M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, rapporteur.

Mme Virginie Klès, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit aujourd’hui, la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, est d’importance. Notre hémicycle se caractérisant aujourd’hui bien plus par la qualité des sénateurs présents que par leur quantité, je ne doute pas de l’intérêt du débat que nous aurons tout à l'heure.

Une parole efficace peut être brève ; je vais tenter de le démontrer aujourd’hui. Dans le cadre de la lutte contre la délinquance fiscale, nous sommes déjà tombés d’accord sur de nombreuses dispositions. Je ne reviendrai pas sur celles que les précédents orateurs viennent d’exposer.

En revanche, il me revient la douloureuse tâche d’enterrer celui qui avait été déterré au gré des majorités et des réunions. (Mouvements divers.) Je parle du procureur de la République financier, pourtant l’un des piliers du projet de loi.

Le rapporteur qui est devant vous aujourd’hui est bien obligé de vous annoncer que le procureur financier a été enterré ce matin, à son corps défendant. (Sourires.) Peut-être sera-t-il déterré une autre fois ? (M. Michel Mercier s’exclame.) Je sais bien, monsieur Mercier, que vous avez souhaité le remplacer par un autre dispositif, et que la commission des lois, dont je rapporte les travaux, a opté pour une telle solution. Mais, à titre personnel, je considérais que le procureur financier, tel qu’imaginé et conçu par le Gouvernement et l’Assemblée nationale, constituait une excellente avancée, propre à lutter efficacement contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

En tout état de cause, je pense que nous sommes tous d’accord pour saluer le courage et la détermination du Gouvernement pour engager une telle lutte, même si nous divergeons sur les moyens à mettre en place pour ce faire. La démocratie est ainsi faite. J’espère un jour pouvoir déterrer à nouveau ce procureur financier, dont je regrette la disparition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. François Marc, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en nouvelle lecture est marqué par la persistance de divergences entre l’Assemblée nationale et le Sénat – cela vient d’être évoqué –, divergences portant avant tout sur la création du procureur de la République financier, sur le recours élargi aux « techniques spéciales d’enquête » et sur la possibilité pour les associations anti-corruption de se constituer parties civiles.

Les dispositions relatives à la lutte contre la fraude fiscale ont, au contraire, fait l’objet d’une large convergence de vues entre les assemblées, au-delà des clivages politiques. Leur nombre s’est d’ailleurs considérablement accru au fil de la procédure législative. L’Assemblée nationale et le Sénat, on l’a vu, ont adopté en termes identiques de nombreux articles renforçant les moyens de l’administration fiscale, les obligations déclaratives des contribuables et les sanctions qui s’y attachent. Nous nous sommes également accordés – je tiens à le souligner, car c’est important – sur le maintien du monopole de l’administration en matière de déclenchement des poursuites pour fraude fiscale. Ce point nous avait un peu séparés, mais nous sommes arrivés sur une position qui semble aujourd’hui acceptée.

Vingt articles touchant au domaine fiscal restent en discussion, dont huit ont été délégués par la commission des lois à la commission des finances. L’Assemblée nationale a apporté plusieurs améliorations rédactionnelles sur lesquelles je ne m’étendrai pas. Je m’attacherai plutôt à évoquer les éléments qui méritent discussion.

Le débat mérite de continuer sur la recevabilité des preuves d’origine douteuse ou illicite que l’administration pourrait utiliser à l’appui des procédures de contrôle fiscal et, le cas échéant, pour une visite domiciliaire. S’il est acquis – c’est une autre avancée importante de ce texte – que l’administration fiscale pourra désormais se baser sur des « listes » qui lui seraient transmises, il n’existe pas d’accord entre les deux assemblées sur les conditions précises de leur recevabilité.

En nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a rétabli sa version du texte, consistant en une transmission dans le cadre de l’ensemble des droits de communication dont dispose l’administration fiscale, soit plus d’une quarantaine de procédures encadrées par la loi. La commission des lois est cependant revenue au texte d’origine, limitant la recevabilité des preuves aux seuls cas où elles seraient transmises par l’autorité judiciaire ou par un autre État.

À l’inverse d’une telle position, je dois rappeler ici que la commission des finances s’était déclarée en première lecture favorable à la possibilité d’avoir recours à « tout mode de preuve », sans condition de transmission régulière. Nous considérons en effet que seul un tel élargissement permettait l’exploitation d’une liste telle que la « liste HSBC », dont on a beaucoup entendu parler, qui pourrait être remise directement aux services fiscaux, sans transmission par un autre service ou une autre administration. C’est la raison pour laquelle je présenterai tout à l’heure un amendement en ce sens ; il est identique à celui qu’avait adopté la commission des finances en première lecture.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a supprimé trois articles de nature fiscale sur lesquels je souhaiterais appeler votre attention.

Le premier, que l’on doit à notre collègue Éric Bocquet faisait obligation aux grandes entreprises de fournir leur comptabilité analytique, afin de permettre un meilleur suivi de leur politique de prix de transfert.

Le deuxième, que l’on doit également à notre collègue Éric Bocquet, ainsi qu’au président de la commission des finances, M. Philippe Marini, porte sur la définition de l’abus de droit et vise à en étendre la portée.

Le troisième concerne un problème soulevé par notre collègue Jean Arthuis. Certains acteurs de la grande distribution perçoivent des « marges arrière » par le biais d’entités localisées à l’étranger, contournant à la fois leurs obligations commerciales et leurs obligations fiscales.

Les trois articles ont été supprimés par l’Assemblée nationale, pour des raisons non pas de fond – il s’agit de sujets majeurs et ces initiatives sont, me semble-t-il, excellentes –, mais de calendrier. Les prix de transfert seront traités en détail dans le projet de loi de finances pour 2014, que nous examinerons dans quelques semaines. Et un travail plus approfondi est nécessaire en amont sur l’abus de droit et les « marges arrière », comme l’a annoncé le ministre du budget en première lecture. Même si je salue de telles initiatives, j’estime qu’il est peut-être raisonnable de céder un peu de temps contre beaucoup d’efficacité et, dès lors, de ne pas voter sur ces dispositifs aujourd’hui.

Chacun le sait, les présents textes n’épuisent pas le sujet. La lutte contre la fraude et l’évasion fiscales progresse chaque jour, en France comme en Europe et dans le monde. Un consensus se forme au-delà des clivages politiques, comme en témoignent les travaux récents de plusieurs de plusieurs de nos collègues, à l’Assemblée nationale et au Sénat. Je pense notamment à MM. Éric Bocquet, Philippe Dominati et François Pillet. En deux mois, le dispositif de régularisation mis en place par le Gouvernement a donné de meilleurs résultats que toutes les initiatives précédentes. Cela montre que la fermeté en matière de lutte contre la fraude fiscale permet d’avancer, surtout au moment où chacun comprend que les zones d’ombres se font enfin de plus en plus rares.

Nous assistons ainsi à des progrès majeurs, ce qui requiert tout notre soutien et toute notre vigilance.

Nous demandons à nos concitoyens des efforts importants au service du redressement de nos comptes publics, efforts qui ne doivent pas souffrir d’exception. Ce sont souvent les fraudes les plus lourdes qui savent s’adapter à l’évolution des règles communes. Dans ces conditions, je ne doute pas que nous aurons l’occasion de revenir très vite sur le sujet, pour perfectionner et enrichir encore notre arsenal législatif, toujours avec la même détermination et, je l’espère, la même unanimité. (M. le rapporteur de la commission des lois applaudit. – M. Philippe Marini applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Pillet.

M. François Pillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte contre l’évasion fiscale répond à double titre à une exigence d’équité.

Équité d’abord par rapport à la politique que nous avons toujours voulu mener, au-delà des clivages politiques : nous montrer intraitables avec la délinquance financière comme avec la délinquance plus commune, qui porte atteinte aux personnes et aux biens. Quand il s’agit de faire respecter la loi, il n’y a pas de privilège.

Équité ensuite par rapport à la participation de chacun à la solidarité nationale et à l’impôt : il s’agit de faire en sorte que chacun s’engage en fonction de ses moyens et contribue à l’effort national, qui, en temps de crise, s’impose à tous. On ne saurait donc tolérer l’attitude coupable de ceux qui cherchent à se soustraire à leur devoir.

Soyons clairs, nous traitons ici d’un moyen important d’éponger notre endettement. En effet, la fraude fiscale représente un manque à gagner, certes impossible à chiffrer, mais incontestablement considérable.

Ces deux considérations fondent à mon sens l’action que nous devons mener. Le gouvernement d’hier a eu à cœur de réguler les flux financiers et les activités bancaires, de développer les conventions d’assistance et de renseignement fiscal, et d’engager une coopération internationale à ce sujet. Il faut d’ailleurs l’admettre, les résultats que nous avons obtenus, bien qu’ils fassent moins de bruit que certaines affaires, ont été plutôt satisfaisants.

Pour autant, nous en avons conscience, la lutte contre la fraude fiscale demande une adaptation permanente.

De tels projets de loi méritent quelques remarques de fond, dont certaines montrent que nous avons une réelle divergence.

Les douanes ont récemment tiré la sonnette d’alarme : les saisies aux frontières d’argent liquide non déclaré fuyant le territoire ont bondi de 500 % en un an. Faisons donc attention à ne pas alimenter un feu que l’on tente d’éteindre. Si rien ne justifie que l’on veuille échapper aux lois de la République, il faut établir un diagnostic complet du problème, pour appliquer les solutions les mieux adaptées.

À ce propos, et je ne l’ai jamais caché au cours des précédentes discussions, il eût été préférable d’attendre les résultats des travaux de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux, qui va rendre son rapport dans moins d’un mois. Les derniers travaux de la première commission sur ce sujet avaient permis, à l’époque, d’obtenir un consensus ; la majorité des propositions qu’elle avait formulées avaient été reprises. J’ai déjà rappelé ma position, et je regrette le choix du Gouvernement, qui a souhaité agir au plus vite. Peut-être ce rapport connaîtra-t-il néanmoins des suites concrètes. En tout cas, je le souhaite !

J’en viens au projet de loi et au projet de loi organique que nous examinons en nouvelle lecture, faute d’un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat. J’avais initialement fait part d’un certain nombre d’appréhensions sur le projet de loi.

Cela concernait d’abord le délai de prescription attaché à la prise de connaissance de la fraude, délai qui conduisait naturellement à une imprescriptibilité de l’acte délictuel. Il ne me paraissait alors pas compréhensible que nous soyons plus sévères envers la délinquance financière qu’envers les atteintes aux biens ou aux personnes. Nous nous sommes, semble-t-il, accordés sur ce point.

J’étais également interrogatif quant au fait de réserver à l’administration fiscale l’opportunité d’engager les poursuites en saisissant le procureur. J’avais alors salué les efforts et l’intelligence de M. le rapporteur, qui avait ouvert la voie à la transparence. Malheureusement, aucune suite positive n’y a été apportée.

J’ai bien compris le développement de mon collègue Philippe Marini, qui disait veiller à ce qu’une réforme de ce dispositif ne gêne pas les procédures de redressement fiscal en encourageant le développement de mesures dilatoires par les intéressés. Sa proposition de réserver une procédure dérogatoire pour les délits les plus importants, tel que, par exemple, le blanchiment de capitaux, pourrait peut-être constituer un premier pas, voire une expérimentation à développer.

À titre personnel, et sans beaucoup d’originalité tant les critiques furent nombreuses lors de la création de ce curieux organisme, je pense qu’un tel paravent au droit de l’administration de décider de l’opportunité des poursuites crée un obstacle injustifiable à une politique transparente de lutte contre la fraude fiscale et, de ce fait, à une politique compréhensible par les citoyens. Dont acte.

Par ailleurs, j’avais souhaité attirer l’attention du Gouvernement et de mes collègues sur la fraude à la TVA, qui représente des pertes fiscales extrêmement importantes. Je persiste à penser que nous devons mener une réflexion et une action particulièrement vives sur ce plan.

Ma dernière réticence porte toujours sur les lanceurs d’alerte, mesure prise dans l’urgence et le fracas de l’affaire dite « Cahuzac ». Le dispositif présente des risques majeurs en matière d’atteinte au respect de la vie privée. Sur ce point, nous réservons notre opinion, et attendons le résultat des discussions que nous aurons cet après-midi.

Vous l’aurez compris, ces remarques visent à présenter quelques propositions d’ajustement au volet relatif à la lutte contre la fraude fiscale.

Nous ne sommes malheureusement pas du tout sur votre ligne s’agissant de la création d’un procureur de la République financier. Je suis d’accord avec les praticiens, procureurs ou magistrats spécialistes de ces affaires, qui se montrent, pour le moins, très réservés sur une telle proposition.

Encore une fois, quelle sera la plus-value d’un procureur qui, luttant contre la fraude fiscale, devra attendre que le facteur lui remette l’autorisation de poursuivre accordée par la commission des infractions fiscales, celle-ci ayant elle-même attendu que le facteur lui délivre sa saisine par l’administration ?

Plus précisément, je crains qu’un tel dispositif n’entraîne à terme confusion et inefficacité. On ne peut que redouter un conflit de compétences permanent entre les juges du fond, le TGI de Paris, et le procureur de la République de Paris. Convenons-en, nous assisterons à un spectaculaire gâchis d’une énergie monopolisée par le règlement des conflits de compétences, mais aussi à une concurrence des services, qui empêchera toute coopération productive.

Le Gouvernement a souhaité afficher la création d’une telle comme le moyen de régler les problèmes liés à cette matière. Mais les réalités sont là. Il faut en tenir compte pour éviter qu’une impulsion politique ne demeure une vaine utopie.

Il ne s’agit pas là de simples considérations pratiques. Le dispositif bouleverse complètement notre organisation judiciaire. Il ne faudra donc pas sous-estimer à cet égard le risque d’une censure du Conseil constitutionnel. Comment ce dernier devra-t-il interpréter la création d’un procureur de la République financier qui ne sera rattaché à aucune juridiction ? Certains de mes collègues parlaient de procureur « hors sol ». (M. Jean-Jacques Hyest acquiesce.) Ils ont raison, cette notion est complètement étrangère à notre organisation judiciaire.

Mais ce n’est pas tout. Peut-on imaginer qu’il soit réellement possible d’institutionnaliser une autorité hiérarchique du procureur de Paris sur les autres procureurs généraux ?

M. Jean-Jacques Hyest. Bonne question !

M. François Pillet. J’entends bien que les dispositions des deux textes n’établissent pas expressément une telle hiérarchisation.

Cependant, que se passera-t-il si, dans le cadre de la concertation prévue entre le procureur de Paris et un autre procureur général, si le second refuse de se dessaisir d’un dossier ? Là encore, le texte reste silencieux. Or nous savons, par expérience, que le Conseil constitutionnel a horreur du vide juridique.

En outre, ne serait-il pas légitime que la création d’un procureur de la République financier soit suivie de celles d’un procureur nationalement chargé de la lutte contre la drogue, de la lutte contre le racisme, ou de la protection de l’enfance, préoccupations dont vous admettrez qu’elles sont aussi vives que celle qui nous occupe aujourd’hui ?

Monsieur le ministre, vous ouvrez fortuitement une brèche dans l’organisation judiciaire. Vous le voyez, il y a beaucoup d’imprécisions et de spéculations, ce qui cadre mal avec la bonne administration de notre justice.

C’est d’autant plus vrai, s’agissant du traitement juridictionnel de la fraude fiscale, que l’intérêt général en pâtira. Pourtant, nous disposons actuellement de l’architecture idoine, que nous pouvions améliorer. Nous aurions pu le faire en élargissant, par exemple, la compétence des JIRS, en leur adjoignant un procureur spécialisé, ou en réservant une compétence exclusive à celle de Paris lorsque plusieurs juridictions spécialisées sont concernées.

Voilà des pistes que nous aurions pu explorer, dans la concertation. Malheureusement, je ne pense pas que l’examen de ces deux textes en nouvelle lecture persuade le Gouvernement de le faire.

Ainsi, notre groupe ne peut pas souscrire à une telle proposition dans son état actuel, qui présente d’importantes carences institutionnelles. Au regard de l’esprit qui nous anime, la réforme peut donc apparaître comme une occasion manquée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Nicolas Alfonsi applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà parvenus à l’examen en nouvelle lecture, presque à la fin de la procédure législative de ces deux textes destinés à mieux armer l’État dans sa lutte contre la fraude fiscale.

Il y a au moins un point sur lequel nous pouvons tous être d’accord : il faut renforcer la lutte contre la fraude fiscale. Nous comprenons donc qu’une majorité politique cherche à améliorer les outils dont elle dispose. Encore faut-il que les deux présents textes le permettent vraiment. Je n’y crois pas du tout. Au contraire, à mon sens, ils émoussent très fortement le dispositif.

Nous sommes d’accord sur certains points. Le quantum des peines a été élevé pour inciter les juges, qui sont indépendants, je le rappelle, à alourdir les condamnations qu’ils vont prononcer. C’est une forme très subtile de peine plancher, monsieur le rapporteur. (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Alain Anziani, rapporteur. C’est une peine incitative !

M. Michel Mercier. En élevant le quantum, on espère que les juges rehausseront un peu le plancher de la peine.

Je vous observe depuis longtemps, monsieur le rapporteur ; je savais bien que vous étiez, certes secrètement, très favorable aux peines planchers. Vous venez de le démontrer encore une fois ! (M. le rapporteur s’étonne.)

Au-delà, comme vous l’avez dit, il importe de donner du sens. Je suis d’accord avec vous. À ce titre, notons la grande victoire de M. le ministre du budget, qui a obtenu que l’on ne change rien. Il reste, avec l’administration fiscale, le maître des poursuites dans ce domaine. (M. le ministre marque sa désapprobation.) Je ne vous ai pas dit que nous étions contre cette disposition, monsieur le ministre : nous l’avons votée !

M. François Marc, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Michel Mercier. Ce n’est pas parce que l’on vote une disposition que l’on doit fermer les yeux !

M. François Marc, rapporteur pour avis. Ah non !

M. Michel Mercier. Personnellement, j’aime mieux voter les yeux ouverts !

M. le ministre du budget a ainsi gagné, ce dont je me réjouis. J’espère seulement qu’il luttera activement contre la fraude fiscale, puisque l’essentiel reposera sur lui.

J’en viens au point essentiel, celui qui nous oppose, l’institution d’un nouveau magistrat : le procureur de la République financier. Ce qui m’ennuie, c’est que cela introduit plus de confusion que de clarté.

Au cas où les sénateurs présents auraient oublié les textes en vigueur, ce dont je doute, je rappelle le critère de compétence pour les JIRS en matière financière, qui est très simple. Ce critère est celui de la « grande complexité », en raison, notamment, du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes, ou le ressort géographique sur lequel les affaires s’étendent.

Le projet de loi définit, en son article 13, la compétence de la JIRS par une référence à la grande complexité. Le procureur de la République financier, le juge d’instruction et le tribunal correctionnel de Paris sont compétents dans « les affaires qui sont ou apparaissent d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent ». Ce sont les mêmes termes ! N’y a-t-il pas là un risque de confusion des compétences ? La difficulté n’a pas échappé à notre rapporteur, qui a cherché à éviter cet écueil.

Pour sortir d’une telle confusion, il est prévu dans le texte, notamment dans l’étude d’impact, qu’il incombera au garde des sceaux, par voie d’instruction non pas individuelle, mais générale, de fixer les règles selon lesquelles la compétence du procureur financier jouera.

Notre rapporteur a bien compris qu’il était un peu bancal de confier au garde des sceaux le soin de désigner par voie de circulaire qui, du procureur de la JIRS ou du procureur financier, serait compétent. Voilà pourquoi il a voulu que le système devienne un peu juridictionnel et préféré confier la compétence au procureur général de Paris.

Qu’il me soit permis de mettre l’accent sur un point tout simple : la procédure pénale est une compétence du législateur, comme l’a rappelé à de nombreuses reprises le Conseil constitutionnel. Par conséquent, ce n’est ni à la garde des sceaux, par des textes qui ne sont même pas de niveau réglementaire, ni au procureur général de Paris, de décider qui est compétent. C’est au législateur. Or le texte ne nous permet pas, bien au contraire, de le faire. Cela pose un vrai problème de légalité !

Un autre point est relativement complexe et confus à mes yeux. Je n’arrive pas très bien à comprendre l’articulation entre la compétence du procureur de la République financier et celles des autres procureurs de la République.

Je le rappelle, l’action civile appartient non au procureur général, mais au procureur de la République.

M. Michel Mercier. Ce dernier peut recevoir, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, des plaintes et des dénonciations.

M. Michel Mercier. L’article 41 dispose, lui, que le procureur dirige la police judiciaire dans le ressort de son tribunal.

Or je ne suis pas sûr que le procureur de la République financier puisse recevoir les plaintes. C’est donc un procureur de deuxième rang.

M. Michel Mercier. Par exemple, les services de TRACFIN ne pourront travailler qu’avec le procureur territorialement compétent et ils n’iront voir qu’au deuxième rang le procureur de la République financier, si tant est qu’on ait pu régler le problème de la compétence auparavant.

Toutes ces questions jettent le doute sur l’efficacité du procureur de la République financier. Oui, nous sommes favorables une plus grande efficacité de l’action contre la fraude fiscale, et nous serions prêts à soutenir le Gouvernement s’il allait dans ce sens au lieu de chercher à créer un tel écran de fumée !

Mme la garde des sceaux n’est pas revenue au banc du Gouvernement. J’aurais voulu lui signaler que le Sénat a voté la réforme constitutionnelle prévoyant d’obliger l’exécutif à suivre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature. Je ne comprends pas que l’exécutif se prive d’une victoire qu’il a obtenue. N’aime-t-il donc que les échecs au Parlement ? Les deux chambres ont voté à une forte majorité la révision constitutionnelle. Certes, le Sénat a rejeté le « tripatouillage » du Conseil supérieur de la magistrature. Mais nous avons soutenu tout le reste. Et on ne nous fait pas voter ! Je ne le comprends pas. Le Président de la République remporterait pourtant une belle victoire, ce qui ne fait jamais de mal quand on est chef de l’exécutif !

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le procureur de la République financier nous semble créer une confusion. Il risque même de nuire à l’efficacité de l’action que le Gouvernement entend mener. Nous ne voterons donc pas ce dispositif. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la grande question de l’évasion fiscale était inscrite à l’ordre du jour du dernier G20, qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg voilà quelques semaines. Cela prouve que le sujet est devenu incontournable dans le débat public.

Fruit de la mobilisation grandissante de l’opinion publique, sans cesse mieux informée de la réalité des faits et plus attentive et exigeante, voire défiante à l’égard des responsables politiques, des pouvoirs et des États, la lutte contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales est devenue un véritable enjeu de société, surtout depuis que la crise économique larvée ravageant le monde a pris le tour que l’on connaît, avec la surchauffe extrême des marchés financiers, l’une des conséquences, entre autres, de la dérèglementation engagée voilà trois décennies.

Ainsi, la confrontation aiguisée entre les grandes puissances occidentales, les pays producteurs de matières premières essentielles, les puissances économiques émergentes et les peuples souverains en lutte pour leur pleine et complète émancipation aura débouché, après une longue phase de dérégulation agressive, sur un nouveau paysage politique, économique et financier, dont nous découvrons jour après jour les contours, les zones de conflits et les contradictions.

Les tensions financières qui auront fait exploser tour à tour la bulle Internet, les économies asiatiques, puis, plus récemment, les marchés financiers européens et américains ont montré qu’il était temps de tourner la page de la dérégulation agressive, de l’argent factice et facile, provoquant aujourd’hui la croissance de la dette souveraine, cette nouvelle bombe à retardement dont l’explosion risque fort un jour de mettre en péril les valeurs démocratiques qui nous animent aussi sûrement qu’elle contraint les politiques économiques de la zone euro.

Contrairement à ce que certains ont pu affirmer en 2009, nous n’en avons pas encore fini avec les paradis fiscaux, l’aggravation des inégalités sociales, politiques et économiques ou la perversion des règles fiscales, l’impôt étant l’élément clé de l’organisation sociale. Pas plus que nous n’en avons fini avec la mise en concurrence des territoires. Nombre des économies les plus puissantes de la planète, professant toutes les vertus possibles en façade, continuent d’accepter dans leur arrière-cour l’existence de zones grises, de « paradis fiscaux », où se traitent dans une grande opacité des affaires de la plus haute importance.

Les fonds de pension américains qui sévissent en Europe, où ils multiplient opérations de leveraged buy-out, LBO, et raids meurtriers sur les capacités de production, les usines, les terres agricoles, sont bien souvent domiciliés dans le petit État américain du Delaware, paradis fiscal moins peuplé que la ville d’Auxerre et surnommé « petite merveille », sans doute pour les financiers et affairistes de toutes obédiences !

Les Îles Caïmans les Îles Vierges britanniques et américaines ont la même vocation : accueillir, pour les unes, quelques « crocodiles » de la finance et de la spéculation et, pour les autres, quelques « anges déchus » des trafics en tout genre. (Sourires sur les travées du groupe CRC.) Je pense à l’argent de la drogue ou du commerce des armes, un argent parfaitement lessivé dans les eaux bleues de la mer des Caraïbes !

Plus près de nous, Jersey se spécialise dans le service commercial de tous produits, et Guernesey offre ses compétences en réassurance.

Et que dire de la City de Londres, véritable enclave financière au cœur de la grande ville britannique, capitale d’un partenaire essentiel au sein de l'Union européenne ? Que dire aussi du port franc de Genève, où, semble-t-il, certains accueillent désormais plus aisément les capitaux étrangers que les travailleurs frontaliers ?

Fraude, évasion et optimisation fiscales sont des maux dont souffrent toutes les économies de l’Union européenne, en particulier la nôtre.

De notre point de vue, le projet de loi constituait dès sa parution une avancée quant aux voies et moyens que l’État, c’est-à-dire la collectivité nationale exprimée dans la souveraineté populaire, se donnait pour réduire la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales.

Au demeurant, nous comprenons parfaitement que certains, pourtant partisans de la construction européenne actuelle, aient malgré tout appuyé ce texte.

D’une part, personne n’osera aujourd'hui se déclarer opposé à la lutte contre la fraude. D’autre part, il est tout aussi délicat de vouloir imposer au plus grand nombre, c’est-à-dire à la grande masse des contribuables qui ne « trichent » pas, des sacrifices et des efforts sans demander quelques comptes à tous ceux qui usent et abusent des « ficelles », plus ou moins grosses, du droit fiscal tel qu’il est. Je pense notamment à ces schémas d’optimisation fiscale ingénieux conçus par les artistes des professions du chiffre !

Dans ce cadre, notre groupe s’est positionné dès le début de la discussion avec la volonté de rendre le dispositif le plus efficace possible, en le dotant de la plus grande capacité opératoire, susceptible de marquer des points et, in fine, de contribuer à la perception en retour de recettes fiscales et sociales indûment éludées jusqu’alors.

Le texte a connu d’incontestables évolutions, fruit du travail des deux assemblées, un travail alimenté en partie par les recommandations des commissions d’enquête menées au Sénat et à l’Assemblée nationale et par les avis et propositions de ce qu’il est convenu d’appeler la « société civile ». En l’espèce, elle recouvre des militants de la transparence financière, des associations non gouvernementales luttant contre les inégalités et pour le développement, des journalistes, ainsi que de simples citoyens de plus en plus mobilisés sur de telles problématiques.

Notre groupe ne s’opposera évidemment pas à l’adoption du texte. Nous veillerons même à en bonifier encore le contenu, un peu a contrario de tous ceux qui semblent encore avoir quelques difficultés avec une transparence devenue publique de bien des turpitudes des marchés financiers.

Une telle réforme constitue incontestablement une inflexion majeure dans la vie politique de notre pays sur la question de la fraude fiscale et de la délinquance économique. Elle recèle des potentiels qu’il nous faut aujourd’hui valoriser et exploiter pleinement dans les mois et années à venir. La survie du pacte républicain, miné par les discriminations, les inégalités et les tensions, passe également par cette voie.

Même le voyage le plus long commence toujours par le premier pas. Le groupe CRC sera du voyage ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi qu’au banc des commissions.)