M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Germain, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui a pour objet d’augmenter la dotation de base perçue par les communes rurales ou, plus précisément, par toutes les communes de moins de 20 000 habitants.

Certaines communes rurales font face, vous l’avez dit, cher collègue, à de graves difficultés financières, qui résultent, d’une part, d’une paupérisation de leur population et, d’autre part, d’un poids particulièrement important de ce que j’appellerais les « charges de ruralité ».

La part que représentent ces charges dans le budget des petites communes peut se révéler considérable. Il s’agit notamment des coûts d’entretien de la voirie : les communes de moins de 2 000 habitants comptent, à elles seules, plus des deux tiers de la voirie communale. On peut également penser aux dépenses d’éducation, qui représentaient, avant l’entrée en vigueur de la réforme des rythmes scolaires, la moitié du budget de fonctionnement des communes rurales.

Aussi, certains élus de ces territoires nous disent leur crainte de ne plus disposer de moyens suffisants pour mener les actions locales, de proximité, pour lesquelles ils ont été élus.

M. Jean Germain, rapporteur. Ces questions simples, nous les entendons.

L’inquiétude de ces élus se manifeste aujourd’hui dans un contexte particulier : projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, programmes locaux d’urbanisme intercommunaux, difficultés financières nées de la réforme des rythmes scolaires...

Alors même que, dans quelques mois, auront lieu les élections municipales, une telle inquiétude des élus et, à travers eux de leurs administrés, ne doit pas être sous-estimée, et il importe que nous soyons particulièrement attentifs à ce qu’aucun territoire n’ait le sentiment d’être un laissé-pour-compte.

Nous sommes tout à fait conscients de cette inquiétude, de ces difficultés des territoires ruraux. C’est dans ce contexte qu’ont pu poindre des critiques sur le mode de calcul de la dotation de base de la dotation globale de fonctionnement.

La dotation de base est, je le rappelle, une composante de la dotation forfaitaire, au sein de la DGF des communes. C’est une dotation significative, puisque son montant total s’élève à 6,8 milliards d’euros en 2013 ; elle représente donc plus d’un quart de la DGF des communes.

Selon le code général des collectivités territoriales, la dotation de base est destinée à « tenir compte des charges liées à l’importance de [la] population ». Aussi, chaque commune bénéficie d’une dotation de base dont le montant par habitant est d’autant plus important que la commune est peuplée : les communes de moins de 500 habitants perçoivent 64 euros par habitant, tandis que les communes de plus de 200 000 habitants bénéficient du double, soit 128 euros par habitant. Ces simples chiffres sont souvent avancés pour illustrer le sentiment qu’éprouvent certains d’être défavorisés.

Cependant, si le montant par habitant exact dont bénéficie chaque commune est déterminé par un coefficient logarithmique – sa valeur varie entre 1 et 2, en fonction de la population – , le fait qu’il soit logarithmique permet au coefficient de croître, d’abord très rapidement avec la population, puis de moins en moins vite.

Par conséquent, l’on constate que les écarts de dotation par habitant diminuent rapidement. Ainsi, l’écart entre une commune de 20 000 habitants et une commune de 200 000 habitants est non plus de 2, mais de 1,2.

Si l’on raisonne en masses, on observe que la moitié de la population habitant dans les communes les moins peuplées se partage 43 % de la dotation de base.

La proposition de nos collègues du groupe communiste, républicain et citoyen vise à atténuer « les inégalités de traitement entre les collectivités », grâce à « la disparition progressive des écarts de dotation de base… »

L’article 1er prévoit ainsi d’aligner à la hausse le montant de dotation de base par habitant pour toutes les communes de moins de 20 000 habitants sur celui qui est actuellement perçu par les communes de 20 000 habitants. Cet alignement serait étalé sur cinq ans.

Par conséquent, entre 2013 et 2018, le montant minimum par habitant perçu par une commune de moins de 500 habitants passerait de 64 à 104 euros, celui d’une commune de 10 000 habitants de 96 à 104 euros.

J’estime le coût de cette mesure à 150 millions d’euros la première année, avant une montée en charge progressive pour atteindre un coût annuel de 889 millions d’euros à partir de 2018. À titre de comparaison, cela équivaudrait à un doublement de la dotation de solidarité rurale. Cela correspond aussi au montant de la quote-part d’effort demandée aux communes et aux intercommunalités dans le projet de loi de finances pour 2014, sur lequel nous reviendrons dans quelques semaines.

Il faut le souligner, la réforme bénéficierait essentiellement aux communes de moins de 3 500 habitants, qui percevraient près de 80 % de l’augmentation de la dotation.

Néanmoins, en termes d’augmentation moyenne par commune, l’impact serait assez faible pour les communes de moins de 500 habitants, avec une augmentation de l’ordre de 9 600 euros environ. Pour les communes dont le nombre d’habitants est compris entre 3 500 et 10 000, l’augmentation moyenne serait plus importante, de l’ordre de 70 000 euros.

Il est proposé, pour financer cette mesure, de relever le taux de l’impôt sur les sociétés ; les recettes procurées compenseraient à due concurrence la charge nouvelle ainsi créée. Il s’agit en quelque sorte « d’extraire » de la DGF et de l’enveloppe normée la hausse proposée de la dotation de base, afin d’éviter que les collectivités elles-mêmes ne la financent.

Or le financement d’une telle mesure doit être compatible avec les objectifs en matière de prélèvements obligatoires, de dépense et de déficit publics, définis dans le cadre du redressement des comptes publics et du retour à la croissance. Ainsi, le mode de financement proposé n’est pas envisageable.

Un financement par l’État ne paraît pas d’avantage envisageable, dans un contexte de réduction des dépenses publiques de près de 8,5 milliards d’euros, l’État ayant dû demander aux collectivités de participer à cet effort.

De même, la participation des collectivités elles-mêmes au financement de ce dispositif selon les modalités « traditionnelles » de compensation de la hausse des dotations de base paraît inopportune. En effet, les collectivités doivent participer, en 2014, à un effort de maîtrise des dépenses publiques qui se traduit notamment par une réduction de 1,5 milliard d’euros des concours de l’État. La répartition de cet effort a abouti à un accord au sein du Comité des finances locales, concrétisé dans le pacte de confiance et de responsabilité présenté par le Premier ministre le 16 juillet 2013. Il serait tout aussi inopportun de remettre en cause cet accord.

Au-delà de la question du financement, la commission des finances appelle tout particulièrement votre attention, mes chers collègues, sur le fait que l’appréciation de la situation financière des communes rurales ne saurait se limiter à leur dotation de base.

En effet, la dotation de superficie et, surtout, la dotation de solidarité rurale prennent d’ores et déjà en compte certaines spécificités des communes rurales.

Ainsi, l’objectif de la DSR, énoncé par la loi, est de « tenir compte, d’une part, des charges qu’elles supportent pour contribuer au maintien de la vie sociale en milieu rural, d’autre part, de l’insuffisance de leurs ressources fiscales ». Les parts « péréquation » et « cible » de la DSR sont notamment réparties sur la base de critères de charges reconnues comme particulièrement importantes pour le monde rural : il s’agit de la longueur de voirie classée dans le domaine public communal et du nombre d’enfants âgés de trois à seize ans. Les autres critères utilisés pour répartir le montant de la DSR entre communes éligibles sont le potentiel financier et l’effort fiscal, ce qui permet de prendre également en compte les marges de manœuvre fiscales et la richesse des communes.

Or, il faut le noter, sur les dix dernières années, le montant de la DSR a plus que doublé, puisqu’elle a augmenté de 130 %.

Or, malgré cette augmentation et la création de la fraction « cible » de la DSR, l’efficacité de cette dotation est faible, en raison de son saupoudrage : près de 95 % des communes bénéficient de la DSR, et 97 % des communes de moins de 10 000 habitants la perçoivent. Ainsi, la moitié des communes éligibles à la DSR perçoivent une dotation de 9 600 euros, ou moins.

En plus de la DSR, les communes rurales bénéficient de la dotation de superficie, qui est presque doublée en zone de montagne, passant de 3,22 euros par hectare en zone « normale » à 5,37 euros par hectare dans les communes situées en zone de montagne. D’un montant total de 225 millions d’euros, la dotation de superficie est répartie pour 99 % de son montant entre les communes de moins de 20 000 habitants.

La DSR et la dotation de superficie sont donc spécifiquement conçues pour tenir compte des particularités des communes rurales et leur sont favorables.

Par ailleurs, il faut reconnaître qu’il existe des charges liées à la population, les « charges de centralité ». La prise en compte de ces charges est ancienne et, dès la création, en 1985, d’une dotation calculée à partir du nombre d’habitants, un coefficient de pondération avait été mis en place.

Le montant de ces charges de centralité est en revanche difficile à évaluer. Le choix, en 2004, de retenir un écart de dotation de base par habitant compris entre 1 et 2 avait fait l’objet de débats importants au sein du Comité des finances locales. Il est difficile aujourd’hui de se prononcer sur la pertinence de ce rapport de 1 à 2 ; cependant, il me semble qu’il demeure indispensable de prendre en compte les charges de centralité. Les auteurs de la présente proposition de loi pointent cette difficulté, il faut le reconnaître, mais ils ne la résolvent pas.

Enfin, il faut le reconnaître également, l’effort fiscal des communes de moins de 500 habitants est inférieur à la moyenne nationale. Cet effort croît en effet progressivement avec la population, jusqu’aux communes de 50 000 habitants, et il est maximal pour les communes dont le nombre d’habitants est compris entre 100 000 et 200 000, avant de redescendre au-delà de ce seuil.

S’il convient de prendre en compte les spécificités du monde rural, ne faut-il pas considérer aussi son hétérogénéité, ses spécificités internes, si l’on veut vraiment parler de « justice financière » ?

En effet, « l’appellation » de territoire rural recouvre une grande diversité de situations, entre les communes touristiques, les communes situées à proximité de grands centres urbains ou les communes les plus isolées.

À ce titre, les communes les moins peuplées, notamment celles de moins de 1 000 habitants, se caractérisent par une grande diversité en termes de revenu moyen par habitant.

Parmi les communes de moins de 20 000 habitants, les 10 % de communes les plus pauvres disposent d’un revenu par habitant moyen plus de deux fois inférieur à celui des 10 % de communes les plus riches, à l’intérieur d’une même strate de population.

M. Jean Germain, rapporteur. En outre, s’agissant du potentiel financier, qui mesure la richesse de la collectivité elle-même, il apparaît très variable parmi les communes de moins de 2 000 habitants.

Ainsi, augmenter la dotation de base aurait un impact aussi bien sur les communes « riches » que sur les communes « pauvres », aussi bien sur les communes dont les habitants connaissent une situation économique particulièrement précaire que sur celles dont la population est plus aisée.

Face à l’extrême diversité des situations des communes rurales, la commission des finances considère que l’augmentation de la dotation de base n’est pas une réponse juste et efficace aux difficultés rencontrées par certaines d’entre elles. En d’autres termes, un effort financier concentré sur la dotation de base n’aurait pas un effet suffisamment ciblé sur les communes réellement en difficulté. C’est pourquoi la réflexion sur l’effort à fournir dans l’intérêt des communes défavorisées du monde rural doit s’inscrire dans le cadre plus global d’une réforme de la DGF. (Mme la ministre acquiesce.) La commission des finances invite donc à poursuivre dans ce sens la réflexion lancée via le texte examiné aujourd’hui et à adopter, à ce stade, une motion tendant au renvoi à la commission de la présente proposition de loi.

Je rappelle que le Gouvernement a évoqué à plusieurs reprises l’ouverture d’un chantier sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement. Madame la ministre, nous attendons des précisions de votre part sur les ambitions, la méthode et le calendrier de ce travail. La dotation de base et les territoires ruraux figureront parmi les questions à aborder dans ce cadre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Roland du Luart, vice-président de la commission des finances, applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat qui nous est proposé aujourd’hui est de trois ordres : financier, technique et philosophique.

Philosophique, il l’est en cela qu’il appelle à la sagesse, sur un sujet de société au cœur des préoccupations des citoyens et des politiques.

Technique, il l’est en cela qu’il va nous conduire à reconsidérer l’histoire de la dotation globale de fonctionnement depuis sa création par la loi du 3 janvier 1979, avec son cortège de mesures de réaménagement et de corrections, avec la multiplication de ses critères de répartition et de péréquation, jusqu’à ce jour.

Financier, il l’est en cela qu’il s’inscrit tout naturellement dans une vision globale du budget de la nation, à un moment où les collectivités territoriales ont accepté de s’impliquer, au côté de l’État, dans la politique de redressement de la France et de maîtrise de nos dépenses.

Les auteurs de la présente proposition de loi ont relevé, comme M. le rapporteur, le problème de société en question, dans la mesure où ce texte justifie la volonté de réviser l’une des composantes des recettes des collectivités territoriales.

De fait, l’actuelle France des territoires est bien éloignée de celle d’il y a cinquante ans, soixante ans ou plus. Alors que la DGF a été conçue à une époque où le « fait urbain » triomphait, avec l’industrialisation de notre pays, on voit aujourd’hui émerger progressivement, à l’opposé, le « fait rural ». Il suffit de lire les plus récentes contributions aux débats sur l’aménagement du territoire et le développement rural – sans omettre les travaux aujourd’hui conduits sur le thème des nouvelles ruralités – pour mesurer l’absolue nécessité de toujours considérer notre territoire à la fois dans sa globalité et dans sa diversité.

Les spécificités territoriales ne sont plus réductibles au nom d’une égalité formelle. Il s’agit de les reconnaître, voire de les valoriser par une politique adaptée aux caractéristiques du lieu, de la population et des activités de cette dernière. Or ces caractéristiques évoluent formidablement dans les espaces de ruralité. Les tendances migratoires, que M. Le Cam a rappelées, connaissent un réel renversement. Désormais, l’exode rural fait partie de notre histoire d’hier. (M. Gérard Le Cam acquiesce.) Le taux annuel de croissance des zones rurales s’élève actuellement à 0,20 %. Il est presque comparable à celui des pôles urbains, qui est de l’ordre de 0,27 %. L’écart se resserre !

Ce renversement tient à plusieurs causes : le « retour au pays » des retraités originaires de nos campagnes ; l’arrivée des « jeunes retraités », qui font un nouveau choix de vie en s’éloignant des grandes cités où ils ont exercé leur activité ; l’implantation de ceux qu’on appelle les « déçus de la ville », des « aventuriers » et des populations fragilisées, qui viennent chercher à la campagne des lieux de vie plus doux et plus sereins.

À ces populations, le milieu rural doit apporter une réponse bien spécifique, en termes de confort et d’accès à des services coûteux. Ces derniers ont déjà été évoqués. Il s’agit de tous les moyens de pallier les problèmes des personnes vieillissantes – notamment des maisons de santé –, des structures d’accompagnement social ou encore des modes de transport.

Cependant, il faut aussi prendre en compte les arrivées de personnes actives, que l’on oublie trop souvent. Il s’agit de populations entreprenantes, créatrices d’activités nouvelles et innovantes. Celles-ci exigent de pouvoir disposer des mêmes moyens modernes que dans le monde urbain, aussi bien pour leurs enfants que pour leur activité même. À l’heure où elle doit favoriser sa croissance par tous les moyens, la France ne peut négliger la modernisation de ses équipements structurants, en particulier de l’accès aux haut et très haut débits, dont chacun, dans cet hémicycle, connaît le coût.

L’ensemble de ces facteurs justifient que soit pleinement prise en compte la spécificité de la ruralité et que soit recherché le moyen de traiter les territoires de manière équilibrée. Tel était le but initialement visé par cet instrument de solidarité territoriale que constitue la DGF.

Dès lors, compte tenu des profondes mutations sociétales que vivent nos concitoyens et auxquelles les élus locaux doivent s’adapter, je comprends parfaitement l’initiative des auteurs du présent texte. En soi, leur objectif est louable : ils proposent une réforme de la DGF tendant à rééquilibrer la situation des territoires ruraux par rapport à l’ensemble des territoires bénéficiaires et à compenser la dépense nouvelle engendrée, pour l’État, par cette mesure, en relevant le taux de l’impôt sur les sociétés. Toutefois, sur le plan technique, je voudrais rappeler quelques-unes des précisions qui figurent dans l’excellent rapport de la commission.

La DGF est un prélèvement sur recettes de l’État, distribué aux trois niveaux de collectivités territoriales. Nous ne retiendrons ici que la fraction qui nous occupe, à savoir la DGF communale. Cette dernière comprend, d’une part, une dotation forfaitaire et, d’autre part, diverses composantes liées à la péréquation, qu’il ne faut pas oublier.

La dotation forfaitaire est calculée à partir de divers éléments, qu’il faut bien garder à l’esprit : la dotation de base, liée au nombre d’habitants ; la dotation proportionnelle à la superficie, que M. le rapporteur a évoquée et sur laquelle nous reviendrons ; le complément de garantie, mis en place en 2005 au titre de la réforme de la dotation forfaitaire ; les dotations particulières pour les communes situées au cœur d’un parc naturel marin ou d’un parc national ; enfin, les compensations de la réforme de la taxe professionnelle.

La proposition de loi revient à ne réformer que la partie correspondant à la dotation de base, afin que toutes les communes comptant moins de 20 000 habitants perçoivent un montant de DGF majoré. En rejetant l’argument des charges de centralité des communes urbaines, une telle disposition tend à réduire progressivement l’écart du montant de la dotation de base par habitant entre les communes de moins de 500 habitants et celles de plus de 200 000 habitants. Ce ratio est aujourd’hui de 1 à 2. Il serait progressivement porté de 1 à 1,5, en l’espace de deux ans, puis de 1 à 1,24 au cours des cinq années suivantes.

Je relève d’emblée que, sur le plan juridique, ce dispositif est inopérant. En effet, il vise l’article du code général des collectivités territoriales relatif aux strates de population qui ne sont pas prises en compte pour la dotation de base mais simplement pour les dotations de péréquation, dotation de solidarité rurale et dotation nationale de péréquation. (M. le rapporteur acquiesce.) Je souligne surtout que ce dispositif reviendrait à méconnaître la réalité des charges de centralité qui pèsent sur les communes-centres, au titre des équipements et des services publics. L’observation de l’effort fiscal par strates de communes ne fait que le confirmer. En moyenne, plus une commune est peuplée, plus ses taux d’imposition sont élevés. Sauf à considérer que plus une ville est grande et moins ses élus sont vertueux, la croissance corrélée de la pression fiscale et du nombre d’habitants signifie que les charges par habitant augmentent avec la taille de la commune.

J’ajoute que le seuil à retenir pour définir les communes dites « rurales » par opposition aux villes mérite une réflexion approfondie, qui ne manquera pas d’aborder ce problème des charges de centralité.

Je n’oublie pas non plus de rappeler que la dotation de base n’est pas la seule composante. M. le rapporteur l’a indiqué. La dotation superficiaire, comme la dotation de solidarité rurale, voire comme le Fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC, bénéficie largement aux communes rurales.

J’en viens aux éléments financiers de la proposition de loi.

Telle que nous l’avons interprétée et comprise, il apparaît que les coûts induits s’établiraient à 1,13 milliard d’euros dans les deux ans et à 1,7 milliard d’euros sur la période de cinq ans. Or, en l’état actuel du droit, comme le souligne l’article L. 2334-7-1 du code général des collectivités territoriales, l’augmentation de la dotation de base est automatiquement compensée par une minoration à due concurrence des autres composantes de la DGF. À cet égard, le véritable problème apparaît : soit on augmente la dotation de base tout en réduisant les autres composantes, soit on ne fait rien !

Concernant une éventuelle augmentation globale de la DGF, ce constat a déjà été dressé : en élaborant le pacte de confiance et de responsabilité, l’État et l’ensemble des élus locaux se sont engagés à maîtriser à toute force les dépenses de nos collectivités pour réduire l’endettement de notre pays.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, si, pour ma part, je mesure bien l’intérêt de la réflexion menée par les auteurs du présent texte – dont je ne néglige aucun aspect –, je me rallie à l’analyse de M. le rapporteur. Celui-ci a en effet jugé cette proposition de loi prématurée et indiqué les divers points que nous aurons à reprendre.

Je rappelle solennellement l’intention qu’a le Gouvernement de réformer en profondeur la dotation globale de fonctionnement. Ce chantier nécessite le concours de tous. Dès la fin du travail que nous conduisons dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014, nous nous engageons à mener de nouvelles études, en analysant et en retravaillant les différents critères et paramètres que les uns et les autres ont évoqués.

L’étape suivante viendra dès lors très rapidement. Avec le Comité des finances locales tout d’abord, puis avec l’ensemble des élus locaux et de leurs représentants, enfin avec l’ensemble des parlementaires, nous pourrons conduire cette réflexion ô combien nécessaire. Depuis plusieurs années, tout le monde souligne les difficultés de fonctionnement de la DGF telle qu’elle est aujourd’hui calculée. Ainsi, avec le concours des uns et des autres, après avoir entendu toutes les parties et après avoir révisé les différents critères existant à ce jour, nous nous engageons à reprendre ce chantier avec vous et à présenter une réforme globale de la DGF.

M. Roland du Luart, vice-président de la commission des finances. Vaste chantier !

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. En attendant, pour le présent, le Gouvernement n’est pas prêt à accepter cette proposition de loi.

Mme Mireille Schurch. C’est bien dommage !

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. Entendez cependant ces mots de Fernand Braudel, que j’aime bien citer : « Le présent ne saurait être cette ligne d’arrêt que tous les siècles, lourds d’éternelles tragédies, voient devant eux comme un obstacle, mais que l’espérance des hommes ne cesse, depuis qu’il y a des hommes, de franchir. »

Ensemble, franchissons cette barrière et travaillons dans les meilleurs délais à reconsidérer la DGF ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Charles Guené.

M. Charles Guené. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite avant toute chose saluer l’initiative de nos collègues du groupe CRC. Cette proposition de loi de réforme de la dotation globale de fonctionnement répond en effet à une préoccupation légitime.

J’indiquerai d’abord en quoi la DGF des communes est aujourd’hui un système à bout de souffle qui ne répond plus aux attentes initiales. J’aborderai ensuite la solution proposée, au regard des pistes qui nous sont offertes et du contexte actuel.

Il est préalablement nécessaire, pour un meilleur éclairage, de resituer la part de la DGF dans les ressources totales des communes. Sur un total de recettes, hors emprunt, de 90 milliards d’euros, la DGF des communes atteint 16,5 milliards d’euros, soit 18 %, et représente 35 % des concours de fonctionnement versés par l’État aux communes. En comparaison, la fiscalité que ces dernières prélèvent, d’un montant de 50 milliards d’euros environ, représente la moitié du panier de leurs ressources. Ces chiffres doivent cependant être relativisés, dans la mesure où ils font référence à la totalité du bloc communal et ne distinguent pas les communes suivant leurs strates. C’est justement là que le bât blesse !

La création de la DGF et son histoire constituent également un volet important du dossier. Son évolution est le fruit d’une longue et permanente métamorphose, durant laquelle les parts de la composante fiscalité et celles des dotations n’ont pas toujours été identiques.

Je vous épargnerai le récit des débuts du versement représentatif de la taxe sur les salaires, le VRTS, qui avait, dès 1968, remplacé un système complexe mis en place à partir de 1941, lui-même consécutif à la suppression du droit d’octroi. De même, je ferai l’économie du récit de la transition de la taxe locale et des effets induits par l’extension de la TVA, qui ont généré la taxe sur les salaires. Déjà, à travers ces mécanismes, on avait institué dès 1951 une péréquation assurant un minimum garanti par habitant aux petites communes, puis, en 1966, une attribution de garantie dégressive et l’introduction de l’effort fiscal avec la création d’un fonds d’action locale, afin de corriger ces deux critères au profit des plus pauvres.

C’est dans ce contexte que, par la loi du 3 janvier 1979, a été créée la DGF, qui était alors – heureux temps ! – indexée sur le produit net de la TVA.

Le système mis en place assurait une dotation forfaitaire complétée par un mécanisme de péréquation basé sur l’effort fiscal et une dotation minimale pour les communes de moins de 2 000 habitants ou favorisant les communes en expansion.

À partir de 1985, la dotation forfaitaire va être profondément modifiée et devenir la dotation de base, reposant sur une majoration de 1 à 2,5 suivant les strates de population. Cette dotation de base a été complétée par une dotation de péréquation, répartie en fonction de l’effort fiscal et du potentiel fiscal ainsi que, pour une plus faible part, de la richesse des habitants. Une dotation de compensation tient compte en outre des enfants scolarisés, de la voirie communale et des logements sociaux. Enfin, diverses dotations sont assises sur certaines caractéristiques : ville-centre, touristique et urbaine.

En 1993 et en 1996 interviennent deux modifications de ce système, qui visent à introduire le fait intercommunal, tout en tenant compte des recensements de population.

C’est dans ce contexte qu’intervient la réforme globale de la DGF, applicable depuis 2004 et qui est toujours en vigueur. Outre l’intégration de la compensation de la part « salaires » de la taxe professionnelle, elle emporte alors suppression des fonds de péréquation nationaux de taxe professionnelle et création d’une dotation d’aménagement, comprenant la DNP, la DSU et la DSR. Elle modifie également les règles d’indexation.

L’histoire de l’évolution de la DGF n’est donc pas un long fleuve tranquille, et l’on peut concevoir que, face à la complexité à laquelle nous sommes parvenus, il faille revoir et simplifier un système devenu non seulement difficilement lisible en raison d’une sédimentation parfois contradictoire, mais aussi inique compte tenu de l’évolution des réalités de notre temps.

À cet égard, je conçois que, pour beaucoup, le fait que l’indice logarithmique, qui majore le poids de l’habitant au profit des plus grandes collectivités, lesquelles supportent certes les plus grandes charges de centralité, ne soit pas satisfaisant. En effet, le système comporte une faille : il ne tient pas suffisamment compte du besoin minimal et vital nécessaire à la vie dans les plus petites communes. Les besoins s’y sont très sensiblement accrus, du fait des exigences sans cesse croissantes, et souvent légitimes, de nos concitoyens, comme du désengagement des acteurs du service public, particulièrement dans ces territoires.

Voilà pourquoi je pourrais valider, à l’instar d’ailleurs de certains de mes collègues ruraux, cette proposition de loi. Toutefois, je ne le ferai pas, ou pas en totalité, en dépit de la tentation que constitue cet appel à une ruralité mieux satisfaite, qui mériterait en effet de l’être. Je voudrais développer les motifs qui expliquent cette position.

Le gage demandé – et je pourrais m’arrêter là, l’argument étant rédhibitoire – est un poison pour la compétitivité de notre économie puisqu’il tend à augmenter l’impôt sur les sociétés et les prélèvements libératoires, en faisant peser près de 900 millions d’euros sur nos entreprises. Certains calculs aboutissent même au double de cette somme. Un tel coût me paraît insupportable en cette période où tous nos efforts doivent être mobilisés dans le cadre de notre trajectoire de réduction des déficits.

Je voudrais également donner des raisons de fond : une telle initiative, si elle me paraît nécessaire à terme, doit impérativement tenir compte de facteurs que vous n’avez pas identifiés et qui méritent une étude approfondie.

Tout d’abord, le contexte actuel ne s’y prête pas. En effet, notre système fiscal local vient de vivre un véritable bouleversement avec le remplacement de la taxe professionnelle, qui est venu modifier profondément le poids de l’impôt économique dans le panier des ressources des collectivités, et avec la nouvelle répartition des impôts locaux. Le poids de la DGF dans la ressource en sera progressivement modifié, indubitablement.

Cette orientation nouvelle s’accorde, il faut le dire, avec une tendance de l’État, sans doute réversible mais durable, à faire appliquer l’article 72-2 de la Constitution dans toute sa rigueur et à remplacer le levier fiscal des collectivités par des parts d’impôts corrélées à l’activité économique, obligeant ainsi les collectivités à participer à l’effort national exigé par les temps, dans une dynamique conforme à la pratique en Europe, laquelle n’est pas neutre dans ce débat.

Ensuite, nous devons prendre en compte l’introduction dans notre fiscalité locale de mécanismes de péréquation anciens, comme de ceux qui viennent de compléter le nouveau dispositif résultant de ces réformes, et admettre la nécessité d’ajuster les effets d’un impôt national assis sur la valeur ajoutée qui traduit très fidèlement, voire trop fidèlement, la concentration du développement dans les métropoles urbaines et impose le recentrage des modalités de l’aménagement du territoire.

Enfin, notre vie locale a été profondément impactée par le phénomène de l’intercommunalité, qui a capté les ressources complémentaires au profit de ce qu’on appelle communément le bloc communautaire.

La DGF intercommunale atteint plus de 7 milliards d’euros, soit près de la moitié de celle des communes. Il ne serait pas raisonnable de vouloir effectuer une réforme de la seule DGF des communes dans un semblable contexte et alors que, comme le traduit le coefficient d’intégration fiscale, certaines communes perçoivent leurs ressources dans des intercommunalités à faible intégration, quand d’autres doivent faire face à des charges résiduelles très importantes.