compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Patrick Courtois

vice-président

Secrétaire :

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, je souhaiterais faire une mise au point au sujet d’un vote.

Lors du scrutin public n° 10, portant sur l’ensemble du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, Mme Samia Ghali, ainsi que MM. Serge Andreoni et Roland Povinelli ont été déclarés comme votant pour, alors qu’ils voulaient voter contre.

M. le président. La parole est à M. François Pillet.

M. François Pillet. Monsieur le président, lors du même scrutin, M. Louis Nègre a été déclaré comme s’abstenant, alors qu’il voulait voter pour.

M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.

3

Désignation d'un sénateur en mission

M. le président. Par courrier en date du 7 octobre 2013, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, M. François Pillet, sénateur du Cher, en mission temporaire auprès de M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur.

Cette mission portera sur une nouvelle évaluation de l’application de la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale.

Acte est donné de cette communication.

4

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Pérou

M. le président. J’ai le très grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d’une délégation du Congrès péruvien, conduite par M. Roberto Angulo Alvarez, président du groupe d’amitié Pérou-France. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la garde des sceaux se lèvent.)

Cette délégation séjourne en France à l’invitation de notre groupe d’amitié France-Pays Andins, présidé par notre collègue Philippe Adnot.

Nous nous réjouissons des liens qui se sont tissés entre nos deux pays au fil des années et qui se sont encore renforcés au cours de l’année écoulée, avec la visite officielle à Paris du président péruvien, M. Ollanta Humala, en novembre 2012 et le déplacement du groupe d’amitié sénatorial au Pérou en juin de cette année.

Au nom du Sénat de la République, je vous souhaite la plus cordiale bienvenue et je forme des vœux pour que votre séjour en France soit l’occasion de resserrer davantage les liens entre nos assemblées et de conforter le dialogue entre nos deux nations. (Applaudissements.)

5

Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière – Procureur de la République financier

Adoption en nouvelle lecture d’un projet de loi et rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi organique dans les textes de la commission modifiés

 
 
 

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (projet n° 855 [2012-2013], texte de la commission n° 22, rapport n° 21, avis n° 2) et du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif au procureur de la République financier (projet n° 854 rectifié [2012-2013], texte de la commission n° 24, rapport n° 21).

La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme la garde des sceaux. (Applaudissements au banc de la commission.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour l’examen en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, un texte que nous connaissons désormais bien, sur le fond comme dans ses variations. Nous allons examiner les dispositions que la commission des lois a voulu introduire ou maintenir, ainsi que les amendements dont votre Haute Assemblée souhaite débattre.

Le projet de loi part d’une conviction profonde, d’ailleurs formulée par la voix la plus éminente de notre pays, celle du Président de la République, qui a dit sa détermination à lutter avec une énergie totale contre toutes les formes de corruption, de fraude et d’affairisme.

C’est dans cet esprit que le texte a été élaboré. Il a été enrichi grâce aux nombreuses auditions organisées par les commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale. C’est sur la base de ce qu’ont apporté les spécialistes du droit que sont les magistrats, les procureurs de la République et les juges d’instruction que le projet de loi a pu être amélioré par les deux chambres du Parlement en première lecture, puis par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Votre commission des lois a réécrit certaines dispositions du texte, et elle en a maintenu d’autres. L’une des mesures importantes, la création du parquet financier, semble avoir fait l’objet d’un vote conforme lors de la dernière réunion de votre commission ; nous y reviendrons.

En vue de traduire la conviction profonde que le Président de la République a exprimée très clairement, le projet de loi aborde le sujet de manière globale. Sous de précédentes mandatures, l’attitude du législateur face à la nécessité de lutter contre la corruption et l’affairisme avait principalement consisté soit à créer des incriminations nouvelles, soit à aggraver les sanctions pénales. La différence essentielle entre ces précédents textes et l’actuel projet de loi réside dans une approche globale. Il s’agit non plus de courir après les nouvelles formes d’incrimination ou de simplement sanctionner plus lourdement, mais bien d’aborder le phénomène de la corruption dans la globalité, depuis la détection de l’incrimination jusqu’à la sanction effective prononcée par le magistrat.

Le projet de loi vise ainsi l’effectivité de la sanction prononcée et l’efficacité, afin que de telles incriminations, une fois détectées, soient stigmatisantes socialement et sévèrement réprimées pénalement.

Les travaux menés par les deux chambres ont permis de stabiliser des dispositions, parmi lesquelles il faut mentionner l’aggravation des sanctions encourues par les personnes physiques et morales, notamment par un alourdissement considérable du montant des amendes.

Le texte prévoit également des mesures de renforcement de la lutte contre la fraude fiscale complexe, celle qui emploie des comptes bancaires et des entités à l’étranger, des méthodes particulières ou des manœuvres dilatoires et dissimulatrices.

Les deux assemblées ont également consolidé la protection des repentis.

Elles ont en outre élargi le champ de compétence de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, en y incluant la lutte contre le blanchiment de la fraude fiscale complexe. Cela permet à l’autorité judiciaire de saisir cette brigade nationale sans avoir à attendre la plainte déposée par l’administration fiscale.

Une telle disposition est extrêmement importante : elle donne plus d’efficacité à l’action de l’autorité judiciaire et s’additionne avec une meilleure coordination des actions respectives de l’autorité judiciaire et de l’administration fiscale.

Nous avons pris des dispositions visant à augmenter la publicité des travaux de la commission des infractions fiscales, au sein de laquelle nous introduisons d’ailleurs des magistrats de l’ordre judiciaire. Le ministre chargé du budget et moi-même nous sommes engagés à mieux coordonner l’action de nos services respectifs, afin de rendre la saisine de l’autorité judiciaire plus pertinente et l’action tant de l’administration fiscale que des parquets plus efficace, et à publier conjointement une circulaire d’application dès que le texte aura été promulgué.

Parmi les dispositions consolidées figure l’aggravation des sanctions pécuniaires et patrimoniales. Les sanctions applicables aux personnes morales sont alignées sur celles qui concernent les personnes physiques : la confiscation de l’entier patrimoine est permise et la résolution pécuniaire, donc en valeur, des assurances-vie est facilitée.

Ces mesures, qui sont essentielles, ne feront pas l’objet de débats aujourd’hui, car elles ont été consolidées dans le texte à l’Assemblée nationale et au Sénat.

En revanche, certaines dispositions extrêmement importantes n’ont pas fait l’objet d’un accord définitif. Je pense notamment à la création du parquet financier, ainsi qu’à la possibilité pour les associations de déclencher l’action publique, c’est-à-dire de se constituer partie civile.

Je le rappelle, le parquet financier est la clé de voûte de l’édifice. C’est lui qui donne toute logique et toute cohérence aux dispositions que nous avons introduites dans le texte. C’est lui qui sera le bras armé de la justice pour traduire en action publique et en sanctions la lutte contre les corruptions et contre la fraude fiscale.

Le procureur de la République financier aura compétence pour lutter contre toutes les atteintes à la probité : toutes les corruptions, toutes les fraudes, les détournements de fonds publics, les prises illégales d’intérêt, le favoritisme, le pantouflage, c’est-à-dire l’interdiction que la loi fait à des fonctionnaires d’intégrer des entreprises avec lesquelles ils ont été en contact lorsqu’ils étaient dans la fonction publique. Il aura également des compétences en matière de lutte contre la fraude fiscale de grande complexité ou à la TVA.

Ce sera un procureur indépendant. Je sais qu’un débat anime les parlementaires sur cette question. Depuis l’entrée en fonction du Gouvernement – c’était également le cas de M. Mercier, ici présent, lorsqu’il officiait place Vendôme –, nous respectons l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Nous avons présenté devant le Sénat et l’Assemblée nationale un projet de révision constitutionnelle visant à inscrire le principe du respect de cet avis conforme dans notre Loi fondamentale. Votre Haute Assemblée n’a pas souhaité l’adopter.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En tout état de cause, nous continuons à respecter l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Par conséquent, la garantie d’indépendance que nous apportons à tous les procureurs sera la même pour le nouveau procureur financier.

En outre, comme vous vous en souvenez, le Parlement a adopté un projet de loi ayant pour objet d’interdire les instructions individuelles de l’exécutif aux magistrats. Une telle interdiction, qui figure désormais dans le code de procédure pénale, permet également d’apporter des garanties quant à l’indépendance du procureur financier, comme des autres procureurs.

Si vous adoptez le projet de loi organique, le procureur financier relèvera de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, ce qui lui permettra d’occuper son poste durant sept ans, à l’instar de tous les procureurs de la République.

Une procédure d’habilitation introduite dans le texte par votre commission en première lecture permettra au président de la cour d’appel de Paris de désigner les magistrats qui pourront travailler auprès du procureur financier. Cette disposition existe déjà et fonctionne très bien avec nos juridictions interrégionales spécialisées, ou JIRS, dans la lutte contre la corruption et contre certaines formes de criminalité organisée. Le président de la cour d’appel consultera le président du tribunal de grande instance, ainsi que la commission restreinte de l’assemblée générale des magistrats.

Ainsi, toutes les garanties sont apportées, et des moyens seront mobilisés. Le projet de loi de finances pour 2014, qui vous sera bientôt soumis, prévoit la création de vingt-cinq postes de magistrats spécifiquement dédiés au parquet financier.

Les décrets d’application sont déjà en préparation, ainsi que j’en avais pris l’engagement au Sénat. Ils s’enrichissent évidemment de vos travaux et des observations que vous formulez au cours des débats. Les décrets d’application pourront être publiés très rapidement après la promulgation du texte. Cela nous permettrait de respecter le délai fixé à l’article 22 du projet de loi, qui prévoit la mise en place du parquet financier au mois de février 2014.

Nous reviendrons peut-être sur de telles mesures lors de l’examen des amendements, mais je tenais à vous en rappeler les grandes lignes, car elles sont de nature à rassurer tous ceux qui, de bonne foi, se montrent inquiets sur le fonctionnement du parquet financier.

Un autre sujet fait débat, et nous y reviendrons également lors de la discussion des articles. Je fais référence à la possibilité accordée à des associations agréées de se constituer partie civile. Lors de l’examen du texte en première lecture par votre Haute Assemblée, certains sénateurs ont exprimé des inquiétudes à cet égard. J’aimerais vous rappeler deux éléments.

D’une part, il s’agit d’associations dont l’objet social a prévu la lutte contre la corruption. D’autre part, au mois d’octobre 2012, lorsque j’avais répondu officiellement, au nom du Gouvernement, à l’OCDE, à la suite de son rapport sur la lutte contre la corruption, j’avais pris l’engagement d’introduire dans notre code pénal les dispositions qui enrichiraient l’arsenal répressif contre ces types d’infractions, mais également à permettre aux associations de se constituer partie civile pour déclencher l’action publique.

Cette dernière disposition, que nous avons introduite dans le texte, est conforme à la jurisprudence récente de la Cour de cassation, qui a permis à une association de déclencher l’action civile, sur la base de trois critères : la crédibilité de l’association, son objet social et le fait qu’elle ait plus de cinq ans d’activité. Les associations qui seront investies de la possibilité ouverte par le projet de loi y répondront. Leur agrément sera accordé dans des conditions transparentes et rigoureuses, énoncées dans un décret en Conseil d’État. Il s’agira pour ces associations de pouvoir déclencher l’action publique pour des infractions qui seront évidemment définies très précisément et qui concernent le contenu du texte de loi.

Je me souviens que certains sénateurs – je pense par exemple à M. Hyest – avaient émis des doutes quant au fait même d’introduire dans notre droit la possibilité pour des associations de déclencher l’action civile.

Toutefois, en vertu des articles 2-1 à 2-22 du code de procédure pénale, les associations peuvent déjà déclencher l’action publique lorsque le ministère public ne l’a pas fait. Il en est ainsi des associations qui luttent contre les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, mais également, par exemple, contre la pédopornographie. Ainsi, dans plusieurs cas où la victime n’est pas clairement identifiée ou bien peut être identifiée à la société elle-même, le droit permet déjà que des associations puissent se constituer partie civile et déclencher l’action publique. Il en va de même pour toute une série de sujets comme la protection de l’environnement ou la lutte contre les discriminations. Voilà qui vous montrera, je pense, la grande diversité des situations dans lesquelles l’action publique peut être déclenchée par des associations.

Le fait de reconnaître à ces associations le droit d’ester en justice et de se constituer partie civile n’interdit évidemment pas au ministère public de déclencher l’action publique. Le fait que des associations puissent se constituer partie civile est conforme à l’esprit qui a présidé à la rédaction du projet de loi. Je vous renvoie aux dispositifs que vous avez déjà adoptés pour la protection des repentis ou des lanceurs d’alerte. L’objectif est le même : favoriser la lutte contre les actes délictueux. Il est donc cohérent, étant donné que vous avez déjà accepté les dispositions en faveur des repentis et des lanceurs d’alerte, de permettre aux associations de se constituer partie civile et de déclencher l’action publique.

Nous approfondirons les éléments que je viens d’évoquer lors de la discussion des articles. Le Gouvernement est évidemment à votre disposition pour répondre à toutes vos interrogations.

Toutefois, je dois m’absenter quelques instants, et je vous prie de bien vouloir m’en excuser, car je suis tenue d’assister à la séance des questions au Gouvernement à l’Assemblée nationale. Mais mon collègue Bernard Cazeneuve, le ministre du budget, ici présent, assistera à la suite de la discussion générale commune. (M. le ministre le confirme.)

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre attention. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, rapporteur.

M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui saisis de textes particulièrement importants.

J’évoquerai un chiffre, certes contesté, pour rappeler les enjeux : le phénomène dont nous débattons représente 80 milliards d’euros. En réalité, nous ne savons pas quel est le montant exact de la fraude fiscale – certains disent 40 milliards d’euros, d’autres parlent de 80 milliards d’euros –, mais il s’agit en tout cas d’un vrai scandale pour la justice, d’un boulet pour notre fiscalité et d’un handicap certain pour l’économie, donc l’emploi de notre pays.

Je tiens donc d’abord à saluer ceux qui mènent le combat contre la fraude fiscale. Je pense en particulier aux deux ministres qui assistent aujourd’hui à nos débats. C’est un combat important, et en même temps difficile. L’ennemi est caché – il n’apparaît que rarement –, et il l’est sur les cinq continents, avec des techniques extrêmement sophistiquées. Nous l’avions souligné en première lecture.

Et ne pensons pas que l’évaporation fiscale n’a pas de prix ! L’évaporation fiscale des uns, ce sont des charges supplémentaires pour les autres ou de moindres recettes pour nos services publics ou le financement de l’investissement productif. Nous sommes donc conscients qu’il faut donner à ceux qui mènent ce combat tous les moyens pour une action efficace.

Je vous prie d’excuser l’absence du président de la commission des lois, M. Jean-Pierre Sueur, retenu par des obsèques cet après-midi.

Vous le savez, la commission mixte paritaire s’est réunie le 23 juillet dernier.

Certes, il y a eu des désaccords entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Il y en a même eu un fort sur la création du procureur financier de la République. Je pourrais également mentionner d’autres dispositions adoptées par l’Assemblée nationale et rejetées au Sénat.

Toutefois, même si le procureur financier de la République est évidemment au cœur du dispositif, il ne faudrait pas occulter les accords qui sont apparus sur une trentaine d’articles.

Prenons par exemple les mesures d’alourdissement des peines, qui constituent l’un des éléments importants du texte. Les peines pour fraude fiscale pourront s’élever jusqu’à 2 millions d’euros, contre quelques dizaines de milliers d’euros seulement aujourd’hui. Nous nous donnons ainsi les moyens de frapper véritablement en plein cœur la fraude fiscale.

D’autres dispositifs ont été adoptés ; je pense notamment à la réduction de peine qui est applicable aux repentis en matière de blanchiment. Certes, comme souvent avec ce type de problématiques, la solution envisagée peut donner lieu à discussion. Mais si l’on veut que les repentis collaborent et donnent des éléments pour mieux poursuivre la fraude fiscale, il faut évidemment leur accorder au moins un motif pour cela, en l’occurrence une réduction de peine, au demeurant très encadrée.

J’évoquerai également ce qui a été voté sur les saisies. Je pense notamment à la possibilité – Mme la garde des sceaux vient d’y faire référence – de saisir la totalité du patrimoine.

En première lecture, l’un de nos collègues avait rappelé à juste titre que notre pays avait raison de lutter contre la fraude fiscale, mais que le combat devait avant tout être européen et même mondial. Cette dimension figure dans le texte ; je pense notamment à la possibilité d’inscrire sur la liste des États non coopératifs en matière fiscale ceux qui auraient refusé de s’engager dans un transfert automatique des données bancaires.

Tels sont donc les points d’accord.

L’Assemblée nationale a également repris certaines des modifications que nous avons décidées. Je pense ainsi à la composition de la commission des infractions fiscales, qui vient d’être évoquée. De même, nos collègues députés se sont finalement ralliés à la position très prudente qui était la nôtre sur la prescription des infractions occultes ou dissimulées, en supprimant l’article 9, qui prévoyait l’inscription dans la loi la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation. De notre point de vue, la jurisprudence suffit, et il n’est pas utile de la graver dans le marbre législatif, un marbre d’ailleurs tout relatif…

Sur les trente-six articles qui restent en discussion, sept divergences notables apparaissent.

La première divergence, majeure, porte sur la création du procureur de la République financier. Nous connaissons les positions des uns et des autres sur le sujet. D’ailleurs, elles ont évolué. La semaine dernière, notre commission des lois avait émis un avis favorable sur cette création, conformément au projet du Gouvernement et au texte voté par l’Assemblée nationale ; ce matin, les votes ont été différents, le dispositif ayant été rejeté à une voix près.

Dans le texte que nous vous présentons ainsi au nom de la commission, le procureur financier est supprimé et remplacé par des mécanismes comme l’extension de la compétence reconnue au tribunal de grande instance de Paris à l’ensemble du territoire, ce que notre collègue Michel Mercier souhaitait déjà la semaine dernière. Voilà la position de la commission, que je me devais de vous exposer en tant que rapporteur.

Cela étant, à titre personnel, j’estime que, en refusant le procureur financier, nous passerions à côté d’une belle occasion. La lutte fiscale a besoin d’un bras armé, identifié comme tel. Nous aurons demain un procureur financier européen ; comment imaginer qu’il n’y en ait aucun en France ?

Un tel bras armé doit disposer des moyens identifiés – Mme la garde des sceaux vient de rappeler les créations des postes – et voir son indépendance garantie. Nous avons déjà eu cette discussion en première lecture, et je ne reprendrai pas les arguments que Mme la garde des sceaux a développés. Les positions des uns et des autres sont connues ; inutile de s’y attarder.

Une deuxième divergence concerne la mise en mouvement de l’action publique par des associations agréées, dans des conditions précises. L’association doit avoir cinq ans d’ancienneté au minimum et son objet doit être lié à la lutte contre la corruption sous toutes ses formes, en particulier la fraude fiscale.

Le débat me semble un peu tronqué. J’ai entendu M. Hyest parler de « privatisation de la justice » à propos d’un tel dispositif (M. Jean-Jacques Hyest le confirme.) Mais la possibilité offerte aux associations de se constituer partie civile existe déjà depuis de nombreuses années. Ce n’est pas le fait d’un gouvernement ou d’un autre…

M. Alain Anziani, rapporteur. … ni d’une majorité ou d’une autre. Cela a donc fait l’objet d’un certain consensus.

La seule question qui nous est posée est de savoir si l’on permet à des associations de se constituer partie civile pour participer à ce difficile combat, face à l’hydre qu’est la fraude fiscale, où les victimes ne sont pas toujours clairement identifiées.

M. Jean-Jacques Hyest. Quelles victimes ? La seule victime, c’est l’État !

M. Alain Anziani, rapporteur. Cependant, la commission ne s’est pas prononcée en faveur d’un tel dispositif ce matin.

La troisième divergence porte sur l’utilisation d’informations d’origine illicite. Les membres du Sénat se sont accordés sur la nécessité de permettre aux différents services d’utiliser des informations dont l’obtention n’est pas toujours légale dans la mesure où il s’agit d’une arme essentielle. Toutefois, et c’est en cela que notre position diverge de celle de l’Assemblée nationale, nous considérons que ces informations doivent avoir été transmises via l’autorité judiciaire ou, à tout le moins, obtenues dans le cadre d’une coopération internationale.

La quatrième divergence a trait à l’extension de la définition du délit de blanchiment. Là encore, il y a un consensus au Sénat, et nous divergeons de l’Assemblée nationale. Le principe de la présomption d’innocence, énoncé à l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, doit être nécessairement respecté. Or le renversement de la charge de la preuve y porte atteinte. C’est la raison pour laquelle nous sommes défavorables à une telle extension.

Je dois le dire, l’Assemblée nationale a étudié nos propositions avec beaucoup d’attention et a fait évoluer sa définition, en déclarant que le renversement de la preuve de caractère était surtout interprétatif, c’est-à-dire beaucoup plus encadré qu’en première lecture. Je crois néanmoins que nous devons rester sur notre position et refuser cette perspective.

La cinquième divergence concerne la prescription pour fraude fiscale. L’Assemblée nationale nous propose de doubler le délai de prescription en le faisant passer, de trois ans à six ans. Nous y sommes défavorables, pas seulement en vertu de la culture que la commission des lois a acquise depuis des années et des années, mais aussi parce qu’un tel choix ne nous semble pas cohérent : le délai de prescription en matière de fraude fiscale serait porté à six ans et resterait de trois ans pour le blanchiment et les délits connexes. Là encore, nous choisissons de rester sur notre position face à nos collègues députés.

La sixième divergence concerne le rapport, demandé par l’Assemblée nationale, que doit remettre au Parlement le ministère du budget sur le traitement des informations données par la Chancellerie. Nous souhaitons, de manière symétrique, que l’administration fiscale nous rende également compte de toutes les dénonciations émises au titre de l’article 40 du code de procédure pénale par la Chancellerie. Que deviennent-elles par la suite au sein du ministère du budget ? Nous souhaiterions disposer aussi de telles informations.

La septième et dernière divergence vise l’étendue de la protection des lanceurs d’alerte. Nous restons prudents sur ce point. Nous comprenons ce que sont les lanceurs d’alerte et quelle est leur utilité, mais nous voyons aussi tous les dévoiements qui pourraient se produire. Selon la formulation de l’Assemblée nationale, le lanceur d’alerte est protégé non seulement s’il informe l’autorité judiciaire ou l’autorité administrative, ce que nous approuvons, mais aussi l’entreprise concurrente ou les médias en étant « de bonne foi » ; c’est heureux ! Mais l’on peut aussi dénoncer de bonne foi des faits qui ne reposent sur rien. Je pense que nous devons faire preuve de beaucoup plus de prudence. Cette dénonciation tous azimuts nous semble tout à fait inacceptable et dangereuse. Nous en resterons – en tout cas, c’est ce que le rapporteur vous propose – à la formulation retenue par le Sénat en première lecture.

Certes, nous débattrons des amendements. Mais, au-delà des considérations techniques, je crois qu’il faut toujours rappeler que nous sommes surtout là pour donner du sens. En l’espèce, il s’agit de donner du sens à un combat qui représente peut-être 80 milliards d’euros. C’est la raison pour laquelle nous devons donner à ceux qui le mènent les moyens de le remporter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions.)