M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, dans un livre qui s’est largement vendu et continue de rencontrer un grand succès,…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … est écrit : « la vérité vous rendra libres ».

Mesdames les ministres, au cours de ce débat, j’ai exprimé clairement – et je n’ai pas été le seul – ce que nous pensions du texte que vous nous avez présenté, qu’il s’agisse de notre satisfaction à l’égard de certains points ou de nos critiques vis-à-vis d’autres. Ce débat franc a eu des effets positifs ; il est toujours préférable de dire les choses pour faire avancer les sujets au lieu d’essayer de gommer les aspérités, les différences et les difficultés. En l’espèce, le Sénat a fait entendre plusieurs voix, mais chaque orateur, quelles que soient les travées sur lesquelles il siège, a eu le souci d’être clair.

Lors de ma dernière intervention sur le présent texte, je veux insister sur les apports du débat à l’issue de la réunion de la commission mixte paritaire. Quoique longue, celle-ci a permis de mener un travail extrêmement sérieux et approfondi sur les différents points restant en discussion.

Premièrement, la création des métropoles constituera incontestablement un fait marquant dans l’histoire territoriale de notre pays : onze métropoles de droit commun et trois métropoles à statut spécifique à Lyon Rhône, Marseille Bouches-du-Rhône et Paris Île-de-France.

M. Roger Karoutchi. Simplement Paris ! Ne mêlez pas l’Île-de-France à cela ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est un autre débat !

Quoi qu’il en soit, cette création sera marquante incontestablement, parce que notre pays se dotera ainsi d’entités fortes, efficaces et utiles pour le rayonnement tant national, qu’européen et international.

Mais j’ajoute aussitôt que considérer qu’il y aurait, pour reprendre une formule qui a connu quelque célébrité, d’un côté, les métropoles et, de l’autre, le désert français serait méconnaître l’esprit du législateur, en particulier du Sénat. Pour ma part, je considère que c’est la mise en place d’un réseau sur tout le territoire qui est en jeu. Les métropoles doivent travailler avec les réseaux de villes au sein des régions. Autrement dit, il ne s’agit pas de créer une rupture entre métropoles, d’un côté, et communautés urbaines ou d’agglomérations, de l’autre. L’armature urbaine procède de la complémentarité. De même, le couple régions-armature urbaine est, de mon point de vue, la clé du développement efficace.

Par ailleurs, il est également très important de prendre en compte le réseau des communautés de communes : il n’y a pas, d’un côté, l’urbain, de l’autre, le rural.

De ce point de vue, les ouvrages publiés par l’INSEE au cours des vingt dernières années illustrent très bien l’évolution de la France, le développement du secteur que l’on pourrait qualifier de « rurbain » et la multiplicité des situations mixtes, diffuses, combinant l’urbain et le rural. Le réseau des communautés de communes s’appuyant non seulement sur des villes ou des communes de moyenne dimension, mais aussi sur toutes les petites communes qui, grâce aux communautés de communes, font preuve d’efficacité, est aussi essentiel à mes yeux que les métropoles. Toutes ces strates doivent fonctionner de concert : c’est un réseau territorial d’efficacité que nous mettons en place, les métropoles s’inscrivant à l’intérieur d’un ensemble.

Deuxièmement, je souhaite insister sur les nombreuses innovations que comporte le présent texte, dont la moindre n’est pas de permettre la création de collectivités de forme nouvelle. Ce sera tout particulièrement le cas à Lyon. Cette innovation permettra à chacun de réfléchir, d’avancer et de constater le fruit que l’on peut tirer d’évolutions : les trois métropoles spécifiques sont différentes et les métropoles de droit commun auront aussi leurs spécificités, notamment les euro-métropoles. Nous en tirerons profit pour, peut-être, concevoir d’autres innovations prenant en compte le bilan de ce qui aura été fait.

Troisièmement, je me réjouis que, lors de la commission mixte paritaire, nous ayons pu obtenir une clarification quant aux compétences.

Dans un premier temps, vous le savez, madame la ministre, les compétences des communes nous paraissaient mal définies. Le Sénat avait réalisé, à mon sens, un bon travail, mais l’Assemblée nationale avait succombé au démon de l’abstraction. Nous imaginez-vous dire aux maires de nos villages : « Vous êtes chargés, en tant que chef de file, de la rationalisation des pôles ? »… (Sourires.)

Lors de la commission mixte paritaire – j’en remercie tous ses membres –, nous avons choisi de confier aux communes l’organisation des services de proximité. Cela signifie non pas que ceux-ci dépendent de la commune – la poste, par exemple, n’en dépend pas –, mais que la commune a pour rôle de rendre cohérents l’ensemble des services publics de proximité.

De même, je suis vraiment heureux que, pour ce qui est des pôles dans le monde rural et dans les moyennes et petites communes, qui nous sont chers, nous soyons sortis de l’abstraction qui avait, là encore, inspiré nos amis députés lorsqu’ils avaient créé les pôles d’équilibre et de coordination territoriaux. Nous avons convaincu nos collègues que le mot « rural » ne devait pas faire peur. De ce fait, vont être créés des pôles d’équilibre territoriaux et ruraux. C’était un point essentiel pour nous, car la suppression de cet adjectif aurait eu des conséquences dans nos différentes régions et dans nos départements.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’était une demande du Sénat !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. En effet, madame la ministre ! Nous étions attachés à la prise en compte de la ruralité dans l’intitulé de ces pôles.

J’en viens à l’élection des conseillers communautaires. Nous avons choisi, ce qui est sage, d’observer ce qui va se passer au mois de mars prochain et au-delà. Le Sénat a été novateur en la matière puisqu’il a retenu – je tiens à souligner la contribution d’Alain Richard – un système de fléchage. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire de la République, au mois de mars, tous les électeurs de notre pays désigneront, par un seul bulletin de vote, leurs conseillers municipaux et les délégués de leur commune à l’intercommunalité. Ils auront alors une perception directe de l’intercommunalité.

C’est un pas en avant important, et j’ai la faiblesse de penser que cette modalité, adoptée par le Parlement, a été inventée par le Sénat. Tirons-en les conséquences, puis voyons ce que nous pouvons faire pour l’avenir.

Cela étant, le chemin vers la simplicité est long, mais le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire comporte de larges progrès en la matière.

Par ailleurs, la suppression du Haut conseil des territoires me semble positive. Il existe déjà pléthore de conseils et de structures. Revenir au pouvoir du Parlement, dans le respect de la spécificité des deux instances que sont l’Assemblée nationale et le Sénat correspond à l’esprit républicain, qui s’appuie sur des assemblées qui ont toute légitimité pour traiter, notamment, les questions relatives aux collectivités locales.

Pour terminer, mesdames les ministres, je veux dire quelques mots de la conférence territoriale de l’action publique.

Je me réjouis des évolutions inscrites dans le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire.

Premièrement, il en résulte que cette conférence n’exercera jamais une tutelle sur les régions…

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Heureusement !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … ni, d'ailleurs, sur aucune autre collectivité.

Deuxièmement, monsieur le rapporteur, nous avons eu la sagesse de nous rallier à la position de l’Assemblée nationale sur la composition de cette conférence, plus restreinte que celle qu’avait retenue le Sénat. Je salue cette évolution.

Troisièmement, il est bien clair désormais que cette conférence est un lieu de concertation, et non de décision : je me suis fait répéter qu’il n’y aurait pas de vote. Autrement dit, la conférence ne fait que consacrer la possibilité qu’ont les élus de la région, des départements et des communes de se parler, ce qui relève du simple bon sens ! Sur ce point, madame la ministre, le débat, la confrontation et la discussion ont permis d’aboutir à une solution de simplicité qui a permis de régler ce qui était un vrai problème. Nous devons nous en réjouir parce que, lorsque l’on aboutit à un accord, on se dit que l’on a eu raison de parler vrai, comme on a eu raison de s’écouter les uns et les autres.

Pour conclure tout à fait, mes chers collègues, je veux rappeler combien nous avons travaillé. En effet, nous avons procédé, monsieur le rapporteur, à trente et une heures trente d’auditions. Nous avons entendu des dizaines d’élus. Nous avons travaillé pendant trente-sept heures en commission, en comptant la commission mixte paritaire. Et nous avons eu le bonheur de participer, à cette heure, à quatre-vingt-deux heures de séance publique.

Tous ces travaux ont été utiles, et j’espère vivement qu’après le succès de la commission mixte paritaire, auquel le Sénat a porté une grande contribution – tous ceux qui y ont participé peuvent en témoigner –, le texte qui en a résulté pourra être voté.

Mais je ne pourrais achever mon propos sans rappeler que la rédaction actuelle du texte est le fruit de la contribution de nombreux sénateurs, siégeant sur toutes les travées de cette assemblée. S’il n’est pas possible de les citer tous, je tiens du moins à en saluer quelques-uns.

D'abord, notre rapporteur, René Vandierendonck, a réalisé un formidable travail, avec le sens de l’écoute, de la diplomatie et du dialogue qui le caractérisent.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. On ne le dira jamais assez !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je veux associer à cet hommage Olivier Dussopt, rapporteur de l’Assemblée nationale, qui nous a encore montré, lors de la commission mixte paritaire, avec quelle ardeur il voulait parvenir à un accord.

M. René Vandierendonck, rapporteur. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. J’associe également nos collègues membres de la commission des lois de l’Assemblée nationale, en particulier son président, ainsi que les membres de la commission des lois du Sénat.

Je veux aussi saluer Claude Dilain, Jean-Jacques Filleul et Jean Germain, qui ont contribué à l’écriture collective, chacun sur différentes parties du texte.

M. René Vandierendonck, rapporteur. Absolument !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je veux ensuite citer l’apport tout particulier de Jean-Jacques Hyest et de Jean-Claude Gaudin, lequel nourrissait un intérêt spécifique pour un certain secteur géographique (Sourires.), mais pour l’ensemble du territoire aussi, je n’en doute pas !

Je tiens également à saluer le concours de Michel Mercier et de Gérard Collomb, que je vois d'ailleurs assis l’un à côté de l’autre dans l’hémicycle, mais aussi d’autres élus du Rhône et, d'ailleurs, d’autres départements.

Si vous me le permettez, monsieur le président Mézard, je veux aussi souligner la contribution de Pierre-Yves Collombat, qui a été extrêmement actif et a su nous convaincre d’adopter des dispositions sur plusieurs sujets (Mme la ministre déléguée opine.). Je pense notamment aux questions relatives aux milieux aquatiques, qui, incontestablement, préoccupent beaucoup les habitants concernés.

Je soulignerai également, sur la question de Paris, l’apport de Philippe Dallier…

M. Roger Karoutchi. Mais pas le mien !...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … et d’autres de nos collègues. Monsieur Karoutchi, je parle, vous le constatez, sans frapper quiconque d’exclusive !

M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas grave ! Nous nous retrouverons devant le Conseil constitutionnel…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. D’ailleurs, vous n’auriez pas été content si je vous avais assimilé à vos collègues dans mes remerciements. Au reste, nous savons très bien que vous êtes inassimilable ! (Sourires.)

M. Roger Karoutchi. Je vous remercie infiniment !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Enfin, je veux dire à nos collègues du groupe écologiste et à ceux du groupe communiste républicain et citoyen que, quel que soit leur vote, leur contribution aura permis de faire évoluer la réflexion ainsi que la rédaction du texte, sur un certain nombre de points.

En guise donc de « conclusion à ma conclusion », et sans vouloir rouvrir une guerre de religion, j’ai lu dans un journal du soir qui paraît le midi (Sourires.) que tel député avait cru pouvoir comparer le Sénat au triangle des Bermudes (Sourires.), tandis qu’un autre – peu avenant, bien que ce soit un excellent ami – avait évoqué, au sujet de la Haute Assemblée, un « trou noir » (Nouveaux sourires.). Aussi, lorsque nos amis députés sont venus au Sénat pour la commission mixte paritaire, je les ai félicités d’avoir fait l’effort de venir jusqu’au triangle des Bermudes, et même d’avoir osé s’aventurer jusque dans un trou noir ! (Rires.)

Mes chers collègues, la force du Sénat tient justement au fait que sa position sur tous les textes qui lui sont soumis n’est pas programmée, arrêtée à l’avance.

J’espère vivement que le texte qui sera voté sera le fruit de ces majorités d’idées et reprendra la contribution de ceux que j’ai cités et de ceux que je n’ai pas cités. Si nous y parvenons, ce sera un bon jour pour le Sénat de la République, créateur de majorités d’idées qui permettent, dans ce domaine des collectivités territoriales, des avancées extrêmement précieuses, avec votre concours, que je tiens à souligner à nouveau, mesdames les ministres.

Si notre assemblée honore aujourd'hui ce texte d’un beau vote, ce sera un bon point pour le Sénat de la République, qui saura, ainsi, montrer tout ce qu’il peut faire et tout ce qu’il sait faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Hyest. C’est Noël !

M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur et monsieur le président de la commission des lois, dont je salue l’intelligence politique et institutionnelle,…

M. Roger Karoutchi. Encore ! (Sourires.)

Mme Hélène Lipietz. … mes chers collègues, on peut être favorable à une évolution du Sénat, afin d’ancrer les évolutions de notre organisation décentralisée dans notre bicamérisme parlementaire, notamment en renforçant la représentation de l’échelon régional en son sein, et saluer la grandeur du bicamérisme et le travail extraordinaire de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions du texte qui restaient en discussion.

Pour y avoir assisté, réellement fascinée, je peux témoigner que cette CMP a été exemplaire dans l’affirmation des points de vue (Mmes les ministres opinent.), exemplaire dans l’écoute, exemplaire dans la recherche du compromis, pourtant si difficile à obtenir en France.

Étaient à l’œuvre non pas des logiques de partis, mais des logiques d’institutions concourant à une œuvre commune. Il fallait que les parlementaires, pris comme légistes, organisateurs non seulement des lois de la cité, mais de la cité elle-même, arrivent à fabriquer un texte cohérent, en espérant qu’il tienne la route politiquement. Au-delà des partis, il fallait élaborer un compromis pour que le Parlement puisse avoir un os à ronger – pardon, un texte à voter !

Pourtant, les différences entre le texte de l’Assemblée nationale et celui du Sénat étaient grandes et certains points suscitaient un clivage important. Et c’est vrai que la recherche, durant cinq heures, du plus petit commun dénominateur entre l’Assemblée nationale et le Sénat devait faire fi des sensibilités politiques et institutionnelles.

Plusieurs compromis furent trouvés.

Premièrement, ce fut la suppression du Haut Conseil des territoires, pâle ombre portée à l’éclat de nos dorures « maison », en échange de l’intention d’un suffrage universel direct pour les métropoles en 2020 ; cela semble équilibré. Le Sénat ne sera pas affaibli par l’émergence d’une nouvelle instance représentative des collectivités territoriales. Et l’on peut conserver l’espoir qu’un jour, un peu lointain, certes, la démocratie investisse les métropoles…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Elles sont déjà démocratiques !

Mme Hélène Lipietz. Deuxièmement, le caractère obligatoire de la transformation en métropole voulu par l’Assemblée nationale a été adouci par la liberté de choix laissée à trois intercommunalités, défendue par le Sénat.

Troisièmement, dans l’arbitrage entre les « pôles ruraux d’équilibre et de solidarité territoriale » et les « pôles territoriaux d’équilibre », un compromis s’est dégagé en faveur de « pôles d’équilibre territoriaux et ruraux », les PETRU.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cet acronyme n’est pas très beau !

Mme Hélène Lipietz. Mais où sont les bons vieux « pays » à la Voynet, qui fleuraient bon la France ? Le mot « solidarité » a, d’ailleurs, disparu de leur dénomination. Espérons que la solidarité n’en a pas pour autant disparu de notre vision politique, car elle est au cœur du vivre ensemble.

Quatrièmement, parlons, ou plutôt ne parlons pas du poste de président honoraire donné au président de région pour présider la « machine à parlotte institutionnelle » que sera la conférence territoriale de l’action publique. (Sourires.)

Mais ce texte de compromis n’est qu’un compromis ; il ne procède pas d’une vision forte. Où est le souffle de la réorganisation territoriale voulue par la Révolution française, le souffle de la région parisienne voulue par le préfet Delouvrier, même s’il s’est peut-être trompé, le souffle de l’organisation même de l’État voulue par Gaston Defferre ?

Ce compromis est un beau compromis, mais « le plus bel homme ne peut donner plus que ce qu’il a ».

M. Jacques Mézard. Ce n’est pas si mal !

Mme Hélène Lipietz. Force est de constater ici qu’il n’a pas grand-chose à proposer…

Comme je l’ai expliqué et réexpliqué durant les deux lectures, ce texte est illisible, même par les spécialistes: Il est d’une complexité extrême, à tel point qu’il n’intéresse absolument pas les citoyens non élus, et à peine la presse spécialisée.

N’en déplaise aux mauvaises langues, les écologistes ne sont pas des plantes hors sol, et nous savons d’expérience que les acteurs de terrain eux-mêmes n’y comprennent plus rien.

Comme l’a dit un célèbre et respecté membre de la commission des lois, « ce sont des technocrates…Les parlementaires ne connaissent rien à la réalité des départements dans leur individualité ».

M. Roger Karoutchi. Allons bon !

Mme Hélène Lipietz. C’est bien la peine qu’il y ait des sénateurs-maires – nous aurons à nouveau à en discuter en janvier – et, même, des députés-maires...

Bref, ce projet de loi est illisible, d’où qu’on le regarde.

De plus, ce texte est « piégeux ».

En effet, nous devrons discuter des régions et des départements au printemps prochain, si le calendrier ne dérive pas. On peut s’interroger sur la marge de manœuvre que nous aurons lors de ces discussions, une fois que le projet de loi sur les métropoles aura été voté !

Surtout, ce projet de loi flirte avec l’inconstitutionnalité.

Mme Hélène Lipietz. Ainsi, pour ce qui concerne la métropole du Grand Paris, notre collègue Christian Favier avait relevé, en deuxième lecture, le risque d’inconstitutionnalité encouru avec la dissolution des EPCI, dans la mesure où les membres des intercommunalités seront désormais élus par fléchage, à la suite du vote de la loi ayant réformé le scrutin départemental.

Or il est bien connu que la loi ne peut mettre fin à un mandat électif. Le suffrage universel confère leur légitimité, leur pouvoir, aux élus et le législateur ne peut reprendre ce que le peuple a accordé !

M. Roger Karoutchi. Ce sera censuré ! Et, quand ce sera censuré, nous aurons gagné !

Mme Hélène Lipietz. Les intercommunalités de la petite couronne vont voir partir leurs compétences, leurs recettes et leurs personnels vers la métropole et les communes. Ne leur resteront plus que les élus issus du fléchage. Ceux-ci seront toujours élus, mais ils seront nus, sans compétence, sans finances, sans personnels, vêtus de leurs seules indemnités et, espérons, de probité candide…

M. Roger Karoutchi. Nous leur prêterons une feuille de vigne ! (Rires.)

Mme Hélène Lipietz. Malgré les travers que je viens de décrire, nous aurions pu voter ce compromis, ayant conscience que notre poids politique ne nous permet pas d’espérer mieux.

Cependant, les contradictions internes de cette loi, qui sont ressorties lorsqu’il a fallu élaborer un compromis, empêchent toute possibilité rationnelle de vote.

Toujours à propos de l’Île-de-France, vous avez eu ce mot, cher président de la commission des lois : « Il faut des EPCI suffisamment importants pour exister face à la métropole ; il faut des EPCI qui aient une véritable politique ».

Mais comment permettre aux intercommunalités franciliennes d’être un véritable contrepoids, d’avoir une véritable politique, si ce n’est par un véritable projet de territoire, voulu par le peuple, et non un simple agrégat des désirs de leurs membres ?

Ne l’oublions pas, la simple addition des intérêts particuliers ne forme jamais l’intérêt général ! Il faut des mécanismes de production collective de l’intérêt général pour que la gouvernance de l'intercommunalité soit immédiatement efficace. Quand on connaît le temps de réalisation d'un projet, on sait qu’il ne faut pas, face à la métropole, perdre un an pour le mettre au point…

Ce projet doit donc être celui d’une équipe qui le porte auprès des électeurs et des électrices, et non celui d’individus qui se découvrent en situation de devoir faire équipe le soir des élections municipales !

Or le seul outil pour dégager cet intérêt général, c’est le suffrage universel direct au niveau de la « circonscription de responsabilité », si vous me permettez cette expression. Il faut que l’élection ait lieu au niveau de l’intercommunalité afin que chaque citoyen et chaque citoyenne prennent la mesure des enjeux de l’ensemble du territoire intercommunal face à la métropole.

De plus, seul le suffrage direct – non pas communal ni supra-communal, mais tout simplement le suffrage direct communautaire – peut légitimer les pouvoirs de l’EPCI, de la même façon qu’il existe un suffrage direct départemental ou régional.

M. Alain Richard. Le suffrage supra-communal le peut évidemment !

Mme Hélène Lipietz. L’élection communautaire ne tuera pas les communes, car l’élection des conseillers régionaux n’a pas tué les départements. Ce sont des instances distinctes, avec des rôles distincts, ce que les électeurs et les électrices sont capables de comprendre.

Certes, d’aucuns disent que seules des collectivités de plein exercice doivent avoir leurs représentants élus au suffrage universel direct dans leurs circonscriptions. Mais alors pourquoi, dans ce cas, la métropole de Lyon serait-elle gouvernée pendant six ans par un doge ? (Protestations amusées sur les travées de l'UMP. – M. Michel Mercier s'exclame.) Je l'ai déjà dit !

En réalité, la démocratie et la légitimité qui en découle ne sont pas liées à la forme juridique du territoire à gouverner : un royaume peut être démocratique et une république, totalitaire.

M. Roger Karoutchi. C'est vrai !

Mme Hélène Lipietz. Pour que, sur le plan démocratique, un vote s'impose au niveau des aires de responsabilité, il faut que le territoire en question, quelle que soit sa forme juridique, ait des pouvoirs sur la vie des citoyens.

C’est bien ce qui est recherché en créant des intercommunalités de grande taille : qu’elles aient un vrai poids pour être dynamiques, pour offrir les services dont les citoyens ont besoin.

Certes, je n’ai jamais été bonne en droit constitutionnel,…

M. Alain Richard. On avait remarqué !

Mme Catherine Procaccia. Vous êtes méchants !

Mme Hélène Lipietz. … mais j'ai au moins l'honnêteté de le reconnaître, contrairement à certains ! (Sourires.)

Sauf erreur, donc, rien dans la Constitution n’interdit, par exemple aux EPCI ou aux syndicats à fiscalité propre, d’être dirigés par des représentants élus sur une base communautaire. La tradition l’interdit peut-être, mais nous sommes ici dans une loi de modernisation…

Ce qui est constitutionnellement obligatoire, c’est que les collectivités territoriales de plein exercice aient des représentants élus sur leurs bases territoriales respectives.

Ce raisonnement à partir des EPCI franciliens est encore plus pertinent pour les métropoles. Ne crée-t-on pas, pour la première fois dans l’histoire de la République, des collectivités territoriales à statut particulier que nous refusons de nommer ainsi, probablement par crainte de faire de l’ombre aux communes ou aux départements – la région comptant bien entendu pour du beurre ?

Ne violons-nous pas ainsi la Constitution, en refusant d’appeler « collectivités territoriales » les métropoles qui ne sont pas à statut particulier, voir les EPCI géants de la région parisienne ?

Ne violons-nous pas la Constitution en refusant d’appliquer le principe républicain du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, alors même que c’est pour le peuple que nous créons ainsi les métropoles ?

M. Alain Richard. Vous vous méprenez !

Mme Hélène Lipietz. Depuis la fin du duché de Bourgogne, dont les ducs, sauf exception personnelle, rendaient allégeance au roi de France, on n’a jamais vu en France de territoires aussi vastes, aussi puissants économiquement, sans élus au suffrage direct pour leur gouvernance.

M. Alain Richard. Cette comparaison est délirante ! Ces représentants sont élus au suffrage direct !

Mme Hélène Lipietz. Pas sur leur base et pour cette gouvernance !

De plus, l’absence de suffrage communautaire est un moyen de limiter, encore une fois, la parité au sein de l’exécutif territorial. Pourtant, il est de notre mission de législateur de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

M. Alain Richard. C'est fait !

Mme Hélène Lipietz. Et M. le maire de Lyon, sénateur de la République, de nous expliquer benoîtement, en commission mixte paritaire, que la parité sera impossible au niveau de l’exécutif métropolitain lyonnais parce que ce dernier sera issu de l’élection communale par fléchage et qu’il est donc impossible d’obliger les listes à se mettre d’accord a priori sur cette parité…

C’est donc bien l’absence de projet communautaire commun, porté par une équipe constituée a priori au niveau communautaire sur une liste présentée aux électeurs, qui est encore une fois contraire à la Constitution. Ce mode d’élection empêche en effet la parité au détriment des femmes, mais – rêvons un peu – peut-être un jour au détriment des hommes ! (Mme Isabelle Debré et M. Roger Karoutchi s'exclament)

Il y a neuf mois, les écologistes avaient proposé plusieurs modalités d’élection des intercommunalités. Si nous avions été suivis, nous n’aurions rencontré aucun problème de parité aujourd’hui.

Cette loi affirme peut-être les métropoles, mais elle ne saurait être qualifiée de « loi de modernisation de l’action publique ». Elle concentre un pouvoir colossal, sans séparation de l’exécutif et du législatif communautaires, entre les mains d’un président qui n’est pas porteur d’un programme supra-communal validé par les électeurs et les électrices.

Cette loi participe aussi à l’absence de parité, comme la composition de cet hémicycle – Mmes les ministres ne me contrediront pas – le confirme.

Les écologistes ne peuvent donc voter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)