Mme Corinne Bouchoux. Mes chers collègues, cet amendement pourra vous sembler symbolique ou décoratif, mais il est à nos yeux extrêmement important. En effet, les mots ont un sens et, en dépit de l’immense attachement que nous portons à notre école maternelle, s’agissant tant du concept et du fonctionnement, il nous semble nécessaire de revenir sur son nom. Pourquoi ?

Monsieur le ministre, je sais que vous êtes féru d’histoire. Je me permets donc de rappeler que, lorsque Pauline Kergomard, l’inventeur des écoles maternelles, s’est penchée sur cette question, elle a énormément réfléchi au choix des termes. Elle a alors parlé d’« école initiale », expression qui présente deux avantages : d’une part, l’école est nommée : il n’y a donc pas d’ambiguïté ; d’autre part, l’adjectif « initiale » traduit l’idée d’un début, d’un commencement.

Aujourd’hui, les termes « école maternelle » véhiculent certes une histoire que nous connaissons, qui est formidable et à laquelle Mme la rapporteur est particulièrement attachée, mais ils peuvent cependant induire en erreur, pour deux raisons.

Premièrement, l’adjectif « maternelle » suppose la notion de « maternage ». Or tous les enseignants des écoles maternelles l’expliquent précisément, la mise en apprentissage sollicite, au-delà des affects, une démarche d’enseignement active. Le terme peut donc prêter à confusion.

Deuxièmement, nous sommes, à ma connaissance, le seul pays au monde où cette école est ainsi désignée. Chacun en conviendra sur toutes les travées de cet hémicycle, nous aspirons à une répartition des tâches plus égalitaire entre les pères et les mères dans notre société, et à un recul des préjugés entre leurs rôles respectifs, tout en reconnaissant leurs spécificités.

Les jeunes générations actuelles connaissent la mixité dès le plus jeune âge. Quand on les interroge sur les raisons de la dénomination « école maternelle », on constate que, si le terme « école » leur parle, l’adjectif « maternelle » ne leur dit rien.

Notre proposition, quoique extrêmement modeste, nous semble de nature à rassembler tout le monde, puisqu’elle s’inspire de la mère de l’école maternelle, Pauline Kergomard : il s’agit simplement de renommer l’école maternelle « école initiale ». À nos yeux, cette disposition extrêmement simple a un sens, qui est en cohérence avec toutes les positions que nous défendons par ailleurs. (M. André Gattolin applaudit.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Cartron, rapporteur. Cet amendement tend à modifier la dénomination de l’école maternelle sans modifier le statut de cette dernière.

Le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions de ce type, n’étant pas normatives, devaient être déclarées contraires à la Constitution. C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Vincent Peillon, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.

M. Jacques Legendre. Madame Bouchoux, les mots ont bel et bien un sens : parler d’école initiale, c’est évoquer l’école par laquelle on débute. Mais si on n’y a pas pris part, qu’en sera-t-il par la suite ? Il faut être clair : à mon sens, si l’école maternelle devient école initiale, elle doit non seulement exister mais devenir obligatoire.

Mme Corinne Bouchoux. Pas nécessairement !

M. Jacques Legendre. De plus, j’ai bien entendu que vous citiez Pauline Kergomard. Un peu historien moi aussi, j’admets que cette référence n’est pas inintéressante. Reste que les Français sont très attachés à l’appellation « école maternelle ». Ils y voient un lien sentimental, et c’est probablement un argument fort pour intéresser les familles à l’école des premiers âges que de l’appeler ainsi. Ce ne serait pas rendre service à cette école que de la débaptiser, permettez-moi de vous le dire.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Françoise Cartron, rapporteur. Madame Bouchoux, au vu de l’argument d’inconstitutionnalité, la commission sollicite le retrait de cet amendement.

Mme la présidente. Chère collègue, l’amendement n° 174 est-il maintenu ?

Mme Corinne Bouchoux. J’entends bien les arguments que me sont opposés.

Selon M. Legendre, les termes « école initiale » induisent qu’un enfant n’ayant pas suivi cet enseignement ne pourrait être scolarisé ensuite : rien dans la sémantique ne permet une telle déduction ; il s’agit simplement d’une interprétation !

Par ailleurs, le législateur, qui fait la loi dans le sens de l’intérêt général, ne peut qu’être sensible au motif d’inconstitutionnalité. Je remarque simplement que nombre de dispositions votées dans cet hémicycle ne sont pas nécessairement conformes à la Constitution, et n’ont pas pour autant été censurées par le Conseil constitutionnel !

Je tenais à ce que nous ayons cette discussion, tout comme je tiens au débat que nous consacrerons, dans quelques instants, à un autre sujet, même s’il n’est que symbolique.

Cela étant, dans un esprit de consensus, je retire mon amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 174 est retiré.

Article additionnel avant l’article 29
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Article 30

Article 29

(Non modifié)

L’article L. 321-1 du code de l’éducation est abrogé. – (Adopté.)

Article 29
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Article additionnel après l’article 30

Article 30

L’article L. 321-2 du code de l’éducation est ainsi modifié :

1° La première phrase du premier alinéa est ainsi rédigée :

« La formation dispensée dans les classes enfantines et les écoles maternelles favorise l’éveil de la personnalité des enfants, stimule leur développement sensoriel, moteur, cognitif et social, développe l’estime de soi et des autres et concourt à leur épanouissement affectif. Cette formation s’attache à développer chez chaque enfant l’envie et le plaisir d’apprendre afin de leur permettre progressivement de devenir élève. Elle est adaptée aux besoins des élèves en situation de handicap pour permettre leur scolarisation. » ;

(nouveau) Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Des éléments de formation spécifiques sont dispensés à ce personnel dans les écoles mentionnées à l’article L. 721-1. »

Mme la présidente. L'amendement n° 253 rectifié, présenté par Mme Laborde et MM. Alfonsi, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Fortassin, Hue, Mazars, Mézard, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéa 3, après la deuxième phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Elle prépare progressivement les enfants à l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture.

La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. La préscolarisation des enfants requiert un accueil spécifique pour favoriser leur éveil, et, à cet égard, je salue la nouvelle rédaction des missions de l’école maternelle.

Toutefois, l’école maternelle doit, à mon sens, préparer progressivement à l’acquisition du socle commun de compétences et de culture. Dans ce cadre, je précise que cet amendement ne tend pas à introduire une « primarisation » précoce.

Quel est l’enjeu ? Il ne faut pas oublier que l’objectif principal de la préscolarisation reste la réussite des enfants tout au long de leur scolarité. C’est pourquoi la formation dispensée doit tendre à l’acquisition du socle commun par la stimulation des enfants, afin de leur donner envie d’apprendre à lire, à écrire et à compter. Il ne s’agit en aucun cas d’inclure les écoles maternelles dans le périmètre du socle ou de sanctionner celles dont les élèves n’auraient pas appris à lire ou à écrire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Cartron, rapporteur. Madame Laborde, vous le savez, l’école maternelle doit être reconnue dans sa singularité : je crois que vous adhérez à cet objectif. C’est d’ailleurs cette singularité de notre école maternelle qui en fait un modèle pour les autres pays européens n’ayant pas d’institution équivalente ! (Mme Françoise Laborde acquiesce.)

Dans ce cadre, la référence au socle risque de renforcer un processus auquel nous ne souscrivons pas, à savoir la « primarisation » de la formation dispensée au sein de cette école maternelle si particulière, unique et partant exemplaire. C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Vincent Peillon, ministre. Même avis !

Mme la présidente. Madame Laborde, l’amendement n° 253 rectifié est-il maintenu ?

Mme Françoise Laborde. L’article 30 du présent projet de loi traite des formations dispensées aux enfants de maternelle, et mes collègues et moi-même tenions à déposer un amendement d’appel afin d’insister également sur la formation des enseignants, qui seront évidemment des professeurs de maternelle.

La commission ayant introduit dans le présent texte la notion de « devenir élève », je retire cet amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 253 rectifié est retiré.

L'amendement n° 370, présenté par Mme Gonthier-Maurin, MM. P. Laurent, Le Scouarnec et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Elle veille à favoriser l’égalité entre les filles et les garçons.

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Mes chers collègues, si vous me le permettez, je coifferai un instant ma casquette de présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, pour évoquer la promotion si essentielle de l’égalité entre hommes et femmes dans toutes les sphères de notre société.

À plusieurs reprises, notre délégation a eu l’occasion de mettre en avant l’école maternelle pour empêcher la formation de mécanismes qui concourent à la construction de stéréotypes de genre.

Dans ce cadre, cet amendement a un objet assez simple : son adoption permettrait de généraliser des pratiques déjà existantes, qui favorisent l’égalité entre les filles et les garçons. Je songe notamment aux supports des abécédaires, employés dès le plus jeune âge.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Cartron, rapporteur. Madame Gonthier-Maurin, comme je vous l’ai déjà dit en commission, la rédaction de cet amendement laisse supposer que l’école maternelle ne respecte pas l’égalité entre filles et garçons. Or il me semble que votre propos porte en fait sur les stéréotypes de genre.

Mme Françoise Cartron, rapporteur. La rédaction du présent amendement paraissant ambiguë à la commission, celle-ci émet un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Vincent Peillon, ministre. Vous savez que, sur ce sujet très important, nous avons signé une convention avec le ministère des droits des femmes.

En outre, les « ABCD de l’égalité » seront mis en place dès la rentrée et sont d'ores et déjà très demandés par les enseignants.

Vous savez également que j’ai engagé une lutte contre les stéréotypes, qui sont effectivement très prégnants au sein de l’éducation nationale, comme d'ailleurs dans l’ensemble de la société, et qui, d’après toutes les études dont nous disposons, s’intègrent dès le plus jeune âge.

La question de l’égalité filles-garçons est déjà couverte par nombre de nos textes – certains avaient d'ailleurs cherché à créer des polémiques inutiles sur la question du genre – et nous l’avons réaffirmée dans le présent projet de loi à plusieurs reprises.

Vous le voyez, nous agissons très concrètement et très puissamment dans la lutte contre les stéréotypes. Dans ces conditions, je demande le retrait de l’amendement.

Je tiens à répéter que la lutte contre les stéréotypes constituera aussi l’un des éléments du parcours d’orientation que nous préparons. Comme vous le savez, la France enregistre des pénuries très spécifiques d’étudiantes féminines dans les cursus scientifiques, malgré leur réussite dans ces disciplines au lycée.

D’ailleurs, la lutte contre les stéréotypes a également été mise en œuvre par la ministre des droits des femmes dans les ministères eux-mêmes.

Mme la présidente. Madame Brigitte Gonthier-Maurin, l'amendement n° 370 est-il maintenu ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Oui, madame la présidente. En effet, le débat que nous venons d’avoir et les précisions apportées par M. le ministre contribuent très fortement à l’identification de la problématique et donc des voies pour y remédier.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 370.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 121, présenté par Mme Gonthier-Maurin, MM. Le Scouarnec, P. Laurent et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 5

I. Après le mot :

formation

insérer les mots :

initiale et continue

II. Supprimer les mots :

à ce personnel

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. L’article 30 réécrit les missions de l’école maternelle dans un sens qui nous convient parfaitement puisque nous en avions proposé une réécriture similaire dans la proposition de loi que nous avions déposée sur cette école.

Cet article précise les missions qui sont assignées à l’école maternelle et affirme ainsi la spécificité de cette dernière.

Il distingue l’école maternelle et enfantine de l’école primaire, tout en précisant qu’elle est une véritable école, sans pour autant en faire une pré-école élémentaire. Il était important de le faire, le débat d’hier nous ayant montré que tout le monde ne partage pas cette idée et qu’il y a débat.

Bien au contraire, l’école maternelle constitue un temps spécifique de l’éducation, qui, comme l’affirme justement cet article, « favorise l’éveil de la personnalité des enfants, stimule leur développement sensoriel, moteur, cognitif et social, développe l’estime de soi et des autres et concourt à leur épanouissement affectif ».

L’un de nos amendements a été adopté en commission et a encore enrichi le texte, ce dont nous nous félicitons. Il introduit une notion selon nous fondamentale, qui doit figurer au cœur du système éducatif : l’envie et le plaisir d’apprendre, afin de devenir progressivement élève. Cette notion de plaisir et d’envie est essentielle et constitue un facteur de motivation et de réussite qui doit en faire un des fondements de l’école maternelle.

Autre élément important, l’article 30 du projet de loi introduit une formation spécifique pour les personnels des écoles maternelles au sein des futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE. En effet, il nous paraît indispensable de former les enseignants aux spécificités des enjeux de la maternelle et aux particularités de ces jeunes enfants.

Cependant, quelques points nous semblent devoir être revus concernant cette formation.

L’alinéa 5 affirme que « des éléments de formation spécifiques sont dispensés à ce personnel ». Le I de notre amendement tend à préciser que cette formation est initiale et continue.

Quant au II de notre amendement, il vise à supprimer les mots : « à ce personnel », en cohérence avec l’idée d’une formation continue et, bien sûr, initiale. En effet, il nous semble que la mention des « personnels » limite la formation à une formation continue, la formation initiale étant dispensée non à des « personnels », mais à des élèves.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Cartron, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur le paragraphe I, même si ce dernier lui paraît d’ores et déjà satisfait par le texte.

S’agissant du paragraphe II, dont elle avait demandé le retrait en commission, elle émet un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Vincent Peillon, ministre. Le Gouvernement se range à l’avis de la commission.

Mme la présidente. Nous allons donc procéder à un vote par division.

Je mets aux voix le I de l’amendement n° 121.

(Le I de l’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix le II de l’amendement n° 121.

(Le II de l’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de l’amendement n° 121, modifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 40 rectifié, présenté par M. Carle, Mme Primas, MM. Humbert et B. Fournier, Mmes Mélot et Duchêne et M. Duvernois, est ainsi libellé :

Compléter cet article par trois alinéas ainsi rédigés :

…° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les enseignements dispensés durant le cycle des apprentissages fondamentaux sont individualisés et adaptés au niveau de progression de chaque élève.

« Un décret fixe les conditions dans lesquelles l’individualisation des enseignements est organisée. »

La parole est à Mme Marie-Annick Duchêne.

Mme Marie-Annick Duchêne. Cet amendement, dont Jean-Claude Carle est le premier signataire, découle du constat que l’éducation nationale n’a, au fond, pas réussi à grande échelle l’individualisation des enseignements. Les enseignements de l’école élémentaire sont aujourd’hui encore peu nombreux à mettre en application cette individualisation : nos enseignants de CP et de CE1 enseignent souvent face à la classe entière, de façon encore magistrale.

Pourtant, l’individualisation des enseignements, qui, dans plusieurs pays, a pris la forme du travail en petits groupes, ne nécessite pas de moyens supplémentaires. En revanche, elle exige une formation spécifique.

Du reste, comment penser la politique des cycles sans penser l’individualisation des enseignements ? En effet, l’individualisation est un corollaire de cette politique des cycles, laquelle vise à ce que chaque élève apprenne à son rythme.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Cartron, rapporteur. Madame Duchêne, l’un des objectifs assignés à l’école maternelle est justement de permettre et de réussir la socialisation des enfants. Bien sûr, cette dernière ne peut se faire qu’au travers d’activités collectives. Dans ces conditions, prôner l’individualisation de l’enseignement me paraît aller à l’encontre de ce que l’on souhaite voir se passer à l’école maternelle.

En outre, l’individualisation nous paraît impraticable.

Pour ces deux raisons, l’avis de la commission est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Vincent Peillon, ministre. Ce débat n’est pas neutre.

Ce qui caractérise et ce qui a, d'ailleurs, fait la place de l’école dans notre République, c’est une certaine conception de l’individualisme républicain. Cette conception est assez simple. Elle consiste à considérer qu’un individu a besoin, pour se construire, de règles communes, et même d’un certain soutien de la puissance publique.

Cette conception peut avoir une traduction matérielle : je pense aux secours, à la justice, aux assurances… En vertu d’une tradition continue, nous avons toujours considéré qu’elle trouve un autre terrain d’application dans l’éducation. En effet, pour être vraiment soi-même, il faut souvent passer par des règles communes. Je pense, madame Duchêne, que vous avez transmis cette idée vertueuse à vos élèves !

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, on n’est pas tout de suite un grand peintre, un grand poète, un grand mathématicien ou un grand philosophe, et ceux qui ont appris les règles sont aussi ceux qui, au final, peuvent le mieux exprimer leur individualité.

Or, depuis quelques années, cette idée de base, cette idée simple, qui organise tout notre système civique mais aussi éducatif, se perd. Depuis quelques années, on s’acharne à célébrer l’individu, à exalter la différence et à appeler à une éducation pour chacun.

Toutefois, à l’instar du sur-mesure dans la confection, une telle éducation serait quelque peu coûteuse puisqu’elle nécessiterait beaucoup de postes d’enseignant. En outre, elle n’aurait pas les vertus que l’on attend d’une école, ne garantissant ni le partage de valeurs communes ni les conditions permettant aux élèves de se constituer comme individus. En effet, faire croire que l’on devient un individu sans passer par des règles communes et des apprentissages revient à jouer contre l’école elle-même.

Ces dernières années, cette conception a fait l’objet d’une opposition très virulente et, à mon avis, fondée sur rien. Il me semble très important que nous renouions avec l’idée que l’école vise à faire partager du commun et qu’elle ne lutte pas pour autant contre les natures individuelles – pour ma part, j’assume pleinement cette vision ! Bien au contraire, une école qui produit du commun permet à l’individu de s’émanciper – j’ai souvent entendu Mme Brigitte Gonthier-Maurin le dire –, de se construire – je le répète, on n’est pas immédiatement savant, poète ou citoyen – et, en même temps, de se délivrer.

Cela dit, si vous êtes favorable à des pédagogies différenciées, sachez qu’elles se pratiquent depuis très longtemps, sans pour autant relever de l’individualisation au sens où nous l’entendons aujourd'hui.

Je terminerai par un point sur lequel les débats ne m’ont pas encore donné l’occasion de revenir : l’aide individualisée, telle qu’elle a été pratiquée, sur des journées alourdies, en plus des six heures de cours, pour les enfants en difficulté, et dont le rapport d’une inspection a d'ailleurs montré que le résultat était assez nuancé.

Nous avons remplacé cette aide individualisée par des activités pédagogiques complémentaires, qui, je l’espère, seront davantage bénéfiques aux enfants. Je souhait qu’il n’y ait pas de débat théorique à cet égard. D’aucuns ont en effet affirmé que nous avions supprimé cette aide individualisée. Non, nous ne l’avons pas supprimée ! Nous l’avons repensée de manière à la rendre plus efficace pour les enfants en difficulté.

Pour conclure, faisons attention à ne pas opposer l’individu et le commun : c’est ainsi que l’on mine les fondements mêmes de notre école.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 40 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 30, modifié.

(L'article 30 est adopté.)

Article 30
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Article 31

Article additionnel après l’article 30

Mme la présidente. L'amendement n° 122, présenté par Mme Gonthier-Maurin, MM. Le Scouarnec, P. Laurent et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 30

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 321-2 du code de l'éducation, il est inséré un article L. 321-2-... ainsi rédigé :

« Art. L. 321-2-... – Le Gouvernement, en lien avec les autorités académiques, effectue un état des lieux annuel de la situation des écoles maternelles. Cet état des lieux est communiqué sous forme de rapport annuel aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le Gouvernement remet également aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat un rapport annuel spécifique sur la scolarisation des enfants de deux ans à trois ans, faisant notamment état des demandes de scolarisation et de la prise en compte de celles-ci dans les effectifs. »

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. L’école maternelle a été particulièrement mise à mal lors du dernier quinquennat. Présentant la caractéristique d’être gratuite sans être obligatoire, elle a constitué la variable privilégiée d’ajustements budgétaires.

Considérée comme trop coûteuse, l’école maternelle ne recevait plus les moyens nécessaires à son fonctionnement, alors même que les effectifs d’enfants de plus de trois ans augmentent chaque année.

La rédaction de l’article L. 131-1 du code de l’éducation, prévoyant une « priorité » de scolarisation en zone prioritaire, a surtout permis au ministère de l’éducation nationale de se prévaloir du caractère facultatif de cette possibilité pour s’en dégager largement.

Selon la volonté du ministère, l’inspecteur d’académie ne prenait plus en compte les enfants de moins de trois ans dans le calcul des effectifs des enseignants des écoles maternelles, ce qui permettait également d’arguer d’un recul effectif de leur scolarisation.

L’objectif n’était qu’économique, puisqu’il s’agissait de justifier de la diminution des effectifs enseignants, même en zone prioritaire, rendant de facto impossible la scolarisation des enfants âgés de deux et trois ans, actuellement conditionnée par « la limite des places disponibles ».

Le rapport de la Cour des comptes du 10 septembre 2008 sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale indiquait déjà : « le taux de scolarisation des 2-3 ans a diminué de 27 % entre 2003 et 2007 – moins 29 % dans le public, moins 18 % dans le privé.

Certains départements, comme la Seine-Saint-Denis, ont été plus particulièrement touchés, puisque le taux de scolarisation de cette tranche d’âge est passé de 22 % en 1999 à 8 % en 2006. « À la rentrée 2005, 5 000 enfants étaient en attente de scolarisation en maternelle, dont 300 avaient plus de trois ans. », était-il ajouté dans le rapport de la Cour des comptes ; cette dernière évoquait même un désengagement du ministère de l’éducation nationale de la scolarisation des enfants de deux ans.

Le gouvernement actuel, en réaffirmant la nécessité de la scolarisation des enfants de deux à trois ans et en affectant 3 000 postes à la maternelle, s’inscrit bien dans l’objectif de priorité au primaire. Priorité du Gouvernement, la maternelle doit faire l’objet de rapports sur son évolution, qui prennent en compte toutes les demandes de scolarisation dans la prévision des effectifs enseignants affectés, afin de rompre avec l’expérience précédente.

Notre amendement n° 122 tend donc à ce que le Gouvernement effectue un état des lieux annuel de la situation des écoles maternelles, qui serait communiqué aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

« Un rapport annuel spécifique sur la scolarisation des enfants de deux ans à trois ans, faisant notamment état des demandes de scolarisation et de la prise en compte de celles-ci dans les effectifs », serait également rendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Cartron, rapporteur. Madame Gonthier-Maurin, la multiplication de demandes de rapports annuels dans un même amendement, ainsi que vous le proposez, ne nous paraît pas constituer une bonne méthode de contrôle de l’action du Gouvernement, d’autant moins bonne qu’aucun dispositif ne viendrait en sanctionner les conclusions.

Il vaut mieux utiliser les structures d’évaluation existantes, comme le comité de suivi, prévu à l’article 60, les organes de contrôle de l’application des lois du Parlement et le conseil national d’évaluation du système éducatif créé par l’article 21.

Votre demande lui semblant satisfaite par ce qui existe déjà, la commission vous invite à retirer votre amendement.