personnel distinct de l'intérêt général » ;

2° L'article 432-14 est ainsi modifié :

a) Le montant : « 30 000 euros » est remplacé par le mot : « 75 000 euros »

b) Après le mot : « susmentionnés », la fin de cet article est ainsi rédigée : « de contrevenir aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public, en vue de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié. »

3° Au second alinéa de l’article 122-4, après le mot : « légitime », sont insérés les mots : « ou par l’autorité de sa fonction, à condition d’être mesuré et adapté aux circonstances, »

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Je serai assez bref, car je constate que ce n’est manifestement pas ici le lieu de discuter. (Sourires sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UMP.)

Ainsi, nous parlerions de rémunération alors qu’il faudrait parler d’indemnité. C’est un premier faux procès : tout le monde parle d’indemnité !

Toutefois, lorsque vous parlez d’indemnité, de quoi parlez-vous au juste ? De la contrepartie d’un manque à gagner ? Mais de quoi s’agit-il, par exemple, pour les nombreux maires qui sont aussi retraités ? Par ailleurs, que vous fassiez quelque chose ou que vous ne fassiez rien, votre indemnité n’est pas modulée, que je sache !

Nous parlons donc bien d’indemnité, mais nous estimons que cette indemnité ne compense rien du tout. Nous jugeons simplement que, si nous voulons avoir des élus performants, qui consacrent du temps à leur mandat, nous devons nécessairement les indemniser.

Deuxième faux procès : sauf erreur de ma part, l’article dont nous débattons concerne la fonction municipale.

M. Philippe Dallier. Exactement !

M. Pierre-Yves Collombat. Pour les autres mandats, on ne se pose pas autant de problèmes métaphysiques et juridiques. Peut-être devrait-on, d’ailleurs… Ces faux procès montrent tout simplement que vous n’avez pas véritablement envie de créer un statut de l’élu.

Telle était donc la première motivation des amendements que nous avons déposés. Au-delà, un statut de l’élu nous semble également indispensable pour des motifs de responsabilité, notamment pénale.

Le problème est que le code pénal fonctionne avec un effet de cliquet : le fait d’être élu est toujours une circonstance aggravante, jamais une circonstance atténuante. Le Sénat s’en est ému et, par deux fois, notamment sur l’initiative de notre collègue Bernard Saugey, a voté à l’unanimité de ses membres un texte qui sécurise les élus en matière de prise illégale d’intérêts et qui précise, en matière d’atteintes à la probité dans les marchés publics, que le délit de favoritisme n’est constitué qu’en cas d’intention de favoriser.

Le troisième élément sur lequel je souhaite insister est plus récent. Mes chers collègues, vous avez dû suivre les aventures du maire de Cousolre, dans le département du Nord. Celui-ci avait giflé un adolescent qui se livrait à quelques dégradations et incivilités. Il a été condamné en première instance – tout est normal ! – au motif que sa qualité de dépositaire de l’autorité constituait une circonstance aggravante. Puis, ô miracle, la cour d’appel de Douai, non seulement ne l’a condamné à aucune peine – même son avocat demandait une sanction ! –, mais a reconnu qu’il avait eu raison.

Ce jugement mérite d’être retenu, la cour ayant posé que « le geste du maire, mesuré et adapté aux circonstances de fait de l’espèce, même s’il l’a lui-même regretté, était justifié en ce qu’il s’est avéré inoffensif et était une réponse adaptée à l’atteinte inacceptable portée publiquement à l’autorité de sa fonction » – j’insiste sur ces derniers termes, mes chers collègues.

Nous reconnaîtrions donc, après la cour d’appel de Douai, l’autorité de la fonction, et poserions que l’on ne peut pas injurier un maire impunément. Voilà pourquoi, même si c’est symbolique, instaurer un statut de l’élu, avec des devoirs mais aussi des droits, et progressivement le nourrir, y compris sur le plan de la responsabilité des maires, me paraît essentiel.

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Pillet, Mme Troendle, MM. Courtois, Reichardt et Lefèvre, Mlle Joissains, MM. Hyest, Frassa et Fleming et Mme Cayeux, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au premier alinéa de l'article 432-12 du code pénal, les mots : « un intérêt quelconque » sont remplacés par les mots : « un intérêt personnel distinct de l'intérêt général ».

La parole est à M. François Pillet.

M. François Pillet. Cet amendement vise à reprendre partiellement les amendements à ogives multiples qu’avait préparés notre collègue Pierre-Yves Collombat. (Sourires.)

Personne ne contestera que cette disposition s’insère parfaitement dans les objectifs de la proposition de loi. C’est par ailleurs un amendement dont la légitimité et la précision juridiques ont déjà fait l’objet d’un vote unanime de l’ensemble du Sénat.

Face à l’imprécision de la notion de gestion de fait, et face surtout à l’imprécision des conséquences civiles ou pénales de ce délit, la juridiction administrative a parcouru un chemin qui n’est plus tout à fait cohérent avec la portée accordée par la chambre criminelle de la Cour de cassation aux dispositions de l’article 432-12 du code pénal. Cet amendement vise donc simplement à préciser ce texte, en garantissant aux élus d’être pénalement traités par des dispositions aussi précises que l’exigent les principes généraux du droit et la Constitution, ainsi qu’on nous l’a rappelé voilà peu à propos d’une autre incrimination.

En effet, à l’heure actuelle, aux termes de l’arrêt de la Cour de cassation du 22 octobre 2008, l’infraction, pour être constituée, ne nécessite pas que les coupables aient retiré de l’opération prohibée un quelconque profit, ni que la collectivité ait souffert un quelconque préjudice.

Par ailleurs, un arrêt, rendu me semble-t-il par la cour d’appel de Grenoble, a reconnu qu’un seul intérêt moral pourrait suffire à constituer l’infraction, même si, en l’occurrence, l’élu en cause n’a pas été condamné.

Or, pour un élu qui est président d’une association recevant des subventions, l’intérêt moral, ce peut être simplement le plaisir d’être président !

On ne peut pas laisser ce texte pénal avec une imprécision rédactionnelle telle que la jurisprudence de la Cour de cassation permette ainsi d’élargir cette infraction dans des conditions qui, encore une fois, ne me semblent pas compatibles avec les principes généraux du droit.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Bernard Saugey, rapporteur. Je constate que la conférence des présidents a bien fait de prévoir, non seulement la soirée, mais aussi la nuit pour l’examen de ce texte. Je suis toutefois curieux de savoir combien nous serons encore dans l’hémicycle à une heure du matin…

Un sénateur du groupe UMP. Nous, nous y serons !

M. Bernard Saugey, rapporteur. Dans l’amendement de notre collègue Pierre-Yves Collombat, il y a en réalité trois dispositions.

Je ne puis que souscrire à la première, dont nous sommes conjointement les pères putatifs, puisque nous avions tous deux travaillé sur la prise illégale d’intérêts. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par François Pillet, ne reprend que cette disposition, ce qui me conduira bien évidemment à lui donner un avis favorable, au nom de la commission.

En revanche, les deux autres dispositions posent davantage de problèmes.

En particulier, le 3° de l’amendement n° 44 rectifié prévoit de donner une portée législative à la jurisprudence de la cour d’appel de Douai, qui a relaxé un maire ayant giflé un adolescent.

J’observe que l’objet de cette disposition est d’ores et déjà satisfait par cette jurisprudence, qu’il convient également de compléter par celle qui porte sur l’état de nécessité résultant de la légitime défense.

J’émettrai donc un avis défavorable sur l’amendement n° 44 rectifié.

En revanche, sur la prise illégale d’intérêts, nous sommes tous d’accord : c’est pourquoi j’émets un avis favorable sur l’amendement n° 1 rectifié.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Sur ces deux amendements tendant à réviser le code pénal au détour d’une proposition de loi, je ne puis qu’émettre un avis défavorable. Une telle révision exigerait en effet un travail important de concertation avec la Chancellerie.

Le problème de la prise illégale d’intérêts n’est pas si simple. Nous avons bien dit que l’élu serait amené à se demander, au cas par cas, si son intérêt personnel était en lien ou non avec un intérêt général. Face à une question aussi complexe, je préfère que l’on s’abstienne de toute modification du code au détour de cette proposition.

En conséquence, l’avis du Gouvernement est défavorable sur les deux amendements.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Hyest. Je redoute toujours que l’on ne cherche à bricoler le code pénal. Toute modification de ce texte exige une réflexion approfondie, et c’est pourquoi je ne voterai pas l’amendement de notre collègue Pierre-Yves Collombat.

En revanche, madame la ministre, nous avons déjà délibéré très longuement sur la modification de l’article 432-12 dudit code. Nous l’avons fait au travers d’un texte exclusivement consacré à cette question, en présence du garde des sceaux de l’époque, qui n’avait alors manifesté aucune opposition.

Il se trouve que cette proposition de loi, déposée sur l’initiative de notre collègue Bernard Saugey, a été votée unanimement par le Sénat, mais n’a jamais été examinée par l’Assemblée nationale.

Je n’aime pas beaucoup, moi non plus, que l’on modifie sans cesse le code pénal, mais, en l’occurrence, je pense que nous avons fait le travail de réflexion nécessaire.

Cela me rappelle les débats sur la loi Fauchon. Certes, les élus locaux étaient rarement condamnés, mais ils étaient souvent poursuivis, donc toujours menacés. Il en va de même du délit de prise illégale d’intérêts : il y a peu de condamnations, mais beaucoup de poursuites, ce qui est insupportable pour les élus locaux.

À mon avis, ce sujet trouve donc parfaitement sa place dans cette proposition de loi. Et l’on peut espérer que, cette fois, l’Assemblée nationale acceptera de se pencher sur la question, au travers d’un texte qui contient plusieurs autres dispositions.

Vous avez émis un avis défavorable sur ces amendements, madame la ministre. Veuillez m’excuser mais, si nous reprenons l’historique des événements, il me semble que nous avons murement réfléchi avant de nous prononcer sur ce sujet.