Mme Nathalie Goulet. C’était très bien !

M. Christian Bourquin. Et très intéressant !

M. Simon Sutour. En outre, vous nous apportez de bonnes nouvelles : prenez donc tout votre temps ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Au moins, monsieur le sénateur, n’êtes-vous pas un ingrat ! (Nouveaux sourires.)

Concernant l’aide juridictionnelle, nous avons, vous l’avez dit, supprimé la taxe de trente-cinq euros. Il s’agissait d’une mesure impérative de justice sociale : il fallait lever cette entrave à l’accès au juge pour les personnes disposant de revenus modestes. Le plafond de ressources est en effet fixé non pas à 1 500 euros, mais à 929 euros, soit un peu en dessous du seuil de pauvreté. Comme il nous fallait prendre cette décision, nous avons abondé le budget de la justice de 60 millions d’euros pour compenser ses conséquences.

Le sujet de l’aide juridictionnelle est toutefois plus vaste et plus complexe, vous avez eu raison de le souligner. Nous disposons de dix ans de rapports sur ce thème. En 2006, un rapport du Sénat évoquait d’ailleurs la nécessité de « réformer un système à bout de souffle ». Nous le savons tous, l’aide juridictionnelle est structurellement affaiblie et défaillante. Nous devons répondre à cette situation non pas en attendant la reconduction annuelle du budget de la justice, mais bien en identifiant des ressources nouvelles, de façon à construire une grande politique nationale de solidarité.

Comme vous le rappeliez, monsieur Hyest, la possibilité de l’assistance d’un avocat pour les personnes entendues en audition libre, ouverte par la transposition de la directive B dont nous avons discuté ici hier, emportera des conséquences financières, qui sont estimées à 30 millions d’euros.

Nous devons donc mettre en place une véritable politique de l’aide juridictionnelle. J’y travaille depuis plus d’un an maintenant, en faisant en sorte d’y associer les différentes professions concernées. À mes yeux, en effet, les réformes sont toujours meilleures lorsqu’elles sont préparées à plusieurs mains. Nous avons rencontré des difficultés, et j’ai pris l’initiative de charger d’une mission sur le sujet un avocat général honoraire de la Cour de cassation, qui a remis ses propositions. Nous continuons donc à y travailler ensemble.

Concernant l’outil informatique dans le cadre de la proximité de la justice, Portalis est indispensable pour la justice civile. En arrivant, nous avons constaté que rien n’avait été fait pour mettre en place cet outil. Nous avons donc très rapidement lancé le chantier. Il s’agit, à mon sens, d’une nécessité urgente. Vous connaissez cependant le temps nécessaire au développement d’une application informatique de cette importance. En effet, il s’agira d’un outil national, déployé sur l’ensemble du territoire.

Les premières études sont lancées. Le coût de Portalis sera inclus dans le prochain budget triennal, qui couvrira les années 2015, 2016 et 2017, et s’élèvera à environ 41 millions d’euros. Les experts nous demandent de commencer par des expérimentations, qui aboutiront ensuite à une généralisation du dispositif. Elles commenceront sans doute dans trois ans, en gardant un rythme soutenu. Rien n’ayant été lancé avant notre arrivée aux affaires, c’est en tout cas ce que nous pouvons envisager à présent.

Monsieur Tandonnet, concernant la participation, c'est-à-dire la gouvernance des juridictions, il me semble, en effet, que nous devons définir un espace où les magistrats pourront informer les citoyens. Je ne suis pas persuadée que ces derniers devront, dans ces instances, être représentés par des avocats. Toutefois, cette nécessité d’information est incontestable. Il s’agit non pas d’intégrer les citoyens à la gestion des juridictions, mais bien de les informer sur le fonctionnement de ces dernières. Il en va de même des élus locaux, très impliqués dans leurs territoires, et qui doivent bénéficier du meilleur niveau d’information.

Sur la gouvernance, nous avons déjà lancé des initiatives, notamment au travers d’un projet de décret que j’ai soumis aux organisations syndicales, conformément au code de l’organisation judiciaire. Dans un premier temps, ces dernières n’ont pas souhaité qu’il soit publié, sans pour autant proposer de modifications substantielles. Le contenu du décret leur convenait, mais elles ont estimé qu’il était préférable d’attendre un peu, pour favoriser l’articulation des calendriers. Les juridictions travaillent actuellement, dans le cadre des assemblées générales, sur nos propositions concernant la réforme judiciaire. Les discussions se poursuivent et devraient assez rapidement aboutir à la publication de ce décret.

Au sujet de Strasbourg, monsieur Reichardt, vous savez que j’ai personnellement reçu une délégation des élus en janvier dernier, pour mener une véritable séance de travail. J’ai confirmé les propos que j’y avais tenus par un courrier adressé à tous les élus y participant.

La spécialisation est un vrai sujet. Le tribunal de Strasbourg est spécialisé, notamment en matière de propriété intellectuelle et de contentieux médical, pour lequel il constitue un pôle régional et interrégional. En revanche, vos craintes relatives aux conséquences de la loi de programmation militaire ne sont pas fondées : le décret n’est absolument pas publié, aucun transfert n’a donc été décidé entre Strasbourg et Nancy du fait de cette loi. Monsieur Reichardt, j’assume entièrement ce que je dis, je vous confirmerai donc tout cela par écrit, de manière précise et détaillée.

M. le président. Madame la ministre, je vous rappelle que je dois impérativement interrompre nos échanges à dix-sept heures, pour permettre le débat sur la demande du Gouvernement d’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en République centrafricaine.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pardonnez-moi d’avoir abusé de mon temps de parole !

Jean-Pierre Michel a évoqué les nombreux rapports publiés, en ajoutant : « Maintenant, il faut agir ! » Non, monsieur le sénateur : nous agissons déjà ! J’ai d’ailleurs apprécié les propos de l’un de vos collègues, affirmant qu’il n’y aurait pas de grand soir de la justice. Je ne prétends pas en effet à cela. Nous agissons déjà, nous avons pris de multiples dispositions, certaines grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs.

Par exemple, c’est grâce à vous que nous introduisons la communication électronique : vous avez accepté de l’intégrer dans un projet de loi que nous avons présenté. Selon le code de procédure pénale, il faut envoyer des lettres recommandées, dont 80 % ne sont pas réclamées. Cela coûte chaque année 58 millions d’euros en frais de justice. Par la mise en place de la communication électronique, assortie bien entendu de la sécurisation des procédures, nous agissons donc directement.

Nous agissons également au quotidien sur les tutelles. Sans rien vous demander, j’ai augmenté le nombre des magistrats, des greffiers et des fonctionnaires chargés d’appliquer la loi de révision des mesures de tutelle. Nous sommes ainsi parvenus à respecter le délai fixé à décembre 2013.

Nous agissons enfin en modifiant, au travers d’un texte que vous avez voté récemment, les règles d’administration légale, en mettant en place un parquet financier spécialisé dans la lutte contre la fraude fiscale, en répartissant les contentieux spécialisés, ou encore en nous penchant sur les juridictions de proximité.

Il me semble important de valoriser le travail du Parlement, qui permet, par le vote de propositions ou de projets de loi, d’améliorer au quotidien le fonctionnement de nos juridictions et les missions de nos magistrats, que ceux-ci appartiennent au ministère public ou au parquet. Songeons, par exemple, à la suppression des instructions individuelles.

Grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, nous agissons déjà dans les juridictions, et c’est en avançant que nous écrivons cette réforme judiciaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la justice de première instance.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel

M. le président. La séance est reprise.

3

Autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en république centrafricaine

Débat et vote sur une demande du Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle un débat sur la demande du Gouvernement d’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en République centrafricaine, en application du troisième alinéa de l’article 35 de la Constitution, suivi d’un vote sur cette demande d’autorisation.

La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le 5 décembre dernier, le Président de la République décidait d’envoyer nos soldats en République centrafricaine, afin d’éviter à ce pays de sombrer dans le chaos.

La Centrafrique était en effet en proie à une violence généralisée et à ce que l’on peut appeler – le terme est faible ! – une dérive confessionnelle. Les « Séléka », ces milices à dominante musulmane, qui avaient déposé quelques mois auparavant le président Bozizé, multipliaient les exactions et les pillages.

Ceux que l’on appelle les « anti-balaka », recrutés essentiellement parmi les populations chrétiennes, commençaient à s’en prendre aux civils musulmans, par esprit de vengeance et pour des motifs crapuleux.

Sur la base d’un mandat des Nations unies et en appui à la force de l’Union africaine, l’opération Sangaris – c’est le nom de l’opération française – avait deux objectifs : rétablir la sécurité en Centrafrique et permettre le retour des organisations humanitaires ; favoriser la montée en puissance de la force africaine, la MISCA, et son déploiement opérationnel.

Cette intervention répondait à l’urgence. Il n’y avait plus, en Centrafrique, ni armée, ni police, ni justice. Les écoles et les hôpitaux avaient cessé de fonctionner. À la tête d’un État failli, l’équipe de transition avait perdu tout contrôle, et la spirale de la violence prenait brutalement une ampleur nouvelle. À la veille même de notre intervention, les massacres avaient fait pas moins de 1 000 morts dans la capitale.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce qu’était, à ce moment, la réalité centrafricaine.

La France, par la voix du Président de la République à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, avait pourtant, dès septembre 2013, alerté la communauté internationale. Toutefois , à l’exception des États voisins, de l’Union africaine et des acteurs humanitaires, notre mise en garde n’avait pas permis, il faut bien le dire, de surmonter une coupable indifférence, et la République centrafricaine se trouvait au bord du gouffre.

Fallait-il, dans ces conditions, que la France, qui était, grâce à ses forces pré-positionnées, le seul pays à pouvoir intervenir sans délai en appui à la MISCA, laisse ces atrocités se perpétuer et le pays s’enfoncer dans une situation que certains, à l’ONU, ont qualifiée de « pré-génocidaire » ?

Fallait-il abandonner ce pays au cœur de l’Afrique, dans une région déjà très fragilisée par les conflits, notamment dans autour des Grands Lacs ou au Soudan ?

Fallait-il prendre le risque de laisser se créer une zone de non-droit à la merci de tous les trafics et de tous les terrorismes ?

Fallait-il rester sourd à l’appel au secours désespéré de la population centrafricaine et à la demande de soutien unanime des Africains ?

À l’évidence, la réponse est non ! Je sais que, comme moi, ce n’est pas l’idée que vous vous faites de la France et de ses valeurs. Ce n’est pas la conception que nous avons du rôle de notre pays dans le monde. C’est d’ailleurs ce que vous aviez tous exprimé lors du débat précédent.

Au contraire, la France devait prendre ses responsabilités. Et c’est parce que nous avons agi que des massacres de masse ont été évités, que, chaque jour, des vies sont sauvées et que la République centrafricaine a une chance de pouvoir reprendre en main son destin.

C’est aussi parce que nous avons été capables d’ouvrir la voie que, peu à peu, avec nos amis africains, nous entraînons d'autres partenaires internationaux. En peu de temps, la MISCA est passée d’environ 2 500 hommes au début de notre intervention à 6 000 hommes aujourd’hui. Elle accomplit en général un travail de grande qualité, en bonne coordination avec l’opération Sangaris.

D’autres pays contribuent aux opérations en cours par un soutien logistique indispensable. C’est le cas des États-Unis d’Amérique et de certains de nos partenaires européens. L’Union européenne apporte aussi un soutien financier, à hauteur de 50 millions d’euros.

Au-delà de ce soutien, l’Union européenne a décidé d’engager directement des troupes sur le terrain, en établissant, à l’unanimité, le 10 février dernier, l’opération Eufor-RCA. Elle a pris cette décision, constatons-le, plus vite qu’elle ne l’avait fait auparavant et, dans les prochains jours, un premier échelon devrait, selon les dires des responsables des institutions européennes, arriver sur le terrain.

Cette force européenne, qui, selon l’objectif évoqué par Mme Ashton, la Haute Représentante de l’Union européenne, devrait compter jusqu’à 1 000 hommes – encore faut-il qu’ils soient là ! –, aura pour mission principale d’assurer la sécurité de l’aéroport de Bangui et de certains quartiers. Elle devrait permettre à la MISCA et à Sangaris de continuer à se déployer en province, où leur intervention est évidemment très attendue. À ce jour, une dizaine de partenaires européens ont fait part de leur intention d’y contribuer. Néanmoins, le processus dit « de génération de forces » n’est pas encore terminé.

Comme l’a annoncé la chancelière Merkel à l’occasion du conseil des ministres franco-allemand, l’Allemagne, pour sa part, devrait participer à cet effort, par des moyens logistiques.

Mesdames, messieurs les parlementaires, il appartient aux Nations unies de faire davantage et plus vite. C’est le souhait exprimé à mon endroit par le secrétaire général lui-même. L’ONU doit notamment être en mesure de coordonner l’aide humanitaire, de préparer le désarmement et la réinsertion des combattants, ainsi que d’aider le gouvernement centrafricain à avancer vers les élections.

Les Nations unies – à l’issue de ce débat, je m’entretiendrai ce soir au téléphone avec M. Ban Ki-moon ; j’apporte cette précision au texte lu simultanément par le Premier ministre à l'Assemblée nationale – ont un rôle évident à jouer dans la lutte contre l’impunité, grâce au déploiement d’une commission d’enquête internationale, dont le travail complétera celui de la Cour pénale internationale.

Enfin – j’y reviendrai –, la préparation d’une opération de maintien de la paix, en partenariat avec l’Union africaine, doit s’accélérer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nos efforts ont commencé à porter leurs fruits. L’embrasement généralisé qui menaçait a été évité. La mobilisation internationale s’organise. Sangaris poursuit avec opiniâtreté les objectifs qui lui sont assignés.

À Bangui même, l’insécurité ne se concentre plus que sur certains quartiers. La plupart des combattants appelés « ex-Séléka » ont été désarmés et cantonnés sous le contrôle de la MISCA, et nombre d’entre eux sont repartis vers le nord, ce qui pose d’ailleurs d’autres problèmes. Dans la capitale, la menace vient principalement des « anti-balaka », contre lesquels nous agissons de manière très vigoureuse.

Dans la moitié occidentale du pays, des affrontements entre communautés ont toujours lieu. En lien étroit avec la MISCA, nos forces font le maximum pour protéger les populations, qu’elles soient chrétiennes ou musulmanes, avec une impartialité totale.

À l’est, il convient de veiller à ce que les regroupements d’« ex-Séléka » n’aboutissent pas à une coupure de fait entre cette région et le reste du pays.

M. Jacques Legendre. Très bien !

M. Laurent Fabius, ministre. Le départ massif de populations musulmanes constitue un sujet de vive inquiétude, dans un pays où les religions ont longtemps vécu en bonne harmonie. Les pays voisins, notamment le Tchad et le Cameroun, font preuve de solidarité en accueillant un nombre important de réfugiés. Ils doivent pouvoir, eux aussi, compter sur l’appui de la communauté internationale ; celui de la France leur est évidemment acquis.

En matière humanitaire, la situation reste en effet extrêmement critique, avec – nous citons ces chiffres comme ordre de grandeur – quelque 250 000 réfugiés et 825 000 déplacés, dont 400 000 dans la capitale elle-même. Cela signifie qu’un habitant sur deux a besoin de soins médicaux d’urgence et un sur cinq au moins d’aide alimentaire. Le départ de nombreux musulmans, qui animaient le commerce, fragilise l’ensemble de l’économie.

Sur place, les agences des Nations unies s’efforcent de faire face. Le Programme alimentaire mondial a mis en place un pont aérien, qui permet de ravitailler les déplacés en attendant que la MISCA, soutenue par Sangaris, sécurise totalement l’axe vital entre Bangui et le Cameroun. De nombreuses ONG sont actives, dont Médecins du monde et Médecins sans frontières, qui gèrent le seul hôpital actuellement resté ouvert à Bangui.

Sur le plan politique maintenant, la nouvelle présidente de transition, Mme Samba-Panza, une femme remarquable - la première femme à diriger un pays d’Afrique francophone - a su créer une dynamique. Je veux lui renouveler, avec vous, le soutien de la France.

Il faut maintenant que cette dynamique puisse se concrétiser dans la vie quotidienne de la population et que le paiement des salaires des fonctionnaires reprenne, afin que les institutions de base puissent recommencer à fonctionner. Les pays de la région ont promis leur aide. Il est important que les institutions financières internationales, elles aussi, soient au rendez-vous. La France agit en ce sens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la situation en République centrafricaine, je viens de la décrire, je crois, sans fard. Oui, les difficultés sont considérables. Non, la France ne les sous-estime pas, pas plus qu’aucun d’entre vous, et ne cherche pas à les minimiser.

Pour autant, les premiers progrès sont réels, et une perspective se dessine dans chaque domaine. Ainsi, des étapes importantes ont déjà été franchies dans la préparation des élections qui doivent être organisées d’ici à février 2015 : le code électoral a été adopté et l’autorité électorale mise en place. Il est urgent que la communauté internationale réunisse les moyens nécessaires au respect du calendrier prévu.

Pour son développement, la République centrafricaine, qui a longtemps fait partie des pays orphelins de l’aide, a évidemment besoin de l’assistance internationale. Le 20 janvier dernier, à Bruxelles, près d’un demi-milliard de dollars ont été promis pour faire face aux défis humanitaires les plus pressants et pour engager, dès maintenant, la reconstruction économique et sociale du pays.

Pour sa part, la France s’est engagée à hauteur de 35 millions d’euros pour 2014. Notre assistance technique à la République centrafricaine redémarre, et nous travaillons à accélérer la remise en marche de l’État, qui est la condition indispensable du retour des principaux bailleurs : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et l’Union européenne.

Quant à la sécurité, qui est évidemment un aspect essentiel, une opération de maintien de la paix sous Casques bleus nous paraît seule à même de répondre aux besoins de la Centrafrique.

La MISCA a accompli un travail indispensable, qui doit être conforté dans la durée. La mise en place d’une opération de maintien de la paix permettra, sur le plan militaire, de garantir les renforts nécessaires et, sur le plan civil, d’assurer le processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des combattants, ainsi que, le moment venu, l’organisation des élections.

Le secrétaire général des Nations unies présentera, dans les tout prochains jours, un rapport en ce sens. Nous souhaitons que le Conseil de sécurité des Nations Unies l’examine au début du mois de mars prochain, afin que la force de maintien de la paix puisse être déployée au plus vite.

D’ici là, Sangaris assurera son rôle de relais, au côté de la MISCA et de l’opération Eufor-RCA. Afin de répondre à la situation et spécifiquement à l’appel du secrétaire général des Nations unies, le Président de la République a décidé, le 14 février dernier, de porter l’effectif de nos troupes à 2 000 hommes. L’effort supplémentaire de la France comprend le déploiement anticipé de forces de combat et de gendarmes, qui participeront ensuite à l’opération européenne.

Ensuite, la France pourra réduire son effort tout en maintenant une présence en appui à l’opération des Nations unies. Nous n’avons pas vocation à nous substituer aux forces internationales, auxquelles il incombe d’assurer, dans la durée, la sécurisation de la Centrafrique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, à Bangui et partout en République centrafricaine, nos soldats ont trouvé un pays dévasté. Comme toujours, ils ont fait preuve d’un courage et d’un professionnalisme qui font honneur à la France.

Tout comme vous, j’en suis sûr, je tiens à saluer leur engagement et à rendre hommage à nos trois soldats qui ont perdu la vie au cours de missions opérationnelles : les caporaux Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio, tombés le 10 décembre 2013, et le caporal Damien Dolet, tué dimanche dernier. Je veux aussi saluer la mémoire de leurs compagnons d’armes, soldats de la MISCA, qui ont été tués en opération.

Dans cette épreuve, la nation a su se rassembler dès le déclenchement de notre opération. Je veux vous en remercier toutes et tous, que vous siégiez dans la majorité ou dans l’opposition.

Une délégation de députés, conduite par la présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, s’est rendue à Bangui, la semaine dernière, pour prendre par elle-même la mesure de la situation. De son côté, le Gouvernement continuera d’informer le Sénat et l’ensemble de la représentation nationale.

Chacun, dans cet hémicycle, est conscient que notre action en Centrafrique n’est pas terminée. C’est la raison pour laquelle, conformément à l’article 35, alinéa 3, de la Constitution, le Premier ministre et moi-même demandons au Sénat d’autoriser la prolongation de notre intervention, qui a déjà permis d’éviter la destruction totale du pays.

L’action et le courage de nos soldats ont forcé et forcent l’admiration. Les conditions décisives sont réunies pour qu’un accompagnement international robuste, à la fois militaire, humanitaire et politique, permette à la République centrafricaine de retrouver le chemin de la paix.

D’ici là, il nous revient à tous d’assumer nos responsabilités. C’est un défi, mais c’est aussi l’honneur de la France ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela, pour le groupe écologiste.

Mme Kalliopi Ango Ela. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi, sur la demande du Gouvernement, pour le débat et le vote sur l’autorisation de prolongation de l’intervention de nos forces armées en République centrafricaine.

Cette procédure est prévue à l’article 35, alinéa 3, de notre Constitution, qui dispose : « Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement ».

Je me permettrai, tout d’abord, de souligner que notre précédent débat date du 10 décembre dernier. Il semble regrettable que celui de cet après-midi ne puisse pas bénéficier du recul nécessaire.

Bien évidemment, le groupe écologiste estime indispensable que ce vote intervienne. Au demeurant, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner dans cet hémicycle, les écologistes défendent même l’idée qu’un vote soit organisé non seulement lors de la prolongation de l’intervention des forces armées françaises, mais dès l’engagement de celles-ci. (Murmures sur les travées de l'UMP.)

S’agissant du vote sur le maintien de notre dispositif militaire en Centrafrique, peut-être aurait-il dû avoir lieu dans un mois et demi, comme notre Constitution le prévoit ; ainsi, il aurait été fondé sur un réel bilan, portant sur une durée de quatre mois depuis le début de l’opération Sangaris, dont je vous rappelle qu’elle a été lancée le 5 décembre dernier.

Il faut se souvenir que, au début du mois de décembre dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé, à l’unanimité de ses membres, le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, la MISCA, pour une période de douze mois. Appuyée par des forces françaises, la MISCA est notamment chargée de contribuer à protéger les civils, à rétablir la sécurité et l’ordre public, à stabiliser le pays et à créer les conditions propices à la fourniture d’une aide humanitaire aux populations qui en ont besoin.

Lors du débat du 10 décembre dernier, j’ai déclaré que, pour les écologistes, « la capacité des pays africains à assurer eux-mêmes leur sécurité est un objectif qui requiert le soutien international et particulièrement le soutien européen ». Dans cette perspective, en effet, nous voyons s’éloigner le spectre de la « Françafrique ».

De ce point de vue, nous prenons acte de l’annonce du renforcement des effectifs européens, prévu sous peu, en réponse à la demande de l’Union africaine et en complément du soutien financier et logistique déjà mis en œuvre.

Mettre un terme au drame sécuritaire et humanitaire en cours nécessite l’action collective de nos partenaires, dans l’intérêt des populations civiles centrafricaines et de la stabilité du pays. Il y va plus largement de l’équilibre régional, dans la mesure où les troubles qui secouent cette zone alimentent des trafics en tous genres, que le groupe écologiste dénonce avec force, notamment une contrebande d’armes de petit calibre.

Preuve que la logique de multilatéralisation renforcée est nécessaire pour faire face aux enjeux immédiats de sécurité et de reconstruction de la paix, la chef de l’État de transition et le secrétaire général des Nations unies ont appelé, la semaine passée, au maintien et à l’accroissement des forces en République centrafricaine. Il me semble que nous ne pouvons rester insensibles à ces appels à mener une action présentée comme « une étape intermédiaire avant l’arrivée d’une opération de maintien de la paix en République centrafricaine ».

Le 17 février dernier, lors d’une visite au Tchad, Catherine Samba-Panza a fait part à une délégation de députés français de son souhait de voir l’intervention militaire française prolongée jusqu’aux élections prévues au début de l’année 2015. Le 20 février, Ban Ki-Moon, a demandé, devant le Conseil de sécurité, le déploiement rapide d’au moins 3 000 soldats et policiers supplémentaires pour rétablir l’ordre et protéger les civils. Par ailleurs, le président tchadien Idriss Déby Itno se déclare désormais favorable aux renforts, de même qu’à la prise de relais par les forces onusiennes.

Or, comme l’a souligné le secrétaire général de l’ONU, la mise en place de l’intervention des Casques bleus « risque de prendre des mois », alors que « la population centrafricaine ne peut attendre des mois ». Aussi, « il faut agir maintenant pour éviter une nouvelle aggravation de la situation ».

En outre, un rapport d’Amnesty International, rendu public le 12 février dernier, dénonce les violences interreligieuses qui persistent en Centrafrique en dépit de la mise en place de la MISCA, ainsi que les exactions dont sont victimes les civils musulmans ; selon l’organisation, ces exactions sont à l’origine d’« un exode sans précédent ».

Au cours des dernières semaines, cette ONG a recueilli plus d’une centaine de témoignages directs sur les attaques de grande ampleur menées dans les villes de Bouali, Boyali, Bossembélé, Bossemptélé, où plus de cent musulmans sont morts le 18 janvier, et Baoro, dans le nord-ouest du pays. Amnesty International reproche aux troupes internationales de ne pas s’être déployées dans ces villes, laissant ainsi « la population civile sans protection et livrée aux attaques des milices anti-balaka ».

Dans ces conditions, la France doit évidemment rester attentive à la situation des musulmans de Centrafrique et œuvrer à leur protection. Il me semble donc que le maintien de nos forces armées en République centrafricaine, sous mandat de l’ONU et en appui à la MISCA, doit être perçu comme une solution nécessaire à titre transitoire, jusqu’à la mise en place d’une opération onusienne de maintien de la paix.

Mes chers collègues, la prolongation soumise à notre approbation répond à une urgence sécuritaire et humanitaire ; elle a été demandée par le gouvernement transitoire de la RCA, les autorités africaines et le secrétaire général des Nations unies.

Si la France ne peut rester indifférente à ces demandes et se doit de poursuivre ses efforts sous la conduite des forces africaines, le groupe écologiste estime toutefois que notre pays ne pourra pas faire l’impasse sur la nécessaire réévaluation doctrinale de sa politique d’intervention. Aussi souhaitons-nous, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des précisions sur la question centrale de l’engagement de nos forces sur les théâtres d’opérations extérieures.

Les écologistes tiennent également à rappeler qu’il faut faire preuve de modestie et de prudence et que la stabilité en Centrafrique suppose nécessairement un travail de concertation avec les acteurs régionaux, qui devront être associés au processus de paix pendant toute sa durée.

L’enjeu immédiat est de sécuriser la zone afin de faire cesser au plus vite les violences qui sévissent encore en Centrafrique. Cette action passe par la poursuite du processus de désarmement, qui doit être conduit de façon impartiale ; celui-ci, en effet, est la condition de la mise en place d’une aide humanitaire rapide et efficace.

Il s’agit donc de prévenir l’enlisement et de relever un défi humanitaire considérable, dans la mesure où plus d’un million de Centrafricains ont dû fuir leur domicile pour se réfugier dans des camps de regroupement, en brousse ou dans les pays frontaliers.

Le défi politique et institutionnel qui attend la Centrafrique, où des élections démocratiques doivent avoir lieu en février 2015 alors que l’administration est aujourd’hui presque inexistante, ne doit pas non plus être sous-estimé. De fait, l’État devra entièrement se reconstruire et tout recensement électoral prendra du temps. Au demeurant, ces élections post-conflit nécessiteront une forte coopération entre l’Union africaine, les ONG et les observateurs internationaux, principalement ceux de l’ONU, dans la mise en œuvre et le suivi du processus électoral.

Le président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou-Nguesso, a rappelé il y a quelques jours l’importance des défis qui attendent la République centrafricaine. S’il soutient le maintien des forces armées françaises, il se prononce, plus largement, en faveur de l’augmentation du contingent international, afin qu’une présence effective puisse être assurée sur tout le territoire centrafricain.

L’ultime étape, comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises dans cet hémicycle, sera évidemment celle de l’aide au développement de la Centrafrique. Cette étape, chère aux écologistes, nous semble la seule susceptible de permettre au pays de se maintenir dans une paix durable.

Enfin, le groupe écologiste demande la tenue d’un débat dans une période de six mois, à compter de ce jour, afin d’évaluer l’état d’avancement du processus de désarmement et l’instauration de conditions décentes de sécurité pour les Centrafricains, indicateur réel de la pertinence du maintien de notre dispositif militaire dans ce pays.

Pour toutes ces raisons, et sous les réserves que je viens d’évoquer, je voterai, avec la majorité du groupe écologiste, pour la prolongation de l’intervention des forces armées en République centrafricaine, trois de nos collègues ayant néanmoins choisi de s’abstenir. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)