M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’ambiance a changé ! Pendant un peu plus de dix-huit mois, nous nous demandions si l’euro allait survivre à la spéculation. Quelques mois plus tard, nous constatons que l’euro se renforce tellement qu’il représente aujourd'hui un risque pour la compétitivité de l’ensemble de la zone euro, puisqu’il est susceptible de remettre en cause les efforts de compétitivité de nos entreprises.

Nous constatons également que, contrairement aux États-Unis ou au Japon, les pays de l’Union européenne, en particulier ceux de la zone euro, ne pratiquent pas le laxisme budgétaire. Ils sont en train de mettre en place des politiques de supervision bancaire précises afin de limiter les risques, ce qui va probablement engendrer un certain nombre de difficultés pour le financement des entreprises européennes par les banques.

M. Philippe Marini. Absolument !

M. Jean-Yves Leconte. Tout cela représente une menace pour la croissance.

C’est un peu paradoxal, car, en réalité, compte tenu de tous les efforts qui sont faits, il est moins risqué de parier sur l’euro que sur le dollar. Pourtant, l’euro est mieux rémunéré que le dollar. Il est donc absolument essentiel, comme l’a souligné aujourd'hui le Président de la République, de mener une politique de taux de change pour inverser la tendance et pour rémunérer l’euro à sa juste valeur. Il ne faut pas rémunérer plus cher un risque moindre, le risque de l’euro par rapport au dollar.

Je constate également que les perspectives budgétaires pour les prochaines années, sur lesquelles l’Europe n’est pas encore parvenue à un accord, représentent un véritable risque pour la croissance sur l’ensemble de l’année des pays en récession, des pays d’Europe centrale et orientale, qui en sont fortement dépendants.

Comment répondre rapidement à ces attentes ? Ne pas parvenir à un accord sur les perspectives budgétaires, c’est prendre un risque de plus pour la croissance en Europe.

Je constate enfin que le Président de la République a présenté aujourd'hui à Strasbourg des orientations qui répondent à ces interrogations. Elles ont été largement saluées, au-delà des travées de la gauche.

Toutefois, une question demeure : compte tenu des institutions telles qu’elles existent, comment pouvons-nous être assurés que, avec tous les efforts de rigueur que nous nous imposons, l’euro sera rémunéré à sa juste valeur, et non trois fois plus que le dollar, alors que les États-Unis mènent des politiques laxistes ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Vous abordez de nombreux sujets dans votre question, monsieur le sénateur.

Il est tout d’abord nécessaire de ne pas ajouter de la récession à la récession en ne parvenant pas à un bon compromis pour la croissance à la fin de la semaine.

Vous avez raison de dire que les pays bénéficiaires nets, qui sont, pour un très grand nombre d’entre eux, les pays dits « de la cohésion », perdraient beaucoup à un échec de la négociation. Très concrètement, dans ce cas, nous poursuivrions, jusqu’à l’obtention d’un accord, le cadre financier actuel. Cela signifie qu’une grande partie de ceux qui pourraient bénéficier d’un abondement des fonds de cohésion en raison de la situation difficile dans laquelle ils se trouvent ne percevraient pas des fonds à hauteur de leurs espérances. Les bénéficiaires nets ont donc intérêt à un compromis.

Comme l’a déclaré le Président de la République, nous souhaitons que la politique de cohésion soit correctement financée et qu’un accord sur le budget soit trouvé à la fin de la semaine.

Vous avez ensuite évoqué l’euro et sa surévaluation par rapport au dollar, laquelle poserait un problème de compétitivité.

Je le redis : toute la stratégie de l’Union européenne vise à remettre en ordre la finance et à éviter que les pays les plus en difficulté n’aient à continuer à subir le cercle vicieux dette bancaire-dette souveraine. De ce point de vue, l’accord qui est intervenu sur la supervision bancaire, la mise en œuvre d’un dispositif de résolution des crises bancaires et de garantie des dépôts, qui dotera l’Union européenne d’une véritable union bancaire, stabilisera le système financier, permettra de recapitaliser les banques et protégera les États les plus exposés aux risques de taux.

Enfin, la Banque centrale européenne a en charge la politique monétaire, qu’elle conduit en toute indépendance, mais elle n’est pas la seule. Les traités permettent au Conseil européen de se prononcer sur la politique de change. Le Président de la République a dit sur ce sujet des choses extrêmement précises aujourd'hui, qui témoignent de notre préoccupation concernant la compétitivité, laquelle repose sur la compétitivité produit et sur les efforts que nous faisons nous-mêmes en France pour desserrer l’étau pesant sur les entreprises. Il est évident qu’une politique de change un peu plus dynamique pourrait avoir un effet sur la compétitivité beaucoup plus immédiat. Nous réfléchissons à ces questions, qui doivent être débattues au sein du Conseil européen, si toutefois celui-ci décidait de mettre ces sujets à l’ordre du jour.

M. le président. M. Roland Courteau est le dernier orateur.

M. André Gattolin. Et les écologistes ?

M. Michel Vergoz. Et l’outre-mer ?

M. le président. Vous n’aviez pas manifesté votre intention d’intervenir. (M. André Gattolin proteste.) Pour ce qui vous concerne, monsieur Gattolin, vous n’avez levé la main qu’après M. Courteau. Vous vous exprimerez après lui. Nous sommes tenus de respecter le délai d’une heure qui est nous est imparti pour ce débat.

Vous avez la parole, monsieur Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Pour ma part, j’étais prêt à renoncer à la parole. En effet, ma question porte sur le programme européen d’aide aux plus démunis et, m’a-t-on dit, vous y avez déjà répondu, monsieur le ministre.

Je voudrais simplement insister sur le fait que les associations françaises sont dans le désarroi le plus total à la suite des informations selon lesquelles ce programme d’aide alimentaire pourrait être, une fois de plus, réduit.

Vous avez obtenu, m’a-t-on indiqué, que ce programme soit réinscrit et vous avez demandé que ses crédits soient augmentés. Je vous en félicite, monsieur le ministre.

Nous vous faisons confiance pour que l’Union européenne, qui a annoncé vouloir lutter contre la pauvreté, mette enfin en accord ses actes et ses discours grâce à la mise en œuvre d’une véritable solidarité à l’égard des plus démunis.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Si, en pleine crise, alors que le chômage progresse dans les conditions que l’on sait, que le nombre de ceux qui sont exclus du marché du travail augmente dans des proportions significatives, que le chômage de longue durée a les effets que l’on connaît en termes d’exclusion, de relégation, de difficultés sociales, humaines, familiales, l’Europe est incapable, alors qu’elle organise la convergence des politiques budgétaires et préconise le sérieux budgétaire, d’envoyer aux plus démunis le signal qu’elle leur tend la main, il ne faudra pas s’étonner du divorce entre les peuples et le projet européen.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. On ne peut pas à la fois vouloir une Europe plus forte et plus unie, vouloir qu’elle progresse davantage vers l’Union politique, en sachant que les peuples auront à se prononcer sur la nécessité d’aller plus loin, ou pas, dans ce sens, et prendre le risque de tuer des symboles, qui sont surtout des politiques venant apporter à ceux qui n’ont rien le soutien dont ils ont besoin en période de crise.

Donc, je veux vous le dire très clairement, comme le Président de la République l’a redit à Strasbourg ce matin, la France est déterminée à faire en sorte que le fonds européen d’aide aux plus démunis soit maintenu, pérennisé et correctement doté. Voilà notre feuille de route pour le Conseil européen de la fin de la semaine !

M. Roland Courteau. Très bien ! Merci !

M. le président. Avant de vous donner la parole, monsieur Gattolin, je rappelle qu’il s’agit d’un échange spontané et interactif et que, pour poser une question, il faut demander la parole.

M. André Gattolin. Je suis désolé sur le fond, monsieur le président ! On nous a demandé en commission des affaires européennes si nous souhaitions intervenir. La conférence des présidents organise les temps de parole. Ce mode de fonctionnement me paraît un peu compliqué. Il faudrait que les règles soient claires.

M. le président. Je vous invite à faire part de vos remarques à la conférence des présidents.

M. André Gattolin. Ce sera fait !

M. le président. Mon cher collègue, vous êtes le treizième orateur à intervenir en une heure. À cet égard, je remercie M. le ministre et nos collègues d’avoir respecté le temps de parole, ce qui est rare !

Vous avez la parole.

M. André Gattolin. Je vous remercie, monsieur le président.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré la crise et une concurrence toujours plus forte, l’Europe reste la première puissance commerciale de la planète. La régulation des échanges internationaux, rendue plus complexe par les échecs itératifs et récurrents de l’OMC et la multiplication des accords bilatéraux, occupe une place de choix dans nos préoccupations. Elle figure, d’ailleurs, à l’ordre du jour du Conseil européen de cette fin de semaine, en sus des questions liées à l’élaboration du cadre financier pluriannuel.

Les négociations menées avec les États-Unis sont régulièrement évoquées pour illustrer ce phénomène. Des discussions de ce type ont également été engagées, depuis de très nombreux mois, avec le Canada. Elles visent à aboutir à un accord de libre-échange que le Canada lui-même considère comme potentiellement plus important – aussi bien en valeur que du point de vue de la qualité des relations entre pays – que celui qui le lie avec les États-Unis et le Mexique. La conclusion de cet accord pourrait intervenir très prochainement. Les commissaires européens De Gucht et Cioloş sont précisément en déplacement en Amérique du Nord cette semaine.

Or de nombreuses interrogations s’élèvent sur les conséquences qu’aurait la conclusion de cet accord. J’en évoquerai deux principales.

Premièrement, le Canada exploite de manière intensive ses gisements de pétrole et de gaz de sables bitumineux, nonobstant les dangers que cette production fait peser sur la santé publique, et malgré la destruction de l’environnement et la pollution qu’elle entraîne. Le Canada voudrait exporter massivement ces produits vers l’Europe. Les pressions sont actuellement très vives pour que la modification en cours de la directive européenne sur la qualité des carburants permette l’utilisation de ces hydrocarbures dans l’Union européenne, ce que cet accord, le cas échéant, pourrait consacrer.

Quelle est la position du Gouvernement sur la possible importation de produits pétroliers canadiens en Europe comme en France ?

Deuxièmement, cet accord pourrait entraîner une augmentation de 20 % des échanges bilatéraux entre l’Union européenne et le Canada, dont une très grande partie se feront par voie maritime. Les Pays-Bas, avec le port de Rotterdam, bénéficieront sans doute en premier lieu de ce dynamisme nouveau. Ne serait-ce pas là l’occasion de repenser les avantages accordés à ce pays en 2006 en matière de droits de douane ? Cette compensation, dont on connaît mal, d’ailleurs, les tenants et les aboutissants, constitue l’un des rabais les plus regrettables actuellement en vigueur au sein de l’Union européenne.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur Gattolin, j’aurais regretté de ne pas pouvoir répondre à cette question, et je me réjouis donc de pouvoir le faire. (Sourires sur les travées du groupe écologiste.)

Les négociations sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada sont entrées dans leur phase finale, même si beaucoup de sujets sont encore sur la table.

Nous devons notamment nous assurer que l’ensemble des marchés publics canadiens seront bien ouverts aux entreprises européennes, comme les marchés publics européens le seront pour les entreprises canadiennes. Le Canada étant un pays doté d’une structure très décentralisée, nous voulons vérifier que les marchés publics subfédéraux seront bien ouverts aux produits européens.

Des discussions portant sur l’origine d’un certain nombre de produits agricoles, dont on veut garantir la traçabilité, sont également menées.

Enfin, quelques questions se posent encore sur les musées ou sur certains produits culturels, points qui relèvent de notre volonté de défendre la diversité culturelle.

Sur tous ces sujets, la discussion se poursuit. Vous l’avez dit, les commissaires De Gucht et Cioloş sont en train de finaliser ces négociations.

Vous évoquez surtout, monsieur le sénateur, la question des gaz de schiste.

M. André Gattolin. Des sables bitumineux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. En effet !

La révision de la directive que vous évoquée est actuellement bloquée, et nous n’entendons pas que cela change trop rapidement, car notre préoccupation rejoint la vôtre : rien ne doit être fait en la matière sans qu’une étude d’impact précise ait été menée et sans que les résultats aient été publiés. Ce serait nous engager, sinon, sur une pente dont nous ne savons pas jusqu’où elle nous entraînerait. Je vous le dis très clairement, nous ne voulons pas nous engager sur cette voie. Je tenais, monsieur le sénateur, à vous rassurer complètement sur ce point.

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 7 et 8 février 2013.

M. Michel Vergoz. Monsieur le président, je désire poser ma question !

M. le président. Monsieur Vergoz, pardonnez-moi, mais je ne fais qu’appliquer les décisions de la conférence des présidents.

M. Michel Vergoz. Deux petites minutes !

M. le président. Mon cher collègue, treize sénateurs ont pu s’exprimer : cinq du groupe socialiste, trois du groupe UMP, deux du groupe UDI-UC, un du groupe CRC, un du groupe du RDSE et un du groupe écologiste.

M. Michel Vergoz. Apparemment, l’outre-mer n’est pas en Europe, ce soir !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures trente, sous la présidence de M. Charles Guené.)

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

12

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi portant création du contrat de génération
Discussion générale (suite)

Création du contrat de génération

Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant création du contrat de génération
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant création du contrat de génération.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la rapporteur, mes chers collègues, quand on les interroge sur leurs principales préoccupations, nos concitoyens évoquent systématiquement en premier lieu l’emploi.

D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement ? Entre 2011 et 2012, donc sous l’ancienne majorité, ce sont plus de 160 000 emplois industriels qui ont été détruits en France. Et, pour 2012, la situation ne s’est pas améliorée. Notre pays, toutes catégories confondues, a perdu 63 800 postes de travail, dont 28 400 dans l’industrie et 25 600 dans le tertiaire.

Les jeunes sont évidemment les premières victimes d’un système économique qui permet aux entreprises de licencier même lorsqu’elles réalisent d’importants bénéfices. Non seulement ils sont refoulés à l’accès à l’emploi, mais leur projet de vie se trouve brisé pour de nombreuses années. C’est leur droit à l’autonomie qui est bafoué !

Dans un contexte où le taux de chômage des jeunes en Europe est passé de près de 18 % à 22,5 % entre 2000 et 2012, l’accès à l’emploi, c'est-à-dire au premier emploi puis à l’emploi stable, est devenu particulièrement complexe. Idem pour l’accès à l’autonomie, qui passe d’abord et avant tout par la possibilité d’avoir un logement indépendant. Or la nature précaire des contrats proposés aux jeunes – des contrats qui peuvent parfois sembler se succéder à l’infini – et la faiblesse des salaires rendent l’accès au logement et à l’autonomie quasi impossibles.

La situation est telle que la génération de nos enfants a récemment été qualifiée de « génération sacrifiée » par le Washington Post.

Mme Nathalie Goulet. Si vous lisez le Washington Post, maintenant !… (Sourires.)

Mme Christiane Demontès, rapporteur de la commission des affaires sociales. Et pourquoi pas ?

M. Dominique Watrin. Mes chers collègues, personne ne peut ni l’admettre, ni s’en réjouir, ni s’y résoudre.

C’est dans ce contexte que nous sommes amenés à examiner ce projet de loi.

La question de la lutte contre le chômage est d’autant plus importante que, il faut bien l’admettre, le précédent gouvernement n’a été ni véritablement déterminé ni efficace. Chacun s’en souvient, pour favoriser l’emploi, il a assoupli le recours aux heures supplémentaires et leur non-rémunération. Il a permis, avec la loi Warsmann, la modulation à l’infini, ou presque, des heures supplémentaires. Pour lutter contre le chômage, il a imposé la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC, en contraignant les agents à assumer sans formation des missions qui n’étaient pas les leurs auparavant. Il a mis en place un système d’offres d’emploi dites « raisonnables », qui constituent surtout un outil massif de radiation. Enfin, il a favorisé les opérateurs de placement privés, dont tous les rapports indiquent qu’ils sont encore plus coûteux et moins pertinents que Pôle emploi.

M. Dominique Watrin. Voilà le bilan de la précédente majorité ! Et je ne parle évidemment pas des injonctions adressées par Nicolas Sarkozy lui-même aux dirigeants des grandes entreprises pour qu’ils retardent leurs plans de licenciement, afin de ne pas « plomber » sa campagne présidentielle.

Le projet de loi portant création des contrats de génération est différent, par sa nature, par sa forme et par les publics concernés, de ce qui a été fait les années précédentes, y compris récemment ; je pense, par exemple, aux emplois d’avenir, dont le groupe CRC avait refusé de voter la création. Tandis que ces derniers reposaient sur des exonérations de cotisations patronales, les contrats de génération bénéficieront d’une aide financière directe de l’État et assumée par lui. La mesure ne grèvera donc pas les comptes de la sécurité sociale, qui souffrent déjà lourdement des exonérations générales de cotisations sociales et d’autres mécanismes d’exemption d’assiette.

Les contrats de génération nous paraissent moins précaires que les emplois d’avenir. Seul le recours au contrat à durée indéterminé sera possible, et les contrats ne devraient, théoriquement, être proposés qu’à temps plein.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Dominique Watrin. À l’issue de ses travaux, l’Assemblée nationale a cependant assoupli cette disposition, en proposant que le jeune puisse être employé à temps partiel, en quatre cinquièmes, afin, notamment, de lui permettre de réaliser une action de formation.

Monsieur le ministre, cette formule nous paraît devoir être précisée. Il faut s’assurer que les actions de formations, qui sont réalisées pendant le temps de travail pour l’ensemble des salariés, ne s’effectueront pas en dehors pour les bénéficiaires des contrats de génération. Il ne faudrait pas, et je sais que telle n’est pas votre volonté, que les jeunes concernés puissent se sentir considérés comme des salariés aux droits réduits.

Nous nous réjouissons également que le dispositif prenne des formes différentes en fonction de la taille des entreprises. Nous plaidons depuis des années pour que les mesures incitatives et les politiques d’aides publiques puissent être modulées en fonction de critères différents, comme la politique salariale menée par les entreprises ou leur taille.

S’il est légitime que les salariés de toutes les entreprises aient les mêmes droits et le même niveau de protection, rien ne doit nous interdire de faire varier les politiques de soutien à l’emploi en fonction de la taille des entreprises. Les besoins des très petites entreprises, où il n’y a parfois qu’un seul salarié, voire uniquement le créateur, et ceux des grandes entreprises et des multinationales ne sont évidemment pas les mêmes !

Toutefois, monsieur le ministre, nous souhaiterions savoir comment le dispositif sera appliqué dans les entreprises franchisées. Par exemple, nous savons que certains groupes n’hésitent plus à franchiser les structures pour contourner leurs obligations sociales liées aux effectifs de l’entreprise. Aussi, il nous semble important qu’une réflexion soit menée sur ces sociétés, afin d’éviter qu’elles ne profitent du cadre légal le moins contraignant quand elles devraient théoriquement se voir appliquer la règle prévue pour les entreprises de plus de trois cents salariés en l’absence de franchise.

D’une manière générale, ce projet de loi est conforme aux volontés exprimées à l’unanimité des organisations syndicales représentatives des salariés et des organisations patronales. Cela nous change d’ailleurs considérablement de ce qui se pratiquait sous le gouvernement précédent, dont je rappelle, pour mémoire, qu’il avait profité de la transposition d’un accord national interprofessionnel portant précisément sur la représentativité pour imposer des mesures dérégulant le temps de travail, non négociées et non approuvées par les partenaires sociaux, exception faite du MEDEF…

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !

M. Dominique Watrin. Le projet de loi, comme d’ailleurs l’accord national interprofessionnel, l’ANI, opère une hiérarchie claire et privilégie les accords négociés aux plans d’action et les plans d’action aux accords de branches étendus. Cet ordonnancement est positif.

C’est la raison pour laquelle notre groupe a déposé un amendement visant à faire en sorte que l’aide financière accordée aux entreprises en contrepartie de la signature d’un contrat de génération soit également modulée en fonction des mesures adoptées par elles pour mettre en œuvre un tel dispositif. L’objectif est clairement d’inciter à la signature d’un accord dans l’entreprise. En effet, nous le savons, les plans d’action, qui sont des mesures unilatérales prises par l’employeur, ne sont pas pleinement satisfaisants. Nous l’avions souligné lors de la réforme des retraites, qui prévoyait que l’employeur pouvait mettre en œuvre un plan d’action en l’absence d’accord sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Un rapport de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, l’ANACT, de 2011 sur l’emploi des seniors le confirme.

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Absolument !

M. Dominique Watrin. Il fait une double démonstration. D’une part, les employeurs préfèrent les plans d’action, 70 % des entreprises ayant opté pour un plan d’action, contre 30 % pour un accord collectif. D’autre part, les plans sont généralement moins ambitieux.

Monsieur le ministre, cette crainte, nous l’avons d’autant plus que le projet de loi n’exige pas des plans d’action qu’ils prévoient des mécanismes pour chacun des sept thèmes retenus dans l’ANI en les mentionnant explicitement.

Aussi, afin de ne pas réduire les contrats de génération au seul recrutement d’un jeune au sein d’une entreprise, pour inciter au dialogue social en son sein et faire en sorte que tous les axes de mobilisation retenus dans l’accord national interprofessionnel soient pris en compte, nous proposerons un amendement de modulation de l’aide financière en fonction de la forme retenue pour la mise en œuvre des contrats.

Vous l’aurez compris, le groupe communiste, républicain et citoyen votera en faveur de ce projet de loi, en regrettant toutefois qu’il continue de se fonder sur un postulat que nous considérons erroné, celui du coût excessif du travail.

Les tassements des salaires constatés depuis des années conduisent à une forme de « smicardisation » du salariat. Qui peut aujourd’hui prétendre que les salariés qui survivent avec le SMIC ou à peine plus sont trop payés ? Qui peut raisonnablement affirmer aujourd’hui que notre système de protection sociale, qui a permis à la France d’éviter le pire en plein cœur de la crise économique, n’est pas indispensable ? Qui peut, MEDEF excepté, considérer que les salariés doivent encore et toujours consentir à des efforts financiers, des réductions de salaire, à des périodes de chômage partiel, quand les actionnaires qui détiennent les entreprises profitent, eux, d’un taux de rentabilité à deux chiffres et s’enrichissent grâce à leurs dividendes ?

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Très juste !

M. Dominique Watrin. De surcroît, pour nous, ce projet de loi n’est qu’une étape et ne devrait être qu’un outil parmi d’autres dans la lutte contre le chômage. La vocation des contrats de génération, qui est de permettre à des salariés expérimentés de transmettre leurs savoirs et leurs compétences à des jeunes, est louable, et aurait même pu être renforcée dans le texte.

Pour autant, si positifs que ces contrats de génération puissent être, ils ne peuvent pas résumer à eux seuls, avec les emplois d’avenir, la réponse du Gouvernement face à la dégradation continue des chiffres de l’emploi.

Les politiques incitatives qui prennent la forme d’aides publiques finissent toujours par montrer des signes de faiblesse et ne vous permettront pas de résoudre durablement la crise de l’emploi que notre pays connaît. Leur empilement – j’ai découvert dans la presse que l’on parlait maintenant d’« emplois francs » – n’est pas gage de succès.

Pour s’attaquer au fléau du chômage des jeunes, il faudra inévitablement reposer la question de l’utilité sociale des richesses créées par le travail.

Le poids du capital ne cesse de croître et détruit l’emploi. Ce sont précisément celles et ceux qui exigent des salariés de consentir des efforts qui obtiennent depuis des années une allocation croissante des richesses créées en direction de la rémunération du capital, au détriment des salaires et de l’investissement. Et à eux, on ne leur demande jamais aucun effort ! Le MEDEF, si prompt à imposer des « plans compétitivité » aux salariés, c'est-à-dire des baisses de salaires, oublie systématiquement de regarder du côté de ses adhérents.

Puisque les actionnaires sont, pour la plupart, incapables de modérer leurs appétits, au groupe CRC, nous continuons à penser, avec de plus en plus de salariés, d’ailleurs, qu’il est grand temps d’interdire les licenciements boursiers pour protéger l’emploi et l’outil industriel. Les entreprises qui versent des dividendes ne doivent plus pouvoir licencier pour motif économique. Comment ces patrons peuvent-ils prétendre connaître des difficultés économiques quand ils rémunèrent les actionnaires, versent des dividendes, rachètent leurs actions ou celles d’autres entreprises, quitte à perdre des sommes colossales ? Nous n’acceptons pas que l’argent aille au capital et non au travail quand il revient in fine à la collectivité de payer les conséquences d’une telle situation.

Enfin, monsieur le ministre, je ne peux pas conclure sans relever avec une certaine solennité que, depuis la conclusion de cet accord national interprofessionnel à l’unanimité des représentants tant patronaux que salariés, le contexte politique et social a changé. Vous avez en effet annoncé l’examen prochain, sans doute en procédure accélérée, d’un projet de loi transposant l’accord signé par le patronat et trois organisations syndicales minoritaires : cela ne peut pas nous satisfaire.

Présenté comme devant sécuriser l’emploi, cet accord nous semble, au contraire, affaiblir les droits des salariés et favoriser leur précarisation.

Il prévoit des dispositions qui sont contraires à l’esprit des contrats de génération, puisqu’elles permettent aux employeurs de recruter des salariés sous des statuts plus précaires que ceux qui existent aujourd’hui, avec la création, par exemple, d’un « CDI intermittent ».

Cet accord permet également, dans son article 15, de faciliter le licenciement, puisque, par exemple, dans le cadre de la mobilité professionnelle, le salarié ne pourra plus refuser le changement de poste ou de lieu de travail, et cela sans limitation géographique. En effet, son opposition entraînera son licenciement pour un motif autre qu’économique, le privant des protections et des compensations financières attachées à ce type de licenciement.

Alors que ces contrats de génération font de la formation du jeune salarié un élément majeur de leur réussite, l’accord minoritaire réduit le congé de reclassement, lequel passerait de douze à neuf mois.

Enfin, et pour ne citer que quelques exemples, cet accord minoritaire sacralise dans la loi le chantage à l’emploi que subissent déjà les salariés ; je pense notamment à ceux de Renault. Il autorisera les entreprises qui se disent en difficulté à conclure un accord majoritaire pour « adapter » le temps de travail et les rémunérations des salariés en exonérant les employeurs des obligations qui auraient résulté de licenciements économiques, cela, naturellement, sans demander aucun effort aux actionnaires.

Permettre aux jeunes – et ce sera ma conclusion – d’accéder à l’emploi tout en autorisant le patronat à le détruire nous semble être pour le moins paradoxal !

Pour l’heure, nous voterons en faveur de ce projet de loi, en espérant qu’il sera complété par nos amendements et en demeurant particulièrement vigilants pour l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)