Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi, que nous avions cosignée en 2010 avec nos collègues du groupe écologiste, est très importante.

Aujourd’hui, chacun le sait, si une jurisprudence bien établie tient compte de l’état de santé de la personne placée en détention provisoire lors des demandes de mise en liberté, nous souhaitons que cela figure explicitement dans le code de procédure pénale.

En effet, une personne en détention provisoire, dont la situation sanitaire est incompatible avec la détention, doit pouvoir être remise en liberté au profit, par exemple, d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence sous surveillance électronique, la loi prévoyant expressément la détention comme ultime recours.

Cependant, les objectifs visés à l’article 144 du code de procédure pénale justifiant le placement ou la prolongation de la détention provisoire ne semblent pas toujours suffisants pour permettre de lever la détention provisoire d’une personne malade.

De ce fait, ces objectifs, résultant notamment des exigences européennes de dignité des personnes détenues, invoqués en 2002 pour soutenir la création de la suspension de peine pour raison médicale, justifient à eux seuls l’impérieuse nécessité d’une réforme des dispositions légales relatives à l’exécution de la détention provisoire. Vous l’avez souligné, madame la garde des sceaux, ces personnes doivent pouvoir bénéficier d’une procédure rapide et efficace. Dès lors, celle-ci doit être inscrite dans la loi pour plus de lisibilité et de sécurité juridique.

Nous soutenons aussi pleinement la modification apportée par la commission des lois visant à prévoir que l’état de santé du prévenu puisse constituer, non un motif de suspension de la détention provisoire, mais une cause de mise en liberté de l’intéressé. La conséquence est non négligeable, puisque, en cas de mise en liberté, il appartient au juge d’instruction de demander de nouveau un placement en détention provisoire dans les conditions énoncées à l’article 144 du code précité, si l’amélioration de l’état de santé du prévenu le permet.

Nous apportons donc notre soutien à cette proposition de loi, qui reprend l’une des préconisations formulées par Nicole Borvo Cohen-Seat, alors présidente du groupe CRC, et Jean-René Lecerf dans leur rapport d’information sur l’application de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, rendu en 2012.

Ce débat est aussi l’occasion de faire le point et d’alerter sur la question plus globale de la santé des personnes détenues, quelques jours après la publication du rapport annuel de la Cour des comptes – vous y avez fait référence, madame la garde des sceaux – qui met l’accent sur la nécessité d’améliorer la prise en charge sanitaire des détenus.

Comme le souligne la Cour des comptes, les suspensions et les aménagements de peine pour raisons médicales restent trop marginaux. L’accès des détenus aux soins dispensés à l’extérieur est subordonné à la disponibilité des équipes pénitentiaires et des forces de l’ordre pour assurer leur extraction et leur garde. Quant à l’accès aux soins à l’intérieur des prisons, il est rendu difficile, voire impossible, par les règles de fonctionnement des prisons.

De plus, la protection sociale des personnes détenues n’est pas toujours effective en raison de problèmes d’affiliation, d’ouverture ou de reprise des droits sociaux.

Pour ce qui concerne plus spécifiquement les personnes détenues atteintes de troubles psychiatriques, je rappelle avec force que leur place n’est pas en prison. À cet égard, le manque de places dans les unités hospitalières spécialement aménagées est criant : seules sept des dix-sept unités prévues par la loi du 9 septembre 2002 ont été ouvertes. Mes chers collègues, la prise en charge de ces personnes en souffrance est urgente.

Je ne m’attarderai pas sur leur exclusion de la suspension de peine, d’autant que nous semblons tous d’accord sur ce texte. J’ai entendu avec satisfaction les propositions formulées par Mme la garde des sceaux en la matière, qui seront introduites dans un prochain projet de loi.

Cela étant, nombre de rapports ont été rendus sur ce sujet, qu’il s’agisse de celui de la Cour des comptes ou de celui de Nicole Borvo Cohen-Seat et de Jean-René Lecerf, dans lesquels figurent des recommandations. Il nous appartient d’en traduire un certain nombre dans notre législation, afin de mettre en œuvre une politique de santé publique à la hauteur des enjeux. En attendant, il va de soi que nous soutiendrons la présente proposition de loi. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous parvenons au terme de ce débat et je serai donc brève. Hélène Lipietz, auteur de la proposition de loi, et Esther Benbassa, rapporteur, vous ont déjà expliqué l’intérêt de créer un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d’ordre médical.

Je remercie les différents intervenants d’avoir exprimé, au nom de leur groupe, leur soutien à ce texte. Je vous adresse des remerciements identiques, madame la garde des sceaux.

Les personnes prévenues, au nombre d’environ 16 000, sont soumises, malgré la présomption d’innocence – point important –, à des conditions de détention trop souvent dégradées en maison d’arrêt, mais qui se révèlent paradoxalement beaucoup plus sévères que celles que connaissent les détenus. En outre, elles subissent des durées de détention provisoire pouvant atteindre jusqu’à plusieurs années en matière criminelle.

Cette situation soulève une grave difficulté, notamment pour les personnes en fin de vie ou souffrant d’affection de longue durée.

En effet, la loi du 4 mars 2002, dite « loi Kouchner », ne peut s’appliquer aujourd’hui qu’aux seules personnes détenues atteintes d’une pathologie engageant le pronostic vital ou dont l’état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention.

Je me réjouis donc que le groupe écologiste puisse présenter aujourd’hui cette proposition de loi, qui répond à une demande formulée de longue date par les professionnels de santé et les associations de défense des prévenus.

Deux arguments majeurs plaident en effet en faveur de ce texte. D’une part, on ne voit effectivement pas pourquoi un droit ouvert en matière de santé à des condamnés ne l’est pas à des prévenus : il y a là une inégalité que le régime juridique distinct des uns et des autres ne justifie pas. D’autre part, la proposition de loi est d’autant moins contestable que l’allongement de la durée moyenne de détention provisoire est régulier.

En cet instant, je souhaiterais très brièvement lancer une alerte et rappeler un élément de contexte, afin que, si ce texte est adopté, la future loi soit appliquée le mieux possible. Et nous devons aussi préparer les débats qui se dérouleront lorsque vous présenterez votre prochain projet de loi, madame la garde des sceaux.

On sait en effet que la loi Kouchner, qui réserve une possibilité de suspension de peine pour les condamnés dont nous souhaitons aujourd’hui étendre le bénéfice aux prévenus, n’est que très peu appliquée, alors même que l’âge moyen des détenus ne cesse d’augmenter. Nous avions déjà débattu de ce sujet l’an dernier, au mois de mars 2013, à l’occasion d’une question orale posée par le groupe écologiste.

Il nous paraît indispensable de réfléchir aux raisons de cette approche restrictive, qui peut éclairer nos débats. L’une de ces raisons est la méconnaissance par les experts médicaux des conditions réelles de la détention. Il nous semble qu’il faudrait donc, comme à l’origine, soumettre la suspension à une seule expertise médicale, mais exiger de l’expert désigné qu’il ait une connaissance de la vie carcérale ou, mieux, qu’il recueille les données particulières au cas d’espèce avant de se prononcer. Le détenu occupe-t-il une cellule individuelle ? Quel est le degré de confort de cette cellule ? Le détenu bénéficie-t-il de l’aide d’un tiers, d’un traitement régulier ?

Par ailleurs, les difficultés d’accès aux soins, qui font l’objet de l’une des principales revendications des détenus, doivent aussi être examinées. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté indique dans son rapport annuel qu’une bonne partie du courrier qu’il reçoit concerne ces dernières. Il est vrai que la problématique des maladies de longue durée est particulièrement difficile à affronter en détention, et trop de soins en la matière sont limités à la distribution d’analgésiques courants.

Par ailleurs, si la propension des spécialistes à se rendre en prison pour donner des consultations est très variable d’un établissement à l’autre, elle est généralement faible. Il faut donc organiser des extractions, opérations lourdes, présentant des aléas – disponibilité, notamment, d’une escorte pénitentiaire – et un risque fréquent de méconnaissance du secret médical en raison de la présence de surveillants pendant les consultations et les soins.

Voilà un certain nombre de points auxquels nous devrons réfléchir à l’avenir.

Pour l’heure, je remercie une nouvelle fois tous les collègues qui se sont exprimés et qui ont manifesté leur soutien : cette proposition de loi peut certes paraître marginale, mais elle constitue un premier pas, et nous espérons pouvoir ensuite aller plus loin. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je souhaite apporter quelques réponses aux questions très précises qui m’ont été posées.

Madame Assassi, en effet, les UHSA ne sont pas en nombre suffisant, mais nous en compterons neuf en 2015, pour une capacité d’accueil de 440 détenus, puis huit de plus dans la vague suivante, soit une capacité de 265 détenus supplémentaires.

Il subsiste certes des divergences sur le coût de ces unités, les estimations de la Cour des comptes et de la direction de l’administration pénitentiaire étant discordantes. J’ai donc demandé des chiffres plus précis. Quoi qu’il en soit, nous augmentons l’offre et la capacité d’accueil.

Madame Garriaud-Maylam, s’agissant de l’expertise unique psychiatrique, je rappelle tout d’abord qu’il s’agit de prévenus, donc de personnes présumées innocentes. On concevrait presque qu’elles puissent bénéficier d’un régime plus favorable. Or, pour l’instant, elles ont paradoxalement un régime plus sévère que celui des personnes condamnées. Je rappelle ensuite que la durée moyenne de détention provisoire ne permettrait pas en pratique de mener une double expertise psychiatrique.

En dernier lieu, je voudrais faire pièce à l’idée selon laquelle il pourrait y avoir des certificats de complaisance. Inversement, les professionnels considèrent que les expertises psychiatriques sont plutôt réticentes. Le risque serait davantage l’excès de sévérité que l’excès de clémence. Comme d’aucuns l’ont rappelé à la tribune, on constate d’ailleurs que les suspensions de peine sont marginales.

Pour être parfaitement transparente et loyale vis-à-vis de la représentation nationale, il me semble qu’il convient au contraire, dans le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, d’aligner le régime des personnes condamnées sur celui des personnes prévenues. La double expertise psychiatrique serait en effet le meilleur moyen d’empêcher le dispositif de fonctionner. Or de deux choses l’une : soit nous le mettons en place, et nous devons créer les conditions de son bon fonctionnement, soit nous y renonçons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la création d'un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d'ordre médical
Article 1er bis (nouveau)

Article 1er

Après l’article 147 du code de procédure pénale, il est inséré un article 147-1 ainsi rédigé :

« Art. 147-1. – En toute matière et à tous les stades de la procédure, sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction, la mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire peut être ordonnée, d’office ou à la demande de l’intéressé, lorsqu’une expertise médicale établit que cette personne est atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé est incompatible avec le maintien en détention, hors les cas des personnes détenues admises en soins psychiatriques sans leur consentement.

« Toutefois, en cas d’urgence, lorsque le pronostic vital de la personne est engagé, sa mise en liberté peut être ordonnée au vu d’un certificat médical établi par le médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle elle est prise en charge ou par le remplaçant de ce médecin.

« La décision de mise en liberté peut être assortie d’un placement sous contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence avec surveillance électronique.

« L’évolution de l’état de santé de la personne peut constituer un élément nouveau permettant qu’elle fasse l’objet d’une nouvelle décision de placement en détention provisoire, selon les modalités prévues par le présent code, dès lors que les conditions de cette mesure prévues par l’article 144 sont réunies. »

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi relative à la création d'un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d'ordre médical
Article 2

Article 1er bis (nouveau)

La présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. – (Adopté.)

Article 1er bis (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la création d'un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d'ordre médical
Article 3 (début)

Article 2

(Supprimé)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi relative à la création d'un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d'ordre médical
Article 3 (fin)

Article 3

(Supprimé)

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)

Article 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la création d'un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d'ordre médical
 

7

Décisions du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué à M. le président du Sénat, par courriers en date de ce jour, le texte des deux décisions du Conseil constitutionnel relatives :

– à la loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen ;

– et à la loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.

Acte est donné de ces communications. (M. le président de la commission des lois applaudit.)

8

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 13 février 2014, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’alinéa 4 de l’article 41-4 du code de procédure pénale (Attributions du procureur de la République) (2014-390 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

9

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 17 février 2014, à seize heures et le soir :

1. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à harmoniser les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne (n° 332, 2013-2014) ;

Rapport de M. David Assouline, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 365, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 366, 2013-2014).

2. Proposition de loi relative à l’interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON810 (Procédure accélérée) (n° 331, 2013-2014) ;

Rapport de M. Alain Fauconnier, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 362, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 363, 2013-2014).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART