M. Michel Delebarre, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, sur l’article.

M. Jean Boyer. Vous venez de dire, monsieur le ministre, que cet article était important, et le nombre très significatif d’amendements l’atteste.

Monsieur le ministre, ce projet de loi reconstruit les structures départementales, particulièrement les structures cantonales.

Vous le savez mieux que personne, mes chers collègues : nombre de ces structures cantonales existent depuis 220 ans. Elles sont restées debout et ont résisté à quatre Républiques.

Monsieur le ministre, l’agrandissement du canton, dont la taille passerait du simple au double, est un événement à prendre en compte. Ce qui se profile, ce n’est pas une actualisation, mais une restructuration totale.

Le binôme ou tandem aura parfois vingt ou vingt-cinq communes à couvrir. Or nul n’ignore que « Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi ! » Précisément, ces élus devront aller dans les vingt ou vingt-cinq communes de leur canton, non pas pour vendre du produit, mais pour dire à ces communes rurales que la France d’en bas a été prise en compte.

Ces communes n’ont ni la tour Eiffel, ni, cher Michel Mercier, le parc de la Tête d’Or, ni la Canebière. Mais tant que des coqs chanteront sur les tas de fumier, tant que des chiens courront pour essayer de mordre l’arrière des voitures, tant que des clochers sonneront les heures, la France d’en bas existera, fidèle à son identité, composée d’hommes et de femmes qui aiment leur pays parce qu’ils y sont nés.

Rendons à César ce qui lui appartient : ce projet, monsieur le ministre, préserve le tissu communal, et sauvegarde même sa fragilité. Les 36 000 communes de France existeront demain : disons-le, c’est formidable !

Monsieur le ministre, à condition d’avoir la volonté, nous pouvons chercher, et peut-être même trouver une aiguille dans une meule de foin.

Mais nous savons que l’excès de transparence engendre parfois un manque d’épaisseur, et donc un manque de bon sens.

Monsieur le ministre, nous avons été des hommes de bonne volonté. En conséquence, nous avons modestement été des bâtisseurs pour demain – n’hésitons pas, de temps en temps, à employer des mots solennels !

« On ne peut être à la fois responsables et désespérés », écrivait Saint-Exupéry.

Je ne veux pas assombrir la fin de mon propos, mais, en dépit des restructurations que nous avons effectuées, des problèmes de fond subsistent : comment financerons-nous, demain, ces territoires et ces cantons ?

Toutefois, si nous sommes là, c’est que nous avons en nous quelque chose de fondamental : l’espérance. Or, nous le savons, espérer permet de vivre mieux ! (MM. Marc Laménie et Pierre-Yves Collombat applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, sur l’article.

Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le ministre, je ne viens pas vous parler de la France d’en bas mais de la France d’en haut, celle des vallées pyrénéennes du Béarn et du Pays basque,…

M. Manuel Valls, ministre. Ah !

Mme Frédérique Espagnac. … que vous connaissez bien. C’est bien ce soir à tous les habitants de ces vallées que je rends hommage dans cet hémicycle.

J’ai écouté avec beaucoup d’attention les interventions des uns et des autres, membres de la majorité sénatoriale comme de l’opposition.

Malgré des points de vue qui peuvent varier du mien – cette diversité fait toute la richesse du débat dans notre hémicycle –, j’ai perçu ce soir une même volonté : que ces élus soient, demain, au plus près de leur territoire et des habitants qui y résident.

Monsieur le ministre, puisque moi-même et certains de mes collègues vous avons interpellé à plusieurs reprises sur ce sujet, je voulais vous remercier d’avoir su entendre la voix de nos petites communes et de nos territoires, qui en avaient grand besoin.

Mes chers collègues, l’article 23, que nous attendions tous, devrait recevoir de la part du plus grand nombre un soutien clair et massif.

Cet article prévoit que des aménagements puissent être apportés aux règles relatives au remodelage des cantons, en prenant en compte des éléments qui, à mon sens, sont cruciaux pour une bonne représentativité de nos territoires, aussi riches et variés qu’ils puissent être.

Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont posé le principe selon lequel tout découpage électoral repose sur des bases essentiellement démographiques.

Aussi, outre le principe selon lequel le nombre de cantons de chaque département est divisé par deux, le projet de loi codifie des critères supplémentaires : le territoire de chaque canton doit être continu ; toute commune de moins de 3 500 habitants devra être entièrement comprise dans le même canton ; enfin, l’écart de population entre les cantons d’un même département pourra être porté à 30 %.

La commission des lois a également, et je m’en réjouis, adopté un amendement visant à intégrer à ces critères des considérations d’ordre géographique, telles que la superficie et le relief, la démographie, l’équilibre lié à l’aménagement du territoire et le nombre de communes.

Dès lors, mes chers collègues, élue, comme beaucoup d’entre vous, d’un département, les Pyrénées-Atlantiques, alliant à la fois zones rurales et urbaines, littoral et intérieur des terres, plaines et montagnes pyrénéennes, il me paraît vital et équilibré que les futurs conseils départementaux représentent au mieux nos territoires riches et variés.

Parce qu’il rend tout cela possible, je vous invite, mes chers collègues, à voter en faveur de cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean Boyer applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, sur l’article.

M. Jean-Jacques Mirassou. Notre rôle est actuellement de nous attacher à ce qu’il est convenu d’appeler le « remodelage » des cantons.

À trois reprises, monsieur le ministre, vous avez annoncé que le fameux « tunnel » allait passer d’un écart de plus ou moins 20 % à un écart de plus ou moins 30 %.

Après avoir évoqué, en début de discussion, le contenu – je veux bien entendu parler du binôme, sur lequel, en dépit de votre constance, monsieur le ministre, vous n’avez pas vraiment été payé de retour, particulièrement d’un côté de cet hémicycle –, nous débattons actuellement du contenant, c’est-à-dire du territoire du canton.

En termes de pertinence, le moins que l’on puisse espérer est que le texte que nous allons adopter puisse s’appliquer à l’ensemble des cantons de France, afin d’assurer, comme vient de le souligner Frédérique Espagnac, la prise en compte des spécificités géographiques des départements, ainsi que le rôle de représentation de la totalité des territoires départementaux, garants de la solidarité de proximité, cœur de l’action des départements.

Comme chacun s’est attaché à défendre son territoire, je me permets de me livrer également à cet exercice, en évoquant mon département de la Haute-Garonne, dont les caractéristiques en font un cas parfaitement emblématique, où cette fameuse loi devrait pouvoir s’appliquer, en dépit de quelques difficultés. En effet, au-delà de sa diversité géographique – il comprend aussi des zones de montagne –, le département de Haute-Garonne s’étend en longueur, sur plus de cent kilomètres. Il regroupe 580 communes et présente une alternance de territoires ruraux en voie de repeuplement, de territoires plus faiblement ruraux et une agglomération très peuplée, dotée de cantons urbains – ceux qui ne plaisent pas à notre collègue Daniel Dubois et à quelques autres, alors même qu’ils sont le plus souvent représentés par des conseillers généraux très actifs.

Ainsi, dans un département comme la Haute-Garonne, le risque existe que, à travers les territoires de montagne et les territoires ruraux, on assiste à la création de super-cantons, trop étendus géographiquement, composés d’un très grand nombre de communes.

De même, nous devons nous attacher à éviter un fort déséquilibre de représentation, au profit des agglomérations que je viens d’évoquer et au détriment du reste du département.

Ces deux éléments fragiliseraient grandement l’accomplissement des missions de solidarité et de proximité du conseil général.

L’élargissement du fameux tunnel, de plus ou moins 20 % à plus ou moins 30 %, nous permet d’éviter l’un des risques. J’ai bien noté aussi que, à l’issue des travaux de nos collègues de l’Assemblée nationale, nous avons fait une avancée relativement importante, puisque des exceptions de portée limitée – c’est ce qui me gêne un peu –, définies par décret en Conseil d’État, spécifiquement justifiées par des considérations géographiques, telles que la superficie ou le relief – je ne m’intéresse pas à l’insularité en ce qui concerne la Haute-Garonne (Sourires.) –, par des considérations démographiques, d’équilibre d’aménagement du territoire, par le nombre de communes ou par d’autres impératifs d’intérêt général peuvent être apportées aux dispositions du III de l’article 23.

Il semblerait toutefois que ce progrès ne soit pas suffisant, puisque nous allons être amenés à étudier bon nombre d’amendements ayant pour vocation de préciser la disposition que je viens de citer.

L’adoption de ces amendements devrait nous permettre de réaliser un saut qualitatif supplémentaire, à la seule fin de préserver la spécificité des conseillers départementaux, et en respectant la proximité avec nos concitoyens, puisque c’est l’un des critères que vous avez évoqués pour justifier les avancées de ce texte de loi.

Je ne doute pas que l’objectif des amendements qui seront présentés sera de faire revenir la solidarité et l’équilibre au cœur de l’action départementale. Ce n’est d’ailleurs qu’à ce prix que nous voterons avec conviction cet article. (M. Philippe Kaltenbach applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, sur l'article.

M. Michel Mercier. Monsieur le ministre, je voudrais rendre hommage à votre talent et à votre habileté, qui sont grands dans cette affaire.

Vous venez de présenter l’élargissement du tunnel à plus ou moins 30 % comme un effort particulièrement important consenti par le Gouvernement.

C’est certainement un effort. Mais il convient de le comparer à d’autres dispositions que la loi contient, notamment l’article 3, qui fixe ne varietur le nombre de cantons.

Plus que l’écart de 30 %, il est important de savoir quelle est la valeur pivot et la moyenne. En effet, même si l’on prévoyait un écart de plus ou moins 50 %, la différence ne serait pas très grande, puisqu’il nous faudrait dans tous les cas raisonner au sein d’une enveloppe fermée.

Je reconnais que cette disposition permettra peut-être de résoudre une ou deux difficultés, mais elle en créera deux ou trois autres par ailleurs, le nombre de cantons restant inchangé.

J’accepte bien volontiers de considérer la mesure que vous nous présentez comme un effort du Gouvernement, que je porte à votre crédit. Mais il ne faudrait pas que nos collègues pensent que tout est résolu pour autant, et qu’ils pourront créer le nombre de cantons ruraux qu’ils souhaitent. Ils ne doivent pas perdre de vue que le nombre total de cantons reste invariable, et qu’il leur faudra raisonner dans ce cadre-là. Tout ce qui sera donné à l’un devra être retiré à l’autre et, dans le cas d’un département exclusivement composé de cantons ruraux, l’élargissement de l’entrée du tunnel aura des effets limités.

M. Manuel Valls, ministre. Ces effets ne seront toutefois pas négligeables.

M. Michel Mercier. À ceux qui ont cru voir le paradis dans cette mesure, je réponds qu’il ne s’agit que d’une étape supplémentaire sur le chemin. J’espère, monsieur le ministre, que nous trouverons ensemble les moyens d’y accéder un jour prochain.

M. Manuel Valls, ministre. J’y travaille !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Le paradis est argentin désormais ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, sur l'article.

M. Alain Richard. Je suis tout aussi sensible que nombre de collègues qui se sont déjà exprimés sur ce sujet à la question de la variété des territoires et à la nécessité de la respecter.

Toutefois, notre République est fondée sur le principe « un homme, une voix ».

Je voudrais donc essayer de résumer en quelques phrases ce que je crois être l’état du droit avec l’application de ce principe.

Dans de multiples décisions, le Conseil constitutionnel affirme que la représentation, dans tous les types de scrutin, y compris les plus locaux, est essentiellement démographique.

Je rappelle que c’est en raison d’une décision explicite du Conseil constitutionnel de 1995 que nous n’avons finalement qu’un représentant par commune dans les intercommunalités, parce que, même pour les communautés, le Conseil a jugé que la représentation devait être essentiellement démographique, et que la seule exception admise est d’attribuer un seul siège aux communes qui n’en auraient eu aucun au terme du calcul purement démographique. On le voit, l’exigence du Conseil va loin.

Si je me tourne maintenant vers le passé, le Conseil d’État, seule juridiction qui devait se prononcer sur des découpages de cantons édictés par décret, adoptait une approche beaucoup plus ouverte et, je dois dire, quelque peu énigmatique. Il émettait en effet des exigences élevées d’égalité démographique entre cantons, mais à l’intérieur d’une zone seulement dans le département, et non dans l’ensemble du département.

Michel Mercier, qui connaît bien ces questions, se souvient sans doute que le Conseil d’État avait obligé le Gouvernement, à la suite d’une procédure de mise en demeure, à revoir le découpage de Lyon, en négligeant totalement le fait qu’il y avait, à trente kilomètres de là,…

M. Michel Mercier. À quinze kilomètres !

M. Alain Richard. … des cantons dont la population était cinq fois ou huit fois inférieure à la moyenne départementale.

Le Conseil d’État admettait donc implicitement la cohabitation de formes de représentation très différenciées au sein d’un même conseil général selon que l’on était dans un milieu urbain ou rural.

Le Conseil constitutionnel a fixé un premier bornage en matière de représentation par circonscription à l’intérieur d’une même collectivité avec sa jurisprudence sur la Nouvelle-Calédonie, en 1985.

Une première loi, qui avait établi des écarts de représentation allant environ de un à trois entre deux provinces de Nouvelle-Calédonie, fut censurée par le Conseil constitutionnel. Une seconde loi, instaurant cette fois un écart de un à deux, reçut l’aval du Conseil. Dès lors, – tout cela se passait il y a vingt-cinq ans – tout le monde comprit que la bonne cote en matière de représentation locale était de un à deux, soit, par rapport à la moyenne, de 66 %-67 % à 133 %. Ceci s’appliquait à des circonscriptions élisant des listes et non à un scrutin uninominal.

Arrive ensuite la loi d’habilitation sur le redécoupage des circonscriptions, fixant elle-même ce fameux écart de plus ou moins 20 %. Le Conseil va juger conforme à la Constitution ce dispositif, mais, en l’espèce, il s’agit du contrôle d’une loi d’habilitation portant sur des circonscriptions législatives.

Arrive enfin la saga du conseiller territorial au cours de laquelle, entre autres éléments pittoresques, le Conseil constitutionnel est amené à se prononcer sur le principe du plus ou moins 20 %, qu’il valide de manière implicite. Cette fois encore, le dispositif ne portait pas sur les futures circonscriptions d’élection des conseillers territoriaux mais sur la représentation collective de départements à l’intérieur d’une même région. Donc, le Conseil n’a pas eu à énoncer l’écart de plus ou moins 20 % en la matière.

À la fin de tout ce cheminement, le Gouvernement consulte le Conseil d’État et lui demande ce que pourrait dire le Conseil constitutionnel. Sans rompre aucune règle déontologique, je voudrais évoquer ce qui se passe dans une telle situation.

Que faire en pareil cas, surtout quand il vous est arrivé une fois ou l’autre de trébucher, c’est-à-dire d’indiquer au Gouvernement que son projet était conforme à la Constitution alors que six mois ou un an après le Conseil constitutionnel rendait une décision « légèrement » différente ? Vous ajoutez une couche de précautions ! C’est ainsi que l’on est arrivé aux plus ou moins 20 % préconisés dans l’avis du Conseil d’État : par la prudence.

Avec le plus 30 %, moins 30 %, constatons que l’on va accepter un écart de représentation allant de 1 à presque 1,9 : un canton de 14 000 habitants sera représenté de la même manière qu’un canton de 26 000 habitants ! Il me semble que l’on tire un peu sur l’élastique. Je suis solidaire de ce nouveau choix, parce qu’il répond à des objectifs d’intérêt général et qu’il est présenté de bonne foi. Il me semble toutefois que nous nous trouvons sur un terrain légèrement mouvant.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l'article.

Mme Cécile Cukierman. Au regard des débats qui se sont tenus depuis hier et des votes qui sont intervenus, la question du nécessaire redécoupage des cantons est posée et doit être débattue.

Nous avons besoin d’un redécoupage qui prenne en compte la diversité des territoires, la diversité de vie des hommes et des femmes qui s’y trouvent. Les problématiques de vie, de solidarité, de politiques, y compris sociales, peuvent être différentes d’un territoire à l’autre.

La formulation initiale de ce texte visait à rejoindre votre ambition, monsieur le ministre, d’un meilleur ancrage territorial. De nombreux départements connaissent en effet des difficultés liées à l’hypertrophie de deux ou trois grandes communes et à l’éparpillement du reste d’entre elles. C’est le cas du département de la Loire que nous avons arpenté, mon collègue Jean-Claude Frécon et moi-même, durant la campagne pour les élections sénatoriales : une fois soustraites les trois plus grandes communes sur les 327 que compte ce département, on a déjà au moins redécoupé sept ou huit cantons selon les nouveaux critères.

Nous avions donc besoin d’un peu de souplesse pour répondre aux exigences d’une meilleure répartition démographique à l’échelon départemental. Cependant, alors que l’on souhaite mettre en place les conditions d’une plus grande égalité des suffrages territoriaux, comment ne pas s’interroger sur le découpage des cantons entre les départements ?

Cette réforme se faisant bien évidemment – et malheureusement – à moyens constants, il n’a jamais été envisagé de modifier le nombre de cantons par département, sauf à plus ou moins un, pour des raisons d’équilibre et de gestion majoritaire.

Je donnerai trois exemples : mon département – vous me pardonnerez de commencer par là – compte 748 000 habitants pour quarante cantons ; la Seine-Saint-Denis compte 1 500 000 habitants pour quarante cantons ; le Puy-de-Dôme, enfin, compte 632 000 habitants pour soixante et un cantons.

Une fois ces chiffres posés, je ne dis pas que le Puy-de-Dôme doit perdre des cantons pour s’aligner sur les autres. La question de l’égalité du suffrage, du rôle des conseillers généraux et, finalement, de celui des départements dans l’organisation de la vie de notre pays n’en reste pas moins posée.

À l’heure de la mobilité, nos concitoyens sont amenés à se déplacer d’un département à l’autre tout au long de leur vie et donc à être confrontés à ces inégalités territoriales. Nous devons retravailler plus largement l’ensemble de la carte cantonale, car encore une fois, nous en revenons à la problématique de l’exercice du mandat : comment faire le même travail dans un département comptant 1 500 000 habitants et quarante cantons et dans un autre possédant moins d’habitants et beaucoup plus de cantons ? Cette question logique relève du principe de réalité. (Mme Hélène Lipietz applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, sur l'article.

M. Jacques Mézard. L’excellent exposé que vient de faire notre collègue Alain Richard montre très clairement la situation du pouvoir législatif sous la Ve République : coincés entre le poids du pouvoir exécutif d’un côté, et celui du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel de l’autre, les parlementaires voient se réduire au fil des années leur capacité de peser réellement sur l’évolution de notre pays.

Je rejoins également les propos de notre collègue Cukierman. Monsieur le ministre, avec ce tunnel de plus ou moins 30 %, vous avez consenti un effort significatif que je souhaite voir unanimement soutenu. Si, depuis le Consulat, la situation des cantons n’a guère évolué, il n’en reste pas moins que, en ce qui concerne le nombre des cantons, votre réforme ne tient pas compte des disparités entre départements. En effet, s’agissant des territoires, vous vous contentez de couper en deux. C’est oublier que des situations ont considérablement évolué en deux siècles, aboutissant aujourd’hui à d’importantes disparités. Si l’on voulait réformer l’organisation territoriale de manière significative, de manière plus juste, il fallait engager un remodelage global. Cela aurait d’ailleurs permis de faire plus facilement comprendre la réforme.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Frécon, sur l'article.

M. Jean-Claude Frécon. Si vous le permettez, je voudrais développer quatre points.

Premièrement, élu du monde rural, j’étais vraiment très inquiet des dimensions de certains gros cantons. Il y a trois ans en effet, le gouvernement précédent proposait de mettre en place, sur des cantons beaucoup plus importants que ceux déjà existant, un représentant unique qui devait également se trouver au chef-lieu de département et au chef-lieu de la région : le conseiller territorial.

Le conseiller général – c’est une fonction que j’ai exercée –, désormais dénommé conseiller départemental, doit accomplir un travail de proximité, surtout dans le monde rural. Ce doit sans doute être également le cas dans le monde urbain, mais d’une façon différente que je ne suis pas capable de juger. Cette proximité, dans le monde rural, c’est l’affirmation de la représentation du département au plus près du citoyen.

Deuxièmement, il faut remarquer que l’effort consenti par le ministre ainsi que la pédagogie dont il a fait preuve, pour amener l’amplitude du tunnel à plus ou moins 30 % faciliteront beaucoup le découpage dans nos zones rurales, en particulier dans les départements peu homogènes. Lorsque le territoire est homogène, c’est-à-dire lorsqu’il est soit complètement rural soit complètement urbain, la situation est moins dramatique. Mais quand se trouvent dans le même département à la fois une grosse entité urbaine et une entité rurale très dispersée, les problèmes sont plus prégnants.

L’effort très significatif consenti par le ministre, que beaucoup d’entre nous appuient en l’occurrence, devra être soutenu par un vote tout à l'heure.

Troisièmement, je voudrais simplement relever une petite erreur. J’entends beaucoup de nos collègues dire que le découpage cantonal n’a pas changé depuis 1801. C’est faux : beaucoup de départements, au cours du XXe siècle, ont vu la création de cantons supplémentaires, surtout pour répondre aux problèmes des grandes villes. Ces découpages ont eu lieu il y a trente, quarante ou cinquante ans ; ils furent nombreux. Mais je n’en fais pas une affaire d’école, il s’agissait d’un simple rappel historique.

Quatrièmement, enfin, je souhaiterais dire à ceux de nos collègues qui pensent échapper au découpage parce que leur canton se situe dans la moyenne de la population du département, qu’ils se trompent. Il ne s’agit en rien d’une assurance : le découpage des cantons commence par un bout de territoire et avance, au fur et à mesure des masses démographiques, dans la géographie du département. Si le canton précédemment découpé n’arrive pas dans les limites du canton que l’on pensait conserver intact, il est possible, et même probable, que ce dernier n’échappera pas à une redéfinition.

Bien sûr, il faudra l’expliquer à nos populations ; bien sûr, ce ne sera pas facile, car nos populations et nos élus ne sont pas toujours faciles à prendre sur cette affaire. Cependant, il ne faut pas avoir peur d’exposer les choses clairement. Si l’ancienne majorité après avoir voté le principe d’un redécoupage avait décidé d’aller au bout de la logique et avait donc procédé au redécoupage, elle aurait également dû faire face à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui !

M. le président. L'amendement n° 240 rectifié bis, présenté par MM. Dubois et Amoudry, Mme Férat et MM. Namy et Guerriau, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

Cet amendement n'est pas soutenu.

Je suis saisi de quarante-deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 15 rectifié, présenté par MM. Pointereau, Cornu, Béchu, Bécot et Bourdin, Mme Bruguière, MM. Cardoux, Carle et de Legge, Mme Deroche et MM. Doligé, Doublet, Grignon, D. Laurent, Magras, Milon, Pillet, Pintat, Pierre, Sido, Trillard, Bizet, de Montgolfier, Grosdidier, Dulait, Houel et César, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article L. 3113–2 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :

« Art. L. 3113–2. – I. – Les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d’État après consultation du conseil général.

« II. – La qualité de chef-lieu de canton est maintenue aux communes qui la possédaient à la date de promulgation de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales.

« III. – Les communes du département membres d’un même établissement public de coopération intercommunale de plus de 50 000 habitants forment un canton élisant au moins deux membres du conseil général. Le nombre de membres du conseil général élus dans ces cantons est égal à la valeur absolue de la population du canton divisée par la population moyenne des cantons du département.

« IV. – La délimitation des autres cantons du département en application du I est conforme aux règles suivantes :

« 1° Le territoire de chaque canton est continu ;

« 2° Est entièrement comprise dans le même canton toute commune de moins de 10 000 habitants ;

« 3° La population d'un canton n'est ni supérieure ni inférieure de plus de 40 % à la population moyenne des cantons du département.

« V. – Seules les exceptions de portée limitée spécialement justifiées par des considérations géographiques ou par d'autres impératifs d'intérêt général peuvent être apportées aux dispositions du IV. »

La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. Cet amendement vise à compléter le dispositif, qui est proposé à l’article 2, du scrutin mixte urbain-rural pour l’élection des conseillers départementaux.

Il s’agit de déterminer les règles régissant la délimitation des cantons du département. Il est prévu, tout d’abord, que le territoire de chaque canton soit continu, et tout le monde l’a bien compris. Puis que soit entièrement comprise dans le même canton toute commune de moins de 10 000 habitants – il importe d’y penser – et que la population d’un canton ne soit ni supérieure ni inférieure de plus de 40 % à la population moyenne des cantons du département.