M. Aymeri de Montesquiou. Vous en êtes d’ailleurs certainement convaincu, monsieur le ministre.

Observez le comportement de nos futurs cadres, de ceux qui sortent des grandes écoles, des diplômés en master ou doctorants, observez combien se destinent à une carrière à l’étranger sachant qu’ils ne reviendront pas !

Le crédit d’impôt recherche est l’exemple même d’une fiscalité incitative. Vous l’avez maintenu, c’est très bien ! Adaptez-le pour que plus petites entreprises y aient accès.

Votre crédit d’impôt compétitivité est quasi incompréhensible, donc très difficilement applicable. L’augmentation de la TVA était simple, donc facile à mettre en œuvre, et elle aurait contribué à rééquilibrer nos échanges.

Simplifiez le droit du travail, libérez les énergies au lieu d’autosanctionner notre pays par l’Himalaya administratif du code du travail et du code des impôts !

L’ancien médiateur interentreprises industrielles l’a souligné avec vigueur, « les industries disparaissent certes parce que certaines sont délocalisées, mais surtout parce qu’elles sont dépassées ». Les Scandinaves, qui se sont trouvés dans une situation analogue à la nôtre, ont parfaitement intégré cette affirmation : ils cultivent un esprit d’innovation compétitif et l’érigent en modèle à suivre.

Sommes-nous capables de l’admettre en France ? C’est une invitation à préparer l’avenir, à anticiper les choix et à cesser l’acharnement thérapeutique sur des secteurs moribonds.

Là réside toute l’importance de la formation professionnelle pour la reconversion des salariés et de la formation initiale pour les étudiants cherchant des débouchés.

M. Jean-Louis Carrère. Priorité à l’éducation !

M. Aymeri de Montesquiou. Car, bien sûr, l’industrie a besoin de chercheurs, de personnels formés, de cadres, d’entrepreneurs : la passerelle avec les écoles et les universités est urgente.

C’est aussi un appel à parier sur les filières d’avenir et d’excellence. Les centres de recherche français sont à la pointe des biotechnologies et des nanotechnologies. Le secteur agroalimentaire est une valeur solide qui ne pourra que se développer avec l’augmentation de la population mondiale. Le luxe, la mode, le tourisme restent nos atouts majeurs. Ne gâchons pas ces chances formidables par une administration étouffante et paralysante, par une fiscalité stérilisante et décourageante ! Je vous rappelle que les marges des entreprises françaises sont de dix points inférieures à la moyenne européenne.

La priorité absolue, nous en sommes tous ici convaincus, réside dans l’essor des PME et des entreprises de taille intermédiaire au fort potentiel d’emplois, d’innovation et d’exportation. Or leur nombre est spectaculairement inférieur à celui de nos voisins européens.

La coopération active entre les groupes d’envergure mondiale, les PME et les ETI est le chaînon manquant de l’économie française. En revanche, elle existe chez la plupart de nos concurrents. Souhaitons que le Pacte PME, association présidée par le P-DG d’Airbus, y remédie. Ses objectifs, à savoir la simplification et la dynamisation des relations entre les grands groupes, leurs sous-traitants et les PME-ETI du secteur, ainsi que l’évolution des PME les plus performantes – bref, la chasse en meute que pratiquent si bien nos voisins allemands et italiens – sont des priorités pour notre économie.

En plus de ces révolutions internes, une harmonisation au niveau européen, en particulier pour la fiscalité et les charges sociales, dont découlera une gouvernance indispensable, est vitale. Je rappelle que 60 % de notre commerce extérieur est à destination des membres de l’Union européenne. Nous sommes aussi en compétition avec nos partenaires européens.

Allez-vous relancer le Small Business Act européen ? Ne soyons pas candides, il faut préserver le marché européen par la mise en place de la réciprocité.

Parallèlement, l’Europe doit être unie pour les grands projets qui ne peuvent être portés par un seul pays. Elle a su le faire pour l’aéronautique et l’espace. Il reste les fusions des industries des matériels de défense où les coopérations sont encore beaucoup trop éparpillées. C’est un domaine essentiel au niveau européen mais de surcroît majeur pour la place de l’Europe dans le monde, car, pour exister, elle doit jouer un rôle géopolitique.

Monsieur le ministre, la gauche ne voulait pas désespérer Billancourt ; aujourd’hui, elle ne doit pas désespérer ceux qui aiment la France, qui veulent y réussir et la faire gagner. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier la Haute Assemblée pour ce débat sur le sens de notre politique industrielle. Où allons-nous ? Que voulons-nous ? Comment allons-nous nous y prendre ?

Il est fondamental de s’intéresser à la production. D’ailleurs, dans toutes les allégories, déjà sous l’Ancien Régime, bien avant la première révolution industrielle, était célébrée, en grande place, la capacité à créer la richesse.

Depuis plusieurs années, une certaine classe dirigeante – je ne vise personne en particulier mais beaucoup de monde en général – a théorisé la fin des usines en France. Comme si le fait d’avoir des bases productives solides était en quelque sorte une forme de luxe dont nous aurions pu nous priver !

Or un pays qui ne produit pas est dans la main des pays qui produisent et, s’il ne produit plus, il s’affaiblit. Comment allons-nous financer notre modèle social, nos services publics, nos dépenses militaires, notre rayonnement culturel, notre réseau diplomatique ? Ces questions sont posées chaque jour.

Ces dernières années, et surtout depuis la crise qui l’a frappée, la France a encaissé une désindustrialisation qui est statistiquement visible, politiquement sensible, socialement douloureuse. Ses effets, tels que nous les mesurons sur le terrain, sont confirmés par les chiffres et les agrégats dont nous disposons.

En dix ans, ce sont 750 000 emplois industriels de qualité qui ont été détruits. Derrière ces emplois, ce sont des laboratoires de recherche et de développement, des ingénieurs, des cadres, des ouvriers, des familles entières et des territoires – que vous représentez ici mieux que quiconque, mesdames, messieurs les sénateurs – qui ont subi ces dégâts, généralement considérés comme irrémédiables.

La désindustrialisation, c’est un peu comme la tempête : lorsque les arbres sont tombés, il faut un certain temps avant qu’ils repoussent. Les propriétaires fonciers doivent consentir beaucoup d’efforts avant que les arbres reprennent de la vigueur et de l’envergure. Cette image de la tempête, dont nous ne sommes pas sortis, que nous sommes en train de vivre, est assez juste.

À cet égard, les interventions des uns et des autres me paraissent contenir des diagnostics partagés mais aussi des remèdes partageables. Je n’affirmerai pas qu’ils le sont, mais j’ai le sentiment que, face à l’urgence, mon ministère revêt un caractère d’unité nationale où nous pouvons admettre les diagnostics portés par chacun, considérer que les solutions apportées sont d’utilité collective et, plutôt que de nous affronter, conjuguer nos efforts. C’est avec ce sens de l’unité nationale que mon ministère a décidé de prendre le taureau par les cornes.

Je souhaiterais brièvement expliciter notre démarche afin de donner du sens à l’ensemble des questions que vous vous posez et des dossiers que vous avez à traiter dans l’exercice de vos fonctions, auxquelles s’attache d'ailleurs la noblesse de la responsabilité publique, pour vous permettre aussi de comprendre notre action et permettre que nous agissions ensemble.

D’abord, qu’avons-nous fait dans la tempête ? Nous avons fait face ! On a dit de ce pauvre ministère du redressement productif qu’il était le brancardier, le pompier. Et alors ? Il n’y a pas de sot métier. Nous faisons face à l’urgence, nous avons organisé la riposte, comme nous le faisons à la tête du Comité interministériel de restructuration industrielle, le CIRI, sur le plan national, pour les entreprises de plus de 400 salariés. Nous avons également mis en place des mini-CIRI dans chacune des régions afin de pouvoir traiter tous les dossiers.

Il n’y a pas de dossier qui ne nous intéresse pas, car un emploi qui est préservé, un outil industriel qui est conservé, c’est quand même une victoire contre la fatalité et la résignation. C’est toujours cela de gagné ou de pris.

C’est une énergie qui est déployée, et je tiens à profiter de l’occasion qui m’est ici donnée pour rendre hommage à toute l’équipe ministérielle, les ingénieurs des mines qui travaillent dans les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les DIRRECT, les commissaires au redressement productif. Je décernerai d'ailleurs à plusieurs d’entre eux des titres de reconnaissance de la nation pour avoir travaillé dans des conditions difficiles et obtenu des résultats étonnants. Cela prouve une fois encore que les combats perdus d’avance sont ceux que l’on n’a jamais engagés.

Le travail a consisté à organiser le maintien de l’outil industriel. C’est une stratégie à l’allemande, qui va à l’inverse de celle qui consiste à considérer qu’une entreprise qui connaît des difficultés est condamnable, condamnée, que c’est perdre son temps et son argent que de s’en préoccuper. Cette vision, inspirée de la doctrine libérale et malthusienne, presque darwiniste, consiste à penser qu’un malade n’a aucune chance de survivre dans le monde impitoyable de la compétition actuelle. C’est aussi stupide que de prétendre qu’un malade se présentant devant un hôpital doit être abattu sans sommation afin de permettre aux vivants de continuer à prospérer. Cette idée est absurde, et nous en faisons tous les jours la démonstration.

Le tableau de bord de mon ministère recense 1 900 entreprises en difficulté. Nous arrivons parfois – je le dis en toute modestie – à sauver 100 % des emplois, 100 % de l’outil industriel. Nous sommes parfois obligés, pour sauver l’essentiel, d’accepter quelques sacrifices. Tout le monde consent des sacrifices avec le ministère du redressement productif ! Les actionnaires recapitalisent, les banquiers abandonnent des créances, les dirigeants sont parfois obligés de prendre la porte ou leur retraite, les salariés, d’abord les intérimaires puis les autres, perdent parfois leur emploi.

Je donnerai quelques exemples qui sont significatifs à la fois des succès et des échecs de cette lutte dans laquelle la représentation nationale au sens large, les parlementaires comme les élus territoriaux, est particulièrement impliquée, et je tiens à l’en remercier.

À l’usine General Motors de Strasbourg, les 989 emplois vont être conservés. En revanche, toujours dans le secteur automobile, qui subit des pertes extrêmement sévères actuellement, sur les 313 emplois de l’entreprise TRW à Ramonchamp, située dans la vallée de la Moselle, dans le beau département des Vosges, seuls 83 ont pu être sauvés. Trois cadres de l’entreprise ont organisé la reprise, avec une réduction de la voilure, mais nous avons maintenu l’emploi, l’outil industriel.

Notre stratégie est celle qui a été suivie par nos amis et partenaires allemands pendant la première partie de la crise, où ils utilisaient le chômage partiel pour éviter le démantèlement. Avec Michel Sapin, le ministre du travail, nous cherchons toutes les solutions possibles et imaginables pour lutter contre la tendance française à préférer le licenciement, le déclassement ou le démantèlement. Nous pensons qu’il y a d’autres solutions. Ce sont celles-là que nous cherchons avec vous.

Ce travail d’urgence n’est pas suffisant, c’est la jambe défensive. Nous devons aussi reconstruire : bâtir, c’est le sens de ce ministère. Nous défendons d’une jambe, nous avançons de l’autre.

Vous avez évoqué, les uns et les autres, divers instruments. Ils ne sont pas des objectifs en eux-mêmes, mais ils servent notre projet. Quel est-il dans cette période difficile ?

En premier lieu, nous devons poursuivre – c’est une politique qui avait été engagée avant nous – la politique des filières.

Une filière est un ensemble d’entreprises qui sont unies par des liens contractuels, qui travaillent dans un même secteur, qui connaissent des hauts et des bas en même temps. Nous avons engagé le travail de solidarité de filières : les grandes entreprises travaillent avec les petites ; les collectivités locales, les pôles de compétitivité travaillent avec le secteur privé ; les laboratoires de recherche publics, tels l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, le Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, le Commissariat à l’énergie atomique, le CEA, travaillent avec les laboratoires de recherche privés ; les médiateurs, c’est-à-dire ceux qui interviennent dans les relations contractuelles entre les sous-traitants et les donneurs d’ordre, unissent les entreprises là où elles se divisaient beaucoup trop.

Grâce à ce nouvel outil qu’est la Banque publique d’investissement, la BPI, et aux quelques fonds qui ont été créés, nous finançons la solidarité.

Aux entreprises qui ont fait le choix de cette solidarité de filière et qui mutualisent leurs moyens, l’État apporte son soutien, au travers de la BPI, dotée des fonds issus du grand emprunt et du fonds stratégique d’investissement. Elles peuvent ainsi aider les autres entreprises de la filière à se consolider, à être puissantes et exportatrices.

Cette solidarité financière se traduit, par exemple, par la multiplication des fonds filières qui seront gérés par la BPI. Surtout, l’État joue son rôle de leader, et notamment de leader technologique, en exposant à l’ensemble d’une filière où il veut aller.

Beaucoup d’entre vous, notamment Mme Bataille et M. Bourquin, ont parlé du secteur de l’automobile, qui perd beaucoup de ses capacités industrielles. Nous sommes en effet dans un moment difficile, même si d’autres secteurs connaissent une croissance très positive. C’est le cas de l’aéronautique et du nucléaire, qui est une filière d’avenir. Le nucléaire sera ainsi en mesure d’embaucher 110 000 personnes d’ici à 2020 et, l’année dernière, l’aéronautique a embauché 13 000 personnes. C’est dire à quel point les situations que nous vivons sont contrastées ! C’est d'ailleurs à nous d’organiser la solidarité entre filières ou le passage d’une filière à une autre pour les salariés qui connaissent des difficultés ou la perte de leur travail.

Mais, pour en revenir à la filière automobile, nous avons réuni pour la première fois autour d’une même table les « patrons » de la recherche et développement des deux grands constructeurs et des quatre équipementiers. Nous leur avons demandé s’ils étaient en mesure de progresser et de nous donner des horizons technologiques. Moteur deux litres, pour ceux qui travaillent sur l’hybridation, véhicule électrique zéro émission, hydrogène, air comprimé… Qu’ils se prononcent ! Nous ferons les choix ensemble, et nous les financerons avec eux.

Cette stratégie est une stratégie de leadership technologique et politique et, dans ce cadre, nous avons décidé de systématiser les grands programmes de renouveau industriel.

C’est ce que nous faisons dans la filière ferroviaire. Nous avons dit aux constructeurs que nous mettrions sur la table de 4 milliards à 5 milliards d’euros de commandes publiques pendant la durée du quinquennat. Nous allons trouver une structure de financement pour aider les régions qui n’arrivent plus à financer leurs TER, nous allons financer les trains Intercités et commander quarante rames de TGV de la génération précédente. En contrepartie, il est hors de question qu’il n’y ait pas, d’ici à 2018, un TGV du futur sur les rails, c'est-à-dire un train qui consommera moins d’énergie, qui pourra transporter plus de passagers, avec des moteurs dans les roues plutôt que dans les motrices, qui deviendront des wagons de transport.

Cette orientation technologique, qui a d’ailleurs été approuvée par les industriels du secteur, permet d’offrir cinq années de visibilité : voilà le sens que nous voulons donner à la commande publique dans le cadre de la réindustrialisation.

Mme Archimbaud a évoqué l’importante question des éco-industries. À l’issue du débat sur la transition énergétique, qui bat aujourd'hui son plein, nous aurons à « choisir entre des différents impossibles », pour reprendre l’expression de Nicolas Hulot. Les choix seront en effet difficiles à effectuer ; nous ne pourrons pas tout faire, le souhaitable et le possible ayant du mal à se rejoindre. Il n’en demeure pas moins que nous cherchons, de façon systématique et sur la base de choix technologiques, à fixer des orientations partagées avec l’ensemble des industriels concernés, qu’il s’agisse des PME, des ETI ou des leaders de filière, c'est-à-dire des grands groupes qui mènent le jeu dans les secteurs à l’exportation.

Dans les secteurs du photovoltaïque, de l’éolien et du stockage de l’énergie, nous faisons des choix, et nous les défendons !

Le choix des outils est un point sur lequel se sont concentrés beaucoup de vos commentaires.

L’avenir du grand emprunt dépendra du travail que nous menons sur les filières, dont j’ai évoqué deux exemples, le ferroviaire et l’automobile. Nous avons déjà traité six ou sept filières ; nous devrions avoir terminé d’ici au mois de juin. En juillet prochain, nous serons en mesure de « dessiner le visage » de ces grands programmes de renouveau industriel, qui rappellent la belle époque post-gaullienne, pompidolienne, où l’on voyait l’État comme le leader de la politique industrielle.

Les pôles de compétitivité, les territoires et les filières seront donc ordonnés en fonction des choix financiers et technologiques qui seront faits. On peut se demander comment articuler autour de cette politique l’ensemble des outils sur lesquels vous m’avez obligeamment interrogé.

S’agissant du programme d’investissements d’avenir, 28 milliards d’euros ont d’ores et déjà été engagés et dépensés. Suivant les recommandations de Louis Gallois, le Premier ministre vient d’arbitrer le redéploiement du petit solde restant vers les secteurs industriels, notamment pour financer l’innovation.

J’en viens maintenant au crédit d’impôt recherche.

Vous le savez, ce dispositif a été étoffé dans la loi de finances. Il s’agit, à mes yeux, d’une mesure d’utilité nationale, inventée par Jean-Pierre Chevènement, amplifiée par Nicolas Sarkozy et sanctuarisée par François Hollande. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Je rappelle que 200 millions d’euros supplémentaires ont été affectés aux PME dans la loi de finances pour 2013, que vous n’avez malheureusement pas votée ici.

M. Albéric de Montgolfier. Nous ne sommes pas la majorité !

M. Arnaud Montebourg, ministre. Cette mesure constitue pourtant un progrès. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi est d’ailleurs devenu un outil de dialogue social entre les partenaires sociaux dans l’entreprise.

À ce propos, je vous invite à regarder ce qui se passe dans le secteur automobile, puisque vous avez été nombreux à m’interroger à son propos. Nous luttons, c’est vrai, contre la tentation de se débarrasser du personnel en cas de problème, l’être humain étant la variable d’ajustement pour les entreprises. Eh bien, les accords du 11 janvier, que vous devrez bientôt transposer, fixent justement le cadre dans lequel les partenaires sociaux peuvent s’emparer des différents crédits d’impôt – CICE, mais aussi recherche, développement et, maintenant, innovation – pour préserver l’emploi, comme c’est actuellement le cas chez Renault.

Dans le cadre défini par les partenaires sociaux figurent deux progrès : l’équilibre des concessions réciproques – les efforts doivent être réalisés non seulement par les salariés, mais également par les actionnaires et les dirigeants –, ainsi que l’évaluation partagée du diagnostic. Au-delà des concessions réciproques, il s’agit avant tout de préserver l’emploi et d’éviter les licenciements quand l’entreprise est en perte de rentabilité.

Il me semble que la Haute Assemblée pourrait reconnaître que les 20 milliards d’euros affectés au crédit d’impôt, après que, sur proposition de Louis Gallois, le Gouvernement a replacé au centre du débat public la question de la réindustrialisation, représentent un effort historique. Toute la nation devra se mobiliser, dans tous les domaines et sur tous les plans.

Dans le sillage du rapport Gallois, le Premier ministre a aussi arbitré en faveur de la stabilité fiscale pour ce qui concerne cinq mesures fiscales : les taxes locales – c’est un point important –, le crédit d’impôt recherche, la fiscalité sur les jeunes entreprises innovantes, les déductions de l’ISF lorsqu’elles sont investies dans les PME et la loi Dutreil sur la transmission d’entreprises.

C’est la première fois qu’un gouvernement prend, dès le début de son mandat – si certaines des interventions les plus caricaturales laissent à penser que nous sommes au pouvoir depuis dix ans, nous n’y sommes en effet que depuis huit mois –, l’engagement de ne pas toucher à un certain nombre de mesures fiscales pendant toute la période où il sera aux responsabilités.

D’ailleurs, monsieur de Montesquiou, vous attaquez finalement plus la France que la gauche (Protestations sur les travées de l'UMP.) lorsque vous évoquez la bureaucratie grandissante : c’est une coproduction, en tout cas une production récente de gouvernements que vous avez soutenus pendant dix ans et qui n’ont absolument rien fait !

Mme Catherine Troendle. C’est une ineptie !

M. Arnaud Montebourg, ministre. C’est la réalité ! Nous avons même découvert dans mon ministère une « commission de la paperasse », qui, comme beaucoup de commissions, n’a d’ailleurs rien fait.

Nous allons essayer de faire mieux et d’abroger un certain nombre de normes qui concernent aussi bien les collectivités locales que les entreprises. Je voudrais que nous en reparlions prochainement,…

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. D’accord !

Mme Catherine Troendle. Et la proposition Doligé ?

M. Arnaud Montebourg, ministre. … et avec la dose d’humour nécessaire.

Comme le sujet a été abordé, il est également intéressant de noter que le Conseil national de l’industrie, qui succède à la conférence nationale de l’industrie, est un outil permettant de rassembler l’ensemble des forces productives : les partenaires sociaux, les régions, les industries et leurs représentants, le MEDEF et les organisations professionnelles patronales, ainsi que l’appareil de l’État.

M. Jean-Claude Gaudin. Les bœufs avant la charrue !

M. Arnaud Montebourg, ministre. Ce conseil prendra des positions et s’exprimera, par exemple, sur l’euro trop fort. Je lui ai demandé de le faire en toute indépendance par rapport au Gouvernement. Ses prises de position seront, nous l’espérons, plus ou moins consensuelles – en son sein, en tout cas, ce serait préférable ! – et permettront d’enrichir le débat que nous aurons avec le Sénat et l'Assemblée nationale sur les questions industrielles.

Nous avons ainsi en quelque sorte un mini-Parlement de l’industrie auquel participeront l’ensemble des forces productives autour du Gouvernement. En sont d’ailleurs membres un sénateur, Martial Bourquin, et un député, Jean Grellier. Cela permettra de placer en permanence la question industrielle au cœur de tous les enjeux.

En ce qui concerne la politique européenne, évoquée par de nombreux intervenants, il faut bien reconnaître que l’Union européenne n’est pas au même niveau de protectionnisme et de déloyauté qu’un certain nombre d’États, de puissances et de continents…

Il est d’ailleurs utile d’observer que les États ayant résisté à la crise sont ceux qui ont été les plus unis et qui ont su rassembler l’ensemble de la société autour de l’acte productif. Pour nous, c’est une belle leçon ! Voilà l’une des raisons pour lesquelles je m’emploie à mobiliser les Français autour du made in France. Quelle que soit la place de chacun dans la société, que l’on soit consommateur ou producteur, nous avons un devoir à l’égard de notre pays.

Je remarque que le made in France progresse d’ailleurs dans la tête des consommateurs. Les dernières enquêtes montrent que 77 % des Français considèrent que le critère de la fabrication en France est suffisamment important pour payer un produit plus cher.

En ce qui concerne les producteurs, nous voyons bien que le mouvement de relocalisation est lancé et s’amplifie. Certaines entreprises font un calcul différent après avoir pris la mesure de la progression des salaires dans les pays émergents et de l’envolée du prix de l’énergie, y compris dans ces mêmes pays, et après s’être rendu compte que l’éloignement entre lieu de production et lieu de consommation alourdissait les coûts logistiques.

Ces entreprises sont devenues « démondialisatrices » dans leurs actes du quotidien, tout comme l’est le ministre du redressement productif ! Je pense à l’entreprise de jouets Smoby, dans le Haut-Jura ; au lunettier Atoll, qui a transféré une partie de son activité de la Chine vers le Haut-Bugey ; à l’entreprise de skis Rossignol, dont la décision de relocalisation, très saluée, date d’avant notre arrivée au gouvernement. De nombreuses autres entreprises réfléchissent à suivre cette voie.

Chaque pays fédère aujourd'hui la cohésion de l’ensemble de sa société autour de son label : made in France, made in USA, made in England, made in Italy... Cet engouement est un phénomène de société sur lequel nous devons prendre appui pour reconstruire, réindustrialiser et relocaliser.

Cette mobilisation passe évidemment par le financement de l’innovation. À ce propos, j’ai déjà dit que nous souhaitions ouvrir un programme d’innovation radicale avec le redéploiement du grand emprunt.

Il faut aussi que la société française reconnaisse et rende hommage à ceux qui innovent, font preuve d’audace et prennent des risques. Il faut qu’une attention soit portée au design, auquel de nouveaux investissements doivent être consacrés, notamment dans les PME. Il faut que le mentorat soit généralisé, comme mon ministère s’attache à le faire avec l’aide des chambres de commerce. Il faut aussi une politique à destination des PME…

Mais, vous l’avez mesuré, rien de tout cela ne pourra se faire si les données macro-économiques ne sont pas plus favorables et s’il n’y a pas une réorientation de la politique européenne.

Sur ce dernier point, je l’ai indiqué, la bataille a commencé dès le mois de juin dernier pour orienter l’Union européenne vers plus de croissance.

Au sein du Conseil compétitivité, qui réunit les ministres de l’industrie, nous cherchons depuis plusieurs mois à donner davantage de poids aux thématiques de la réciprocité, évoquées par certains d’entre vous. Nous ne pouvons accepter de nous priver des pratiques employées par d’autres pays ou de ne pas nous prémunir contre certaines méthodes, comme l’arme monétaire et le dumping social ou environnemental.

C'est l’une des raisons pour lesquelles les questions énergétiques, abordées par M. Vial, doivent être traitées au niveau européen. Nous avons déjà en Europe REACH et une très bonne politique de réduction des émissions de CO2, que nous approuvons, car elle est conforme à nos valeurs et à notre modèle. Il faudrait cependant équilibrer les règles du jeu mondial. Si nos entreprises quittent les zones de haute pression, à prix énergétiques élevés et à normes réglementaires strictes, c’est tout simplement pour quitter l’Europe. L’arbitrage se fait non pas entre la France et l’Allemagne, mais entre l’Europe et le reste du monde.

La France, en particulier par l’intermédiaire de mon ministère, n’a cessé de répéter, de façon quasi obsessionnelle, que l’Union européenne devait agir pour rééquilibrer les règles du jeu mondial. J’ai d’ailleurs demandé encore la semaine dernière devant le groupe de haut niveau sur l’acier à Mme la commissaire chargée de l’environnement ce qu’elle attendait pour imposer la taxe carbone aux frontières. Cette mesure sera le pendant des accords internationaux qui ont été signés par l’Europe et que nous appliquons ; elle permettra que la compétition se déroule dans des conditions équilibrées et loyales.

D'ailleurs, nous demandons exactement la même mise à niveau en matière sociale. Les normes de l’Organisation internationale du travail devraient-elles être distinctes des normes de l’Organisation mondiale du commerce ? La réponse est non ! Nous devons donc nous défendre.

Malheureusement, avec la Commission européenne, les sujets de polémique ne manquent pas. Monsieur Fouché, sachez toutefois que la Commission, exerçant son pouvoir propre, a d'ores et déjà pris des mesures dans le domaine de la porcelaine et de la céramique, contre les importations abusives en provenance de Chine. Des mesures ont également été prises concernant les aciers très spéciaux, comme une hausse des droits de douane de 58 %. Enfin, madame Archimbaud, des mesures ont été prises dans le domaine photovoltaïque : une enquête et un monitoring ont été lancés sur les importations de panneaux photovoltaïques venant de Chine.

Bref, l’Union européenne commence, doucement, à se réveiller. Est-ce suffisant ? Nullement !

Cela étant, je suis heureux que, lors des réunions des Conseils des ministres, nous arrivions de plus en plus souvent à réunir nos partenaires et à constituer une majorité pour réclamer l’évolution des règles du jeu mondial, à travers une transformation de l’attitude de l’Union européenne.

Nous attendons la réforme des aides d’État. Hier, à Bruxelles, lors d’une discussion avec le commissaire européen Joaquín Almunia, la France et l’Allemagne ont fait bloc pour demander un assouplissement des règles de contrôle tatillonnes sur ces aides aux entreprises. M. Almunia a entendu la revendication des grandes nations industrielles et technologiques, ce qui constitue un progrès.

Le monde entier connaît une déferlante technologique considérable. Nos concurrents, les grandes nations émergentes, investissent des milliards dans les nouvelles technologies. Les Européens, eux, s’interdisent et contrôlent tout investissement étatique, et on tire dans les jambes de ceux qui essaient d’avancer !

Notre choix est de nous défendre, d’organiser notre mise à niveau, de construire les industries de demain, de favoriser la recherche, le développement, l’innovation. Bref, le rôle des États est fondamental et l’unité du secteur privé avec la puissance publique est essentielle pour réussir cette mise à niveau. C’est une des raisons pour lesquelles la politique européenne en matière industrielle est en train d’évoluer.

Certains d’entre vous ont salué l’action du commissaire Antonio Tajani. Au nom de la France, je l’ai remercié plusieurs fois d’avoir fixé pour but que la politique industrielle représente 20 % du PIB global européen d’ici à 2020. C’est une ambition considérable, qui suppose que les autres politiques européennes soient révisées à l’aune de cet objectif prioritaire. C’est le cas pour la politique de la concurrence – nous y venons – et de la politique commerciale – il faut y venir davantage.

Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons besoin de vous, de votre soutien. Il est toujours difficile, dans la vie d’une nation, de passer d’une période à une autre. Nous sommes dans une de ces périodes difficiles.