M. François Lamy, ministre délégué. Si les gens du voyage sont de nationalité française, ils peuvent, comme tout citoyen, demander la délivrance d’une carte nationale d’identité pour justifier de leur identité dans toutes les démarches de la vie courante ou à l’occasion des contrôles au moment des passages aux frontières.

Cette carte « est délivrée sans condition d’âge par les préfets et sous-préfets à tout Français qui en fait la demande dans l’arrondissement dans lequel il est domicilié ou a sa résidence, ou, le cas échéant, dans lequel se trouve sa commune de rattachement ».

Néanmoins, le ministère de l’intérieur, pour tenir compte à la fois de la difficulté que vous venez d’évoquer et d’une recommandation formulée par la HALDE, a demandé aux préfets, par une circulaire en date du 27 novembre 2008, de délivrer la carte nationale d’identité ou le passeport aux personnes intéressées en excluant la mention « commune de rattachement ». Seule l’adresse de la mairie de leur commune de rattachement peut y figurer, après le nom et le prénom de la personne, sans qu’il soit fait mention du fait qu’il s’agit d’une mairie. Cette adresse concrétise le lien de ces personnes avec l’administration. Les services de la préfecture à l’origine de la délivrance du titre de circulation sont avisés de la délivrance de l’un de ces documents.

Cette circulaire répond aux recommandations formulées par la HALDE dans sa délibération du 17 décembre 2007, et vise à supprimer la mention de la commune de rattachement sur la carte nationale d’identité des gens du voyage, en raison, comme vous l’avez souligné, du caractère jugé discriminatoire de cette indication.

Elle a aussi pour objet de conserver la neutralité de l’adresse afin de ne pas permettre de déterminer l’appartenance du titulaire de la carte nationale d’identité à une quelconque catégorie socioprofessionnelle, entre autres.

Le Gouvernement partage totalement votre point de vue, mais il considère que cet amendement est satisfait par la circulaire que je viens de citer. Je vous demande donc de bien vouloir le retirer.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Hérisson, pour explication de vote.

M. Pierre Hérisson. Je souhaite apporter une précision.

Monsieur le rapporteur, la situation s’est beaucoup améliorée en ce qui concerne l’assurance automobile grâce, notamment, au travail de la Commission nationale consultative des gens du voyage. Aujourd'hui, une grande compagnie d’assurance française a bien voulu élaborer un produit à destination des gens du voyage » qui concerne tant le véhicule que la caravane à usage d’habitation.

D’ailleurs, on a fait appel à toute la richesse de la langue française pour ne pas parler de caravane à usage d’habitation ou de logement. Il est désormais question de « résidence mobile terrestre principale » ! Pourtant, en 2004, la France a signé en Conseil de l’Europe un texte reconnaissant la caravane comme une habitation ou un logement. Or cette disposition n’a toujours pas été transposée en droit interne !

Quoi qu’il en soit, une grande compagnie française assure aujourd'hui, dans des conditions plus que raisonnables par rapport à ce qui est généralement proposé à la population sédentaire, le véhicule – certes, cette assurance existait –, la caravane en tant que logement, mais offre aussi des assurances complémentaires. Les gens du voyage ont donc maintenant, dans notre pays, accès au régime commun en matière d’assurances.

Reste à trouver des solutions en ce qui concerne les crédits. C’est ce que je conseillais à la majorité, car c’est à elle que cette tâche échoit. À l’heure actuelle, lorsque les gens du voyage désirent acheter une voiture ou une caravane, ils sont obligés d’emprunter à la seule banque qui veut bien leur prêter de l’argent, mais au taux de 20 % ! Il serait bon que nous fassions quelque chose ensemble pour résoudre cette difficulté.

Mme la présidente. Monsieur Michel, l'amendement n° 51 est-il maintenu ?

M. Jean-Pierre Michel. Compte tenu des explications de M. le ministre, je retire cet amendement, madame la présidente.

M. François Lamy, ministre délégué. Merci, monsieur le sénateur !

Mme la présidente. L'amendement n° 51 est retiré.

L'amendement n° 36, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La France reconnaît publiquement l’internement des nomades de 1940 à 1946.

La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Avec cet amendement, il s’agit non pas de préparer l’été prochain, mais plutôt de faire un plongeon dans l’hiver de la Seconde Guerre mondiale.

Bien avant la Seconde Guerre mondiale, les gens du voyage, qui n’étaient pas encore dénommés ainsi à l’époque, devaient déjà détenir un titre de circulation à jour, y compris les enfants, et le présenter dans chaque commune, laquelle pouvait leur refuser le stationnement.

Vous le savez, la dégradation des valeurs républicaines au cours des années trente consolida la xénophobie ambiante. Le gouvernement de Vichy s’inscrivit dans ce mouvement. Des dates dramatiques jalonnent alors le parcours des personnes appelées aujourd’hui « gens du voyage ».

Le 6 avril 1940, un décret interdit la circulation des nomades sur l’ensemble du territoire : les nomades doivent se déclarer à la gendarmerie ou au commissariat et sont astreints à résidence dans les communes du département choisies par le préfet.

Le 4 octobre 1940, le régime de Vichy autorise l’internement des « étrangers de race juive » et accède à la demande des autorités allemandes d’interner les Tziganes.

En mars 1941, des expériences de méthodes de stérilisation de masse sont lancées sur « des femmes tziganes indignes de reproduire » dans les camps de Ravensbrück et d’Auschwitz.

Le 22 juin 1941, des Tziganes sont exécutés dans des camions à gaz à Kulmhof.

Le 16 décembre 1942, un décret signé Himmler ordonne la déportation des Tziganes vers le camp d’Auschwitz.

En mars 1943, 1 700 Tziganes déportés de Bialystok sont gazés à leur arrivée et, le 25 mai, 1 000 Tziganes tchèques subiront le même funeste sort.

En 1944, l’Allemagne nazie réalise des expériences d’inoculation de la tuberculose à Neuengamme, principalement sur des Tziganes.

Par ailleurs, 1 000 Tziganes sont gazés et brûlés dans le camp d’Auschwitz.

Au total, entre 500 000 et 750 000 Tziganes sont morts, assassinés, le plus souvent gazés, par l’Allemagne hitlérienne.

En France, 30 000 Tziganes ont été internés dans des camps.

Pourtant, les Tziganes furent parmi les « oubliés » du procès de Nuremberg : de son ouverture jusqu’au verdict, le 1er octobre 1946, aucun Tzigane ne sera appelé à témoigner. Les victimes tziganes du régime nazi ne seront pas une seule fois mentionnées durant le procès de Nuremberg, et plusieurs pays européens continueront de garder ces populations dans les camps d’internement pendant plusieurs mois.

Aujourd’hui, soixante-huit ans après les premières exactions nazies, il serait grand temps que la représentation nationale française reconnaisse le génocide des Tziganes, ces gitans, ces manouches et ces Roms assassinés en raison de leur singularité, parce qu’ils étaient des « gens du voyage ».

Tel est le sens de notre amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. La commission des lois a toujours soutenu une seule et même position en ce qui concerne le rapport entre la loi et l’histoire : ce type de disposition ne relève pas du domaine de la loi. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 28 février 2012, a rappelé en outre qu’une telle mesure était dépourvue de portée normative.

Les auteurs de cette proposition pourraient la reprendre sous forme de résolution : depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, le Parlement peut y recourir pour affirmer une position sur un tel sujet.

Avant d’indiquer ma position personnelle, je veux vous remercier, mon cher collègue, d’avoir effectué ces rappels historiques.

Effectivement, il ne s’agit pas d’une déportation comme les autres. C’est un processus qui a commencé le 18 novembre 1939 par des assignations à résidence, sur décision préfectorale, de tout individu dit « dangereux » pour la défense nationale et la sécurité publique, dont les nomades.

Il s’est poursuivi, ensuite, par la signature, le 6 avril 1940, d’un décret par le Président Albert Lebrun visant à interdire la circulation des nomades, actant ainsi l’ouverture des premiers camps d’internement.

Puis, sous le régime de Vichy, des dispositions complémentaires ont été prises par la loi du 3 septembre 1940.

Le 4 octobre 1940, la puissance occupante exige par ordonnance l’internement des juifs étrangers et des Tziganes.

Le 17 novembre 1940, Vichy promulgue une loi transférant la surveillance des camps d’internement au ministère de l’intérieur par l’intermédiaire des préfets territorialement compétents.

À la Libération, le ministre de l’intérieur, Adrien Tixier, adresse, le 20 novembre 1944, aux commissaires de la République une circulaire au sujet des prostituées et des nomades internés dans laquelle il explique qu’il n’est toujours pas possible de les libérer sans enquête préalable. La circulaire est de nouveau confirmée le 25 mai 1945.

Ce n’est que le 10 mai 1946 qu’il est mis fin par une loi à l’internement des nomades, loi qui fixe également la date de cessation du conflit, ce qui, de facto, met un terme aux lois d’exception qui avaient été adoptées tout au long de l’année 1940.

Cette vérité historique doit être rappelée, elle doit être connue. Elle est, malheureusement, la conséquence d’actes officiels de la République. (Exclamations sur différentes travées.) Donc, la reconnaissance est acquise, puisque ce sont des actes de la République. D'ailleurs, des mesures de dédommagement sont intervenues.

Il est vrai qu’aujourd'hui cette page noire de notre histoire, notamment s’agissant de la responsabilité de la République française dans ces internements, n’est pas assez connue, mais la reconnaissance est une chose, la connaissance en est une autre. Ce qui est important pour la cohésion de notre communauté nationale aujourd'hui, c’est que chacun ait bien conscience de ces événements historiques, de la responsabilité de la République française, notamment de ceux qui, à l’époque, avaient la charge des affaires de l’État.

Mais, pour les raisons qui ont été expliquées précédemment, il s’agit de pédagogie, de connaissance historique et non d’une nouvelle reconnaissance, qui n’a pas lieu d’être aujourd'hui, puisque ce sont des faits historiques, des actes de la République. C’est la pédagogie qui doit permettre à chaque Français d’accéder à la connaissance de ces faits historiques tragiques que malheureusement rien ne peut changer.

Je remercie les auteurs de cet amendement de nous avoir permis l’utile rappel de ces événements tragiques et de la place des gens du voyage dans la communauté nationale.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Lamy, ministre délégué. Nous parlons d’événements douloureux, et je vous remercie, monsieur Le Scouarnec, d’avoir rappelé ce qu’a été la situation des Tziganes durant la Seconde Guerre mondiale, tout particulièrement sur notre sol entre 1940 et 1946.

Cela étant, monsieur le rapporteur, sans vouloir rouvrir le débat ni engager une querelle historique, il me semble qu’un président de la République a bien rappelé que c’était l’État français, et non la République, qui avait commis ces actes.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. C’est avant et après, malheureusement !

M. François Lamy, ministre délégué. Je tenais en tout cas à apporter cette précision.

Monsieur Le Scouarnec, oui, il était important de rappeler dans cet hémicycle ce qui s’est passé à cette période. Néanmoins, je souligne, puisque vous êtes en train d’élaborer la loi, que votre amendement n’a pas de portée normative.

Or, comme vous le savez, le Conseil constitutionnel est de plus en plus intransigeant face aux dispositions législatives dépourvues de portée normative. Il a d’ailleurs rappelé récemment, dans une décision du 28 février 2012, à propos de la loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, « qu’une disposition législative ayant pour objet de ‘reconnaître’ un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s’attache à la loi ».

Si votre amendement était adopté, il serait contraire à la Constitution. Le Gouvernement est donc conduit à émettre un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. En tant qu’historienne, je pense que ce n’est pas au législateur de décider de ce qui relève du génocide ou du meurtre de masse. Il est vrai que les gens du voyage et les Tziganes n’ont pas eu leur Nuremberg, et que ces crimes n’ont pas été officiellement reconnus. Je ne suis pas non plus favorable à l’idée que les génocides soient reconnus dans les prétoires. Il serait opportun de laisser cette question aux historiens, car il n’est pas de notre rôle de législateurs d’analyser l’histoire.

En revanche, je serais favorable à l’adoption plus symbolique d’une résolution, qui permettrait que ce sujet puisse être discuté dans les écoles et que ce meurtre de masse ou génocide puisse progressivement être introduit dans les livres scolaires. Une résolution, j’y insiste, serait tout à fait bienvenue : elle aurait beaucoup plus de force qu’un simple amendement puisqu’un débat spécifique serait consacré à la question dans l’hémicycle.

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Printz, pour explication de vote.

Mme Gisèle Printz. En 2008, la HALDE, avait alerté les pouvoirs publics sur les discriminations dont étaient victimes les gens du voyage en y associant des recommandations. Celles-ci visaient à rétablir une égalité de traitement à l’égard de cette population qui subit aujourd’hui des discriminations résultant non seulement de comportements individuels, mais aussi des textes en vigueur.

Plusieurs textes témoignent de l’ancienneté de la défiance envers un peuple à la culture et au mode de vie différents.

Une loi impose en 1912 une réglementation spécifique d’exception, instituant notamment un carnet anthropométrique d’identité. Les gens du voyage ont donc été les premiers à subir un fichage administratif.

Le 6 avril 1940, un décret-loi interdit la circulation des nomades sur l’ensemble du territoire métropolitain et leur impose « une résidence forcée sous la surveillance de la police et de la gendarmerie ». Ainsi, ils ont été particulièrement visés durant la Seconde Guerre mondiale.

En Allemagne, la politique anti-tzigane a été intégrée à la politique raciale des nazis. Comme il suffisait d’avoir un grand-parent dit « tzigane » pour être concerné, des familles mixtes et tziganes ont subi stérilisations forcées, détention en camps de concentration ou déportation.

En France, une ordonnance allemande a exigé, dès le 4 octobre 1940, leur internement dans des camps administrés et surveillés par les autorités françaises. Dans chaque département, les préfets ont demandé à la gendarmerie de recenser puis de regrouper les nomades et de les surveiller. Devant l’arrivée massive des nomades, les camps ont dû rapidement s’agrandir jusqu’à permettre au plus grand – le camp de Montreuil-Bellay, en Maine-et-Loire – de recueillir 1 018 internés en août 1942.

Plusieurs actions ont déjà été menées, comme celle qui a été conduite par un collectif d’associations en 2010, année consacrée à la mémoire de l’internement des Tziganes en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Parrainée par le cinéaste Tony Gatlif, elle a permis de sensibiliser un large public en mêlant commémoration et information. De la même façon, une stratégie interministérielle a été développée pour permettre de donner un éclairage nouveau à ces événements.

Néanmoins, la reconnaissance par la France de l’internement des nomades entre 1940 et 1946 apparaît comme un élément essentiel du travail sur l’identité mémorielle. Cette évolution pourrait, par ailleurs, faire progresser la promotion de la culture tzigane en complément des travaux menés conjointement par le ministère de la culture et la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les gens du voyage, notamment.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Hérisson, pour explication de vote.

M. Pierre Hérisson. Je pose la question : comment traiter, par un simple amendement, une des catastrophes majeures du XXe siècle qui s’est traduite par la mort de 700 000 Tziganes dans les camps de concentration ? Il me paraît préférable de retirer cet amendement, car il n’est pas possible de traiter, en deux lignes, d’un sujet aussi important.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Individuellement, nous ne pouvons, les uns et les autres, qu’exprimer de la compassion pour les victimes de ces décisions de l’État français…

Mme Esther Benbassa. Il ne s’agit pas de compassion !

M. Philippe Bas. … mises en œuvre avec le concours de ses fonctionnaires pendant la période de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que manifester notre solidarité.

Collectivement, nous devons déplorer ces décisions de l’État français.

Politiquement, il me semble qu’adopter un amendement qui ne traite que d’« internement », première étape d’un drame qui, hélas ! est allé bien au-delà, est une erreur.

Juridiquement – je ne veux pas manquer l’occasion d’apporter sur ce point mon appui au Gouvernement –, il a été jugé à maintes reprises par le Conseil constitutionnel que ce type de dispositions déclaratoires, et déclamatoires, n’avait rien à faire dans la loi.

Historiquement, surtout, – et, là non plus, je ne veux pas manquer l’occasion de dire que je partage intégralement le point de vue exprimé par Mme Benbassa –, nous ne sommes pas, nous, Parlement français, représentation nationale exprimant la souveraineté du peuple français, qualifiés pour traiter un point d’histoire. Cela n’est pas notre rôle et, en empiétant sur le travail des historiens, travail scientifique nourri par l’examen des faits, nous sortons de ce qui est la vocation du Parlement.

Voilà donc beaucoup de raisons selon moi – même si nous sommes, les uns et les autres, du même avis quand il s’agit d’exprimer compassion et solidarité – pour rejeter un amendement qui n’a pas sa place dans la loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Chacun d’entre nous est, à sa manière, sensible à cette question sur laquelle nous sommes tous solidaires. Je voudrais remercier nos collègues du groupe CRC d’avoir déposé cet amendement, qui nous permet d’évoquer en séance ce drame de la Seconde Guerre mondiale et de réfléchir à la manière d’y faire écho afin qu’il ne soit pas oublié.

Je rejoins Philippe Bas et Esther Benbassa : nous avons eu suffisamment de problèmes avec les lois mémorielles pour ne pas revenir sur ce sujet. Néanmoins, comme l’a souligné Mme Benbassa, une résolution pourrait être le moyen d’honorer dignement la mémoire des Tziganes victimes de ce génocide. Si une résolution est présentée au Sénat, je la signerai volontiers, mais je ne pourrai pas voter cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Michel. Il faut replacer notre discussion dans son contexte. Nous examinons une proposition de loi qui prévoit le renforcement des sanctions réprimant les violations par les gens du voyage de leurs obligations. Comme si les gens du voyage qui sont français avaient plus d’obligations que les autres !

Je remercie le groupe communiste de nous avoir permis d’évoquer la façon dont ces concitoyens ont été traités durant le dernier conflit mondial. Ce sont plus de 6 000 hommes, femmes et enfants qui ont été internés dans des camps gérés par l’administration française, par l’État français – monsieur le ministre, je suis d’accord avec vous sur ce point –, au seul motif qu’ils étaient tziganes ; on disait alors « nomades », on dit aujourd’hui « gens du voyage ». Nos livres d’histoire n’en disent rien, aucun monument n’a été élevé à leur mémoire, aucun mémorial ne leur est consacré. La plupart de ceux qui ont connu ces persécutions sont morts, et le souvenir de ces déportations s’estompe. C’est la raison pour laquelle il est bon de les rappeler.

Alors, lorsque l’on prévoit des sanctions supplémentaires aujourd’hui pour les gens du voyage qui ne respecteraient pas leurs obligations, je pense qu’il faut se souvenir des trains dans lesquels ils ont été emmenés et des camps où ils ont été internés !

Cela dit, mes chers collègues, nous ne pouvons pas voter votre amendement, car nous sommes hostiles, comme vous d’ailleurs, aux lois mémorielles. Néanmoins, il est tout à fait important que nous ayons pu, aujourd’hui, évoquer pendant quelques minutes ce drame qui a eu lieu pendant l’Occupation.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour explication de vote.

M. Michel Le Scouarnec. En espérant que nous aurons l’occasion de donner suite à cet échange par une résolution qui pourrait être adoptée à l’unanimité, je retire cet amendement d’appel, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° 36 est retiré.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je vous remercie, monsieur Le Scouarnec, d’avoir retiré votre amendement.

Je souhaite à mon tour inviter au respect, nécessaire, indispensable, même.

Nous avons créé, dans le département où je suis élu, un centre d’études et de recherche sur les camps d’internement du Loiret, dont j’ai été l’un des fondateurs. À Beaune-la-Rolande, à Pithiviers, les enfants étaient séparés de leur mère, avant que les uns et les autres soient envoyés à Auschwitz. À Jargeau, ont été internés des « nomades » ou des « manouches », comme on les appelait alors. Nous avons décidé de créer un seul centre, celui que j’ai cité.

J’invite Jean-Pierre Michel à se rendre à l’important mémorial d’Orléans où l’on peut voir les photographies d’enfants raflés et que visite un nombreux public, notamment scolaire. La question est difficile. On m’a souvent dit qu’il n’était pas utile de reparler de tout cela. À Jargeau, le maire a eu beaucoup de mal à faire apposer une plaque et à organiser une cérémonie annuelle. Il ne faut pas croire que les choses sont simples ; cela représente un travail important.

Lorsque j’ai été désigné rapporteur de la proposition de loi sur le génocide arménien par la commission des lois, je me suis attaché à défendre notre position. Il fallait reconnaître la douleur, marquer notre respect, rappeler l’histoire, car on oublie parfois de l’enseigner. Néanmoins, dès lors que nous avions la loi Gayssot, point n’était besoin de multiplier les lois. Voilà la position que nous avons défendue et qui, je crois, reste la nôtre ; pour autant, cela ne nous exonère pas du devoir de marquer notre respect et d’honorer cette mémoire.

Mme la présidente. L'amendement n° 37, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport portant notamment sur :

- la place et le rôle des gens du voyage dans la société française ;

- la connaissance et le développement de leur culture ;

- la création d’un institut du monde itinérant ou d’un centre national sur le monde de l’itinérance.

La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Notre amendement s’inscrit dans la lignée du rapport intitulé Appui à la définition d’une stratégie interministérielle renouvelée concernant la situation des gens du voyage, remis au Premier ministre en juillet 2013, dans lequel figurent un certain nombre de préconisations intéressantes.

L’une d’elles a pour ambition d’améliorer la reconnaissance du rôle et de la participation effective des groupes de voyageurs au développement économique. Une autre est relative à la connaissance de leur culture.

Les associations, notamment la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les gens du voyage, effectuent un travail important pour promouvoir la culture des gens du voyage.

Leur objectif est de faire connaître la culture tsigane et de permettre à la population des voyageurs d’accéder à la culture sous toutes ses formes. À cette fin, il est proposé de mettre en place une structure nationale identifiable par tous, telle qu’un institut du monde itinérant ou un centre national sur le monde de l’itinérance.

En demandant, par notre amendement, que soit remis un rapport au Parlement, nous invitons le Gouvernement à approfondir cette idée.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. Le rapport du préfet Derache est en effet d’une grande qualité et contient des propositions pour une meilleure insertion des gens du voyage et une plus grande prise en compte de leurs spécificités par la société française.

Au cours des dernières années, nombre de rapports ont fait état de la situation des gens du voyage, de leurs spécificités et de leur histoire. Pour favoriser la compréhension et permettre une meilleure prise en compte de leur apport à la communauté nationale, l’action du Gouvernement ne suffit pas. Il est important que chaque citoyen prenne connaissance de la situation et de l’histoire des gens du voyage.

Comme l’amendement précédent, l'amendement n° 37 vise à mieux prendre en compte et à faire mieux connaître la tragédie que les gens du voyage ont vécue entre 1940 et 1946, pour sensibiliser la communauté nationale, notamment, à la question de l’internement.

Je le répète, il est important que l’ensemble de nos concitoyens prennent connaissance de cette partie de notre histoire ; un simple rapport gouvernemental ne suffira pas. De nombreux rapports de grande qualité ont déjà été rédigés sur le sujet, qui tracent des pistes pour l’avenir.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Lamy, ministre délégué. Avant de laisser la place à mon excellent collègue Alain Vidalies, je tenais à souligner, après M. Favier, la justesse des recommandations du rapport Derache.

Monsieur Favier, vous demandez en somme au Gouvernement de faire un rapport sur le rapport ! Compte tenu de la multiplicité de demandes similaires à la vôtre, je ne peux que souhaiter le retrait de votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.