M. Antoine Lefèvre. Il s’agit, au travers de cet amendement, d’évoquer le problème des pièces de rechange du secteur automobile. Utilisées pour rendre leur apparence initiale à des produits complexes, tels les véhicules automobiles, ces pièces de rechange sont actuellement protégées au titre des dessins et modèles et du droit d’auteur, qui bénéficient aux seuls constructeurs automobiles.

Une telle protection, qui n’existe pas dans tous les États membres de l’Union européenne et n’est en vigueur dans aucun pays limitrophe de la France ou qui n’y est pas appliquée, empêche les consommateurs se trouvant en France de disposer d’un choix concernant l’origine des pièces de rechange employées pour la réparation. En effet, celles-ci ne sont aujourd’hui commercialisées que par le constructeur.

Dans son avis du 8 octobre 2012, l’Autorité de la concurrence, l’ADLC, a estimé que cette exception, prévue par le droit français de la propriété intellectuelle, engendrait des distorsions de concurrence et des freins au développement d’une véritable filière aval de la pièce de rechange. Par ailleurs, cette exception porte fortement préjudice au pouvoir d’achat du consommateur, puisqu’il n’existe actuellement aucune pression concurrentielle susceptible de faire baisser les prix de ces pièces. Aussi l’ADLC préconise-t-elle d’y mettre fin en modifiant le code de la propriété intellectuelle.

Il n’en est pas moins primordial de veiller à ce que les pièces ou composants mis sur le marché soient de qualité. C’est pourquoi la mise en œuvre d’une clause de réparation pourrait être réservée aux pièces d’origine ou de qualité équivalente, telles que définies à l’article 3 de la directive du 5 septembre 2007 et au point 19 des lignes directrices supplémentaires sur les restrictions verticales dans les accords de vente et de réparation de véhicules automobiles et de distribution de pièces de rechange de véhicules automobiles, fixées par la Commission le 28 mai 2010.

L’ouverture prévue au travers de cet article serait ainsi limitée aux équipementiers qui conçoivent, développent, fabriquent et garantissent des pièces d’origine ou de qualité équivalente.

Notre système de propriété intellectuelle repose sur un postulat simple : octroyer une exclusivité légale temporaire aux inventeurs et créateurs afin d’inciter et de récompenser l’innovation et la prise de risques.

Force est toutefois de constater que cet objectif n’est pas atteint en matière de dessins et modèles. En l’état actuel de la législation, les constructeurs titulaires de droits de propriété intellectuelle sur le véhicule empêchent les ventes par les équipementiers à la rechange indépendante ainsi qu’aux distributeurs des réseaux de constructeurs.

Cette restriction appliquée aux pièces visibles est d’autant plus choquante lorsque les technologies sont développées et maîtrisées par les seuls équipementiers et échappent au champ de compétence des constructeurs. Dans ces domaines, l’apport créatif, inventif et technologique ainsi que le savoir-faire industriel des équipementiers sont donc primordiaux.

Il en résulte que la législation française relative aux dessins et modèles se traduit actuellement par une rente légale au profit des constructeurs, alors même que ces derniers ne participent au mieux qu’à une fraction du développement de certaines pièces visibles. Or les équipementiers ont acquis un rôle croissant avec le temps, et réclament naturellement une libéralisation du marché. En effet, plus de 75 % de la valeur des véhicules correspond au travail des équipementiers ou des sous-traitants. Ceux-ci sont à l’origine de produits qui, contrairement aux pièces non visibles, ne peuvent être commercialisés librement du fait du monopole. Cette situation nuit à leur développement, voire condamne les entreprises concernées lorsque les constructeurs délocalisent leur production.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 58.

M. Jacques Mézard. Cet amendement est cosigné par dix-huit des dix-neuf membres que compte le groupe auquel j’appartiens. Notre collègue et ami Jean-Pierre Chevènement, qui, seul, n’y a pas apposé sa signature, vient de m’exprimer de nouveau tout l’intérêt qu’il verrait à ce qu’il ne soit pas adopté, eu égard aux difficultés éprouvées par Peugeot. M. le rapporteur est sans nul doute sensible à cette situation, au-delà de cette seule société.

Toujours est-il que, depuis plusieurs années, nous soumettons régulièrement cet amendement à la Haute Assemblée. Je constate qui plus est que nous ne sommes pas les seuls à le soutenir : il est tout de même malheureux que le marché des pièces de rechange visibles employées pour les réparations de véhicules automobiles soit bloqué, comme il l’est, par les constructeurs.

Monsieur le ministre, nous défendons depuis plusieurs années une mesure destinée à réduire le coût des pièces détachées automobiles pour les consommateurs.

Hier, vous souhaitiez réduire le coût des lunettes, et ce à très juste titre, pour une grande partie de nos concitoyens.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Ce n’est pas pareil !

M. Jacques Mézard. Vous pouvez prétendre que ce n’est pas la même chose, mais nous y voyons clair, monsieur le ministre ! (Sourires.)

M. Claude Bérit-Débat. Des verres français, et de chez Essilor ! (Nouveaux sourires.)

M. Alain Fauconnier, rapporteur. De vrais pare-brise ! (Même mouvement.)

M. Jacques Mézard. Il nous apparaît très clairement que réduire le coût pour le consommateur d’un certain nombre de pièces automobiles n’est pas une opération neutre. Ici apparaissent les difficultés inhérentes à l’exercice des responsabilités ministérielles : l’équilibre est rarement facile à atteindre !

M. Christian Cointat. Très juste !

M. Jacques Mézard. Je maintiens donc nos positions, car les pièces de rechange automobiles, nous le savons tous, sont souvent démesurément chères dans notre pays, au détriment des automobilistes français.

M. Antoine Lefèvre. Très bien !

M. Jacques Mézard. C’est particulièrement vrai dans des zones géographiques où il est impossible de se déplacer sans véhicule automobile. Le marché des pièces détachées captives est, en réalité, soumis à un monopole des constructeurs automobiles.

J’entends les propos de M. le rapporteur, qui trouve cette idée intéressante, mais considère que la situation actuelle de nos constructeurs est telle que son application ne paraît pas urgente. Il y a quelques années, alors que le marché ne connaissait pas de difficultés, la réponse du Gouvernement était pourtant exactement la même ! Il ne saurait l’oublier : il était déjà au Sénat. Pour notre part, nous continuons de défendre avec conviction ce en quoi nous croyons.

Ce monopole résulte d’une protection des pièces captives au titre des dessins et modèles dans le code de la propriété intellectuelle, ainsi que vient de le rappeler notre collègue Antoine Lefèvre. Notre amendement ne remet pas en cause la protection du véhicule sur le marché primaire, c'est-à-dire celui de la fabrication, mais vise simplement à exclure la protection des pièces détachées au titre des dessins et modèles sur le marché secondaire, celui de la réparation.

Monsieur le ministre, vous ne pouvez ignorer que cette demande émane de milliers d’artisans, d’équipementiers et de réparateurs automobiles. Elle est légitime, dans la mesure où la situation française est atypique (M. Antoine Lefèvre opine.) au regard de celle d’autres pays.

Certes, on peut toujours affirmer la nécessité de protéger nos fabricants automobiles, nous y sommes tous sensibles. Mais ce n’est pas en restant aveugles à un problème, monsieur le ministre, vous qui êtes si sensible à l’optique (Sourires.), que nous continuerons à avancer !

M. Antoine Lefèvre. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour présenter l'amendement n° 217.

M. Philippe Adnot. Sans reprendre les arguments qui viennent d’être exposés, je souhaite insister sur un point particulier. Les constructeurs automobiles, dont nous comprenons parfaitement les motivations, sont contraints de s’organiser à l’étranger avec la concurrence des producteurs de pièces. Ils y parviennent très bien, et continuent de se développer et de vendre sans difficulté.

Et l’on nous fait croire que les confronter à la même concurrence en France poserait problème ? C'est-à-dire qu’en France les consommateurs n’auraient pas le droit de bénéficier des mêmes économies qu’en Belgique ou dans les différents pays voisins ! (M. Christian Cointat opine.) Mais c’est une situation à se taper la tête contre les murs !

Cela signifie donc que le Gouvernement entend créer les conditions d’un marché français plus cher pour les consommateurs, alors qu’en s’éloignant de quelques kilomètres pour s’approvisionner en Belgique ceux-ci ne rencontreraient aucune difficulté ! Et les constructeurs parviendraient à faire fortune à l’étranger dans ces conditions, mais pas en France…

Je voudrais que l’on fasse preuve d’un peu de bonne volonté et de raison. Je suis très proche des constructeurs, mais, sur cette question, il me semble que chacun doit faire un effort, au bénéfice des consommateurs.

M. Christian Cointat. Très bien !

M. le président. L'amendement n° 221 rectifié, présenté par MM. Adnot, Türk et Bernard-Reymond, est ainsi libellé :

Avant l’alinéa 1

Insérer trois paragraphes ainsi rédigés :

... - L’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« 10° La reproduction, la représentation et l’adaptation totale ou partielle des pièces destinées à permettre la réparation d’un produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale et cela quelles que soient la nature et la consistance de l’œuvre protégée. À titre transitoire, et pour une durée qui ne peut excéder trois années à compter de l’entrée en vigueur de la loi n° … du … relative à la consommation, ces dispositions ne s’appliquent que lorsque ces pièces ont la même origine que les pièces utilisées pour la fabrication du produit complexe. »

... – L’article L. 513-6 du même code est complété par un d) ainsi rédigé :

« d) des actes de reproduction, de commercialisation et d’exploitation des pièces destinées à permettre la réparation d’un produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale et cela quel que soit l’objet du modèle déposé. À titre transitoire, et pour une durée qui ne peut excéder trois années à compter de l’entrée en vigueur de la loi n° … du … relative à la consommation, ces dispositions ne s’appliquent que lorsque ces pièces ont la même origine que les pièces utilisées pour la fabrication du produit complexe. » ;

... – Au plus tard deux ans après l’entrée en vigueur de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement sur les incidences de ces dispositions sur la situation de concurrence sur le marché des pièces de rechange automobiles.

La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Fauconnier, rapporteur. Il faut certainement améliorer le fonctionnement du marché de la pièce de rechange automobile. Toutefois, la situation de l’emploi en France et la fragilité de nos constructeurs automobiles incitent à la circonspection, ainsi que les uns et les autres l’ont souligné.

Avec les professionnels, le Gouvernement a pris et prépare des mesures ciblées. L’occasion est propice à lui demander un bilan de la situation et des perspectives sur ce sujet.

Dans cette attente, l’avis de la commission est défavorable sur ces quatre amendements.

J’ajoute un clin d’œil : hier nous parlions beaucoup d’optique. Dans le domaine automobile, les optiques, et leur tarif, constituent un véritable sujet, qui est ressorti des auditions ! Faisons tout de même la différence entre ces optiques et les lunettes…

M. Jacques Mézard. Merci de cet éclairage ! (Sourires.)

M. Antoine Lefèvre. Oui, c’est très éclairant ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Dans sa démonstration, M. Jacques Mézard faisait remarquer avec malice qu’alors que nous étions favorables à l’introduction de la concurrence dans l’optique, nous l’étions moins en ce qui concerne les pièces détachées. Il laissait entendre que l’art de gouverner demandait d’être funambule, de maîtriser le grand écart, bref, d’avoir les compétences d’un bon gymnaste, ou, au moins, des adducteurs souples ! C’est sans doute recommandé, mais ce n’est pas le cas, en l’occurrence.

Il s’agit en effet de deux marchés très différents. Le secteur de l’optique a connu durant les dix dernières années une croissance de 40 % du nombre d’établissements, pour une croissance du marché de 10 %. Cette augmentation quatre fois supérieure indique bien que le secteur prospère.

Nous serions bien incapables de faire la même démonstration en ce qui concerne le secteur automobile, où l’emploi a connu une crise incontestable. Le secteur de l’optique a vu ses marges croître dans des proportions importantes : on évoque des marges de 233 % sur les montures. Reconnaissons ensemble que les marges réalisées sur les automobiles, et même sur les pièces détachées, ne sont pas du même ordre !

Le mot risque de faire bondir le président Mézard, mais il ne m’apparaît pas qu’il nourrisse une vision religieuse de la concurrence ! (Sourires.) Moi non plus. Dans ce domaine, il me semble positif d’introduire de la concurrence si cela doit avoir un impact sur le pouvoir d’achat. La mesure que vous proposez en aurait un, qu’a chiffré l’Autorité de la concurrence, favorable à la libéralisation de ce marché : cinq euros par an et par consommateur. Cela ne l’empêche pas de soutenir cette ouverture, sur la base de son rapport.

À côté de cet aspect « pouvoir d’achat », il faut prendre en compte la dimension économique. Nous tentons d’apprécier l’opportunité d’une libéralisation de la commercialisation des pièces détachées automobiles à l’aune de ces deux éléments : cinq euros par an valent-ils une déstabilisation du secteur de l’automobile ? Cette équation justifie la position défavorable du Gouvernement à cette proposition.

Il n’est pas possible, à mon sens, de dresser un parallèle entre ce que nous avons fait concernant l’optique et ce que nous pourrions faire concernant l’automobile. Certes, cela engendrerait un gain de pouvoir d’achat, mais il m’apparaît trop faible pour accepter de déstabiliser un secteur déjà durement touché.

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, rapporteur.

M. Martial Bourquin, rapporteur de la commission des affaires économiques. Au cours d’une séance, il arrive que l’on provoque malencontreusement un vote, que l’on regrette ensuite. Ce débat concerne plusieurs milliers d’emplois sur le sol national. Il s’agit, pour Renault comme pour PSA, d’entreprises qui ne travaillent que pour les pièces détachées. Celles-ci sont protégées par la propriété intellectuelle ! Les dessins et modèles appartiennent intellectuellement à un constructeur et répondent à un certain nombre de contraintes : le Cx, l’esthétique, mais également la sécurité.

Considérons le fait que ces pièces sont produites chez nous à 95 %, et que nos deux constructeurs automobiles, PSA et Renault, créent sur le sol national ces dessins et modèles, et accordons-nous pour perpétuer cette situation.

Certes, le parallèle établi par le président Mézard est intelligent, comme le sont toujours ses interventions. Les situations sont cependant totalement différentes ! Dans l’une, une valeur ajoutée supplémentaire est produite, qui nous conduit à chercher à en faire bénéficier le consommateur. Dans l’autre, le marché est protégé par la propriété intellectuelle, et, surtout, la production est encore nationale.

Je connais bien le site de PSA à Vesoul, dont Yves Krattinger pourrait parler, et Renault dispose d’un site comparable en région parisienne. Ces usines, qui produisent également à l’export, font travailler des milliers de salariés. Quand la crise avec l’Iran a conduit à l’arrêt de la vente de véhicules à ce pays, emportant des conséquences considérables pour nos deux constructeurs, je vous assure que ces deux sites ont été très éprouvés. N’en rajoutons pas.

Il faut savoir raison garder. Sur un sujet tel que celui-là, ayons le réflexe, j’y insiste, de la défense du tissu industriel, et gardons la volonté de fabriquer chez nous. Certes, quelques pays ont libéralisé, mais d’autres, qui disposent d’une industrie automobile, ne l’ont pas fait. L’Allemagne connaît régulièrement des procès que les constructeurs gagnent systématiquement, au nom de la propriété intellectuelle des dessins et modèles. Imaginons que, pour un avion, on se mette à vendre n’importe quelle pièce ! Jean-Jacques Mirassou pourrait vous en expliquer les conséquences.

Récemment, un stock de pièces copiées a été symboliquement écrasé. Elles pesaient parfois 40 % plus lourd que les pièces authentiques : cela déséquilibre complètement un véhicule. Certes, elles étaient bradées !

Enfin, nous savons très bien que cette forte demande de libéralisation émane d’entreprises du sud-est asiatique. Qu’elles le demandent, c’est normal (Mme Marie-Noëlle Lienemann opine.) ; que nous, nous l’acceptions, c’est autre chose ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. André Trillard. C’est une honte !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 26 rectifié, 58 et 217.

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, nous avons reçu votre confession, mais nous ne vous accorderons pas l’absolution ! (Sourires.)

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Je n’en attendais pas moins de votre part !

M. Jacques Mézard. Je suis sensible aux arguments de M. Martial Bourquin. Vous nous dites aujourd’hui que le secteur fait face à des difficultés, nous l’entendons et nous devons être très prudents. Nous ne doutons pas, et vous nous le rappelez régulièrement, que si le Sénat votait ces dispositions, l’Assemblée nationale les balayerait. Toutefois, comme notre collègue Adnot l’a parfaitement exprimé, le problème est que le consommateur paye deux fois la propriété intellectuelle : au moment de l’achat, puis lors de la réparation.

Il n’y a, tout de même, que deux fabricants en France. Certes, je suis d’accord, il nous faut les conserver et leur permettre de se développer. Cependant, depuis des années, ils ne font strictement aucun effort dans ce domaine.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. C’est vrai.

M. Jacques Mézard. L’Autorité de la concurrence l’a dit. Il y a un blocage. Bien sûr, nous devons être attentifs dans les périodes de crise, mais il faut tout de même leur délivrer des messages, monsieur le ministre.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Absolument !

M. Jacques Mézard. Quand ils allaient bien, ils nous tenaient très exactement le même discours !

Nous avons entendu des avis éclairants sur ce dossier, en particulier de la part de M. Mirassou, et nous lui en savons gré. Je maintiens néanmoins cet amendement, car on ne peut pas continuer durablement ainsi. Il est en effet contraire à l’intérêt de nos constructeurs de se cramponner à des solutions excessives.

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour explication de vote.

Mme Élisabeth Lamure. Ces amendements partent d’une bonne intention et font valoir un objectif louable : baisser les prix. Il faut cependant penser à l’industrie automobile française, dont je rappelle que les pièces protégées sont essentiellement fabriquées en Europe, puisque 96 % des pièces de carrosserie des constructeurs français sont produites dans l’Union européenne, dont 71 % en France.

Les pièces alternatives présentes sur les marchés libéralisés, comme en Grande-Bretagne ou en Belgique, proviennent, elles, majoritairement de Taïwan.

Nous devons donc bien mesurer les avantages et les inconvénients de ce dispositif, ainsi que les dommages collatéraux qu’une modification pourrait entraîner.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Il me semble que nous sommes tous d’accord sur un point : nous souhaitons que le consommateur paye moins cher, tout en refusant de mettre en péril les entreprises. Réfléchissons tout de même aux dangers d’une certaine présentation des choses. Les constructeurs de véhicules rencontrent des difficultés, alors nous devrions être – pardonnez-moi l’expression, mais c’est bien le cas –protectionnistes.

On trouvera toujours un argument pour introduire le protectionnisme, afin d’essayer d’éviter la concurrence. Chaque profession, chaque entreprise tentera de museler son marché pour avoir une position dominante et être alors en capacité de maîtriser beaucoup plus facilement ses prix. Il est extrêmement dangereux de s’engager dans cette voie.

Ce projet de loi est destiné aux consommateurs. Si vous voulez que ces derniers nous fassent confiance, il faut qu’ils sachent que nous prenons principalement en compte leur intérêt, sans que cela remette, bien entendu, en cause les entreprises, ni place celles-ci en difficulté. En effet, sans entreprise, il n’y a pas de consommateur ! Il faut un équilibre, vous l’avez souligné vous-même, monsieur le ministre. Mais on ne peut se cacher régulièrement, parce qu’il y a une pression d’un côté, derrière le protectionnisme, sauf à ne pas remplir notre fonction ni notre mandat. Nous placerions alors les consommateurs dans une position de défiance à l’égard de nous-mêmes.

Il faut être très clair : nous défendons les consommateurs. Voilà pourquoi je voterai en faveur de cet amendement.

Du reste, les constructeurs automobiles français se débrouillent très bien dans les autres pays européens, alors qu’ils sont face à une concurrence qui n’existe pas dans notre pays.

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour explication de vote.

M. Philippe Adnot. Il faut faire attention aux arguments que l’on avance : on ne peut pas dire que l’économie réalisée serait complètement marginale pour les consommateurs et qu’elle ne représenterait rien et, en même temps, qu’elle détruirait des milliers d’emplois. Sauf à prétendre qu’il suffirait de mobiliser cinq euros par consommateur pour résoudre tous les problèmes d’emploi ! On ne peut donc pas défendre ce double argument.

Pour ma part, je ne me sens pas défenseur de Taïwan, mon cher ami Martial Bourquin. Si, demain, le marché se libéralise un peu, ce sont les entreprises françaises qui fourniront les pièces détachées, alors que vous semblez penser qu’elles ne feront pas partie du marché. Les fournisseurs captifs des constructeurs automobiles ne créent pas la valeur ajoutée ni la marge. Mais ce sera différent si le marché se libéralise, et cela permettrait de créer aussi des milliers d’emplois chez nos fournisseurs de pièces détachées.

Il est commode de prétendre que le protectionnisme est la solution. Mais ce n’est pas du tout ainsi que cela se passe.

Je ne me sens pas défenseur des entreprises extérieures, je me sens défenseur des entreprises de production de pièces détachées françaises, car, demain, dans un marché un peu plus libre, elles pourraient gagner un peu plus d’argent – on connaît leurs contraintes actuelles –, ce qui leur permettrait de créer des emplois, et défendre les consommateurs. Je défends à la fois les consommateurs et les entreprises françaises qui fournissent des pièces détachées.

M. Christian Cointat. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour explication de vote.

Mme Valérie Létard. Comment opposer des entreprises industrielles dont on ne peut pas se passer et qu’il faut absolument sauver à des consommateurs qu’il faut protéger ? Comment se positionner en faveur des unes ou des autres ? On a forcément besoin des deux. La question est de savoir où est la ligne médiane.

Pour ce qui me concerne, je vis dans un territoire où l’on essaie de sauver l’industrie. On travaille en collaboration avec l’université et le technopôle sur la mobilité de demain, le véhicule hybride, le ferroviaire de demain, en essayant de conserver PSA, Toyota, ainsi que les équipementiers. Vous le savez, le revenu moyen de la population du Nord n’est pas le plus élevé du monde. On aurait donc bien sûr envie de donner à ces habitants les moyens de pouvoir acheter des pièces détachées à un meilleur prix.

J’ai entendu de nombreux éléments intéressants et importants. Nos collègues Jacques Mézard et Philippe Adnot ont raison, il faut trouver la voie médiane. Toutefois, aujourd'hui, deux forces s’opposent. Rien n’a été fait pour permettre à nos industriels de continuer à vivre dans notre pays, même si la réalité économique n’est pas simple, eu égard, notamment, aux charges qui pèsent sur eux. La situation est certainement moins avantageuse que dans d’autres pays, où le prix des pièces détachées est moins élevé, l’équilibre global étant plus facile à atteindre. Mais la question n’est pas là.

Si on prenait une telle décision, on fragiliserait un certain nombre de nos entreprises industrielles. Ce n’est pas compliqué : si l’on met en péril PSA ou Toyota, qui totalisent chacune 3 800 emplois directs et deux fois plus d’emplois induits, sur un bassin de vie comme le nôtre, on rentre tous à la maison ! Plus question alors d’acheter des pièces détachées, qu’elles aient été produites à bas coût ou pas, puisque plus personne n’aura les moyens de le faire !

En revanche, je suis convaincue, monsieur le ministre, qu’il faut prendre l’attache de nos industriels et des entreprises qui vendent des pièces détachées pour voir de quelle façon on peut s’assurer que les pièces détachées ont bien été fabriquées en Europe. Dans le même temps, nos industriels doivent, eux aussi, faire un pas en direction des consommateurs.

Nos collègues Jacques Mézard, Philippe Adnot, Christian Cointat et d’autres encore ont eu raison de susciter ce débat. Moi aussi, j’ai été mobilisée et je suis sensible à cette question. Mais on ne saurait prendre une telle décision de but en blanc sans risquer de mettre en péril notre industrie. Cependant, celle-ci doit aussi se remettre en question pour voir comment elle peut cheminer.

Aussi, je ne voterai pas ces amendements identiques, même si j’ai bien entendu qu’il fallait avancer.

M. Jean-Luc Fichet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Ce débat très intéressant a au moins le mérite de donner l’alerte. Il ne nous appartient pas aujourd'hui de décider qu’il y aura de la concurrence ou pas. Il y a de la concurrence, et il y en aura de plus en plus. Si notre industrie automobile compte sur une rente pour assurer son avenir, il est certain que, tôt ou tard, elle périclitera.

Le débat entre l’intérêt des producteurs et celui des consommateurs, avec l’opposition artificielle que l’on peut être tenté de faire, est largement stérile.

En effet, je rejoins là notre collègue Valérie Létard, on ne peut pas, dans l’improvisation, de but en blanc, mettre fin à la rente dont bénéficient nos constructeurs, mais, dans le même temps, on ne peut pas non plus les rassurer, en leur affirmant que cette rente leur est définitivement acquise.

Mme Valérie Létard. Tout à fait !

M. Philippe Bas. Aujourd'hui, nos constructeurs nous le disent régulièrement, les consommateurs français achètent des véhicules étrangers. Ils peuvent se procurer des pièces détachées au-delà de nos frontières à des tarifs beaucoup plus intéressants que ceux qui sont pratiqués en France. Mais nous ne savons pas si la législation française, au nom de la propriété intellectuelle, ne sera pas bousculée demain, voire balayée, pour entrave à la libre concurrence (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.), un principe défendu par les traités européens ; les institutions seraient alors chargées de faire respecter le principe de libre concurrence.

Même si nous n’adoptons pas ces amendements identiques, il ne faut pas, pour autant, que nos constructeurs pensent qu’ils peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Il est grand temps que nous puissions les faire évoluer, avec le concours du Gouvernement – je lui demande d’avoir une position sur ce sujet et d’aider nos constructeurs –, afin que cette rente ne leur fasse pas trop cruellement défaut et ne les empêche pas de s’adapter au marché international quand elle sera définitivement remise en cause.