M. Gérard Longuet. Exact !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Il devait se dérouler au premier semestre 2013. Non seulement il n’a pas eu lieu, mais lorsque je vous ai interrogée sur ce point voilà quelque temps, madame la ministre, vous avez osé me répondre que ce débat national, c’était le rapport Moreau !

Trêve de mauvaise foi : un débat national avec douze fonctionnaires, tous issus de la haute fonction publique, c’est une vraie plaisanterie !

M. Gérard Longuet. C’est la conception socialiste du débat !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Le débat doit avoir lieu. Et pour ne pas perdre plus de temps, la réforme doit aussi être programmée dans la foulée, parce que c’est la seule manière de garantir la pérennité financière, l’équité et la transparence du système par répartition.

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Qu’en savez-vous ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Elle est d’ailleurs plébiscitée par nos concitoyens : selon un sondage Louis Harris du mois de septembre dernier, 73 % des Français se déclarent « tout à fait favorables » ou « plutôt favorables » à la convergence des régimes public, privé et spéciaux vers un régime unique. C’est même leur seul point de consensus.

Une telle réforme suppose que quatre facteurs soient réunis : un rapprochement du public et du privé, l’extinction des régimes spéciaux, la mise en place en contrepartie d’un système universel de prise en compte de la pénibilité et l’instauration d’une retraite minimale de solidarité revalorisée. Nos amendements s’articuleront autour de ces quatre axes.

Tout d’abord, un premier pas a été fait sur le rapprochement entre public et privé ; Jean-Pierre Caffet l’a rappelé tout à l’heure. Restent quelques différences notables, difficilement justifiables.

La première d’entre elles est le salaire de référence pris en compte. Le rapport Moreau proposait d’ailleurs de l’élargir dans la fonction publique, quitte à intégrer une part des primes dans le calcul. La proposition mérite d’être sérieusement étudiée. Par ailleurs, il n’est pas normal qu’il n’existe pas de caisse des agents d’État. De plus, les différences de règles en matière de pensions de réversion et d’avantages famille n’ont pas de raison d’être. Il convient de les aplanir, souvent d’ailleurs au profit des agents du public. Enfin, à partir du moment où l’on met en place un système de prise en compte de la pénibilité, les catégories dites d’active n’ont plus de raison d’être.

Ensuite, il est bien évident qu’ils n’ont également plus de raison d’être à partir du moment où la prise en charge de la pénibilité est modernisée et universalisée. En effet, ne l’oublions pas, les régimes spéciaux constituent les réponses d’hier à la pénibilité. Ces réponses sont aujourd’hui obsolètes avec le nouveau régime que nous vous proposons. Si l’extinction de ces régimes est progressive, en sifflet, elle pourrait dans un premier temps s’accompagner d’une accélération du calendrier d’augmentation des durées de cotisation.

Surtout, l’axe majeur d’une telle réforme est la mise en place d’un système universel de prise en compte de la pénibilité. Celui qui nous est proposé dans le présent projet de loi va dans le bon sens. Il constitue bien sûr un progrès par rapport au dispositif mis en place par la réforme de 2010, qui avait tendance à confondre un peu trop pénibilité et invalidité. D’ailleurs, notre groupe avait cherché à l’amender.

Cependant, la réforme proposée est problématique à plus d’un titre. Tout d’abord, et je ne reviendrai pas dessus, elle est peu équitable car elle ne concerne que le privé. Ensuite, comme l’ont souligné toutes les personnes auditionnées, elle est d’une complexité telle que l’on voit mal comment les petites entreprises pourront la mettre en œuvre. Cette complexité se retrouve à tous les stades du dispositif, à commencer par celui de la constitution ou de la reconstitution des périodes d’exposition au risque. Dans ces conditions, comment évaluer le montant de la cotisation ? C’est tout simplement l’applicabilité du dispositif qui est sujette à caution, particulièrement dans certains secteurs comme celui du bâtiment.

Un autre facteur de complexité, auquel il est plus facile de remédier, vient du fait qu’elle confond prévention de la pénibilité et prise en charge de la pénibilité à effet différé. Or cela nous semble à la fois une utopie et une erreur fondamentale.

C’est une utopie, parce qu’un tourneur fraiseur, par exemple, qui a fait ce métier toute sa vie, a beaucoup de mal à se reconvertir pour faire autre chose. Dans les TPE et les PME, vous m’expliquerez comment c’est envisageable.

C’est aussi une erreur conceptuelle, parce que la problématique de la prévention de la pénibilité est liée aux conditions de travail et à la formation professionnelle, mais ne concerne pas les retraites.

En revanche, la prise en charge de la pénibilité à effet différé est bien un problème de retraites, puisque c’est lié à l’espérance de vie. C’est la raison pour laquelle nous vous proposerons un amendement visant à recentrer le dispositif sur cette dernière question.

Enfin, le dernier axe est celui de la solidarité. On présente souvent les systèmes par points ou en comptes notionnels comme moins solidaires et redistributifs, car leur variable d’ajustement serait inévitablement le niveau des pensions. Rien n’est plus faux ! Il est des systèmes par annuité très peu redistributifs, comme aux États-Unis, et des systèmes en comptes notionnels très solidaires, comme en Suède.

Autrement dit, un régime unique par points n’écarte pas par nature la solidarité, bien au contraire. D’ailleurs, même le Gouvernement le prouve en attribuant dans cette réforme des points gratuits aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux du régime des exploitants agricoles.

M. Gérard Longuet. Exact !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Selon nous, la mise en œuvre d’une telle réforme devrait être précédée d’une revalorisation substantielle de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, qui a remplacé le minimum vieillesse. Nous déposerons donc un amendement visant à étudier, dans un rapport, les conditions de revalorisation de cette allocation pour qu’elle soit portée le plus vite possible à 75 % du SMIC.

Madame la ministre, notre position sur ce texte dépendra bien sûr du sort qui sera réservé à ces amendements et, surtout, de l’écoute dont vous aurez fait preuve sur la réforme systémique. Peut-être ne serez-vous pas la ministre qui portera ce projet, mais, nous en sommes convaincus, si ce n’est vous, ce sera l’un de vos successeurs. L’idée fait en effet son chemin, certes trop lentement à notre goût, mais le constat est là !

Madame la rapporteur, dans le rapport que vous aviez cosigné avec notre ancien collègue Dominique Leclerc pour le compte de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, en 2010, vous vous y déclariez favorable.

Mme Christiane Demontès, rapporteur. J’étais juste favorable à l’examen de l’hypothèse !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. À la page 132 de ce rapport, vous proposiez la mise en place à terme d’un régime de base par points qui devait « revêtir le caractère le plus universel possible ». On ne peut pas être plus clair ! Je regrette que vous ayez changé d’avis !

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Vous amputez une partie du texte !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Du côté des partenaires sociaux, l’idée fait aussi son chemin. Le MEDEF y est favorable, tout comme la CFTC et la CFDT, même si, en ce moment, cette dernière voudrait le faire oublier. Il en est de même du côté de la CFE-CGC. Et nous ne pouvons que saluer nos collègues de l’UMP, qui ont à leur tour repris cette proposition.

Ce sont autant d’éléments qui confortent notre conviction : la réforme systémique aura bien lieu ! Espérons simplement qu’elle n’aura pas lieu trop tard ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Jean Desessard. Il ne dira peut-être pas la même chose… (Sourires.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pourquoi « peut-être » ? (Nouveaux sourires.)

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, rappelez-vous : « Nous, socialistes, proposons une réforme globale, reposant à la fois sur des efforts partagés, une contribution de tous les revenus, y compris ceux du capital, une prise en compte de la pénibilité, l’amélioration de l’emploi des seniors et le maintien de l’âge légal à 60 ans ». Ces mots, mes chers collègues, vous l’aurez compris, ne sont pas les miens ; ce sont bien ceux de Pierre Mauroy en 2010.

Bien que n’étant pas parlementaire à cette époque, je garde le souvenir ému de cet homme, dressé devant vous face à la droite, rappelant combien la retraite à 60 ans a été un « immense espoir de toutes les revendications ouvrières », et combien cette loi phare « restera dans l’histoire de la France. »

Cette profession de foi sur la portée historique, émancipatrice du passage à la retraite à 60 ans, je la partage entièrement. Je regrette que le premier gouvernement de gauche après plus d’une décennie de gouvernements de droite assume lui aussi politiquement ce renoncement à une des conquêtes emblématiques du monde du travail. Je ne peux me résoudre à voir des ministres de gauche, des sénatrices et des sénateurs de la majorité gouvernementale, assumer un tel recul de société en s’appuyant sur le même postulat économique et philosophique que celui que défendait hier la droite et que nous combattions ici même ensemble.

Ainsi, votre réforme serait juste du fait de l’allongement de l’espérance de vie, que l’on sait pourtant précaire en ces temps de crise, surtout s’agissant de l’espérance de vie en bonne santé !

Ainsi, beaucoup d’entre vous s’apprêtent à faire travailler les jeunes jusqu’à 66 ans ou 67 ans, voire plus pour ceux qui réussiront des études longues.

Où est la justice à vouloir imposer à des salariés, déjà usés par le travail, qui subissent la dégradation continue de leurs conditions de travail, des mesures d’allongement de la durée de cotisation ?

Où est la justice à vouloir imposer de nouvelles décotes à des salariés âgés de 52 ans ou 53 ans ou plus, évincés de l’entreprise et parfois licenciés parce que trop vieux, trop chers ? Cela revient uniquement, vous le savez, à les contraindre à accepter des pensions fortement diminuées.

Quel avenir préparez-vous aux salariés à temps partiel, essentiellement des femmes, dont la carrière incomplète se traduira par une réduction des pensions ? Ils sont précaires au travail, et vous les contraindrez à être aussi des retraités précaires.

Pourtant, en 2012, le candidat François Hollande affirmait au Bourget vouloir combattre l’ennemi invisible de la finance.

À peine plus d’un an après son élection, le président François Hollande et sa majorité se disputent avec la majorité d’hier pour savoir laquelle, de la réforme Woerth ou de la réforme Touraine, réduit le plus vite la dépense sociale.

Mme Éliane Assassi. Très juste !

M. Dominique Watrin. Vous l’aurez compris, notre opposition à ce projet de loi est aussi fondée sur un constat : l’austérité n’est pas la solution ; c’est le problème ! La réduction à tout prix de la dépense publique et sociale que vous assumez, dans la lignée des gouvernements précédents, ne fait qu’aggraver la crise. En entraînant des destructions massives d’emplois, elle provoque une chute drastique des cotisations sociales perçues, ce qui conduit aux déficits de la branche maladie et de la branche vieillesse, entraînant au final de nouvelles mesures récessives. Tout cela nous précipite dans un cercle vicieux, aux antipodes des aspirations des Français qui ont porté François Hollande au pouvoir.

Il faut dire que, en la matière, le Président de la République a donné le ton : sitôt élu, il a renoncé à renégocier le pacte de stabilité européen, qu’il condamnait la veille. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que M. Barroso ne se gêne pas aujourd’hui pour rappeler à la France l’exigence de mesures d’austérité significatives, notamment en matière de retraites.

Je le sais, madame la ministre, nous divergeons sur ce point, puisque vous considérez que cette réforme ne s’inscrit pas dans une politique d’austérité. Les retraités jugeront d’eux-mêmes. Ils subiront une perte de leur pouvoir d’achat avec l’article 4, qui reporte de six mois la date à laquelle leurs pensions seront réévaluées : 850 millions d’euros en 2014 et 2,4 milliards d’euros en 2015 seront ainsi ponctionnés sur les pensions de retraite, le plus souvent déjà trop maigres.

Par ailleurs, selon vous, l’allongement de l’espérance de vie justifierait un allongement de la durée de cotisation. Mais cette raison n’est, pour nous, qu’un leurre ! Ce n’est pas essentiellement parce que les Français vivent plus longtemps que les comptes sociaux sont dans le rouge ! C’est parce que les politiques successives menées depuis plusieurs décennies contre l’emploi et les salaires, au nom de la liberté d’entreprendre puis de la compétitivité, ont privé la sécurité sociale des financements dont elle a structurellement besoin ! Le déficit de la sécurité sociale est, d’abord, un déficit artificiel et fabriqué.

Et, là encore, malheureusement, votre politique ne rompt pas avec celle qui a été conduite précédemment par la droite. Rappelons-le, chaque année, près de 30 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales, dont une partie n’est pas compensée, sont accordés aux employeurs.

Ce mécanisme, introduit par M. Fillon, est particulièrement pernicieux, car il encourage les patrons à sous-payer leurs salariés. En effet, plus les salaires sont proches du SMIC, plus les réductions de cotisations sont importantes. Ainsi, si l’on ajoute exonérations et exemptions d’assiettes, tous les ans, ce sont plus de 100 milliards d’euros qui échappent au financement de notre système de protection sociale, dont une bonne partie au financement des retraites.

Au contraire, nous proposons – car nous faisons des propositions sur lesquelles je reviendrai – de mettre en place un système intelligent de cotisations sociales qui favorise les entreprises qui agissent pour l’emploi, la formation, les salaires, et qui pénalise les autres.

Il faut rappeler fortement que, contrairement à une idée trop souvent véhiculée aujourd’hui, notre pays n’a jamais été aussi riche. Depuis trente ans, le PIB, a été multiplié par deux. Et grâce à quoi ? Aux gains de productivité, aux sacrifices et à la précarisation du travail subis par les salariés !

En revanche, la répartition des richesses entre capital et travail n’a cessé d’évoluer, toujours au détriment de la rémunération des salariés et, donc, mécaniquement, du financement de notre système de protection sociale. Ainsi, nous le disons souvent, la part de richesses qui a bénéficié au capital sous la forme de versement de dividendes a augmenté par rapport à celle qui a profité aux salaires : 10 % du PIB, soit 200 milliards d’euros, ont été dédiés à la finance. Vous persistez pourtant à épargner ces revenus et à faire porter la totalité des sacrifices sur les salariés actifs et sur les retraités.

C’est donc dans la droite ligne de cette politique que s’inscrit l’engagement, que nous déplorons, pris par le Gouvernement devant les patrons réunis en université d’été de compenser la hausse des cotisations patronales pour la branche vieillesse par une réduction de cotisations sociales pour la branche famille. Ainsi, votre réforme n’est ni juste ni équilibrée !

Pourtant, une autre réforme des retraites est possible, une réforme qui ne pénalise ni les salariés, ni les retraités, ni, surtout, notre jeunesse. François Hollande affirmait vouloir faire des jeunes sa priorité et demandait à être jugé sur les mesures qu’il prendrait à leur égard.

À ce stade, ce que nous retenons du présent projet de loi, c’est que son adoption aura pour effet de retarder leur entrée dans la vie active, de repousser l’âge auquel ils signeront leur premier contrat à durée indéterminée, de prolonger une précarité qu’ils subissent déjà trop injustement, et de les pénaliser au moment de la retraite, au risque de rompre le contrat de solidarité entre les générations.

Certes, madame la ministre, vous n’introduisez aucune mesure remettant directement en cause le principe de retraite par répartition auquel nous sommes attachés. Pourtant, vous confiez à un comité de suivi le soin de formuler des recommandations, notamment sur la proposition qui consiste à faire varier le montant des pensions en jouant sur le taux de remplacement. Naturellement, le Gouvernement ne sera pas obligé de mettre en œuvre ces simples recommandations.

Toutefois, l’inscription de ce principe dans la loi ne peut que nous conduire à nous interroger. Car certains à gauche, y compris ici même, au Sénat, soutiennent l’idée d’un basculement du régime actuel dans lequel le calcul des pensions s’effectue sur la base des droits individuels cumulés par les salariés, vers un régime dans lequel un gestionnaire pourra ajuster le niveau des pensions en fonction d’un montant prédéfini, jugé « économiquement » souhaitable.

De la même manière, vous rendez possible le déblocage anticipé du Fonds de réserve pour les retraites, ce qui traduit, vous l’avouerez, le peu de confiance en votre réforme pour sortir durablement les comptes sociaux de la situation de crise qu’ils connaissent !

Durant le débat, les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen n’auront de cesse de porter une autre ambition collective, celle de redonner à la jeune génération confiance en notre système par répartition, tout en refusant le recul de société qui se prépare pour les classes populaires.

Cela nécessite des mesures d’urgence, à commencer par la taxation des revenus financiers des entreprises qui, à ce jour, ne participent pas au financement de notre protection sociale. Les actionnaires, les rentiers, les spéculateurs ont accaparé des milliards d’euros initialement destinés aux travailleurs.

Cette dérive du financement de notre économie contribue à faire pression sur les salaires et entraîne des destructions massives d’emplois. Soumettre ces revenus à cotisations sociales constituerait non seulement une mesure de justice, qui rapporterait entre 20 et 30 milliards d’euros pour la seule branche vieillesse, mais aussi le levier économique le plus efficace en vue de mettre fin à l’hémorragie d’emplois et, donc, de cotisations sociales.

Cela étant, le financement de notre système de sécurité sociale appelle également des mesures à plus long terme. Pour assurer un financement pérenne des retraites et d’un haut niveau, il faut assurer une augmentation significative de la part des salaires dans la valeur ajoutée. Afin d’atteindre cet objectif, nous proposons de moduler le taux des cotisations patronales de telle sorte que la Nation incite les entreprises à préférer la rémunération du travail à celle du capital.

Nous proposons également de mettre fin aux exonérations générales de cotisations sociales et de réduire les aides publiques à destination des entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.

Madame la ministre, le 7 septembre 2010, lors de la présentation d’une motion de rejet préalable du projet de loi Woerth-Sarkozy portant réforme des retraites, vous affirmiez, dès le début de votre intervention : « Vous faites des mesures démographiques le socle unique de votre projet ; nous pensons qu’une réforme durable passe aussi par la recherche de nouvelles ressources et la relance de l’emploi. »

C’est parce que nous partageons toujours vos propos de 2010 que nous ne pouvons que refuser le projet de réforme que vous défendez ce jour. En effet, non seulement celui-ci valide les reculs successifs de la droite, mais de surcroît il les aggrave en imposant, notamment, une énième augmentation de la durée de cotisation. Ce faisant, vous jetez encore plus aux oubliettes cette formidable conquête sociale qu’est la retraite à 60 ans à laquelle, pour leur part, les parlementaires communistes restent attachés.

Certes, vous me répondrez que, pour la première fois, un projet de loi portant sur les retraites traite de la question de la pénibilité sous un angle autre que celui de l’invalidité, prévoit des droits nouveaux pour les stagiaires, contient quelques avancées du point de vue des années d’études, de la prise en compte de la précarité extrême, de la maternité.

M. Claude Domeizel. C’est vrai !

M. Dominique Watrin. J’en conviens, mais on ne peut pas en rester aux dispositions contenues dans votre texte, parce qu’elles sont trop limitées et insuffisantes.

C’est pourquoi le groupe CRC ne ménagera pas ses efforts et proposera des améliorations significatives sur ces différents points, même si, nous le savons, toutes les mesures de progrès que nous vous soumettrons sont de nature sinon à changer les grandes lignes de votre projet, au moins à les atténuer.

C’est une tout autre ambition autour de laquelle la gauche a besoin de se rassembler, comme le collectif La retraite : une affaire de jeunes nous y invite.

En conclusion, c’est une faute politique d’imposer à la jeunesse de si sombres perspectives, alors que la richesse financière de notre pays n’a jamais été aussi grande ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également, de même que Mme Marie-Noëlle Lienemann.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà, avec ce projet de loi, dans un nouvel épisode du « feuilleton retraites ».

Depuis la réforme Balladur de 1993, qui a porté de 37,5 à 40 le nombre d’annuités requis pour obtenir une retraite à taux plein, plusieurs textes se sont en effet succédé en 2003, 2007 et 2011. Force est d’admettre que chacune de ces réformes s’est révélée partielle et incomplète. La dernière n’aura pas suffi à garantir la pérennité financière de l’ensemble des régimes de retraite, puisque l’on évalue le déficit de ces derniers à plus de 20 milliards d’euros à l’horizon 2020, dont 8,7 milliards d’euros pour le régime de la fonction publique et les régimes spéciaux.

Il est clair que la crise économique persistante que nous connaissons modifie considérablement les prévisions d’alors. Peut-être aussi n’a-t-on que trop écouté Michel Rocard qui, en présentant le Livre blanc sur les retraites en 1991, prédisait qu’une grande réforme en ce domaine serait de nature à faire sauter plusieurs gouvernements…

Les gouvernements de gauche se sont donc tout bonnement abstenus d’agir et les gouvernements de droite, malgré un courage certain et une bonne volonté, se sont contentés de corrections de trajectoire au lieu d’engager une réforme d’ampleur, qui aurait clos le sujet une bonne fois pour toutes. Je le dis sans ambages, car, en 2003 comme en 2010, j’avais alerté sur l’insuffisance des mesures.

Aujourd’hui, c’est la gauche que l’on trouve à la manœuvre sur cette question. Jusqu’à présent, elle en parlait souvent, critiquait les réformes proposées sans remettre en cause, d’ailleurs, les dispositifs adoptés lorsqu’elle en avait l’occasion. En effet, malgré vos critiques véhémentes, chers collègues de la majorité, vous n’avez pas révisé la réforme Balladur et, quoi que vous en disiez, vous ne revenez pas, au grand dam de l’orateur qui m’a précédé, à la retraite à 60 ans, contrairement à l’engagement du candidat Hollande.

M. Jean Desessard. C’était le candidat !

M. Roger Karoutchi. Vous aussi, vous l’avez remarqué !

M. Gilbert Barbier. Mais peut-être est-ce heureux…

Le nouvel épisode du feuilleton que vous nous proposez n’échappe pas aux canons du genre. Pis, il semble avoir été guidé par un impératif, celui d’éviter les cortèges de mécontents, qui a conduit à reporter notamment sur les retraités, qui ne défilent jamais, le poids d’une grande partie du déficit !

Vous avez choisi d’allonger la durée d’assurance de 41,5 à 43 annuités. À mon sens, cette mesure est la moins lisible, pour ne pas dire invisible, pour les assurés ; mais sans doute est-ce volontaire ! Cette manière de faire est surtout utopique et peu honnête à l’égard des jeunes générations !

Car un salarié qui aura commencé à travailler à 23 ans ne pourra prendre sa retraite qu’à 66 ans pour percevoir une pension à taux plein, alors que vous claironnez que l’âge légal de départ à la retraite demeure 62 ans. Vous prenez le risque que des Français ne cessent leur activité à cet âge tout en subissant une décote et, donc, une baisse significative du montant de leur pension.

Finalement, en refusant de toucher à cet âge légal, vous favorisez les plus aisés, ceux qui auront pu capitaliser ailleurs et pourront, contrairement aux plus modestes de nos concitoyens, supporter cette décote. Je ne pense pas que ce soit le vrai sens de la justice !

Personnellement, et je l’ai toujours indiqué, j’estime qu’il faut avoir le courage de reporter l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, tout en prévoyant, évidemment, des dérogations raisonnées applicables à ceux qui ont commencé à travailler tôt. Certains de nos voisins l’ont fait, sans que les syndicats ou la population y voient une remise en cause d’un droit légitime de chacun : ils ont bien compris qu’il s’agit d’être réaliste et cohérent eu égard à l’écart croissant entre la durée de la vie et celle de l’activité professionnelle.

Le vrai progrès social consisterait non pas à permettre un départ rapide à la retraite, mais plutôt à rendre la période de travail moins pesante, voire plus gratifiante, en particulier en fin de carrière. C’est pourquoi nous devons améliorer les conditions de travail, l’accompagnement des carrières et la formation tout au long de la vie.

Vous allez me rétorquer que vous répondez à cette exigence avec le compte personnel de prévention de la pénibilité. L’exercice de certains métiers pénibles peut avoir des effets à long terme, irréversibles sur la santé et entraîner de grandes différences en matière d’espérance de vie.

Bien évidemment, il faut traiter ces inégalités et, lorsqu’elles sont avérées, compenser cette usure par le travail.

Mais vous nous demandez, une fois de plus, d’adhérer à un dispositif sans nous décrire précisément son mode de fonctionnement et, surtout, sans nous fournir de véritable étude d’impact. À cet égard, les petites entreprises sont légitimement inquiètes des charges administratives et financières induites par votre dispositif, surtout dans le contexte économique actuel.

Par ailleurs, comme l’a souligné à juste titre le Conseil d’orientation des retraites dans son rapport du mois de janvier dernier, « il ne revient pas au système de retraite de régler la totalité des questions liées à la pénibilité au travail par un système de compensation systématique et l’approche à privilégier est celle de la prévention et du traitement de ces situations de pénibilité au moment où elles se produisent », et ce à titre individuel selon moi.

À chaque réforme, on a tendance à faire peser sur le système de retraite les dysfonctionnements ou les inégalités qui relèvent le plus souvent des entreprises ou du marché du travail. Ainsi, vous prévoyez des compensations pour les seniors, les femmes, les jeunes actifs, les assurés ayant eu une carrière heurtée, les non-salariés agricoles, les assurés handicapés et leurs aidants... Ces mesures répondent à des situations réelles, j’en conviens, mais celles-ci devraient être réglées partiellement en amont.

S’agissant des femmes, le problème, qui a été largement évoqué, est dû au fait qu’il persiste un insupportable différentiel entre elles et les hommes en termes de rémunération, et qu’elles occupent des emplois à temps partiel souvent non choisi.

De la même manière, la France se distingue par son faible taux d’emploi des personnes âgées de plus de 55 ans. Or ce sont les conditions de travail, économiques, sociales, sociologiques, qu’il faut réformer !

Vous prétendez corriger un certain nombre d’inégalités. Mais qu’en est-il de la convergence entre les différents régimes, régime privé, régime public, régimes spéciaux ? Les Français doivent avoir le sentiment que les mêmes règles s’appliquent à tous. Sinon, la confiance dans le système est minée.

Malgré les réformes des dernières années, des disparités majeures subsistent – je l’admets –, qui alimentent régulièrement la chronique, avec vérités ou fantasmes. Nous devons aborder cette question dans un esprit de responsabilité. Disant cela, je m’adresse aussi bien à ceux qui cherchent à opposer les uns aux autres qu’à ceux qui s’accrochent à un « contrat » initial souvent dépassé.

Vous l’avez dit, madame la ministre, les efforts devront être partagés par tous. Une réforme qui épargnerait certaines catégories de salariés ne serait pas comprise. Le rapport Moreau proposait, notamment, de rapprocher les règles de calcul des pensions de la fonction publique de celles du secteur privé. Qu’en avez-vous fait ?

Je pourrais parler aussi du nouveau mauvais coup porté aux retraités, après la ponction de l’an dernier, ou encore de l’augmentation du taux des cotisations des actifs et des employeurs : cette mesure me paraît moins pertinente que la hausse de la CSG, qui permettrait de combler le déficit de ce régime plus facilement. J’y reviendrai lors de l’examen des articles.

Pour conclure, vous l’aurez compris, je ne suis pas convaincu que votre réforme suffise à ouvrir des perspectives durables. Son impact net est évalué à 8,1 milliards en 2020. On est bien loin du compte !

Les gouvernements ont choisi jusque-là de « feuilletonner », avec une succession d’ajustements paramétriques. Or ce qui est gênant dans les mauvais feuilletons, c'est qu'il faut d’ores et déjà appréhender l’épisode suivant... Le temps est peut-être venu d’un dénouement avec une véritable réforme qui remette à plat l’architecture de notre système de retraite, en recherchant cohérence et lisibilité pour les assurés.

C’est aujourd’hui, malheureusement, encore une occasion manquée. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)