compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin

vice-président

Secrétaires :

M. Marc Daunis,

M. Gérard Le Cam.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidatures à une commission spéciale

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des trente-sept membres de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 10 du règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été affichée.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d'établissements de santé ou leur regroupement
Discussion générale (suite)

Moratoire sur les fermetures de service et d’établissements de santé

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe CRC, la discussion de la proposition de loi tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d’établissements de santé ou leur regroupement, présentée par Mme Laurence Cohen et plusieurs de ses collègues (proposition n° 708 [2012-2013], résultat des travaux de la commission n° 278, rapport n° 277).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Dominique Watrin, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d'établissements de santé ou leur regroupement
Article 1er

M. Dominique Watrin, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes tous légitimement attachés aux établissements publics de santé. Je ne connais personne parmi nous, qui se soit réjoui un jour qu’un hôpital, une maternité de proximité ou encore un service phare d’un établissement hospitalier ferme ou fusionne, et cela bien évidemment au-delà de nos divergences politiques.

Je pense par exemple à notre collègue Catherine Procaccia qui, avec Laurence Cohen, Christian Favier et la députée Europe Écologie les Verts, Laurence Abeille, s’est mobilisée contre la fermeture annoncée de l’hôpital de santé des armées de Bégin. Je pense encore à l’adoption d’un vœu par le conseil municipal de Paris et son maire, Bertrand Delanoë, s’opposant à la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu, que j’ai personnellement visitées. Je pense aussi au député socialiste du Cantal, Alain Calmette, qui s’est mobilisé contre le projet de fermeture du service de réanimation du centre médico-chirurgical de Tronquières à Aurillac, ou au député socialiste de l’Orne, Joaquim Pueyo, qui a obtenu ce que nous demandons ici aujourd’hui, à savoir un moratoire sur le fonctionnement du service de radiologie et d’échographie du site hospitalier de Domfront.

La liste pourrait être encore plus longue, si je prenais le temps de mentionner dans le détail celles et ceux, députés, sénatrices et sénateurs, qui, à l’instar de nos collègues Jean-Vincent Placé ou Marie-Noëlle Lienemann, ont proposé l’instauration d’un moratoire sur les fermetures d’établissements. Je pense encore, sans chercher à dresser une liste exhaustive, à notre collègue Aline Archimbaud, qui s’est mobilisée avec nous activement contre la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu ou contre la fermeture de la maternité des Lilas. Or comment croire que toutes ces luttes locales, portées par les agents, les salariés, les collectifs d’usagers n’auraient pas de lien entre elles ?

Nous avons tous vécu, à un moment ou à un autre, les difficultés, voire l’impossibilité de se faire entendre par ceux qui ont les pouvoirs de décision. Nous avons aujourd’hui la possibilité de nous réunir et de montrer, au-delà de nos divergences politiques, que nos réactions et nos oppositions aux projets de restructuration problématiques dans nos départements ne sont pas des actes égoïstes ou électoralistes, mais qu’elles sont animées par des exigences légitimes en matière d’accès à des soins de qualité, à des tarifs opposables.

En votant cette proposition de loi tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d’établissements de santé ou leur regroupement, vous vous donnerez un outil pour imposer un véritable débat sur les propositions alternatives à tout affaiblissement du service public hospitalier.

Vous-même, madame la ministre, lorsque vous étiez secrétaire nationale du parti socialiste, demandiez, dans un communiqué de presse en date du vendredi 1er avril 2011, « un moratoire sur toutes les décisions de fermeture de services hospitaliers », précisant, ce que nous partageons, « l’hôpital ne peut pas être géré comme une entreprise commerciale ». Malheureusement, depuis, les choses n’ont pas réellement changé, les fermetures ou les regroupements de sites et de services ont continué, ce qui explique que nous soyons encore nombreuses et nombreux, localement, à nous mobiliser ; et pour cause, nous savons toutes et tous les conséquences que ce genre d’événements peuvent avoir : dévitalisation de nos territoires, éloignement des soins, accroissement des inégalités sociales et territoriales en santé et même parfois, émergence de risques sanitaires et médicaux.

Je note d’ailleurs que c’est notamment sur cette base qu’a été votée au Sénat l’expérimentation des maisons de naissance. Les auteurs de cette proposition de loi mettent justement en avant le choix de ne pas accoucher dans des structures de tailles inhumaines et surmédicalisées, argument que nous partageons, même si nous regrettons que le Gouvernement et l’opposition aient fait le choix, au final, de financer sur des fonds publics, devenus trop rares en période d’austérité budgétaire, des structures libérales, pratiquant des dépassements d’honoraires.

Ce n’est pas la conception que nous nous faisons, au sein du groupe CRC, de l’égalité d’accès aux soins. La sélection par l’argent doit être combattue par tous les moyens, et les financements publics doivent être réservés aux seules structures qui appliquent les tarifs opposables et respectent le tiers payant.

Aussi, mes chers collègues, l’adoption de cette proposition de loi nous paraît être non pas, comme nous avons pu l’entendre, une réponse dogmatique, puisque l’exigence d’un gel des restructurations, je viens de le démontrer, a été portée par toutes les tendances politiques, mais en réalité une réponse concrète à une situation d’urgence bien souvent. C’est une réponse immédiate mais temporaire, puisque le moratoire peut prendre fin si l’Agence régionale de santé fait la démonstration explicite que la fermeture du service ou de l’établissement public de santé est compensée par la création d’une offre au moins équivalente, c’est-à-dire qui réponde aux mêmes besoins de soins et respecte le tiers payant et les tarifs opposables.

Ne nous y trompons pas : chaque fois qu’un établissement public, une maternité ou un service hospitalier ferme ou disparaît d’un territoire, c’est systématiquement au profit direct ou indirect des cliniques commerciales ou des professionnels libéraux, qui, eux, pratiquent des dépassements d’honoraires et une discrimination par l’argent.

Je ne reviendrai pas sur la démonstration qu’a faite en commission Mme la rapporteur sur l’absence d’études préliminaires aux mécanismes de fusions pratiqués depuis plusieurs années. Toutefois, comment ne pas rappeler que l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, dans un rapport récent en date de mars 2012, a pointé les risques occasionnés par ces fusions – ce n’est pas nous qui l’inventons – : « L’expérience enseigne, en outre, que les processus de fusion sont en eux-mêmes sources de surcoûts ou de dysfonctionnements ».

Pourtant, en dépit de ce risque et d’autres conséquences importantes pour nos concitoyens, le rythme de ces fusions d’établissements ou de services ne s’est pas ralenti. Toujours selon le rapport de l’IGAS, « sur le seul périmètre des établissements publics de santé, 90 fusions depuis 1995, principalement entre deux établissements de taille petite ou moyenne : en quinze ans, ce sont ainsi 9 % des établissements publics de santé qui ont fusionné entre eux ».

Si l’IGAS considère que « ces opérations ne semblent pas être le fruit d’une politique nationale », nous y voyons, pour notre part, la conséquence directe des politiques de rigueur budgétaire menées depuis plusieurs décennies.

L’instauration d’une tarification à l’activité, destinée à se substituer intégralement aux dotations globales a entraîné une concentration de l’offre de soins dans certains territoires. Selon un rapport de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, sur les quatre pathologies étudiées – accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde, chirurgie du cancer du côlon, chirurgie de la hanche –, on note une augmentation de réadmissions à trente jours. La question que l’on doit se poser est la suivante : ne peut-on pas l’imputer au moins pour une part à la T2A, qui incite au raccourcissement des séjours ou à la convergence tarifaire, qui, sous prétexte de réduire les dépenses hospitalières, a eu pour effet d’imposer aux établissements publics de santé les tarifs pratiqués par les cliniques commerciales ? Alors même que, tout le monde le sait, les tarifs des établissements publics de santé et des cliniques lucratives ne sont pas comparables, dans la mesure où les cliniques externalisent certains actes et n’intègrent pas les honoraires des médecins.

Certes, vous avez, madame la ministre, mis officiellement un terme à cette convergence, ce dont je vous remercie, et avez rompu avec la pratique scandaleuse du gel des dotations destinées au financement des missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation, les MIGAC. Cependant, force est de constater que, dans le même temps, vous avez ordonné une campagne tarifaire de fixation des prix particulièrement austère, peut-être la plus dure menée depuis des années, pesant lourdement sur les budgets des établissements publics de santé.

C’est une réalité, la baisse des tarifs a été plus importante pour les hôpitaux que pour les cliniques commerciales, au point que nous sommes en droit de nous demander si la convergence tarifaire ne continue pas sous une autre forme. Comment ne pas voir aussi que l’insuffisance de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, et les baisses tarifaires poussent à l’accroissement des actes inutiles et redondants justement dénoncés dans un certain nombre de rapports récents ? Là encore, l’austérité budgétaire peut-être contre-productive.

Mes chers collègues, j’ai conscience que cette proposition de loi ne peut à elle seule suffire à stopper l’hémorragie et la « casse » du service public hospitalier auxquelles nous assistons depuis des années.

Bien entendu, il faudrait aller plus loin. Certaines personnes auditionnées par Mme la rapporteur, tout en soutenant le présent texte – je songe notamment aux représentants d’organisations syndicales ou du collectif « Notre santé en danger » – ont regretté qu’il ne soit pas plus ambitieux, qu’il ne mette pas un terme immédiat aux fermetures ou qu’il n’abroge pas la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, la loi HPST. D’autres acteurs, comme l’Association des médecins urgentistes de France, l’AMUF, tout en l’accueillant avec satisfaction, auraient souhaité qu’outre l’instauration d’un moratoire il limite quantitativement le nombre de suppression de lits au sein de chaque service.

Je souscris à ces critiques, bien qu’étant, avec ma collègue Laurence Cohen, à l’origine de cette proposition de loi. Je rappelle cependant que l’examen des propositions de loi dans le cadre des niches parlementaires est un exercice particulier, présentant de fortes contraintes : il s’agit de rédiger des textes courts, susceptibles d’être débattus et adoptés en moins d’une demi-journée. En outre – tous nos concitoyens ne le savent pas –, les parlementaires sont soumis au couperet de l’article 40 de la Constitution, qui interdit aux députés et sénateurs d’engager des dépenses publiques supplémentaires.

Compte tenu de ces deux contraintes, cette proposition de loi nous semble – avec d’autres, élus locaux, associations, collectifs d’usagers, organisations syndicales ou ordres professionnels – une mesure d’urgence et une disposition utile.

Ce texte est utile pour les luttes locales auxquelles j’ai fait référence. Ceux qui les mènent trouveront ici un outil pour se faire entendre, pour aboutir à des résultats. Il est utile, bien entendu, pour l’égalité sociale et territoriale en matière de santé. Mais il ne nous dispense pas de mener, collectivement, une réflexion plus large. Du reste, ce débat dépassera sans doute le strict cadre du présent texte et des mesures qu’il contient.

Ayons ce débat ! Au groupe CRC, nous sommes par exemple convaincus qu’il faudrait interdire au plus vite l’exercice libéral au sein des établissements publics de santé. Cette faculté offerte aux médecins d’organiser une sorte de « coupe-file » n’est pas tolérable, puisqu’elle permet aux patients qui en ont les moyens de bénéficier des structures et des interventions des établissements publics de santé sans délai, tandis que d’autres, plus modestes, sont contraints d’attendre !

Par ailleurs, nous sommes convaincus qu’il faut rénover le financement actuel des établissements publics de santé, mettre un frein immédiat au gel des tarifs et ne plus chercher à les aligner sur ceux des cliniques commerciales qui, je l’ai déjà rappelé, sélectionnent leurs clients et leurs actes.

Ce raisonnement nous conduit à exiger que les fonds publics ne soient mobilisés que pour les structures accueillant les patients sans dépassement d’honoraires et appliquant le tiers payant.

Je le dis très clairement : les dotations qui servent à financer les services publics devraient être calculées et pondérées en fonction des réalités sanitaires et sociales des départements. La tarification à l’activité doit, à tout le moins, être associée à des financements spécifiques, via une forme de dotation d’établissement tenant compte des inégalités de santé.

Sénateur du Pas-de-Calais, département auquel appartient le territoire de santé de Lens-Hénin, classé 348e sur 348 – dernier de la classe pour notre pays ! –, où les patients arrivent « cassés » à l’hôpital parce qu’ils ont hélas tardé à se soigner, je suis particulièrement sensible à cette exigence de péréquation positive hospitalière.

À cet égard, je dirai un mot du futur pôle hospitalier de la Gohelle, dont Mme la ministre visitera demain un service.

Les élus communistes, qui ont historiquement soutenu la création d’un centre hospitalier universitaire, CHU, défendent des exigences beaucoup plus fortes que celles qui sont inscrites dans le projet en matière de recherche universitaire. (Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales, acquiesce.)

Affirmer cette ambition avec plus de force permettrait de créer des conditions nouvelles pour fixer des spécialistes sur ce territoire qui en manque cruellement – il accuse un déficit de 30 % en la matière par rapport à la moyenne nationale – alors que c’est là que les besoins sont les plus criants. De surcroît, il serait possible de construire les liens indispensables avec les centres de santé, qui sont au nombre de 120 dans la région Nord-Pas-de-Calais et qui sont aujourd’hui en déclin faute d’investissements et faute de spécialistes.

C’est ainsi, en renforçant l’accès aux soins de premier recours – parce que ces centres de santé sont ouverts à tous, sans dépassement d’honoraires ni avances de frais – et en développant le lien entre l’hôpital public et les territoires que l’on s’attaquera aux retards de soins, identifiés comme la cause principale des retards de santé par le projet régional de santé du Nord–Pas-de-Calais. Ce faisant, on pourrait même dégager des économies, en limitant le recours aux urgences.

Encore faudrait-il, pour réussir, en avoir la volonté politique et se donner les moyens financiers nécessaires !

S’ajoute une autre problématique : il faut permettre aux établissements de santé qui veulent investir pour se développer ou se rénover de procéder de manière sécurisée. C’est pourquoi nous proposons que les établissements publics de santé soient autorisés à recourir à des emprunts directs auprès de la Caisse des dépôts et consignations plutôt qu’à des crédits exorbitants et risqués sur les marchés financiers – de tels cas se sont produits !

Au-delà, il faudrait remettre à plat la fiscalité pesant sur les établissements publics de santé. Dans la mesure où les cliniques commerciales sont autorisées à récupérer une partie de la TVA dont elles s’acquittent, les hôpitaux devraient pouvoir, pour tous leurs achats, bénéficier d’une TVA au taux réduit de 5,5 %.

En outre – c’est sans doute un sujet de désaccord entre nous, madame la ministre –, nous souhaitons que les établissements publics de santé soient dispensés de la taxe sur les salaires, qui constitue tout de même une charge supplémentaire représentant 10 % à 12 % des dépenses de personnel, soit environ 4 % de l’ensemble des ressources hospitalières. Cette imposition est d’autant plus inacceptable que les deux autres fonctions publiques en sont exonérées. Il s’agirait, au surplus, d’une mesure de simplification.

Telles sont les réformes courageuses que nous appelons de nos vœux, et que nous défendrons au titre du futur projet de loi de santé publique.

Je ne reviendrai pas sur la démonstration que j’ai effectuée en préambule. Je le répète simplement, il serait pour le moins paradoxal de s’opposer à la fermeture d’un établissement ou d’un service de santé dans son département sans pour autant voter cette proposition de loi.

Chacun prendra ses responsabilités en son âme et conscience. Je sais que de nombreux collectifs d’usagers sont attentifs à nos travaux. Je songe notamment à ceux des Bluets, des Lilas, de Saint-Mandé, de Vire, de Moutiers, de Valréas, de Dourdan, de l’Hôtel-Dieu, de Sarlat, de Fontainebleau, de Melun, de Concarneau, de Lure ou de Lens, et cette liste n’est pas exhaustive !

Mes chers collègues, malgré le vote survenu en commission des affaires sociales, je n’ose croire qu’il n’y aurait pas de majorité aujourd’hui, dans cet hémicycle, pour défendre le service public hospitalier et garantir l’égalité dans l’accès aux soins. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Gisèle Printz et M. Robert Tropeano applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Laurence Cohen, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, cette proposition de loi tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de services et d’établissements de santé ou leur regroupement a été déposée par les membres du groupe communiste, républicain et citoyen. Pourquoi avoir rédigé ce texte ?

Nous sommes partis d’un constat alarmant : depuis les années quatre-vingt-dix, le nombre de lits d’hospitalisation et de services hospitaliers a été considérablement réduit via de multiples décisions, mises en œuvre sans évaluation globale et, le plus souvent, sans véritable concertation.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 1995 et 2005, près de 1 200 recompositions hospitalières se sont succédé en France. Entre 1992 et 2003, 83 000 lits d’hospitalisation complète ont été supprimés,…

Mme Laurence Cohen, rapporteur. … représentant 15 % des capacités installées. Quelque 380 établissements – soit 11 % des établissements existant en 1992 – ont été supprimés ou regroupés. Dans le secteur public, le nombre de lits a chuté de manière beaucoup plus substantielle que dans le secteur privé, en pourcentage comme en volume.

Deux raisons sont fréquemment invoquées pour fermer les services de proximité : d’une part, des motivations financières et, d’autre part, l’idée selon laquelle la sécurité ne serait pas, ou serait insuffisamment assurée dans des « petites » structures.

Or ces deux arguments ne sont guère étayés scientifiquement. Je vais m’en expliquer, en me fondant principalement sur un rapport que l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, a publié en 2012.

Ce document, que l’on ne peut guère qualifier de partisan, dresse un bilan pour le moins mitigé des fusions et regroupements hospitaliers.

Tout d’abord – ce constat est clairement établi –, au-delà d’un certain seuil, la grande taille présente, pour un hôpital, plus d’inconvénients que d’avantages. Comme Dominique Watrin vient de l’indiquer, l’expérience enseigne que les processus de fusion sont, en eux-mêmes, source de surcoûts ou de dysfonctionnements. De fait, ces fusions peuvent constituer de réels gouffres financiers, comme l’illustre clairement le cas du nouveau centre hospitalier sud-francilien.

Ensuite, on n’a jamais conduit la moindre évaluation a posteriori pour déterminer, quelques années après les restructurations, quels en ont été le coût et les bénéfices.

La seconde motivation souvent avancée soulève un enjeu extrêmement important, comme nos débats en commission l’ont montré. Il s’agit de la sécurité et de la qualité des soins.

Des auditions et des débats en commission des affaires sociales est ressortie cette idée : un médecin dirige ses patients là où lui-même irait se faire soigner. Heureusement ! Mais on observe que ce critère dépend surtout du praticien, et non de la taille de l’établissement.

Quand on parle de sécurité des patients – donnée avec laquelle nul n’entend transiger –, il faut faire preuve de la même exigence. Aussi, quelle n’a pas été ma surprise d’entendre, en commission, un de nos collègues affirmer qu’il ne voyait aucun problème à ce qu’une femme accouche dans un camion de pompiers, tout en condamnant avec détermination une maternité au motif qu’elle ne dispose pas de service de réanimation !

Mes chers collègues, je vous rappelle qu’en vertu des décrets « Périnatalité » de 1998, seules les maternités de niveau III sont tenues de disposer d’une unité de réanimation néonatale. Est-ce à dire que toutes les maternités devraient être de niveau III ? Sauf erreur de ma part, nul ne le propose ni ne le souhaite.

À cet égard, j’insisterai sur l’exemple tout à fait emblématique des maternités. Leur nombre a chuté de 60 % en trente ans, baissant de 1 369 en 1975 à 554 en 2008, alors même que le nombre de naissances augmentait de nouveau. Parallèlement, le nombre de lits d’obstétrique a été divisé par deux. Entre 1995 et 2005, 126 maternités ont été fermées. Et je ne parle même pas des conséquences que cette évolution a entraînées sur les centres d’interruption volontaire de grossesse, ou centres IVG. D’après un rapport récent – datant de novembre 2013 – établi par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 130 centres IVG ont été fermés en dix ans.

Dans les faits, une déformation s’est fait jour dans la typologie des maternités : les établissements de niveau II ou III, c’est-à-dire les structures les plus techniques, ont vu leur nombre légèrement progresser, tandis que les maternités de niveau I, censées accueillir la très grande majorité des femmes, celles dont la grossesse est physiologique, sont, elles, passées de 415 à 263 ! Aujourd’hui, les maternités de niveau I ne rassemblent plus, au total, que 34 % des lits disponibles.

Cette évolution est tout bonnement irrationnelle, sur les plans tant financier qu’humain, étant donné que les coûts sont plus élevés dans les maternités de niveaux II et III et que les équipements dont ces établissements sont dotés ne présentent pas une absolue nécessité pour la grande majorité des femmes qui y accouchent.

Bref, la fermeture des « petites » maternités ne peut même pas se justifier par un gain financier éventuel. Surtout, la qualité de la prise en charge a souffert de cette évolution, car, je le répète, la plupart des patientes n’ont pas besoin d’une telle technicisation de l’accouchement. Au lieu d’expérimenter des maisons de naissance au statut juridique flou, pratiquant les dépassements d’honoraires tout en bénéficiant de subventions publiques, il est impératif, aux yeux des sénateurs de mon groupe, de préserver et d’encourager les maternités de niveau I.

Au surplus, les difficultés auxquelles les organismes de tutelle acculent aujourd’hui un certain nombre de maternités – dont celle des Lilas ou encore celle des Bluets – sont l’expression de cette évolution foncièrement négative, puisqu’elle pénalise les organismes qui entendent développer des prises en charge plus humaines.

Concernant l’argument d’une sécurité prétendument meilleure dans les grands établissements, le rapport de l’IGAS est particulièrement éclairant. En effet, il indique que la fixation de seuils minimaux d’activité se révèle, dans la pratique, très difficile. Une étude mentionnée dans le rapport l’illustre clairement : « L’idée largement répandue selon laquelle plus on soigne de malades et meilleurs sont les résultats se heurte à plusieurs démentis ».

Nombre de questions se posent : le volume minimal d’activité requis s’applique-t-il au service dans son ensemble ou aux professionnels eux-mêmes ? Le volume d’activité doit-il être comptabilisé intervention par intervention, par domaine pathologique ou par discipline ? L’expérience antérieure des professionnels est-elle prise en compte, etc. ?

En définitive, les motivations financières et de sécurité avancées pour justifier les fermetures ne résistent pas à une analyse précise de la réalité, d’autant qu’il est prouvé – concernant la sécurité – que l’éloignement dans l’accès aux soins est préjudiciable aux patients, qui renoncent à des soins ou y accèdent trop difficilement.

Emmanuel Vigneron, géographe de la santé, évoque un seuil de quarante-cinq minutes, dont le dépassement emporte de graves conséquences. L’impact des restructurations sur l’accès aux soins est très important, et des disparités considérables entre les territoires apparaissent en ce qui concerne les temps d’accès à l’hôpital.

Ainsi, dans trois départements, les Alpes-de-Haute-Provence, le Gers et la Lozère, le temps de trajet médian pour une hospitalisation dépasse quarante minutes, ce qui signifie que plus de la moitié des personnes mettent plus longtemps encore à gagner l’établissement ! Encore ces statistiques sous-estiment-elles la durée réelle, en affectant un temps de trajet nul pour les personnes hospitalisées dans leur commune. Dans tous les départements, la question essentielle est celle de la proximité.

Nous devons également prendre en considération les particularités géographiques de notre pays. La France est, notamment, plus vaste que ses voisins, et comporte des zones très denses comme des zones qui le sont très peu ou qui sont isolées. En dehors de la métropole, je pense à la situation de Marie-Galante, en Guadeloupe, où la maternité a été fermée peu avant qu’un cyclone n’empêche tout transfert entre l’île et Pointe-à-Pitre durant plusieurs jours. J’imagine que l’on a alors dit aux femmes qu’elles pouvaient attendre… De même, notre pays n’est pas uniquement constitué de plaines. Pensons aux régions montagneuses, dans lesquelles il est nécessaire de franchir un ou plusieurs cols pour se rendre dans un établissement de santé.

Il nous faut donc réfléchir en termes de densité et de dispersion de la population et, surtout, ne pas nous contenter d’une approche « macro », globale. Nous devons penser au plus proche du territoire et des besoins de santé.

On peut aussi relever que les restructurations hospitalières prennent fréquemment place dans des territoires que l’on peut qualifier de « déserts médicaux ». Un lien évident existant entre la présence d’un hôpital et la démographie médicale, les restructurations constituent ainsi une forme de double peine. Fermer des lits, des services ou des hôpitaux présente donc plus d’inconvénients que d’avantages, au regard même des objectifs affichés, qu’ils soient comptables ou liés à la sécurité des patients.

J’illustrerai ce point par l’exemple des urgences. La diminution du nombre de lits a un impact considérable, que l’on mesure pleinement aujourd’hui, sur le fonctionnement de ces services : un lien existe entre la diminution du nombre de lits et l’augmentation des passages aux urgences, qui ont crû de 75 % en quinze ans, sans rapport avec l’augmentation de la population.

La diminution du nombre de lits perturbe, en elle-même, le fonctionnement des services des urgences, qui doivent batailler pour placer leurs malades dans d’autres services et, finalement, en viennent à devoir les héberger plus longtemps qu’ils ne le devraient. Se dessine alors un cercle vicieux : la baisse du nombre de lits d’aval provoque plus de passages aux urgences et, conjointement, contribue à les engorger.

La situation de l’Hôtel-Dieu est emblématique, en ce sens, et cela permet de comprendre la bataille menée depuis de longs mois par de nombreux syndicalistes, médecins, usagers et élus afin de maintenir un service d’urgence et un hôpital de proximité en plein cœur de Paris.

Madame la ministre, il faut absolument limiter à un certain seuil – on a évoqué 5 %, ce qui me semble raisonnable – le nombre de lits fermés dans un établissement, afin de prévenir les situations d’engorgement que nous connaissons.

Si, en outre, la diminution du nombre de lits peut être justifiée pour certaines spécialités, en raison, par exemple, de l’évolution des techniques médicales, elle ne l’est pas pour les services plus polyvalents, en médecine ou en gériatrie.

Le vieillissement de la population et le développement des polypathologies plaident, au contraire, pour une augmentation de la prise en charge généraliste, ou polyvalente, au sein de l’hôpital. Les prises en charge très spécialisées ne sont pas toujours nécessaires mais, partout, des lits de médecine interne sont indispensables.

Outre ce mouvement de concentration vers de grands établissements éloignés, l’hôpital a subi depuis 2002 une série de décisions, que j’ai largement évoquées en commission, et que je résumerai aujourd’hui.

Une tarification à l’activité a été instaurée de manière hâtive en 2004-2005 sur l’ensemble du champ médecine, chirurgie et obstétrique, alors même que cette modalité de financement est fondamentalement contraire à l’esprit du service public, et présente de nombreux inconvénients.

On nous dit depuis quelques mois que la chirurgie ambulatoire est très peu développée en France. Cependant, les chiffres de l’OCDE démontrent le contraire : la durée moyenne de séjour à l’hôpital est nettement plus faible en France que dans plusieurs autres pays européens, avec 5,7 jours contre 9,8 jours en Allemagne, par exemple.

Au-delà de la seule T2A, et de la convergence tarifaire qui l’a accompagnée, une véritable idéologie de la concurrence s’est progressivement imposée, illustrée par l’utilisation de l’expression « hôpital-entreprise » par certains et parachevée par la transformation symptomatique du conseil d’administration en conseil de surveillance, un terme relevant du code de commerce. Surtout, certains estiment contre toute logique qu’il n’existe pas de différence entre les établissements publics et les établissements privés à but lucratif.

Le groupe auquel j’appartiens affirme aujourd’hui, comme hier, que la santé n’est pas une marchandise et que l’hôpital n’est pas une entreprise. Malheureusement, on entend parler maintenant des « parts de marché » pour tel ou tel établissement de santé.

Madame la ministre, alors que vous sembliez partager ce constat lorsque vous étiez avec nous dans l’opposition, ainsi que pendant la campagne électorale de 2012, je ne peux que regretter le faible nombre de mesures prises par ce gouvernement en faveur du secteur hospitalier public.

La convergence tarifaire, si décriée et officiellement abrogée, s’est poursuivie en 2013. Le concept de service public hospitalier, supprimé par la loi HPST, n’a toujours pas été rétabli. Il est temps de le faire, car cela conférerait un sens à une politique de santé publique ambitieuse.

L’amélioration des conditions de travail et du dialogue social à l’hôpital reste également dans les limbes, malgré les multiples rapports que vous avez commandés dans la perspective d’un « pacte de confiance ».

J’évoquerai aussi le scandale de l’exercice dit libéral à l’hôpital. Des praticiens hospitaliers, certes peu nombreux, continuent à engranger des rémunérations complémentaires, parfois extravagantes, en utilisant le nom et les ressources de leur hôpital, et je ne parle pas des différences de traitement entre les patients en termes de délais d’attente, dont nous avons tous entendu parler. Il faut mettre fin à ces pratiques.

Vous me direz que la future loi de santé publique réglera toutes ces questions. Nous l’attendons, toutes et tous, avec impatience, cela a été longuement dit en commission, et je m’associe à l’ensemble de mes collègues qui appellent ce débat de leurs vœux de manière urgente.

Permettez-moi cependant, toute jeune parlementaire que je sois, de rester prudente en entendant dire qu’une loi réglera tous les problèmes !

Face au mouvement de concentration, synonyme d’éloignement des soins, et aux transformations en cours à l’hôpital, notre proposition de loi vise à ménager le temps de la réflexion et à prévenir les décisions irrémédiables, en s’appuyant sur la démocratie sanitaire.

Ce que nous proposons, c’est un moratoire. Je me permets de vous rappeler la définition de ce terme, afin que l’on ne dénature pas notre proposition de loi : « décision d’accorder un délai ou une suspension volontaire d’une action ».

Nous proposons donc de ne permettre la fermeture d’un hôpital, d’un service ou d’un regroupement qu’après un avis favorable de son conseil de surveillance et de la conférence de territoire, sauf si une offre de santé au moins équivalente, en tiers payant, et proposant des tarifs opposables, est garantie à la population concernée. La commission médicale d’établissement et le comité technique devront également être consultés.

Nous entendons ainsi mettre en avant la concertation pour pallier le manque criant de démocratie sanitaire que nous constatons aujourd’hui. Les décisions contradictoires prises successivement par l’Agence régionale de santé concernant le dossier de la reconstruction de la maternité des Lilas sont emblématiques de cette absence de concertation. Je pourrais, hélas ! en multiplier les exemples.

Il ne s’agit donc pas de figer la situation et d’empêcher toute évolution, il s’agit bien de faire émerger les décisions du territoire et des acteurs locaux. Si un projet est pertinent et répond aux besoins de santé du territoire, il n’y a aucune raison pour qu’une décision de regroupement ou de fusion soit rejetée. Il existe des exemples réussis de fusion ; cette proposition de loi ne les aurait aucunement empêchés.

Naturellement, cette mesure ne s’appliquerait pas en cas de risque grave et imminent pour la santé et la sécurité des personnels ou des usagers, formulation usuellement utilisée dans le code de la santé publique pour définir les situations dans lesquelles la tutelle peut décider de mesures de sauvegarde. Prenons garde, toutefois, que cela ne se retourne pas contre l’intérêt collectif : en privant sciemment les services de personnel ou de moyens, on empêche parfois leur bon fonctionnement, de telle sorte que la fermeture s’impose comme « la » solution, au nom de la sécurité !

Il faut absolument stopper l’hémorragie et se donner le temps de la réflexion pour revenir à un modèle hospitalier plus conforme à notre culture, à notre histoire et aux besoins des patients et de leurs familles. Tel est l’objectif de cette proposition de loi, dont l’objet immédiat est nécessairement affecté par les contraintes législatives et le temps limité qui nous est imparti dans le cadre des niches réservées aux groupes.

Il n’y a pas, d’un côté, les « modernes », qui voudraient faire évoluer l’hôpital en lien avec les progrès technologiques et, de l’autre, les « ringards », accrochés à un fonctionnement dépassé !

Il ne s’agit pas, pour nous, de prôner le statu quo. L’hôpital doit s’adapter aux nouvelles exigences et on ne saurait remonter le temps. Cependant, il ne faut plus poursuivre sur le chemin que tracent depuis une dizaine d’années de multiples décisions éparses prises sans conscience des graves dérives qu’elles étaient susceptibles d’entraîner. Nous devons nous accorder le temps d’élaborer ensemble, avec tous les acteurs de la santé, un nouveau modèle et, à cette fin, cesser de prendre des décisions irrémédiables affectant la vie des patients et l’accès aux soins.

Cette proposition de loi pourrait être qualifiée de principe de précaution ou de mesure de sauvegarde.

Madame la ministre, mes chers collègues, une majorité de la commission a rejeté le texte de cette proposition de loi, avec des arguments divers. Cependant, comme l’a dit mon collègue Dominique Watrin, chacune et chacun d’entre nous, ici, s’est un jour ou l’autre mobilisé pour défendre son hôpital ou tel ou tel de ses services.

Pour illustrer mon propos, je souhaite rappeler que le conseil régional d’Île-de-France a adopté en novembre 2012 un amendement tendant à demander un moratoire sur les restructurations, dans l’attente de la nouvelle loi de santé publique. Son président, Jean-Paul Huchon, et sa vice-présidente en charge de la santé, Laure Lechatellier, se sont personnellement exprimés en faveur de ce moratoire.

Cette proposition de loi est attendue : il est indispensable d’évaluer les politiques publiques qui ont été menées et qui ont conduit le système public hospitalier dans la situation que nous connaissons aujourd’hui.

Contrairement aux propos que j’ai entendus en commission des affaires sociales, et dont vous pouvez prendre connaissance dans le rapport publié, la majorité des personnes auditionnées soutiennent cette proposition : la CGT Santé, le collectif de soutien de la maternité des Lilas, l’Association des médecins urgentistes de France – AMUF –, le professeur Emmanuel Vigneron, le Syndicat de la médecine générale (M. Jacky Le Menn fait un signe de dénégation.)