compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Carle

vice-président

Secrétaires :

M. Hubert Falco.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Gestion et conservation des scellés judiciaires

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 7 de M. Jean-Patrick Courtois à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la gestion et la conservation des scellés judiciaires.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Jean-Patrick Courtois attire l’attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la gestion et la conservation des scellés judiciaires et, en particulier, sur la conservation des scellés constitués à l’occasion d’affaires criminelles.

« La conservation des scellés réalisés à l’occasion de crimes, dont la nature peut être très diverse, est essentielle pour permettre l’élucidation de ces affaires, mais la nature très hétérogène des scellés rend parfois extrêmement compliquée leur conservation. Il arrive ainsi que des scellés soient perdus ou introuvables, rendant très difficile la progression de l’enquête, ce qui engendre une très grande incompréhension des victimes ou de leurs ayants droit.

« En outre, la conservation de certains scellés suppose leur stockage dans des milieux protégés, pour éviter une pollution de l’acide désoxyribonucléique, ou ADN, par exemple.

« Enfin, plusieurs affaires très anciennes, datant parfois de plusieurs dizaines d’années, ont connu, au cours de l’été de 2013, des avancées très significatives grâce à l’analyse de certains scellés. Or, si certains scellés ont été perdus, il arrive aussi que des scellés ne soient plus exploitables ou qu’ils aient été régulièrement détruits.

« En conséquence, il souhaiterait savoir, en premier lieu, quelles sont les mesures qui ont été prises pour assurer une conservation optimale de ces scellés et s’il ne conviendrait pas d’opérer des distinctions plus précises en matière de conservation des scellés, selon leur nature d’objet ou de prélèvement biologique. Il souhaiterait savoir comment la conservation de ces scellés est effectuée, et selon quels critères certains scellés font l’objet d’une conservation dans des milieux permettant de les protéger contre d’éventuelles pollutions. Il souhaiterait également savoir de quelle manière les scellés de prélèvements biologiques sont conservés et selon quelles règles ils sont, le cas échéant, détruits.

« Enfin, il souhaiterait savoir si la réglementation en la matière ne devrait pas connaître des évolutions, afin de permettre une conservation plus longue de certains scellés, leur exploitation pouvant parfois s’effectuer sur plusieurs années, notamment en ce qui concerne les scellés biologiques, en raison des progrès techniques attendus. »

La parole est à M. Jean-Patrick Courtois, auteur de la question.

M. Jean-Patrick Courtois, auteur de la question. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans son rapport annuel pour l’année 2006, la Cour de cassation constatait que « la non-conservation, de plus en plus fréquente et de plus en plus rapide, des pièces à conviction, après décision définitive, en application des dispositions de l’article 41-4 du code de procédure pénale, interdisant toute expertise complémentaire qui aurait pourtant pu être utile en raison des progrès scientifiques, est de nature à entraver la recherche de la vérité ». La Cour de cassation a réitéré ce constat à plusieurs reprises.

Les scellés jouent en effet un rôle essentiel dans la détermination de la vérité, aussi bien dans le cadre de la révision d’un procès que pour permettre d’identifier l’auteur d’un crime ou d’un délit.

Pourtant, la remarque précitée de la Cour de cassation n’a jamais été suivie d’effets. Des circulaires ont bien recommandé, en 1999 puis en 2011, d’allonger les délais de conservation des scellés, en tant que de besoin, mais les faits montrent que ces dispositions sont restées largement insuffisantes.

Le sujet n’est pas nouveau. Le Parlement n’est pas resté inactif ; j’ai relevé que plusieurs questions écrites ont été posées au Gouvernement pour connaître les solutions apportées à cette question de la conservation des scellés. La dernière initiative en date est celle de mon collègue Jean-Pierre Michel, dont la proposition de loi vise à conserver pendant trente années les objets placés sous main de justice en cas de condamnation, afin de permettre, le cas échéant, de mener de nouvelles investigations en cas de recours en révision.

Je remarque aussi que notre collègue Catherine Tasca a consacré plusieurs développements à la question des scellés dans son rapport pour avis sur le budget de la justice judiciaire pour l’année 2014.

Cette question est en effet fondamentale. Il m’a semblé opportun d’ouvrir ce débat parce que la bonne gestion des scellés conditionne en grande partie la qualité de la justice elle-même ; les avancées technologiques ont en effet permis de faire des scellés de véritables éléments de preuve.

Je souhaiterais tout d’abord rappeler brièvement les règles relatives à la conservation des scellés.

Le code de procédure pénale ne définit pas juridiquement le scellé et utilise indifféremment des expressions équivalentes telles que « objets placés sous main de justice » ou « objets placés sous scellés ». Le terme de « scellé » est donc un raccourci : le scellé n’est pas l’objet en lui-même, mais le procédé utilisé pour garantir que l’objet, pièce à conviction, est bien celui qui a été saisi.

Le placement sous scellés a une double fonction : assurer l’authenticité de l’objet saisi, mais aussi garantir son intégrité. Cet objet peut présenter, le cas échéant, le caractère d’une preuve plus ou moins essentielle à un double titre, en tant que tel, mais désormais surtout en raison des traces diverses qu’il peut recéler : ADN, sang, etc.

Le principe est par conséquent que les objets placés sous scellés doivent être conservés tant qu’ils sont utiles à la manifestation de la vérité.

Dans le cadre d’une enquête en cours, le code de procédure pénale prévoit que des objets qui ne sont pas utiles à la manifestation de la vérité peuvent être restitués, mais il faut l’accord de l’autorité judiciaire compétente. La question de la conservation des scellés ne se pose pas réellement à ce stade.

La question se pose, en revanche, quand la procédure s’achève par un classement, par exemple, ou après une décision définitive : dans ce cas, ces objets ne bénéficient plus de cette protection. Les règles de conservation des scellés sont alors fixées par l’article 41-4 du code de procédure pénale. Cet article prévoit que, six mois à compter de la décision de classement ou six mois après le prononcé de la décision par la dernière juridiction saisie, les objets deviennent propriété de l’État.

Après cette présentation rapide des règles applicables aux scellés, plusieurs constats peuvent être faits.

La durée incompressible de conservation des scellés imposée à l’État après la fin d’une procédure est particulièrement faible, puisqu’elle n’est que de six mois. Après cette période, l’État étant devenu propriétaire des objets, rien ne l’empêche d’en disposer librement : il peut les conserver, les vendre, mais aussi les détruire, ce qu’il fait le plus souvent. Le choix de conserver ou de faire détruire les objets dépend des magistrats du parquet. Pour des raisons d’organisation, la conservation des scellés pouvant être particulièrement lourde et très coûteuse, des destructions de scellés sont régulièrement opérées.

Ce délai de six mois résulte d’une modification introduite par la loi du 23 juin 1999 renforçant l’efficacité de la procédure pénale. Auparavant, la durée de conservation était de trois ans avant que les scellés ne deviennent propriété de l’État. L’État était donc tenu de les conserver au moins pendant cette durée avant de pouvoir procéder à leur destruction.

En 1999, la principale raison avancée pour réduire de trois ans à six mois le délai au-delà duquel l’État devient propriétaire des objets, et peut donc en disposer librement, était une raison de gestion : la conservation des scellés était à l’époque jugée très coûteuse. Dans son rapport sur le projet de loi, notre ancien collègue Pierre Fauchon observait ainsi : « Le projet de loi propose de ramener la durée légale de garde des objets à six mois, ce qui paraît être une mesure d’économie heureuse qui ne devrait pas nuire aux intérêts des propriétaires, la période de six mois étant suffisante lorsqu’un propriétaire souhaite la restitution de son bien. »

J’observe que la question d’un risque de destruction trop rapide des scellés n’avait pas été envisagée à l’époque. Cette mesure n’a cependant pas réduit les coûts ; elle n’a pas non plus résolu le problème de la mauvaise gestion des scellés, qui est resté récurrent.

Des scellés sont souvent perdus, éparpillés entre plusieurs tribunaux, nécessitant parfois des recherches longues et coûteuses pour les retrouver. Au-delà du gâchis d’énergie et de temps, c’est une source de très grande incompréhension, de colère aussi, pour les familles des victimes, pour lesquelles il est très difficile d’admettre que les recherches ne peuvent pas être relancées ou qu’une procédure ne peut pas aboutir parce que les scellés ont disparu ou ont été perdus.

La mauvaise gestion des scellés dépend donc, à mon sens, non pas de la durée pendant laquelle l’État est tenu de conserver les objets, mais bien plutôt de l’absence de véritables choix dans la gestion des scellés. Une politique mieux raisonnée qui viserait à déterminer les scellés devant être conservés permettrait probablement d’améliorer les conditions de leur conservation.

En effet, si conserver un scellé est important, le conserver dans de bonnes conditions est indispensable, car des évolutions techniques permettront à l’avenir de l’exploiter le cas échéant. Les progrès en la matière ont été importants, le plus connu étant la possibilité d’effectuer des analyses d’ADN.

Mais la manipulation sans précaution des scellés ainsi que leur conservation sans soin particulier obèrent les possibilités de mettre en œuvre de nouvelles techniques, ou fragilisent les résultats qui seront obtenus.

Dans le même ordre d’idées, en détruisant des scellés dont il est devenu propriétaire, l’État se prive plus radicalement de la possibilité d’utiliser les techniques nouvelles qui permettront demain d’exploiter des scellés aujourd’hui inutilisables. Plusieurs exemples récents ont montré que cette possibilité n’était pas théorique.

Dans mon propre département, l’association Christelle, dont je tiens ici à saluer le travail et la constance, m’a sensibilisé sur ce problème particulier des scellés, faisant état de plusieurs situations que je trouve particulièrement révoltantes.

Ainsi, les scellés relatifs à une affaire d’homicide survenue en 1986 ont été détruits en 2001, alors que la prescription n’était pas encore acquise, que l’affaire n’était pas résolue et qu’aucune analyse génétique n’avait été réalisée. Dans d’autres affaires, les scellés ont été pollués, ou perdus, ou n’ont jamais fait l’objet d’examen. Dans une affaire survenue en 1990, certains scellés ont même été renvoyés par erreur à la famille !

Je souligne que ce n’est pas un problème ancien qui affecterait des scellés recueillis à propos de vieilles affaires. J’ai des exemples datant de 1997, de 1999, et plus récents, même, de scellés tout aussi mal conservés, perdus, ou n’ayant pas fait l’objet d’analyse, ce qui a retardé les recherches, y faisant parfois même obstacle.

Des scellés mal conservés, perdus par les laboratoires, mais aussi inexploités, alors qu’ils pourraient fournir de précieux indices sont des obstacles parfois insurmontables et, en tout état de cause, ralentissent très fortement les enquêtes.

A contrario, des scellés conservés depuis de nombreuses années ont finalement pu être exploités, soit qu’ils aient été retrouvés, soit que les techniques nouvelles aient rendu possible leur analyse. Leur exploitation a alors permis des avancées très substantielles dans des dossiers parfois très anciens.

Cet été, les meurtres de deux fillettes à Voreppe, dans l’Isère, qui remontaient respectivement à 1991 et à 1996, ont connu une avancée significative grâce à l’exploitation de scellés prélevés à l’époque sur les lieux.

J’ai cité cet exemple, car il est parlant, mais de nombreuses autres affaires ont connu des avancées essentielles. Ces résultats n’ont été toutefois possibles que parce que la conservation des scellés avait été effectuée dans de bonnes conditions.

Je me demande si le fait que la plupart des scellés sont désormais susceptibles de prélèvements biologiques a bien été intégré par les services chargés de leur conservation…

Plus largement, je me suis interrogé aussi sur les modalités de conservation des scellés de prélèvements biologiques, qui nécessite la mise en place de protocoles coûteux et compliqués. Ce sont cependant des éléments essentiels pour élucider des affaires. Le recueil de ce type de scellés est-il développé ? Certains prélèvements biologiques nécessitent-ils des règles de conservation différentes ?

J’ajoute qu’une meilleure conservation des scellés résoudrait un paradoxe que je trouve assez frappant : les techniques de recueil des preuves sur les lieux d’une infraction se sont très fortement développées ; elles sont devenues très coûteuses, aussi. Mais le luxe de précautions déployé est inutile si, en aval, les scellés font l’objet d’une gestion défectueuse.

En dernier lieu, je souhaite revenir sur quelques pistes d’amélioration possibles, car il s’agit aussi et surtout d’un sujet pratique, lié aux contraintes inhérentes à la conservation des objets. Il me semble en effet que l’exercice consistant à dénoncer une situation sans proposer de solutions serait un peu vain.

Il me paraît tout d’abord important de réfléchir à la possibilité de ne conserver qu’une partie des scellés, ceux qui sont liés directement à la commission des infractions les plus graves ou à des infractions moins graves, mais dont l’élucidation permettrait des avancées dans une affaire criminelle, par exemple. La possibilité, déjà expérimentée en matière de trafic de drogue, consistant à ne conserver qu’une partie de l’objet saisi me semble aussi être une piste pouvant être étudiée.

Cette politique de conservation et de gestion des scellés pourrait être définie au niveau national, mais pourquoi ne pas mutualiser la gestion des scellés entre plusieurs tribunaux, à l’échelle, par exemple, d’un ressort de cour d’appel ? Cela serait pertinent pour les scellés dont la conservation est externalisée, c’est-à-dire réalisée en dehors du tribunal, par exemple, pour les véhicules.

Je remarque, par ailleurs, que les scellés de nature biologique font l’objet d’une conservation dans un lieu unique, le Service central de préservation des prélèvements biologiques, implanté à Pontoise depuis 2006 et placé sous la responsabilité de la gendarmerie nationale. J’observe qu’il s’agit d’un cas assez rare de mutualisation des moyens entre police et gendarmerie, la gendarmerie assurant la gestion de ces scellés également pour le compte de la police.

J’observe que la circulaire du 13 décembre 2011 relative à la conservation des scellés rappelle que le procureur de la République peut décider de conserver les scellés au-delà de la durée de six mois, notamment s’il n’exclut pas l’ouverture d’une nouvelle information avant l’expiration du délai de prescription.

Eu égard aux nombreuses circulaires prises pour assurer une gestion efficace des scellés, mais dont l’effectivité, au regard de l’expérience, a été très relative, il me paraît nécessaire d’opérer une réforme en profondeur du cadre juridique actuellement applicable, c’est-à-dire l’article 41-4, du code de procédure pénale, afin de mieux préciser les règles de conservation des scellés après qu’une décision définitive a été rendue.

Sans revenir sur la durée de six mois à l’issue de laquelle l’État devient propriétaire des scellés – ce mécanisme permet en effet de détruire rapidement les objets ne présentant pas d’intérêt –, on pourrait envisager une obligation de conservation des scellés alignée sur la durée de prescription applicable en matière de crime quand les objets placés sous scellés sont en lien direct avec la commission d’actes criminels.

Cela permettrait de mettre fin au décalage, que je trouve assez choquant, entre une durée de prescription de dix ans et la possibilité de détruire dans les six mois d’une décision définitive des éléments pouvant permettre de relancer l’enquête.

En contrepartie d’une conservation non seulement plus longue, mais aussi mieux effectuée de ces scellés bien précis, tous les autres pourraient faire l’objet d’une destruction ou d’une aliénation quasi systématique, dès que le transfert de propriété à l’État serait intervenu.

Je pense enfin qu’il est illusoire de prétendre améliorer la gestion des scellés sans augmenter les ressources qui y sont dédiées. Toutefois, une gestion améliorée via la sélection plus fine des scellés devant être conservés et la destruction ou l’aliénation plus rapides des autres scellés, devrait sans doute permettre de dégager des marges de manœuvre non négligeables, susceptibles d’améliorer la gestion globale.

Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir accepté de répondre à ma question. (Mme Hélène Lipietz applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Madame la ministre, je tiens tout d’abord à m’associer aux propos de notre collègue Jean-Patrick Courtois, dont la question, tout à fait opportune, méritait une réponse de votre part dans cet hémicycle. Je vous remercie à mon tour d’être parmi nous ce matin.

Comme vous l’avez rappelé, mon cher collègue, cette question fait suite à d’autres initiatives parlementaires, notamment à des questions écrites, parmi lesquelles je retiendrai celle du président Warsmann, en date du 13 juillet 2010, ainsi que celle, plus récente, de votre collègue députée de Saône-et-Loire, Cécile Untermaier, du 4 décembre 2012.

Chaque année, environ 500 000 pièces de toute nature sont placées sous main de justice. Or un certain nombre de scandales répétés ont amené les autorités judiciaires à s’inquiéter de la façon dont les scellés étaient conservés. À titre d’exemple, j’évoquerai la retentissante arrestation, en 2009, du concierge du tribunal de grande instance de Saintes, qui arrondissait ses fins de mois en revendant des scellés…

Plus grave encore à mes yeux, quelques mois plus tard, on constatait que des pièces à conviction très importantes avaient été subtilisées – ou n’existaient plus – dans le dossier Robert Boulin. Comment, s’il n’y a plus de pièces dans le dossier, les héritiers de Robert Boulin ont-ils la moindre chance de faire reconnaître ce qui n’est encore que leur vérité, à savoir que le ministre ne s’est pas suicidé ?

La Cour de cassation, comme vous l’avez dit, a dénoncé à plusieurs reprises les conditions de gestion des scellés et relevé que la non-conservation de plus en plus fréquente, voire de plus en plus rapide, des pièces à conviction après la décision définitive risquait d’entraver la recherche de la vérité.

L’Inspection générale des services judiciaires, notamment après les scandales de 2009, a rendu un rapport absolument confondant et sans appel à la suite de déplacements dans une dizaine de tribunaux : les juridictions ne seraient pas en mesure de connaître avec précision leur stock de scellés, ni de faire des recherches ou d’éditer un inventaire par type ou par dossier, et 50 % des tribunaux seraient dans l’incapacité de chiffrer les armes qu’ils détiennent… Cela peut donc constituer non seulement une entrave à la justice, mais aussi une menace pour la sécurité publique.

Cette question est toutefois moins simple qu’il n’y paraît au premier abord. En effet, les scellés peuvent être de nature très différente, allant du mouchoir de poche à de grosses cylindrées, en passant par de l’argent liquide ou des quantités importantes de stupéfiants, notamment d’héroïne…

La conservation, qui recouvre de multiples aspects, touche à la détermination des pièces à conserver, à leur enregistrement, à leur stockage, à leur restitution éventuelle, à leur aliénation et à leur destruction. Elle suppose également que la traçabilité, le contrôle ainsi que la sécurisation des scellés soient assurés et que les conditions soient adaptées.

Par ailleurs, la gestion des scellés doit répondre à un certain nombre d’objectifs qui, il faut le reconnaître, sont souvent contradictoires et dont la conciliation est une source de difficulté : contrôler et maîtriser les saisies d’objets sous l’autorité et sur la seule décision du parquet ou du juge chargé de l’enquête ; devoir allonger, dans certaines hypothèses, les délais de conservation des objets afin de prendre en compte la possibilité d’évolutions scientifiques et techniques susceptibles de contribuer à la manifestation de la vérité ; mettre à exécution les peines de confiscation tout en assurant la protection du droit de propriété et, enfin, conserver les biens sous la responsabilité du directeur du greffe – on a vu ce qui s’est passé à Saintes ! – dans des conditions optimales de sécurité, le tout en garantissant la maîtrise des dépenses publiques…

Il est indéniable que l’interdépendance de tous ces intérêts, ainsi que le nombre et la diversité des acteurs intervenant dans le processus de conservation et de gestion des scellés, complique l’application du droit positif et la pratique de la gestion en la matière.

En effet, la chaîne de traitement des scellés n’inclut pas uniquement le directeur du greffe et les fonctionnaires du service des scellés, mais la gestion intéresse également le procureur général ou le procureur de la République, en particulier pour autoriser ou contrôler la saisie et le dépôt ou la sortie du bien, l’ensemble des services du parquet et de la chaîne pénale, pour assurer l’enregistrement des différents événements afférents à la vie des scellés aux fins de traçabilité et de suivi – bureau d’ordre, service de l’audiencement, greffe correctionnel, service de l’exécution des peines… –, l’ensemble des magistrats du siège – juges d’instruction, juridictions de jugement telles que la cour d’assises, le tribunal correctionnel, le tribunal pour enfants, le juge des enfants ou encore le tribunal de police – pour statuer sur le sort des scellés, le premier président et le président du tribunal de grande instance en tant que chefs d’établissement.

La gestion des scellés nécessite par ailleurs de nombreuses relations avec des partenaires institutionnels, soit en amont de la chaîne de traitement, je pense aux services enquêteurs ou à la Caisse des dépôts et consignations, soit en aval, je songe à France Domaine, singulièrement à la Direction nationale d’interventions domaniales, au ministère de la défense, aux services spécialisés de la police et de la gendarmerie, ainsi qu’à la Direction de la sécurité civile.

Tous ces éléments expliquent en partie l’aspect quelque peu brouillon que revêt la question des scellés au sein du ministère de la justice. Cependant, les difficultés ont été dénoncées à plusieurs reprises, notamment par l’Inspection générale des services judiciaires, qu’il s’agisse de l’afflux croissant de dépôts, de la hausse des frais de justice, de l’encombrement des locaux de scellés, ou des risques en termes de sûreté, d’hygiène et de sécurité.

Jean-Patrick Courtois estimera sans doute comme moi que, depuis votre nomination à la tête du ministère de la justice, vous apportez des solutions à bien des problèmes restés pendants ou mal traités. Nous espérons donc que vous saurez apporter également une solution à cette très importante question.

C’est en ce sens que j’ai déposé, avec un certain nombre de mes collègues, une proposition de loi – elle-même reprise d’une proposition de loi antérieure – sans doute incomplète et méritant d’être affinée.

En effet, le perfectionnement permanent des techniques d’analyse, notamment de l’ADN, montre que l’on ne peut exclure de résoudre à l’avenir des affaires non élucidées, ni même d’innocenter des condamnés bien après le prononcé d’un verdict. Toutes ces raisons me font dire qu’il s’agit d’une question très importante. (Mme la garde des sceaux opine.)

Madame la garde des sceaux, vous allez répondre à ces interrogations dans quelques instants et nous donner votre position. J’ai tendance à penser, comme la Cour de cassation l’a relevé dans ses rapports en 2006 et en 2007, qu’une mesure de nature législative est absolument indispensable. Si le Gouvernement ne prend pas d’initiative à cet égard ou si le calendrier parlementaire ne le lui permet pas, je crois que nous aurons bientôt l’occasion, lors de l’examen d’un texte sur la procédure pénale, de procéder par amendement afin de régler cette question. (Mme Hélène Lipietz applaudit, ainsi que M. Jean-Patrick Courtois.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.