M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie vivement Mme Brigitte Gonthier-Maurin de l’organisation du présent débat et je la félicite aussi pour son rapport si édifiant.

Les conflits armés sont, hélas, le théâtre d’atrocités, de viols et d’autres formes de violences sexuelles.

Ces viols méthodiques sont aujourd’hui clairement reconnus comme un crime contre l’humanité, un crime de guerre et une arme de guerre inacceptable.

Comme l’a souligné Mme Bangura, la représentante spéciale des Nations unies dans ce domaine, la violence sexuelle ne peut plus être considérée comme « un dommage collatéral malheureux de la guerre. »

Le constat est clair : la majorité des victimes des conflits armés sont des civils, et, en très grande majorité, des femmes et des enfants. Les femmes restent des cibles privilégiées, car elles représentent l’ultime garant de l’unité familiale. Les viser, c’est humilier ou anéantir l’ensemble de la communauté. Il ne faut pas oublier que ce sont elles qui en assument les responsabilités et le quotidien.

« Les violences sexuelles ont des effets dévastateurs sur les survivants et sur les communautés, car elles détruisent le tissu social », a pu justement rappeler Ban Ki-moon, le Secrétaire général des Nations unies, le 24 juin 2013.

Pour ce faire, diverses méthodes sont utilisées. Le viol sert à transmettre délibérément aux épouses, aux filles et aux mères des « ennemis » le virus du sida, à rendre les femmes incapables de porter des enfants ou, au contraire, à les « engrosser » afin de détruire l’ethnie et de les rejeter de leur communauté.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Maryvonne Blondin. Un nombre substantiel des survivantes du génocide rwandais de 1994 aurait été volontairement contaminé par ce virus.

Arme de guerre très efficace, ces violences sexuelles ont de terribles conséquences physiques et psychologiques pour les victimes elles-mêmes : stigmatisées, honteuses, celles-ci se sentent humiliées, coupables et nombre d’entre elles se suicident.

Les statistiques des Nations unies ont déjà été évoquées précédemment ; je ne m’y attarderai pas.

Si la prise de conscience de la communauté internationale coïncide, dans les années quatre-vingt-dix, avec la révélation de l’ampleur des horreurs sexuelles commises en ex-Yougoslavie, l’usage des violences sexuelles en temps de conflits armés n’est pas nouveau dans l’histoire de la guerre. Il a été rappelé que, depuis l’Antiquité, le corps des femmes est perçu comme un « butin de guerre ».

Plus près de nous, la Seconde Guerre mondiale fut également le théâtre d’atrocités commises envers les femmes. L’existence de « femmes de confort », considérées comme des esclaves sexuelles pour l’armée japonaise, est clairement établie.

Plus récemment, en ex-Yougoslavie, le viol fut pratiqué de manière systématique. De même, au Rwanda, comme l’a démontré le tribunal d’Arusha mis en place pour juger les crimes de guerre, les violences sexuelles ont été utilisées pour détruire l’identité ethnique des Tutsis. Vingt ans après les faits, le premier procès jamais organisé en France d’un ressortissant rwandais accusé, notamment, de complicité de génocide et de viol s’est ouvert lundi dernier, cela a été rappelé tout à l’heure. Sa tenue a été rendue possible par la compétence universelle.

Une question s’impose : quelle réponse a apporté et continue d’apporter le droit international à ces violences sexuelles ? Ces dernières comptent aujourd'hui indéniablement au nombre des atteintes les plus graves au droit humanitaire international et au droit international des droits de l’homme.

Comme l’indique la résolution 1670 de 2009 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, assemblée dont j’ai l’honneur d’être membre, « la reconnaissance du viol et de l’esclavage sexuel comme crime de guerre et crime contre l’humanité par le traité de Rome portant statut de la Cour pénale internationale, en 1998, a été une avancée considérable, mais ce n’est qu’en 2008 – soit dix ans après – que la communauté internationale, par la résolution 1820 (2008) du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité, a reconnu que le viol et d’autres formes de violence sexuelle peuvent constituer un crime de guerre, un crime contre l’humanité et un élément constitutif du crime de génocide. »

Vous le savez, mes chers collègues, le Conseil de l’Europe a le devoir de s’assurer que les droits de la personne humaine sont garantis sur le territoire de ses États membres. Il a l’obligation morale de contribuer à diffuser, au-delà de ses frontières, ses valeurs fondatrices : droits de l’homme, état de droit, démocratie.

La prévention des violences sexuelles commises au cours des conflits armés relève par conséquent tant du respect des droits humains universels que du maintien de la sécurité internationale. Dès lors, la Charte des Nations Unies ayant conféré au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale, celui-ci a beaucoup œuvré ces dernières années pour aider à sensibiliser et à déclencher une action contre la violence sexuelle en période de conflit.

Les cadres normatifs existent et sont établis en vertu de trois résolutions initiales – les résolutions 1261, 1325 et 1612 –, suivies de nombreuses autres concernant toujours les violences faites aux femmes pendant les conflits armés. Encore faut-il qu’elles soient appliquées et effectives ! La dernière en date, la résolution 2106 sur la violence sexuelle en zones de conflit, a été votée à l’unanimité par le Conseil de sécurité le 24 juin 2013.

En mettant l’accent sur la volonté de la France de déployer une diplomatie active en matière de promotion des droits des femmes, vous indiquiez, à cette occasion, madame la ministre, que « les quatre objectifs de la France en matière de violences sexuelles se déclinaient en quatre “P” : prévention, protection, poursuites et participation des femmes aux processus de paix et de reconstruction ». Vous précisiez ainsi « que la meilleure façon de protéger ces femmes était d’en faire des acteurs et non plus seulement des sujets ». Elles doivent ainsi participer activement à la vie politique, sociale et économique de leur pays, à égalité avec les hommes, et s’impliquer dans les actions visant à mettre un terme aux violences sexuelles, comme dans les processus de prévention et de règlement des conflits.

Votre intervention à New York, au cours de laquelle vous avez rappelé les ambitions de la France et l’action du Gouvernement, s’ancre parfaitement dans l’esprit et la lettre de la résolution 1325 qui nous intéresse tout particulièrement. Le Conseil de sécurité a en effet appelé les États membres à accroître la participation des femmes à la prévention et à la résolution des conflits, ainsi qu’au maintien et à la promotion de la paix et de la sécurité. Il a demandé à toutes les parties à un conflit armé de respecter pleinement le droit international applicable aux droits des femmes et des filles en tant que personnes civiles et d’incorporer dans leur législation les politiques et procédures qui protègent les femmes des crimes sexistes tels que le viol et l’agression sexuelle.

Si l’action du Conseil de sécurité a participé à l’établissement du droit international, elle a aussi permis la mise en place, en 1993, de la première juridiction pénale internationale, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Les différentes juridictions de cette nature créées ont toutes contribué à la répression des violences sexuelles commises pendant les conflits armés. Malheureusement, cette redoutable arme de guerre n’a rien perdu de son efficacité !

De leur côté, les États sont tenus de mener des actions contre ces violences sexuelles et doivent rechercher et traduire en justice toute personne, quelle que soit sa nationalité, soupçonnée d’avoir commis ou ordonné une violation grave des règles internationales. Cependant, il est évident que dans les situations de conflit et post-conflit, un nombre limité de criminels est poursuivi, du fait de la faiblesse des systèmes judiciaires nationaux.

Notons également que sur certains théâtres d’opérations militaires, il est absolument nécessaire que les États adaptent la formation des membres de leur armée et de leur police, ainsi que les instructions qu’ils leur donnent, afin que ces personnels appréhendent au mieux les conséquences des violences sexuelles commises, d’un point de vue juridique bien sûr, mais aussi en termes de soutien médical et psychologique aux victimes. Une coopération internationale peut à ce niveau s’avérer également indispensable entre forces armées, notamment à destination des plus déficientes.

À l’échelon régional européen, la réglementation normative relative au phénomène de violence envers les femmes est bien présente et s’est traduite notamment par l’adoption, sous l’égide du Conseil de l’Europe, de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains, signée à Varsovie et entrée en vigueur en 2008.

De plus, le 14 mai 2009, lors de sa réunion d’Istanbul, la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes du Conseil de l’Europe a approuvé à l’unanimité un projet de recommandation sur les violences sexuelles contre les femmes dans les conflits armés. Elle a proposé que « l’Assemblée invite le Comité des ministres à charger le comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique à inclure dans la future convention du Conseil de l’Europe les formes les plus répandues et les plus sévères de la violence à l’égard des femmes, y compris les violences sexuelles contre les femmes dans les conflits armés ». Ce fut chose faite dans la convention du Conseil de l’Europe rédigée à Istanbul en 2011, puisque cette recommandation figure dans son préambule.

Aujourd’hui, des milliers de victimes sont privées du droit d’obtenir justice et réparation. Dans un plaidoyer, l’envoyée spéciale du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, Mme Angelina Joli, a ainsi rappelé le Conseil de sécurité à son devoir en indiquant que « le viol en tant qu’arme de guerre est une agression contre la sécurité » et que « les rescapés sont victimes d’une culture de l’impunité : c’est la réalité troublante, triste et honteuse d’aujourd’hui. » C’est la double peine, chers collègues ! C’est la raison pour laquelle les États doivent s’engager à adopter des mesures afin que cessent ces violences et que justice puisse être rendue ! C’est également ce que prévoit la résolution.

En 2004, le Conseil de sécurité enjoignait tous les États membres d’élaborer leur propre plan national d’action. La France a adopté le sien pour répondre à cette injonction et promouvoir une mise en œuvre cohérente des résolutions « Femmes, paix et sécurité », dans le cadre de son action internationale. Ce plan vise à favoriser, à l’échelon international, la protection des femmes contre toutes les formes de violences, le respect de leurs droits fondamentaux, ainsi que leur égale participation aux processus décisionnels dans le cadre de la consolidation de la paix, de la reconstruction et du développement.

Dès lors, force est de le constater, en dépit des efforts déployés par les États, les Nations unies, le Conseil de l’Europe, la société civile, les ONG, l’ampleur et la répétition des violences sexuelles pendant les conflits actuels restent considérables et intolérables. Nous ne sommes pas encore parvenus au bout du chemin, hélas !

Nous pouvons cependant légitimement placer nos espoirs en la Cour pénale internationale pour assurer une répression des violences sexuelles. Pour cela, il convient de lui donner les moyens de ses ambitions et d’assurer une meilleure diffusion de ses travaux ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, certains d’entre nous ont lu, voire entendu, avec effroi les témoignages bouleversants de femmes, et même d’enfants, victimes des violences sexuelles les plus barbares durant les conflits en Bosnie, en République démocratique du Congo et au Rwanda, ce dernier pays étant revenu dans l’actualité depuis hier à l’occasion du procès à Paris de l’ancien chef de milice Pascal Simbikangwa. Plus récemment, nous sont parvenus les mêmes récits, insoutenables, de jeunes Libyennes ou Syriennes violées dans un contexte de guerre civile.

Bien entendu, personne ne peut rester indifférent à ce fléau, qui n’a rien d’inexorable, à condition que le droit international en matière de protection des femmes puisse s’appliquer fermement sur le terrain. La délégation aux droits des femmes l’a rappelé dans son rapport, dont je salue la qualité : « Les violences sexuelles du fait des conflits armés ne sont ni une fatalité ni un phénomène culturel ».

Un phénomène culturel, certainement pas ! Car si l’Afrique focalise souvent l’attention, compte tenu des drames qui s’y sont récemment déroulés, on trouve, hélas, sur tous les continents et dans toute l’histoire des luttes armées, la trace de viols de guerre. Aux États-Unis, au XIXe siècle, Abraham Lincoln s’inquiétait des viols perpétrés durant la guerre de Sécession.

Aujourd’hui, en Amérique du Sud, les jeunes Colombiennes sont encore très exposées à la violence.

En Asie, les témoignages sur les exactions commises à l’encontre des femmes sous le régime de Pol Pot se sont multipliés au cours de ces dernières années.

En Europe, on sait que le viol collectif a existé pendant la Seconde Guerre mondiale.

Pour ma part, il me semble que la perception d’un fléau essentiellement africain tient à la multiplication contemporaine des conflits sur ce continent qui donne à la question des sévices sexuels une dimension notable. J’ajouterai que nombre de pays africains sont jeunes d’un point de vue institutionnel et donc potentiellement fragiles. Les guerres s’accompagnent souvent d’un délitement très rapide des structures locales et de l’État de droit, ce qui facilite malheureusement les exactions commises à l’égard de civils dépossédés de tout recours sécuritaire ou judicaire.

Mes chers collègues, quels que soient les pays et quelles que soient les époques, les crimes sexuels peuvent constituer une arme de guerre et même s’inscrire dans une démarche stratégique pour « nettoyer » une ethnie.

Je ne reviendrai pas en détail sur la chaîne de souffrances ainsi engendrée. Mes collègues membres de la délégation, en premier lieu sa présidente, Brigitte Gonthier-Maurin, ont fait état, avec justesse, du processus de déshumanisation qui découle du viol. Cet acte abominable entraîne des séquelles sanitaires et des problèmes psychologiques qui anéantissent la victime. Dans certaines sociétés, la stigmatisation s’ajoute à la douleur physique et morale, de surcroît lorsqu’un enfant est né du viol. La réponse médico-sociale, dans nombre de cas, peut, hélas !, se révéler vaine. Il est donc nécessaire de s’attaquer à la racine du mal et de tout mettre en œuvre pour que le viol cesse d’être une arme de guerre, pour qu’il cesse tout court.

Plusieurs d’entre vous l’ont indiqué, depuis une dizaine d’années, le droit international a été enrichi pour permettre aux États de lutter contre l’utilisation du viol dans les conflits armés. Les conventions de Genève existent, bien sûr, mais il faudra attendre la jurisprudence des tribunaux internationaux pour que le viol systématique et toute autre forme de violence sexuelle grave soient considérés comme un crime contre l’humanité.

En parallèle à la consolidation fondamentale du droit pénal international, une série de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité de l’ONU a fondé un arsenal juridique très complet pour la protection des femmes au cours des conflits. Plusieurs orateurs précédents ont évoqué ces textes, en particulier le premier d’entre eux, la résolution 1325. En effet, cette résolution, adoptée en 2000, est la première pierre onusienne de la lutte contre les violences faites aux femmes ; elle intègre la dimension du genre dans toutes les phases d’intervention en faveur de la paix.

Conformément à ses engagements, la France a été le deuxième pays, après l’Espagne, à adopter un plan national d’action pour la mise en œuvre de cette résolution. Son armée étant l’une des plus féminisées au monde, le facteur « genre » a pu être introduit sans difficulté dans les structures opérationnelles et le ministère de la défense a mené d’importants programmes de sensibilisation à la question des violences sexuelles au sein des forces de maintien de la paix.

Je partage bien sûr cet objectif, qui doit aussi consister, à mon sens, à inclure davantage les femmes au plus haut niveau des négociations de paix. À cet égard, il est intéressant de noter que le genre de Catherine Samba-Panza a été souligné lors de son arrivée au pouvoir en République centrafricaine, comme si, au-delà de ses compétences, son statut de femme symbolisait l’espoir.

La résolution 1325, acte fondateur, je le disais, a été suivie par d’autres textes également très importants, au nombre desquels la résolution 1820 qui a reconnu que les violences sexuelles étaient utilisées comme tactique de guerre.

Toutes ces avancées sont considérables, même si l’on peut regretter qu’elles n’aient été tardives au regard de la mobilisation plus ancienne des ONG.

Par ailleurs, ce droit n’a de sens que s’il a une incidence sur le terrain. Malheureusement, force est de constater que le bilan est mitigé. Selon Amnesty International, des soldats ou des groupes armés commettraient encore des viols, notamment au Tchad, au Mali, au Soudan ou en République démocratique du Congo. La sécurité des femmes et des enfants dans les camps de réfugiés est également une question très préoccupante.

C’est pourquoi, sachant toutefois que cela demandera naturellement du temps, la question de la violence sexuelle doit être appréhendée par le biais d’une politique multidimensionnelle. C’est d’ailleurs l’un des points de la dernière résolution onusienne, la résolution 2122, qui rappelle une évidence : il ne peut pas y avoir de sécurité ou de paix sans développement économique.

Dans cette perspective, il me semble fondamental que la France amplifie son aide au développement, car la pauvreté est un vrai handicap pour l’égalité des sexes. C’est par la mise en œuvre de politiques d’autonomisation des femmes que celles-ci seront moins vulnérables en cas de conflit ou en situation post-conflit. C’est le sens des actions de nombreuses ONG, qui, au lieu d’importer des solutions de l’extérieur, élaborent des projets adaptés aux conditions locales pour aider les femmes à passer du statut de victime à celui d’actrice de leur propre destin.

Nous devons également aider les pays défaillants à reconstruire un système judiciaire local capable de condamner les auteurs de crimes, car l’impunité est souvent le résultat d’un manque de moyens plus que d’une absence de volonté. Or, au-delà de la blessure individuelle non cicatrisée en raison de l’absence de procès, l’avenir de la collectivité tout entière peut être compromis par la non-réparation. La justice, mes chers collègues, est un élément clé de la réconciliation, cette réconciliation civile si chère à celui auquel le monde vient de rendre hommage, Nelson Mandela. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la ministre, à cette heure, l’essentiel a été dit. Au cours des quelques minutes qui me sont imparties, je vais me permettre d’évoquer quelques éléments qui, je l’espère, seront utiles.

Alors qu’ont été évoqués l’ONU, les constats dressés et les recommandations faites, pour ma part, je vais vous parler du terrain et d’un cas concret.

Je ne vous donnerai pas, à dessein, le nom de la femme en cause. Mme G.A.A, soudanaise, originaire du Darfour et de la tribu des Zaghawa, a eu un parcours épouvantable : elle a été violentée, agressée. Elle s’est réfugiée en France, où, à deux reprises, vraisemblablement pour de légitimes raisons, le droit d’asile lui a été refusé.

À son arrivée en Maine-et-Loire, elle a vécu dans la rue. Puis elle a été « recueillie » par un homme qui l’a violée. Elle a accouché dans des conditions dramatiques d’un enfant mort-né.

Elle a poursuivi son parcours en Maine-et-Loire et a bénéficié de solidarités de toutes sortes, confessionnelles, non confessionnelles, associatives…

De nouveau enceinte, à la veille de Noël, elle a été menacée d’être mise à la rue. Grâce à une mobilisation in extremis de nombreux parlementaires représentant toutes les sensibilités, ainsi que de l’évêque, elle a pu échapper à cette menace. On nous a dit que cette mesure, prise à la veille des fêtes de Noël, était d’ordre compassionnel mais précaire.

À chaque instant, cette femme, qui a subi ce dont nous venons de parler dans cet hémicycle – ce n’est pas abstrait, elle vit en France ! – est menacée d’être mise à la rue, alors qu’elle est enceinte, se trouve dans une situation précaire et n’a plus rien. Mais pour aller où ?

Je me réjouis de l’organisation de ce débat et de la qualité des travaux préparatoires. Force est de le constater, il existe un lien entre ce débat et des personnes qui sont présentes sur notre territoire. Que vais-je dire vendredi aux familles qui soutiennent cette femme ? Elles m’ont informée qu’on lui avait proposé d’appeler le 115…

Indépendamment de nos bonnes intentions et de notre action en termes de politique étrangère, n’oublions pas les réalités ! Si le présent débat ne servait qu’à sauver cette personne, j’en serais ravie !

Par ailleurs, il est indispensable de mettre en place de nouvelles pratiques et formations à destination des militaires et des personnes qui prennent en charge ces victimes. À cet égard, plusieurs de mes collègues, siégeant sur les différentes travées de cet hémicycle, l’ont souligné, on a souvent préconisé d’accorder une attention très particulière lors de ces formations à la notion de genre.

Il n’aura échappé à personne que depuis une dizaine de jours, tout ce qui a trait, de près ou de loin, à la prise en compte du genre dans les relations sociales est mis à mal, soit par incompréhension, soit par hystérie.

Or il est évident que l’on ne peut pas s’attaquer aux violences sexuelles faites aux femmes si l’on fait abstraction de la question du genre.

Pourriez-vous, madame la ministre, nous délivrer un message rassurant sur ce point, notamment à l’égard des propositions formulées par un certain nombre de collègues ? C’est extrêmement important.

Cela étant, nous ne sommes pas à l’abri des contradictions. Nous sommes tous très heureux de posséder un téléphone portable, auquel nous sommes cramponnés, notamment dans cette Haute Assemblée, parce que cet appareil est indispensable à notre vie quotidienne. Or, nous le savons, dans la composition de ces téléphones sont inclus un certain nombre de matériaux rares, dont le coltan, qui sont actuellement l’enjeu de guerres économiques. Celles-ci sont différentes, bien sûr, de la Seconde Guerre mondiale, de la guerre en ex-Yougoslavie au cours de laquelle une purification ethnique a eu lieu et le viol était une arme de guerre. Quoi qu’il en soit, les femmes sont les premières victimes, les premières exposées ; elles sont utilisées comme otages ou subissent des viols. Que pouvons-nous faire ?

Enfin, la France n’est pas non plus à l’abri de ses propres contradictions – je vais tâcher d’exposer ce point très paisiblement et très pacifiquement, car c’est l’ancienne militante dans des ONG qui parle.

Notre complexe militaro-industriel est extrêmement innovant et puissant. Or la fabrication d’armes contribue certes au maintien de la paix, mais parfois aussi à la guerre, laquelle entraîne des viols, qui font partie des stratégies que nous combattons tous ! J’en conviens néanmoins, le développement de notre industrie de l’armement crée des emplois, et c’est effectivement important.

Mais comment avoir une politique étrangère cohérente, prendre en compte les intérêts de l’industrie de l’armement et, en même temps, militer sur la scène internationale en faveur des femmes victimes de viol ? Nous sommes politiquement et intellectuellement face à des considérations contraires, extrêmement difficiles à concilier.

En cet instant, je veux remercier Mme la présidente de la délégation du travail très complet effectué du point de vue tant historique qu’anthropologique, lequel nous a mis face à une réalité implacable et à nos propres contradictions. Si la majorité des victimes se trouve sur le continent africain, un certain nombre d’entre elles est en France, ici et maintenant.

En conclusion, pour toutes ces femmes qui, de façon avérée, ont été victimes de ces violences de guerre, je demande non seulement une action diplomatique au plan international, mais aussi, sur le terrain, une forme de solidarité et je souhaite particulièrement que la femme dont j’ai parlé ne se retrouve pas à la rue dans une semaine, contrairement à ce qui m’a été assuré. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à remercier Brigitte Gonthier-Maurin, et à travers elle l’ensemble de la délégation aux droits des femmes du Sénat, d’avoir engagé ce travail sur un sujet particulièrement difficile et trop souvent occulté.

Il s’agit de nous mettre face aux violences commises envers les filles et les femmes dans un contexte de conflit armé. Ce contexte spécifique pourrait laisser penser que, étant hors norme, il obéit à ses propres règles ou à aucune, et que nous n’y pouvons rien.

Le travail de la délégation nous a démontré l’ampleur des faits et des horreurs perpétrées contre des femmes, des enfants et, dans une moindre mesure, contre des hommes et des jeunes garçons. Les violences sexuelles, les viols, parfois nommés « viols de guerre » comptent parmi les plus graves.

Ces cruautés s’accompagnent de la transmission du sida, d’hépatites ou d’autres maladies sexuellement transmissibles, parfois de manière totalement organisée et stratégique afin de détruire l’ennemi.

Quelquefois, des viols sont commis et entraînent des grossesses imposées afin d’atteindre les ennemis par l’intermédiaire de leurs femmes. Dans d’autres cas, des stérilisations de femmes sont pratiquées. Les victimes sont des populations civiles de tous âges, des bébés, des fillettes, des jeunes filles, des femmes et de très vieilles femmes. Dans tous les cas, on porte atteinte délibérément à leur intégrité, à leur dignité. On les condamne au silence, à la réclusion sociale et à la pauvreté.

Pour ma part, je reste marquée par l’intervention de Mme la ministre Yamina Benguigui, qui a évoqué la situation terrifiante qu’elle a pu découvrir sur le terrain, notamment en République démocratique du Congo. Le constat est glaçant : le silence et l’impunité règnent en maître ; le viol de masse perpétré par des porteurs du VIH peut s’apparenter à une « nouvelle arme biologique », pour reprendre l’expression de la ministre ; la situation des enfants nés de viols, dont nombre d’entre eux sont séropositifs, ou celle des jeunes filles, qui sont parfois très jeunes, est terrifiante et insoutenable ; les conséquences sanitaires, psychologiques, économiques et sociales sont effroyables et durent bien au-delà du conflit lui-même.

Ces éléments, qui ont entraîné l’indignation et la colère de la ministre, l’ont conduit, notamment, à placer la question des droits des femmes au cœur de la relance de la francophonie. Je tiens à saluer son courage et sa ténacité dans cette entreprise.

Je retiens également des auditions d’experts et de représentants d’associations et d’ONG le rôle nouveau de l’image et de la mise en scène des violences, lié aux technologies de l’information et d’internet, vous l’avez dit, madame Gonthier-Maurin. Ces scènes de viols et de supplices sont filmées puis diffusées sur des réseaux pornographiques.

Il s’agit d’une gradation supplémentaire dans l’échelle des horreurs subies par les victimes, qui vivent ensuite sous la menace de voir ces images diffusées auprès de leurs proches, ce qui les condamne un peu plus encore dans leur reconstruction personnelle. Nous devons faire reconnaître ces agissements comme criminels.

La prostitution dans les « camps de viol », où des filles et des femmes sont sacrifiées pour satisfaire les plus bas instincts des soldats – ce fut le cas en ex-Yougoslavie, par exemple –, fait aussi partie de cette affreuse liste des atrocités commises à l’encontre des filles et des femmes.

Le tableau est horrible, oui, n’ayons pas peur d’utiliser des mots que les victimes, elles, ne peuvent plus prononcer. Nous n’avons pas le droit de fermer les yeux et de nous boucher les oreilles, nous qui vivons en paix. Nous devons poursuivre ce combat universel pour les droits des femmes, car ces violences, que d’aucuns s’autorisent à commettre en temps de conflit, forment en fait un continuum tout au long de la vie des filles et des femmes, en temps de paix comme en temps de guerre.

Cette universalité des violences, des brimades, des agressions physiques et sexuelles, des privations subies par les femmes tout au long de leur vie pourrait presque laisser croire qu’il s’agit d’une fatalité réservée à cette moitié de l’humanité, du fait d’une infériorité prétendument naturelle. Nous savons bien qu’il n’en est rien, qu’il n’y a pas de fatalité, mais simplement la manifestation d’une domination des hommes sur les femmes. Dans ce combat pour l’égalité, il ne saurait y avoir de zones de non-droit, même si les zones de conflits peuvent parfois nous paraître inaccessibles. Nous ne baisserons pas les bras, bien au contraire.

Dans les négociations de fin de conflit, chaque victime de viol doit pouvoir être reconnue comme victime de guerre afin que les auteurs soient condamnés. Il faut permettre aux victimes de sortir du silence et leur donner accès à des soins post-traumatiques. Elles doivent obtenir réparation, y compris sous forme d’indemnisation financière. Ce n’est qu’à ce prix que le processus de paix peut véritablement fonctionner. Les experts auditionnés nous ont largement convaincus de la nécessité d’associer pleinement les femmes au processus de reconstruction, par la reconnaissance des crimes qu’elles ont subis, mais aussi en mobilisant leur capacité à proposer des solutions pour construire une paix durable.

Ne pas reconnaître et punir les violences commises envers les femmes, le viol notamment, en temps de guerre, revient à minimiser les crimes perpétrés et à laisser penser qu’il y a des moments où les humains peuvent laisser libre cours à leurs instincts, que la guerre a ses règles viriles et que c’est vieux comme le monde. La condamnation des auteurs vise à rappeler la règle de l’interdit du viol, en temps de paix comme en temps de guerre.

Pour reprendre la phrase de Jean-Claude Chesnais, « le viol reste le seul crime dont l’auteur se sente innocent et la victime honteuse ». (Mme Maryvonne Blondin opine.) Il convient de mettre un terme à cette absurdité. (Mme Maryvonne Blondin opine de nouveau.) C’est le pari des politiques en faveur de l’égalité entre les filles et les garçons, entre les femmes et les hommes, que vous mettez en place depuis près de deux ans, madame la ministre, afin de parvenir à déconstruire les stéréotypes qui placent les femmes en situation de soumission à la domination masculine, en temps de paix comme en temps de guerre.

Je retiens aussi de notre travail de la délégation aux droits des femmes la volonté farouche de l’ensemble des acteurs auditionnés de faire cesser le cycle infernal des violences en luttant contre l’impunité des auteurs et d’agir pour la reconnaissance et la protection des victimes. De ce point de vue, nous ne partons pas de zéro. Depuis la guerre en ex-Yougoslavie, un ensemble de textes a vu le jour sur la scène internationale, ce qui atteste une prise de conscience croissante de la communauté internationale.

Parmi les résolutions, je citerai la résolution 1325 prise le 31 octobre 2000 par le Conseil de sécurité des Nations unies, à laquelle il a été fait référence tout au long de nos travaux et dans nos interventions aujourd’hui. Elle a fait entrer les violences sexuelles commises en temps de guerre dans le champ de compétence des institutions chargées de la paix et de la sécurité internationale. C’est une première étape pour mettre fin au silence et au déni. La France n’est pas absente de ce processus. Elle a adopté il y a quelques années un plan national d’action pour la mise en œuvre effective de ces résolutions. Cependant, il nous faudra évidemment aller plus loin, encore plus loin.

Je retiens plus particulièrement deux des recommandations contenues dans le rapport. La première concerne l’accès à la justice, qui est loin d’être garanti. L’aide technique, humaine et matérielle apportée aux pays en situation de post-conflit doit intégrer de manière systématique le renforcement du fonctionnement des institutions judiciaires, pour permettre un accueil adapté et sécurisé des victimes, des enquêtes sérieuses, la condamnation des auteurs et des mesures d’accompagnement et de réparation pour les victimes.

La seconde recommandation a trait à la question plus générale des rôles et places des femmes dans nos sociétés, en particulier en temps de conflit. J’ai pris note avec intérêt des initiatives mises en œuvre pour faire progresser la place des femmes au sein du ministère de la défense. À ce titre, je salue la création de l’observatoire de la parité entre les hommes et les femmes du ministère et le renforcement de la présence des femmes dans les armées, à tous les niveaux. Ces initiatives sont positives, car elles vont dans le sens d’une meilleure attention aux victimes, mineures et majeures, et d’un meilleur accompagnement sur le terrain.

Je terminerai mon propos par deux remarques. La première est relative à l’accompagnement des femmes violées qui ont mené leur grossesse à terme par contrainte ou par manque d’accès à l’IVG. Comment travailler sur cette question avec elles ? Comment les aider à accepter l’enfant ou le fait de s’en séparer ? Comment ensuite aider les enfants issus de ces viols et grossesses non désirées afin qu’ils ne viennent pas, à leur tour, grossir les rangs des enfants violents, à l’instar des enfants-soldats de Colombie ? Comment leur permettre de s’inscrire dans une nouvelle vie ?