M. Philippe Dallier. Vous avez toute la nuit !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il est vrai que nous travaillons dans des conditions difficiles !

M. Jean-Vincent Placé. Lors du rejet de la première partie du projet de loi de finances, le président Jean-Pierre Bel avait indiqué avoir pris l’initiative d’une réflexion, visant à réviser les conditions d’examen des lois de finances, dans le but de permettre la tenue d’un débat budgétaire complet au sein de notre chambre haute, quelles que soient les majorités qui s’en dégagent.

Je me permettrai de suggérer, monsieur le président, que nous ajoutions au champ de cette réflexion judicieuse le problème posé par des calendriers d’examen tellement serrés qu’ils en rendent parfois le travail parlementaire, disons-le, factice.

Après ces prolégomènes, qui me paraissaient importants, compte tenu de l’importance que nous attachons toutes et tous ici à la qualité des travaux du Sénat, permettez-moi d’en venir au contenu de ce texte. Venant en fin d’année, cette loi rectificative nous conduit à dresser un premier bilan, en attendant la loi de règlement, de l’impact des mesures que nous avions prises lors du PLF pour 2013.

Sans vouloir m’adonner à l’exercice un peu narcissique de l’autocitation, je ne peux m’empêcher de rappeler aujourd’hui, monsieur le ministre, que je m’étais alors évertué à plaider que cette voie de la rigueur budgétaire, dans laquelle vous avez engagé la France, est sans issue, fût-elle camouflée par les atours sémantiques du « sérieux ».

Vous aurez compris qu’il ne s’agit pas simplement là de mon intuition personnelle. De nombreux économistes, qui se définissent parfois comme « atterrés », défendent depuis longtemps cette thèse. La nouveauté, c’est que les laudateurs du libéralisme s’y convertissent eux-mêmes progressivement, face à l’évidence.

M. Vincent Delahaye. Pas du tout !

M. Jean-Vincent Placé. En octobre 2012, c’était le chef économiste du Fonds monétaire international, institution peu réputée pour son iconoclasme, qui publiait une étude retentissante, reconnaissant que les multiplicateurs budgétaires étaient jusqu’alors considérablement sous-évalués.

En d’autres termes, cela signifie que les politiques d’austérité engendrent une telle contraction de l’activité que le manque à gagner fiscal qui en découle vient neutraliser l’effort réalisé : le déficit ne se résorbe pas tandis que l’économie, elle, s’effondre. La Grèce, dont la situation sociale et politique est alarmante, constitue le terrible laboratoire de ce dogme mortifère.

Plus récemment, après le FMI, c’est la Commission européenne, autre thuriféraire institutionnel de l’austérité, qui vient de reconnaître l’impasse de cette politique par la voix de son modélisateur en chef. Dans une étude publiée en octobre dernier, il y chiffre l’impact récessif des politiques d’austérité.

Pour la France, ce sont ainsi 4,8 % de croissance cumulés entre 2011 et 2013, soit 1,6 % par an, qui ont été perdus. Pour la Grèce, sur la même période, ce sont plus de 8 % qui ont été perdus. Quant à la courbe du chômage, objet bien légitime de toutes les attentions, elle serait d’après cette même étude de trois points inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui si la France n’avait pas adopté une politique budgétaire aussi restrictive.

Jusqu’à maintenant, monsieur le ministre, nous étions cantonnés au débat de principes, qui a commencé avec la discussion relative à la ratification du traité européen. Aujourd’hui, nous pouvons enfin, avec ce texte, débattre des résultats concrets du premier projet de loi de finances porté par le gouvernement que vous représentez.

Ces résultats sont malheureusement conformes à ce que nous redoutions : l’austérité de votre budget a induit un manque à gagner fiscal considérable, qui s’élève en l’occurrence à 11,2 milliards d’euros. La TVA, l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu ne vous ont pas offert les rendements optimistes que vous en escomptiez. Le déficit public, que vous estimiez à 3 % voilà un an, à 3,7 % il y a six mois, est désormais ajusté à 4,1 % sans qu’aucun impondérable extérieur ne vienne le justifier. (M. le ministre s’exclame.)

Il serait donc vraiment temps, monsieur le ministre, qu’intervienne le changement de cap attendu à la fois par une part importante de votre majorité et tout simplement par les Français. (M. Vincent Delahaye s’exclame.) Je félicite Vincent Delahaye de soutenir la politique économique, budgétaire et fiscale du Gouvernement.

M. Philippe Dallier. C’est une mauvaise interprétation !

M. Jean-Vincent Placé. C’est son droit, bien évidemment !

Pour autant, et même si nous déplorons que ce soit une fois de plus l’écologie qui soit la grande perdante au petit jeu des annulations des crédits de fin d’année, ce n’est pas tant cette loi rectificative qui incarne la politique budgétaire du Gouvernement que le projet de loi de finances lui-même. Ce débat, qui a conduit le groupe écologiste à s’abstenir, nous l’avons donc eu voilà quelques jours.

Traditionnellement, au-delà des ajustements de crédits, le PLFR de fin d’année comporte un long train de mesures fiscales de toutes natures. Et cette mouture ne fait pas exception. Si nous avions eu l’année dernière la mauvaise surprise d’y trouver, introduit par amendement, ce qui allait devenir la surprenante colonne vertébrale des arbitrages budgétaires à venir – je parle, vous l’aurez compris, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, sur les inconvénients duquel je ne vais pas revenir –, il se trouve que, cette année, – vous n’imaginez pas, monsieur le ministre, le plaisir que j’éprouve à vous l’annoncer – les écologistes sont plutôt satisfaits des mesures que vous nous proposez ! C’est dire si, avec la réforme fiscale qui s’annonce, nous sommes optimistes pour l’année prochaine !

À l’opposé du caractère indifférencié de l’aide aux entreprises que constitue le CICE, les mesures de réorientation de l’épargne que vous nous proposez ici sont ciblées. Certes, nous aurions préféré des critères encore plus précis, qui nous auraient permis de donner un signal fort à toutes les activités parties prenantes de la transition écologique de l’économie et pourvoyeuses d’emplois non délocalisables. Mais orienter l’effort de financement vers les PME et ETI innovantes constitue déjà une mesure positive à l’égard du tissu industriel intermédiaire, trop peu développé en France quand il joue un rôle moteur dans l’économie allemande.

De même, nous sommes très sensibles à la création du statut d’amorçage qui élargit l’avantage fiscal applicable aux sociétés coopératives et participatives, les SCOP, dans le but de favoriser la reprise des entreprises par leurs salariés. Nous avons également noté le soutien apporté à la filière bois, atteinte par la hausse de la TVA, ainsi qu’à la presse. La réforme de la taxe d’apprentissage, en s’engageant dans le sens d’une plus grande régionalisation, fait écho à une préoccupation ancienne des écologistes. Enfin, l’aménagement de la taxe de sortie, l’exit tax, renforce à juste titre la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.

Dans ce concert de louanges, vous ne m’en voudrez pas, monsieur le ministre, de pointer malgré tout quelques petits différends. Il ne vous surprendra pas que les écologistes ne sont pas favorables à ce que nous mobilisions dès à présent des sommes considérables pour enfouir sous terre des monceaux de déchets nucléaires, alors même que nous sommes dans l’attente d’une loi de transition énergétique, qui pourrait nous apporter des orientations susceptibles de rendre ce projet d’enfouissement inadapté à l’avenir que l’on entend donner à notre filière nucléaire.

De même, vous comprendrez que, dans le contexte actuel, nous déplorions de devoir aujourd’hui rembourser plus de 600 millions d’euros de frais financiers à EDF, simplement parce que les gouvernements successifs n’assument que rarement de faire payer l’énergie à son juste prix – nous en avons eu un nouvel exemple avec le gel du prix des carburants. C’est pourtant la condition sine qua non de la transition énergétique, ce qui n’empêche évidemment pas, par ailleurs, d’apporter des aides spécifiques aux secteurs en difficulté ou déjà en mutation, ainsi qu’aux ménages les moins aisés, qui sont les premières victimes de cette crise écologique.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Alors, au total ? (Sourires.)

M. Jean-Vincent Placé. Pour me résumer et conclure, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, cher Philippe Marini, les écologistes continuent d’exprimer leur inquiétude quant à la politique de rigueur que vous menez, et dont on commence à constater concrètement l’impact néfaste.

Pour autant, ce n’est pas vraiment là le sujet de ce texte qui, au-delà de quelques divergences anciennes et identifiées, comporte une série de mesures qui nous semblent infléchir profitablement notre droit fiscal. En conséquence, tout en fondant beaucoup d’espoirs sur la concertation à venir autour de la réforme fiscale qui a été annoncée par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, le groupe écologiste votera en faveur de ce projet de loi de finances rectificative. (M. le rapporteur général de la commission des finances et M. Richard Yung applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle André.

Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative est le seul et unique collectif budgétaire que le Gouvernement aura présenté en 2013.

En rupture avec les pratiques des gouvernements précédents, il nous permet de mettre un terme aux débats et polémiques orchestrés par l’opposition, qui n’a cessé de réclamer, depuis le printemps, le vote d’une loi de finances rectificative.

Preuve est faite aujourd’hui, mes chers collègues, qu’un tel vote ne s’imposait pas.

M. Philippe Dallier. Oh là là !

Mme Michèle André. Et le vote de quatorze lois de finances rectificatives sous le précédent quinquennat n’a pas démontré que la multiplication des collectifs budgétaires était garante d’une saine gestion des finances publiques.

En effet, si l’on réclame un collectif budgétaire en cours d’année, au nom de la transparence et de la vérité sur le budget de l’État et la trajectoire des comptes publics, peut-être suffit-il, avec un minimum d’honnêteté, de constater que cette exigence de transparence et de vérité a été tellement présente tout au long de cet exercice budgétaire qu’il n’a été nullement besoin de recourir à des lois de finances rectificatives. Cela a été le cas en avril, avec le programme de stabilité budgétaire, en juin, avec le débat d’orientation des finances publiques, et en septembre, avec le projet de loi de finances pour 2014, surveillé par le Haut Conseil des finances publiques, puis, plus récemment, par la Commission européenne !

Ce projet de loi de finances rectificative est remarquable, de par sa cohérence, et de par sa fidélité à la priorité du Gouvernement, à savoir le financement de l’économie, au travers de mesures concrètes et ciblées : la réforme de l’assurance vie pour mieux orienter ce produit d’épargne longue, l’amortissement exceptionnel des investissements dans les PME innovantes pour que celles-ci puissent mieux se développer, l’encouragement à la reprise d’entreprises par les salariés, notamment en créant des SCOP, le soutien des entreprises à l’exportation afin de mieux les armer pour affronter la compétition internationale, le soutien à certains secteurs économiques, comme la construction navale et la filière bois.

J’ajoute, sans entrer dans les détails, que les mesures de simplification de nombreuses règles administratives et fiscales devraient ne pas peser pour peu dans l’allégement de l’environnement des entreprises.

Donc, ce projet de loi de finances rectificative va dans le bon sens. Tournant le dos à la période précédente, faite du creusement du déficit public, du creusement du déficit de la balance commerciale, et du gonflement de 600 milliards d’euros de la dette publique, il soutient les entreprises afin de créer de la croissance, des richesses, et par conséquent de l’emploi.

Le respect de la trajectoire de redressement des finances publiques exprimée dans ce collectif budgétaire traduit bien cette orientation gouvernementale. La priorité du budget 2013 a porté principalement sur la baisse du déficit public : celle-ci a été effective. Dire le contraire est faux !

La dynamique de réduction des déficits a été maintenue : le solde des administrations publiques sera de 4,1 % du PIB. C’est plus que prévu initialement, mais c’est nettement moins qu’en 2012, où le déficit public atteignait 4,9 % du PIB, et encore moins qu’en 2011, où le déficit était de 5,3 %. Si l’on regarde les trois dernières années, on voit que le Gouvernement est sur le bon chemin.

Les objectifs poursuivis confirment par ailleurs le strict respect des engagements de la France en matière de dépenses budgétaires, gage du redressement des finances publiques dans la durée.

En effet, la dépense publique est maîtrisée, et sera inférieure de 3 milliards d’euros à l’autorisation de la loi de finances initiale : il n’y a donc pas de dérapage des dépenses publiques.

L’exécution du budget 2013 respecte les normes d’évolution « zéro volume » et « zéro valeur ». Et si, hors dépenses exceptionnelles, il y a eu progression des dépenses de l’État, celle-ci a été trois fois moindre que le niveau qu’elle a atteint, en moyenne annuelle, de 2007 à 2011 ! Et pourquoi cette progression ? Parce qu’il aurait été inopportun, et même contre-productif, alors même que la conjoncture était déprimée, de pallier de moindres recettes – par rapport à la prévision – par une diminution brutale des dépenses de l’État. Cela aurait eu un effet récessif, et aurait entravé le retour à la croissance.

Les engagements en matière de dépenses publiques se sont traduits par des ajustements de crédits, traditionnels en fin d’année, qui ont permis le strict respect de l’autorisation de dépense donnée par le Parlement en début d’année. Mais un tel résultat n’a été permis que grâce à une gestion budgétaire extrêmement rigoureuse : dès le mois de janvier, le Gouvernement avait augmenté la réserve de précaution de 2 milliards d’euros, cette réserve étant restée gelée tout au long de l’année, pour faire face aux imprévus inévitables en cours de gestion.

Et c’est ce sérieux qui a permis aux ouvertures de crédits inscrits dans le collectif de témoigner de l’action de l’État en faveur de l’emploi, et des dispositifs de solidarité. Les crédits concernant les politiques de l’emploi, l’hébergement d’urgence, les aides personnalisées au logement, l’aide médicale d’État et l’allocation adulte handicapé, s’ils témoignent, malheureusement, des difficultés sociales de nos concitoyens, témoignent, dans le même temps, de l’engagement de l’État en leur faveur. En France, l’hôpital public accueille tous les malades, sans distinction de leur histoire, de leurs papiers ou de leur provenance. Nous devons en être collectivement fiers (M. Richard Yung opine.) et nous rappeler – je le dis pour ceux qui dénoncent la dérive des crédits de l’aide médicale d’État – que plus on attend pour se faire soigner, plus cela coûte cher à l’hôpital public et donc à la collectivité.

Les recettes fiscales sont en progression de plus de 7 % par rapport à 2012, même si elles ont été inférieures à la prévision initiale, pour des raisons principalement conjoncturelles. Il n’y a donc pas d’effondrement des recettes !

Le déficit public se réduit de 15 milliards d’euros, soit 0,7 point de PIB, du fait d’un effort structurel historique de 1,7 point de PIB, et malgré une croissance inférieure aux prévisions. Il n’y a donc pas de dégradation du déficit de l’État !

Quant à la dette, le fardeau du gouvernement que nous soutenons, qui a explosé de plus de 900 milliards d’euros en dix ans, force est de constater qu’un an après les choses vont mieux, et que le déficit, s’il n’est pas encore conforme aux critères de Maastricht, est maîtrisé, et a diminué de 15 milliards d’euros grâce à l’action du Président de la République et de son gouvernement !

Mes chers collègues, il est impératif que l’économie française continue de se redresser, comme elle le fait depuis un an et demi, sous la conduite d’un gouvernement qui ne ménage pas ses efforts. La remise à plat de la fiscalité, impulsée par le Premier ministre, devrait pouvoir y contribuer, si cet exercice aboutit à un système fiscal plus simple, plus lisible, plus stable et plus juste.

Toutefois, chers collègues de la majorité, ayons de la mémoire, et soyons fiers d’une chose. Rappelons-nous que nous avons engagé la réforme fiscale dont nous parlons dès la première loi de finances rectificative pour 2012, et ensuite, dans la loi de finances pour 2013. N’oublions pas que, depuis l’entrée en fonction du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, ce n’est pas moins de quatorze dispositions fiscales – je dis bien : quatorze ! – qui ont été adoptées par le Parlement, visant à aligner la fiscalité du capital sur celle du travail – ce n’est pas rien ! –, à ajuster la fiscalité du patrimoine, comme celle des entreprises, à accroître la progressivité de l’impôt sur le revenu, à lutter contre la fraude fiscale, et j’en passe...

M. Philippe Dallier. Tout est bien, alors !

Mme Michèle André. Non, je dis que tout s’arrange, mon cher collègue !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ça va de mieux en mieux…

Mme Michèle André. Rappelons que c’est la commission des finances du Sénat qui a obtenu que le Conseil des prélèvements obligatoires puisse l’éclairer sur l’éventuelle évolution de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Nous n’avons donc pas à rougir, contrairement à ce que disent certains à certaines campagnes, d’avoir fait porter l’effort de redressement financier de notre pays en premier lieu sur ceux qui pouvaient le supporter le plus !

Pour toutes ces raisons, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec détermination et fierté que le groupe socialiste votera en faveur de ce projet de loi de finances rectificative. (M. Richard Yung et M. le rapporteur général de la commission des finances applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce collectif de fin d’année est pour nous l’occasion, avant même la loi de règlement, de dresser un premier bilan d’une année budgétaire tumultueuse pour le Gouvernement et durement ressentie par nos concitoyens.

Premier cycle budgétaire complet pour votre majorité, ce rendez-vous nous permet donc de comparer vos résultats, tels qu’ils apparaissent aujourd’hui, à vos prévisions, inscrites dans la loi de finances initiale adoptée à l’automne 2012.

Texte budgétaire après texte budgétaire, monsieur le ministre, vous avez fondé tout votre argumentaire sur la vérité des chiffres. Les chiffres, tous les chiffres, rien que les chiffres, tel est votre credo, assorti, bien souvent d’une comparaison au vitriol avec la période précédente. Eh bien, nous voilà au premier rendez-vous significatif. Nous allons voir quels sont vos résultats.

Et que dire d’autres des chiffres que vous nous présentez, si ce n’est qu’ils sont assez loin, bien trop loin de la prévision, et donc, en tant que tels, qu’ils ne sont pas bons.

Oh ! nous savons bien, les uns et les autres, que la prévision budgétaire est un art difficile, particulièrement en période de crise, en dépenses comme en recettes. Il est difficile de soutenir le contraire. Voilà pourquoi la prudence devrait être le fil conducteur de tout ministre.

Mais à l’été 2012, en préparant le projet de loi de finances pour 2013, vous étiez encore tout à l’euphorie de votre victoire électorale dont chacun se souvient des principaux slogans : la crise, c’est Nicolas Sarkozy, la compétitivité de nos entreprises est à peine un sujet, quant au déficit public, pour le réduire, il suffirait de faire payer les riches. Tel était le triptyque qui, on doit le reconnaître, a fonctionné puisqu’une majorité de Français y a cru.

Le budget 2013 a donc été construit sur ce malentendu avec les Français mais aussi, et c’est bien plus grave, sur une erreur d’analyse de la gravité et des causes de la crise que nous traversons. Non, monsieur le rapporteur général, ce que nous vivons là, ce n’est pas la traduction de la théorie économique des cycles courts que vous avez évoquée en commission des finances, c’est une crise bien plus profonde pour notre économie et la croissance ne reviendra pas toute seule, après une période de pessimisme des investisseurs qui devrait leur passer.

Le Président de la République aura mis six mois avant de reconnaître publiquement, à la télévision, qu’il avait sous-estimé la gravité de la crise. C’était début 2013, mais c’était trop tard, le budget était déjà voté et vous n’avez pas voulu de collectif budgétaire jusqu’à celui-ci.

La prévision de croissance avait donc été fixée à 0,8 %, ce qui s’est très vite révélé absolument illusoire. Sur la base de cette prévision, vous avez augmenté, sans commune mesure, les impôts et les taxes de toutes natures, en déduisant presque mathématiquement les recettes attendues. On croyait même, à tort manifestement, que vous étiez allé au bout de votre imagination puisque Jérôme Cahuzac déclarait doctement, en janvier 2013 : « La réforme fiscale est faite ».

Les Français pouvaient donc légitimement penser que toutes les injustices avaient été réparées, qu’en 2013 les riches allaient enfin payer pour combler le déficit, que la machine économique, grâce au CICE, allait se remettre en marche, que la croissance reviendrait et que le chômage baisserait.

Chacun ici connaît la suite de l’histoire et peut constater aujourd’hui combien la réalité est différente. Non, la légère croissance espérée – 0,8 %, ce n’était tout de même pas beaucoup ! – n’est pas au rendez-vous, les rentrées fiscales non plus, le chômage a continué de progresser et les Français ont découvert stupéfaits qu’ils devaient tous être riches puisque tous, ou presque, ont vu leurs impôts augmenter et globalement leur pouvoir d’achat baisser.

Onze milliards d’euros de recettes en moins, par rapport à la prévision, voilà bien le premier chiffre à retenir alors que ce n’est pas celui sur lequel l’attention semble se focaliser le plus. Il est d’ailleurs assez paradoxal qu’en matière d’exécution budgétaire on parle toujours beaucoup de la maîtrise des dépenses, ce qui est très utile, et peu, et moins souvent, de la baisse des recettes ou de la rentrée des recettes, comme si, à partir du moment où les taux des impôts et des taxes étaient votés, le produit attendu était quasiment certain.

Ce collectif budgétaire nous démontre qu’il n’en est rien et c’est bien là que le bât blesse particulièrement cette année.

Alors pourquoi sommes-nous dans cette situation ? Eh bien, je crois qu’on peut le résumer en deux phrases, quitte à être taxé de populiste, mais puisqu’on nous a appris que François Mitterrand disait la même chose… Après tout, monsieur le rapporteur général, oui : « Trop d’impôts tue l’impôt », et « Trop d’impôts étouffe la croissance ».

Pouviez-vous faire autrement ? Bien sûr, mais vous ne l’avez pas voulu. À peine arrivés aux affaires, vous avez supprimé la TVA anti-délocalisation qui aurait eu des effets immédiats pour nos entreprises, dès l’automne 2012, pour la remplacer par le CICE qui aura eu peu d’effets en 2013 et dont le coût est d’ailleurs reporté, par un tour de passe-passe budgétaire, sur l’année 2014 et les années ultérieures. Et finalement vous aurez augmenté la TVA, ce que vous nous reprochiez. On aurait envie de vous dire : « Tout cela pour ça ».

Vous auriez également pu utiliser, de manière plus importante, le levier de la baisse des dépenses. Certes, j’en conviens, c’est difficile et ce n’est pas sans risque. Mais vous nous dites que vous le ferez en 2014 de façon très importante et que vous réitérerez, en allant plus loin, en 2015 et en 2016.

Or, là aussi, vous étiez pris au piège de vos promesses électorales. La RGPP était coupable de tous les maux, alors vive la MAP, la modernisation en douceur de l’action publique, qui d’ailleurs ne contente même pas les responsables du fameux think tank Terra Nova qui viennent d’en dire tout le mal qu’ils en pensent. Alors à quoi bon, monsieur le ministre ? Et puis, à chaque nouvelle contestation, et cela finit par ne pas être neutre budgétairement, le Gouvernement lâche quelques centaines de millions d’euros.

Effort insuffisant sur les dépenses, pression fiscale trop importante, tout cela a bien évidemment pesé sur notre économie et sur les résultats de cet exercice 2013, tels qu’ils se dessinent.

Certes, et c’est tant mieux, le déficit diminue par rapport à l’année dernière, mais on a envie de vous dire « heureusement », monsieur le ministre, au regard de l’augmentation de la pression fiscale ! C’est une bien maigre consolation, qui ne nous permettra pas de tenir les engagements de la France ; le Haut Conseil des finances publiques en tirera d'ailleurs les conséquences.

Pourtant, vous n’hésitez pas à parler de « bons résultats » s'agissant du déficit 2013. Permettez-moi de vous dire que nous ne partageons pas ce point de vue. La loi de finances initiale estimait le déficit à 61,5 milliards d'euros ; il s’élèvera en fait à 71,9 milliards d'euros. Cet écart correspond peu ou prou aux 11 milliards d'euros de recettes fiscales en moins, puisque les dépenses sont tenues grâce à la très utile réserve de précaution et aux annulations de crédits, qui ne sont pas toutes sans conséquence ni toutes vertueuses ; j’y reviendrai.

Au total, si l’on prend en compte les rentrées de recettes sociales, qui devraient être en retrait de 7,9 milliards d'euros, et si l’on y ajoute 1,9 milliard d'euros de recettes en moins pour les collectivités territoriales, plus de 20 milliards d’euros ne seront pas rentrés cette année. C’est bien le chiffre que notre collègue député Gilles Carrez avait avancé avant l’été. Que n’aviez-vous dit alors ! Malheureusement, nous constatons aujourd'hui qu’il avait raison.

Ce manque de recettes fiscales s’explique bien sûr par une croissance atone, que vous n’avez pas su soutenir. Estimée de manière très volontariste à 0,8 % en loi de finances initiale, elle atteindra péniblement 0,1 % ou 0,2 %, alors que certains de nos partenaires européens feront mieux. Comment s’en étonner et, surtout, comment ne pas y voir, en grande partie, l’un des effets récessifs du matraquage fiscal auquel vous avez soumis les entreprises et les particuliers ?

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. De combien vouliez-vous augmenter la TVA ?

M. Philippe Dallier. Vous avez choisi de taxer plus, mais la base fiscale se dérobe. L’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu mais aussi la TVA rentrent bien moins que prévu. Nos entreprises, dont le taux de marge est déjà l’un des plus faibles d’Europe, continuent à perdre des parts de marchés, et les Français consomment moins car, pour beaucoup d’entre eux, ils gagnent moins et sont plus taxés ; voilà la dure réalité de cette fin 2013, celle que traduisent les chiffres de ce collectif budgétaire.

Alors, bien sûr, pour relativiser ce constat, vous nous ramenez sans cesse au passé : cinq ans, voire dix ans en arrière. Eh bien, justement, revenons-y. En 2002 – j’aime à le rappeler –, après cinq années de gouvernement Jospin, le déficit budgétaire était de 49,3 milliards d'euros ; sur sa lancée, il est monté à 56 milliards d'euros en 2003 ; nous l’avons ramené à 34,7 milliards d'euros en 2007, juste avant la crise. Est-ce de cela que nous devrions nous excuser, monsieur le ministre ? Nous avons réduit le déficit que nous avions trouvé en 2002.

La crise est venue. En 2009, le déficit a plongé à 138 milliards d'euros, sous l’effet d’une chute spectaculaire et inédite de 35 milliards d'euros des recettes de l’État, mais aussi du plan de sauvetage des banques et du plan de relance, que, à l’époque, vous ne trouviez pas assez généreux. Fallait-il le faire ou non ? Auriez-vous fait mieux ? En 2011, le déficit était ramené à 90,7 milliards d'euros ; en 2012, année partagée, il s’établissait à 87,2 milliards d'euros. Voilà les chiffres !

Pour ce qui est de la pression fiscale, oui, nous l’avons d’abord diminuée en 2007, avec la fameuse loi TEPA ; vous nous l’avez suffisamment reproché. Cependant, nous l’avons augmentée à partir de 2009, en raison de la crise. Au total, entre 2007 et 2012, la pression fiscale a progressé de 1,1 point de PIB. Pour votre part, vous l’aurez augmentée de 1,5 point en seulement dix-huit mois. Et, bien sûr, tout cela se cumule.

Les chiffres sont là : les prélèvements obligatoires représentaient 43,4 % du PIB en 2007 et 44,5 % en 2012. Avec ce collectif budgétaire, ils atteindront 46 % du PIB.

Au demeurant, je crois que les Français se moquent de cette bataille de chiffres présentés par les uns et par les autres sous l’angle le plus avantageux. Pour eux, l’année 2013 est l’année de la révolte fiscale, qui flirte dangereusement avec une révolte sociale.

En un an, vous aurez réussi l’incroyable exploit de fédérer contre vous presque toutes les forces vives du pays, qui se sont donné des surnoms évocateurs pour exprimer leur malaise : les « pigeons » pour les patrons de start up, les « poussins » pour les auto-entrepreneurs, les « moutons » pour les travailleurs indépendants, les « tondus » pour les très petites entreprises, les TPE, et les petites et moyennes entreprises, les PME, les « sacrifiés » pour les commerçants et artisans, les « asphyxiés » pour les professions libérales, les « bonnets rouges » pour les Bretons et transporteurs routiers, et enfin les « bonnets orange » pour les exploitants de centres équestres.

En somme, il n’est pas une seule catégorie – ou presque – d’entrepreneurs, c'est-à-dire de créateurs de richesses, qui ne soit saisie par le ras-le-bol fiscal. Au mois de septembre, vous aviez d'ailleurs semblé dénoncer vous-même ce ras-le-bol, monsieur le ministre, ce qui ne vous empêche pas de nous reprocher maintenant de le pointer du doigt à notre tour.

À l’évidence, le Président de la République a au moins tenu une de ses promesses : « Moi, Président de la République, je ne diviserai pas les Français ». Force est de constater qu’il les a rassemblés, mais plutôt contre lui ! Certains sondages estiment que le taux de mécontents atteint 85 %. C’est un record.

Vous avez d'ailleurs battu d’autres records en 2013 : record de la part des dépenses publiques dans le PIB, avec 57,1 % ; record du taux de prélèvements obligatoires, avec 46,3 % du PIB au printemps dernier ; record historique du taux d’endettement, que nous partageons avec vous ; record du taux de chômage depuis 1997, avec 10,5 %. Voilà la dure réalité des chiffres. C'est pourquoi, en vous écoutant, monsieur le ministre, je me suis parfois demandé si nous vivions dans le même pays. Vous nous avez beaucoup parlé de l’avenir – il est vrai que c’est aussi votre rôle –, sans vous attarder sur l’année 2013, mais les chiffres sont là, et les Français ont du mal à les accepter.

Nos concitoyens constatent amèrement, jusqu’au sein même de votre majorité parlementaire, que les promesses de François Hollande se sont envolées comme les feuilles à l’automne. C’est notamment le cas de la promesse d’inverser la courbe du chômage avant la fin de l’année, qui ne sera pas tenue, ou alors à grand renfort de cosmétiques.

Certes, au mois d’octobre, le nombre de chômeurs de catégorie A a baissé de 0,6 %. Cette évolution serait positive si elle n’occultait une augmentation de 55 900 personnes du nombre de chômeurs pour l’ensemble des catégories A, B, C, D et E. Sur les douze derniers mois, le chômage de longue durée a explosé de 17,6 % et le chômage des plus de cinquante ans a augmenté de 11,4 % pour les catégories A, B et C, ce qui suffit à démontrer que le dispositif des contrats de génération ne fonctionne pas.

Les prévisions de l’UNEDIC pour 2014 sont alarmantes : il devrait y avoir 75 600 nouveaux inscrits à Pôle Emploi en catégorie A. Non, la baisse du nombre de chômeurs de catégorie A en octobre dernier n’est pas le signe d’une reprise économique qui se ferait sentir. Elle est essentiellement due à un recours massif aux emplois aidés – près de 600 000 en 2013 –, qui sont des emplois précaires pour leurs bénéficiaires et coûteux pour les finances de l’État. Ce sont ces contrats aidés qui expliquent la baisse du chômage des jeunes, dont on peut certes se réjouir, mais qui n’est pas portée par la croissance, alors que c’est ce qu’il nous faudrait.

Pour en revenir aux dispositions de ce projet de loi de finances rectificative, nous avons l’honnêteté de reconnaître qu’elles ne sont pas toutes négatives. Le texte contient de bonnes mesures, comme les contrats euro-croissance d’assurance vie ou les mesures de simplification qui soutiendront nos entreprises exportatrices. Cependant, le texte contient aussi des mesures que nous ne pouvons accepter.

Nous sommes notamment fermement opposés à la réaffectation d’au moins 55 % de la taxe d’apprentissage aux conseils régionaux ; sans doute est-ce un hasard, mais, à l’exception du conseil régional d’Alsace, ils sont tous dirigés par vos amis politiques… Cette réaffectation se fera au détriment de la liberté d’affectation de la taxe d’apprentissage par les entreprises…