Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela relève de notre responsabilité. Si nous ne menons pas une telle démarche, notre action de législateur concernant le fonctionnement d’une sphère d’Internet qui pour l’heure se joue quotidiennement de nos lois ne pourra que souffrir de graves lacunes. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite de l’esprit de consensus qui règne dans votre assemblée sur cette question. Compte tenu de l’actualité, on aurait pourtant pu s’attendre à un débat plus polémique. Cela a été rappelé, cette proposition de loi a été adoptée à la quasi-unanimité par l’Assemblée nationale. J’espère qu’il en ira de même au Sénat.

Je tiens à remercier Mme Benbassa de son excellent travail. Elle a rappelé, à juste titre, que nous débattons aujourd’hui de valeurs autour desquelles nous devons nous rassembler, dans le respect de notre tradition juridique, qui mérite cependant parfois d’être réactualisée.

J’ai retenu de vos propos, madame la rapporteur, que les mots sont parfois des armes, et qu’ils peuvent tuer. Je partage absolument ce point de vue.

Vous avez tous souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’arrivée d’Internet est un fait nouveau qui doit nous amener à moderniser notre législation, y compris la loi du 29 juillet 1881.

Monsieur Mohamed Soilihi, vous avez relevé avec raison que des délais de prescription trop courts entraînent non seulement la forclusion d’un certain nombre de procédures, mais découragent de surcroît les recours. Or il convient au contraire de favoriser l’introduction de ceux-ci lorsqu’ils sont justifiés.

Madame Goulet, nous aurons peut-être la main tremblante au moment de modifier la loi de 1881, mais sachez que cette main sera néanmoins ferme et déterminée. Je veux le redire ici : Internet ne doit pas être une zone de non-droit, un sanctuaire. Je pourrais moi aussi vous raconter quelques anecdotes à ce sujet. Je rencontrerai demain les responsables de Twitter, un réseau social sur lequel des propos antisémites, racistes ou homophobes ont été échangés ces derniers mois ; j’y reviendrai.

J’ai bien entendu votre demande, madame Goulet, d’une réflexion en commun sur ces sujets. M. le président de la commission des lois vient d’y donner une réponse favorable. À titre personnel, je ne peux que soutenir une telle démarche. Sachez cependant que la garde des sceaux travaille, en ce moment même, sur un habeas corpus numérique, conçu notamment pour garantir le droit à l’oubli que vous avez tous, à juste titre, appelé de vos vœux. Il me semble nécessaire d’assurer une bonne articulation entre ces deux démarches.

Plus généralement, au travers de ce texte, il s’agit de mettre fin aux discriminations entre les discriminations. À cet égard, je voudrais remercier certains d’entre vous d’avoir mis l’accent sur cette violence terrible, quotidienne et bien réelle qu’est l’handiphobie. Je recevrai très prochainement Jean-Marie Barbier, le président de l’Association des paralysés de France, qui nous alerte régulièrement sur la progression rapide des dérapages en ligne à l’encontre des personnes en situation de handicap. L’impunité qui règne en la matière est assez affligeante : en neuf ans, dix condamnations seulement ont été prononcées pour sanctionner des injures de cette nature.

Au fond, ce que révèlent ces affaires, c’est une forme de banalisation de toutes ces injures, qu’elles soient sexistes, homophobes, transphobes, racistes ou handiphobes. Cela tient au fait qu’elles correspondent à des stéréotypes, minimisés en permanence, dont nos sociétés restent imprégnées et qui sont autant d’obstacles à l’égalité et au respect des personnes.

Savez-vous, par exemple, que 64 % des Français pensent sincèrement que les personnes handicapées sont inaptes au travail ? La persistance de ces stéréotypes fait que les handicaps s’additionnent pour les personnes concernées : au handicap fonctionnel, corporel s’ajoute le préjudice quotidien, permanent, créé par la société au travers de tels clichés.

J’ai pleinement conscience que ces stéréotypes forment la racine de toutes les discriminations auxquelles nous devons faire face aujourd’hui. En tant que ministre des droits des femmes, je ressens avec une particulière acuité le jeu des mécanismes qui constituent ce sexisme « ordinaire » conduisant petit à petit aux actes de harcèlement et aux discriminations que nous avons souvent dénoncés ici. Je ne les sous-estime pas. C’est la raison pour laquelle je souhaite que soit mené un travail en profondeur sur ce sujet ; j’espère que votre assemblée me suivra, dans quelques mois, lorsque je lui présenterai un projet de loi traitant de cette question.

La proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui ne fait courir aucun risque à la liberté de la presse en tant que telle, au contraire. Comme vous l’avez indiqué, monsieur Collin, nous avions, avec la loi Perben, commencé un travail qu’il convient de terminer et qui soulève d’ailleurs un certain nombre de questions de constitutionnalité. Au-delà du texte que le Sénat va, je l’espère, adopter tout à l’heure, il faudra peut-être envisager une refonte plus ambitieuse de la loi de 1881. Cela étant, telle n’est pas exactement la question qui nous occupe aujourd’hui et il faudra certainement, monsieur Charon, patienter un peu avant d’ouvrir ce chantier. Néanmoins, je considère que cela peut être extrêmement utile et intéressant. Attendons donc que le Conseil constitutionnel se soit exprimé sur la question prioritaire de constitutionnalité que vous avez évoquée.

En conclusion, je vous remercie vivement de votre engagement personnel, madame Benbassa, sur un sujet qui, je le sais, vous tient à cœur et semble faire l’objet d’un consensus au Sénat, ce dont, une fois encore, je me félicite. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la suppression de la discrimination dans les délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881
Article 2

Article 1er

(Suppression maintenue)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi relative à la suppression de la discrimination dans les délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881
Articles additionnels après l'article 2

Article 2

L’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifié :

1° La référence : « et huitième » est remplacée par les références : « , huitième et neuvième » ;

2° La référence : « le deuxième alinéa » est remplacée par les références : « les deuxième et troisième alinéas » ;

3° La référence : « le troisième alinéa » est remplacée par les références : « les troisième et quatrième alinéas ». 

Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Pour les délits prévus par l'article 29, lorsqu’ils sont commis par un moyen de communication au public par voie électronique, le délai de prescription prévu par l'article 65 est porté à un an. »

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Il s’agit d’un amendement d’appel, on l’aura compris.

L’injure et la diffamation de droit commun finissent par être moins bien traitées que les délits faisant l’objet du présent texte. Cet amendement vise donc à aligner le délai de prescription instauré par la loi sur la presse sur celui qui est prévu par la présente proposition de loi, à savoir un an. En créant des dérogations au régime de droit commun, on a institué des différences de traitement entre les victimes d’injures et de diffamations selon le caractère de celles-ci. En définitive, un homme ou une femme politique injurié ou diffamé sur Internet pour des raisons ne tenant ni à son orientation sexuelle, ni à sa couleur de peau, ni à sa religion, ni à un handicap est moins bien protégé que les autres victimes.

Je propose simplement d’aligner les délais de prescription de l’action publique en matière d’injures et d’actes de diffamation.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Esther Benbassa, rapporteur. La mesure proposée est pertinente mais, comme cela a déjà été dit, il faudrait élaborer une loi relative aux limites de l’expression sur ce média fort utile qu’est Internet.

La commission a donné un avis défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement, pour deux raisons.

Tout d’abord, l’adoption de cet amendement changerait la nature du texte, puisque celui-ci a vocation à prolonger le délai de prescription en fonction du contenu, et non du support.

En outre, une proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription pour les actes de diffamation, les injures et les provocations commis par l’intermédiaire d’Internet a été adoptée par le Sénat le 4 novembre 2008 et redéposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 2 juillet dernier. Il me semble donc que la discussion de cet amendement s’inscrirait beaucoup mieux dans le cadre de l’examen de ce texte.

Mme la présidente. Madame Goulet, l’amendement n° 1 est-il maintenu ?

Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, il aura donc fallu quatre ans pour que le texte que vous évoquez – je l’avais d’ailleurs voté en 2008 – traverse le boulevard Saint-Germain et parvienne à l’Assemblée nationale… (Sourires.) Vous comprendrez que des personnes ayant été diffamées ou injuriées et se trouvant dans l’impossibilité de poursuivre les auteurs des faits puissent en concevoir quelque impatience !

Quoi qu’il en soit, je retire cet amendement.

Mme la présidente. L'amendement n° 1 est retiré.

Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Mme la présidente. Je constate que cet article a été adopté à l’unanimité des présents.

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi relative à la suppression de la discrimination dans les délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881
Article 3 (nouveau)

Articles additionnels après l'article 2

Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par Mmes Ango Ela, Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifiée :

A. Au neuvième alinéa de l'article 24, au troisième alinéa de l'article 32 et au quatrième alinéa de l'article 33, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : «, de leur identité de genre » ;

B. Au premier alinéa de l'article 48-4, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou l’identité de genre ».

La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.

Mme Kalliopi Ango Ela. Madame la présidente, si vous le permettez, je présenterai en même temps l'amendement n° 4.

Mme la présidente. J’appelle donc en discussion l'amendement n° 4, présenté par Mmes Ango Ela, Lipietz et les membres du groupe écologiste, et ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I – Le code pénal est ainsi modifié :

A. Aux premier et second alinéas de l'article 132-77, au 7° de l'article 221-4, au 5° ter des articles 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13, à la seconde phrase de l'article 222-18-1, au 9° de l'article 222-24, au 6° de l'article 222-30, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou l’identité de genre » ;

B. Aux premier et second alinéas de l'article 225-1, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , de leur identité de genre » ;

C. Au premier alinéa de l'article 226-19, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou à l’identité de genre » ;

D. Au 9° de l'article 311-4, et au 3° de l'article 312-2, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou de son identité de genre ».

II. – Au 3° de l'article 695-9-17, au 5° de l'article 695-22 et au 4° des articles 713-20 et 713-37 du code de procédure pénale, après le mot : « politiques », le mot : « ou » est remplacé par la marque de ponctuation : « , », après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou de son identité de genre ».

III. – Le code du travail est ainsi modifié :

A. À l'article L. 1132-1, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , de son identité de genre » ;

B. Au 3° de l'article L. 1321-3, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , de leur identité de genre » ;

C. Au 1° de l'article L. 1441-23, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , l’identité de genre ».

IV. – À l'article L. 032-1 du code du travail applicable à Mayotte, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , de son identité de genre, ».

V. – Au deuxième alinéa de l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , de leur identité de genre ».

VI. – Le code du sport est ainsi modifié :

A. Au premier alinéa de l'article L. 332-18, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , de leur identité de genre » ;

B. Au dernier alinéa de l'article L. 332-19, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : «, de son identité de genre ».

VII. – La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations est ainsi modifiée :

A. Au premier alinéa de l'article 1er, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , son identité de genre » ;

B. Au 2° de l'article 2, après le mot : « âge », le mot : « ou » est remplacé par la marque de ponctuation : « , », après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou l’identité de genre ».

Veuillez poursuivre, madame Ango Ela.

Mme Kalliopi Ango Ela. L’amendement n° 3 a pour objet de substituer la notion d’« identité de genre » à celle d’« identité sexuelle » dans la loi sur la presse de 1881.

En effet, le deuxième alinéa de l’article 2 de la présente proposition de loi tend à modifier l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 en y intégrant le neuvième alinéa de l’article 24.

En d’autres termes, cela signifie que seront dès lors concernées par le délai de prescription d’une année les infractions visées au neuvième alinéa de l’article 24, c’est-à-dire la provocation « à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap » ou les provocations commises, « à l’égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal ».

En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, « l’identité sexuelle » figure sur la liste des motifs fondant de telles infractions.

Si Europe Écologie-Les Verts a apprécié cette première prise en considération, nous regrettons cependant que la notion d’identité de genre n’ait pas été préférée à celle d’identité sexuelle. Le choix de cette dernière risque, en effet, d’exclure du champ d’application du dispositif plusieurs milliers de personnes en cours de transition, ou vivant durablement dans des situations transgenres, ou à qui l’État refuse un changement d’état civil.

Si nous aspirons, évidemment, à une réforme d’ensemble des droits des personnes « trans » – permettant surtout, et fondamentalement, le traitement administratif et non plus judiciaire des demandes de changement d’état civil –, la reconnaissance de la notion d’identité de genre nous semble en être un préalable.

Le groupe écologiste entend ici rappeler son engagement dans la lutte pour les droits des personnes « trans », ainsi que le souhait d’EELV de voir « inclure l’identité de genre dans la liste des discriminations punies par la loi ».

Tant que nous ne légiférerons pas sur ce point, nous laisserons aux tribunaux le soin de déterminer si des personnes transgenres sont ou non protégées au titre de la notion d’identité sexuelle.

Je sais, madame la ministre, votre engagement en la matière, et j’évoquais d’ailleurs, tout à l’heure, le programme d’action gouvernemental contre les violences et discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre dont la responsabilité vous a été confiée. Je connais également l’engagement de longue date de nos collègues de la majorité sur ces questions.

Vous aviez tenu les propos suivants en juillet 2012, madame la ministre : « Le débat sur l’identité de genre me passionne et j’espère que nous aurons d’autres occasions de le poursuivre. » L’occasion n’est-elle pas venue ?

L’argument fondant à l’époque le refus d’intégrer cette notion dans le droit français reposait sur l’absence de définition de celle-ci en droit interne, mais je rappelle que l’identité sexuelle n’y est pas non plus définie. Je souligne également que cette définition de « l’identité de genre » existe dans des accords internationaux auxquels la France est partie et qu’elle est également reconnue au niveau européen.

Vous aviez également évoqué à ce sujet, madame la ministre, la saisine de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH : peut-être pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

L’amendement n° 4 est un amendement de coordination avec tous les autres textes législatifs comportant la notion d’« identité sexuelle », de même que l'amendement n° 5, qui porte sur l’intitulé de la proposition de loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 3 et 4 ?

Mme Esther Benbassa, rapporteur. En tant que chercheur en sciences humaines, je suis favorable à l’utilisation du mot « transgenre ». Mais, en tant que rapporteur, il n’en va pas de même, puisque la commission a donné un avis défavorable.

J’ajouterai que les personnes transsexuelles sont protégées par les dispositions du droit pénal relatives à l’identité sexuelle.

En outre, dans le courrier qu’elles ont adressé en janvier dernier à la CNCDH, Mme la ministre et Mme la garde des sceaux indiquent clairement leur souhait d’être éclairées sur cette question du vocabulaire à employer. À l'avenir, nous aurons sans doute l'occasion de faire évoluer la terminologie, afin que ce changement puisse progressivement entrer dans les mentalités. Les magistrats doivent pouvoir appréhender ce que recouvre un terme, « transgenre », bien mal traduit de l’anglais transgender. En effet, en français, le mot « genre » peut renvoyer à bien d’autres choses que le sexe, alors que l’anglais « gender » vise spécifiquement celui-ci. Cela étant, le terme est entré dans l’usage en sciences humaines et l’on peut penser que, à l'avenir, les praticiens du droit percevront bien sa signification.

La commission a émis un avis défavorable sur les deux amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Madame Ango Ela, ces amendements témoignent de votre vigilance sur ce sujet ; nous la partageons. Vous aurez d'ailleurs noté que, dès le 6 août dernier, par le biais de la loi relative au harcèlement sexuel, Mme la garde des sceaux et moi-même avons tenu à introduire la transphobie dans la liste des motifs de discrimination pénalement répréhensibles.

Dans le même ordre d’idées, un très intéressant travail de réflexion a été engagé au Sénat, sous la houlette de vos collègues Michelle Meunier et Maryvonne Blondin, sur des dispositions législatives qui permettraient de renforcer la protection des personnes en cours de transition. Là encore, nous entendons faire preuve de vigilance pour assurer la meilleure protection possible à ces personnes.

Pour ce qui est du vocabulaire utilisé, je ne peux que vous concéder que la France est en effet partie à un certain nombre de textes internationaux qui emploient la notion d'identité de genre. Cette terminologie est par ailleurs aussi régulièrement utilisée dans la société civile, en particulier par les universitaires et les chercheurs.

Cela étant, si nous avons pour l'instant choisi d’en rester à la notion d'identité sexuelle en droit français, c'est parce que c'est l'expression qui a toujours été employée jusqu’à présent. Je rappelle que la circulaire pénale prise par la garde des sceaux dans la foulée de l’adoption de la loi relative au harcèlement sexuel afin d’expliciter le texte est tout à fait claire : les violences et les discriminations commises à raison de l'identité sexuelle doivent être entendues comme celles qui visent une personne parce qu'elle est « trans », transgenre ou transsexuelle. La transphobie est donc désormais bel et bien reconnue et condamnée dans notre droit.

Pour ce qui est de l'expression « identité de genre », que vous aimeriez voir introduire dans notre droit, Mme la rapporteur l’a indiqué, Christiane Taubira et moi-même avons saisi sur ce point la Commission nationale consultative des droits de l'homme, qui rendra avant l'été son avis sur la signification et la place de l'identité de genre dans notre droit. Nous verrons alors s'il faut faire évoluer celui-ci en ce sens.

En attendant que ce travail prospère, je vous propose de retirer vos amendements ; sinon, le Gouvernement y sera défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Michel. Ces amendements soulèvent un problème extrêmement complexe. Je signale que le groupe socialiste a mis en place en son sein un groupe de travail sur ce sujet, animé par Maryvonne Blondin et Michelle Meunier. Il devrait rendre prochainement ses conclusions.

Ce débat est très ancien. Je me souviens avoir déposé, en 1980, des conclusions sur cette question devant la chambre civile du tribunal de Créteil. À l’époque, la jurisprudence était très erratique, certains tribunaux acceptant le changement d'état civil, d'autres pas, tandis que la Cour de cassation prenait des décisions contradictoires. Il faut régler non seulement la question de la transphobie, mais aussi celle du statut des personnes qui demandent à changer d'état civil. Je le redis, le sujet est très compliqué.

J'ajoute que, sur cette question comme sur celle de la régulation d'Internet, l'Europe ne se résume pas, fort heureusement, à l'Union européenne ! L’Europe, c'est aussi le Conseil de l'Europe, dont je vous invite à consulter les travaux sur ces deux questions, notamment sur celle de la transphobie et des personnes transgenres. Vous y trouverez des recommandations très intéressantes, qui pourraient peut-être être reprises à l’échelon européen, sachant que ces problèmes ne peuvent être appréhendés que sur un plan international, particulièrement en ce qui concerne Internet.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je sais la contribution de M. Michel aux travaux du Conseil de l'Europe. Sa modestie lui interdit d’en faire état ! (Sourires.)

Mme la présidente. Madame Ango Ela, les amendements nos 3 et 4 sont-ils maintenus ?

Mme Kalliopi Ango Ela. En attendant des jours plus favorables, je les retire, madame la présidente !

Mme la présidente. Les amendements nos 3 et 4 sont retirés.

L'amendement n° 2, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le deuxième alinéa de l'article 2 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Tout numéro identifiant le titulaire d'un accès à des services de communication au public en ligne ne constitue pas une donnée à caractère personnel au sens du présent alinéa. »

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. En matière de prescription, l'identification de l'auteur de l’infraction est un élément essentiel.

Cet amendement vise, comme je l'ai expliqué lors de la discussion générale, à ce que l'adresse IP ne soit pas considérée comme une donnée à caractère personnel. La cour d'appel de Paris a statué en ce sens, notamment dans un arrêt du 15 mai 2007, par lequel elle a considéré qu’une série de chiffres ne saurait constituer « une donnée indirectement nominative à la personne dans la mesure où elle ne se rapporte qu’à une machine, et non à l’individu ».

L’exclusion proposée de l’adresse IP du champ des données à caractère personnel ne concernerait bien entendu que la poursuite des infractions visées par le texte qui nous est soumis.

Cet amendement n'est pas un cavalier législatif, le lien avec la question des délais de prescription étant absolument évident. En outre, il apporte une précision extrêmement utile.

Comme à l’habitude dans cette maison, on me renverra certainement à la discussion d’un texte à venir pour m’inciter à le retirer, mais je le maintiendrai. La commission des lois a rejeté cet amendement, mais j’estime qu'il doit tout de même être examiné avec une grande attention. L’article 1er du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale ayant été supprimé, il y aura une navette : nous aurons donc l’occasion de revenir sur cette question.