M. Didier Guillaume, rapporteur. Si nous arrivons à faire ce constat commun – et nous pouvons le faire, même si, sur certains points, nous ne serons pas forcément d’accord – alors oui, monsieur Mirassou, nous irons de l’avant !

Permettez-moi d’aborder deux thèmes indispensables, celui de la jeunesse et de l’innovation. Je ne m’attarderai pas sur la jeunesse, que le ministre a évoquée, sinon pour souligner qu’elle est l’avenir de notre agriculture, d’autant plus lorsque l’on sait que le renouvellement des générations, qui est tellement essentiel, pose problème. En effet, les agriculteurs âgés de moins de quarante ans représentent moins d’un quart de la profession dans certaines filières et il arrive que la moyenne d’âge globale dépasse cinquante ans.

Alors, faute d’installer des jeunes, ce sera la fin de l’agriculture. Aujourd’hui, comme l’a dit le ministre, plus de 30 % de ceux qui s’installent le font hors cadre familial. C’est bien la raison pour laquelle il faut mettre au premier plan de toute loi agricole et de tout engagement agricole les thèmes de la jeunesse, de l’installation et du renouvellement des générations. Et si l’accès au foncier est indispensable pour l’ensemble des agriculteurs, il l’est encore plus pour les jeunes.

Or ces thèmes, l’installation, la jeunesse, le renouvellement des générations et l’accès au foncier, figurent vraiment avec force dans ce texte.

Qui dit jeunes, dit formation, une formation doublement essentielle, d’une part, pour aller vers l’agroécologie et des pratiques nouvelles, mais aussi, d’autre part, parce que, comme je le disais, un grand nombre de jeunes qui s’installent le font hors cadre familial.

Et je ne saurais trop insister ici, à cette tribune, comme le fera certainement le rapporteur pour avis Brigitte Gonthier-Maurin, sur ce joyau que constitue l’enseignement agricole. En effet, l’élève qui entre dans l’enseignement agricole en sort quasi systématiquement avec un métier, contrairement à ce que l’on constate dans d’autres filières. Cet enseignement agricole doit donc être défendu, secouru, le cas échéant. Et, même si le sujet n’est pas d’actualité, il doit naturellement continuer de relever du ministère de l’agriculture.

L’enseignement agricole doit être dispensé dans toutes les structures, qu’elles soient publiques ou privées : les lycées, évidemment, mais aussi les centres de formation professionnelle et de promotion agricoles, les CFPPA, sans oublier les maisons familiales rurales, qui jouent un rôle essentiel pour l’aménagement du territoire en ce qu’elles parviennent à rattraper des jeunes qui, sinon, ne réussiraient peut-être pas.

Ce que prévoit à cet égard ce texte, notamment les passerelles, l’accès à l’enseignement supérieur et la recherche, la possibilité d’aller de l’avant, va dans le bon sens. Si nous voulons pour demain une agriculture dynamique et différente, il faut que l’enseignement prodigué aux jeunes soit lui-même dynamique et différent.

J’en viens à l’innovation, longuement évoquée par M. le ministre. L’innovation ne se décrète pas, mais il faut sans cesse la porter, car elle est indispensable. La création du groupement d’intérêt économique et environnemental, le GIEE, fournira l’instrument du regroupement des agriculteurs avec, éventuellement, d’autres acteurs, pour faire mieux et mettre en œuvre des actions innovantes.

Il faut aller encore plus loin. L’innovation en agriculture peut prendre des formes très diverses. Si la loi en parle, c’est surtout avec l’intervention des agriculteurs qu’elle se concrétise. Je citerai l’amélioration variétale, la gestion des intrants, le développement du bio-contrôle comme technique alternative aux traitements phytopharmaceutiques classiques, les nouvelles techniques pour les semis avec le non-labour, la recherche de l’autonomie fourragère.

Je pourrais en citer encore beaucoup, mais je me contenterai de dire que l’innovation doit se développer dans cette direction. Il existe un foisonnement d’initiatives. Soutenons-les, mettons-les en avant, assurons leur rayonnement. Les GIEE sont, me semble-t-il, l’outil pour ce faire, pour montrer à d’autres régions, à d’autres territoires, que l’innovation est possible, qu’il ne faut jamais baisser les bras, même si c’est dur. C’est que, mes chers collègues, la transformation de l’agriculture est toujours possible !

Aujourd’hui, la performance passe par la nouveauté, par l’expérimentation. Mais on ne peut parler d’’innovation sans poser la question de la recherche. Et c’est peut-être sur ce point qu’il nous faudra aller encore plus loin cette semaine, puis en deuxième lecture. En effet, si l’innovation se fait au niveau des territoires, elle doit aussi se faire « en haut ». La création d'un institut agronomique et vétérinaire de France va y contribuer. Il faut absolument que, en relation avec les autres pays d’Europe, notre recherche, notre innovation, notre recherche-développement soient fortes. C’est par la recherche et par l’innovation que nous avancerons. Le ministre citait les OGM, mais il y a beaucoup d’autres sujets.

Le Premier ministre nous appelait cet après-midi, ici au Sénat, à appréhender la politique différemment. Il nous appelait, dans un discours très sincère – apprécié, me semble-t-il, sur toutes les travées – à éviter le plus possible ces postures qui interdisent le débat : même si nous avons des désaccords, il nous faudra débattre.

Ainsi, à propos des OGM, nous devons dépasser le clivage des pour et des contre, pour mieux nous interroger sur les enjeux et les risques. Nous devons aller de l’avant pour mieux appréhender les éventuels effets négatifs sur la santé de nos concitoyens. N’ayons pas peur de parler, n’ayons pas peur d’échanger, n’ayons pas peur de chercher et, après, de trancher !

Avec mon collègue Philippe Leroy, rapporteur du volet « forêt » de ce projet de loi, avec les rapporteurs pour avis, Brigitte Gonthier-Maurin et Pierre Camani, nous avons tenté de faire le meilleur travail possible. Nous avons beaucoup écouté, nous avons conduit un grand nombre d’auditions et consacré de longues heures à notre réflexion. Ces rencontres ont été très enrichissantes et je veux vraiment remercier les collègues qui y ont participé, outre le rapporteur et les rapporteurs pour avis, que je tiens à saluer tout particulièrement.

J’ai essayé, pour ce qui concerne les volets du texte que je rapporte, d’aborder ce texte sans dogmatisme, mais avec pragmatisme. L’objectif, le seul qui nous a guidés, c’était de déterminer ce qui est bon pour l’agriculture et pour les agriculteurs. Après quoi, nous nous sommes efforcés de développer et d’aller le plus loin possible. Et je dois dire que le rapport est vraiment une œuvre collective : nous l’avons élaboré tous ensemble !

Beaucoup d’amendements ont été acceptés. Je prendrai quelques exemples des avancées qui ont été réalisées par la commission.

Tout d’abord, sur les GIEE, le ministre l’a dit, nous voulons passer de la double performance à la triple performance : économique, environnementale et sociale. Cela nous a semblé évident.

Ensuite, sur le bail environnemental, nous avons cherché à être pragmatiques pour que, sans remettre en cause le bail environnemental, ce dispositif ne soit pas un handicap, notamment pour les installations et pour les jeunes. Nous avons posé des garde-fous pour empêcher les dérives et protéger l’agriculteur qui aurait cinq ou six parcelles à des endroits différents. Je crois que nous sommes parvenus à un point d’équilibre.

J’en viens à la compensation agricole. Sur ce sujet, monsieur le ministre, il faudra sûrement aller encore un peu plus loin. Il y a une compensation environnementale, mais la compensation agricole est importante. Lorsque des agriculteurs ont dû, en raison de déviations, de constructions de routes ou d’autoroutes, de lignes à grande vitesse, vendre des terres et les mettre à disposition de la collectivité à des fins d’intérêt général, il faut absolument leur offrir une compensation. Nous devrons avancer.

Sur le registre, nous avons eu de longs débats, et, je le sais, ils vont se poursuivre. Je remercie les collègues de la commission qui ont cheminé avec nous jusqu’au point d’équilibre. Nous avons fait en sorte qu’aucune catégorie ne soit oubliée de ce registre, lequel doit vraiment servir à l’agriculture.

Sur la clause miroir pour les coopératives, monsieur le ministre, vous avez fait vous-même un pas. Je pense que nous sommes arrivés à une situation satisfaisante. On ne peut pas demander à toutes les assemblées générales de tout faire, surtout pour les grandes coopératives, mais, d’un autre côté, il faut que les sociétaires aient l’information.

Sur les interprofessions, nous avons essayé d’éviter les blocages dans le cadre de la structuration des filières et des accords commerciaux.

Nous avons essayé de même de simplifier la procédure de reconnaissance des GAEC, les groupements agricoles d’exploitation en commun, et c’était sans doute justifié.

Nous avons progressé vers l’ouverture des espaces de communication sur les radios et les télévisions pour les produits frais.

J’en viens à la place du vin, sujet cher à mes collègues Gérard César et Roland Courteau. Nous avons eu un très long débat sur la place du vin dans la société. Mes chers collègues, osons affirmer que le vin tient une place indispensable dans le patrimoine national, qu’il faut la défendre et que c’est aussi l’un des rôles d’une loi agricole. (Marques d’approbation sur un grand nombre de travées.)

M. Didier Guillaume, rapporteur. Il n’a pas été simple de défendre une meilleure protection des appellations et indications géographiques, mais nous y sommes parvenus.

J’en arrive à la prise en compte de l’agriculture dans les études d’impact sur les grands projets. Le rôle des CDPENAF a été maintenu et nous avons acté, à la demande de M. Mirassou et d’autres de ses collègues, la présence des fédérations de chasseurs au sein de ces commissions.

Un sujet était totalement transversal et comptait autant de partisans que d’opposants. Je veux tout simplement parler, monsieur le ministre, mes chers collègues, du logement : quand un agriculteur, notamment un jeune agriculteur, achète des terres et qu’il ne peut pas se loger à côté, c’est de la discrimination ! C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité que l’agriculteur puisse se loger à proximité.

Et que l’on ne vienne pas nous parler du mitage ! Ces arguments, nous ne pouvons pas les entendre ! Nous connaissons tous des agriculteurs qui doivent parcourir dix, vingt, voire vingt-cinq kilomètres pour aller travailler ! C’est une réalité, même si la situation diffère selon les départements.

Ce débat, nous l’aurons, car je veux défendre les agriculteurs qui ont besoin de travailler et de surveiller leurs terres. C’est indispensable !

Nous avons conforté le rôle, très important, des laboratoires départementaux d’analyse, démarche également indispensable si l’on veut éviter de s’en remettre pour tout au secteur privé.

Les outre-mer n’ont pas été oubliés même si, comme toujours dans un texte législatif, les articles qui les concernent sont toujours situés à la fin du texte. Chers collègues ultramarins, ce qui compte, ce n’est pas l’emplacement des articles dans le texte, c’est la force de leur contenu !

Vous souhaitiez que l’ODEADOM, l’office de développement de l’économie agricole d’outre-mer, soit conforté ; cela sera fait. La loi crée le comité d’orientation stratégique du développement agricole qui va mettre du lien entre les chambres et tous les acteurs. Cet organisme va bien fonctionner.

Il est un dernier point que je souhaite évoquer avec gravité : monsieur le ministre, les éleveurs n’en peuvent plus du prédateur qu’est le loup.

M. Didier Guillaume, rapporteur. Je pense que ce sujet doit être abordé tranquillement, sans excitation, sans effusion. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Oui !

M. Didier Guillaume, rapporteur. Fils d’éleveur ovin et élu d’un département qui pratique l’élevage ovin, j’ai la conviction que, si nous ne disons pas très clairement que le loup est incompatible avec la présence de l’élevage, alors, c’en est fini de l’élevage ovin, de l’élevage de montagne sèche !

Je veux le dire ici, à cette tribune, très solennellement, mais très tranquillement, il faut affirmer cette incompatibilité !

M. Didier Guillaume, rapporteur. Monsieur le ministre, ce n’est pas parce que la tâche est difficile qu’il ne faut pas essayer. Il faut inscrire à l’agenda de l’Europe la rediscussion de la directive Habitat et de la convention de Berne. Le loup n’est plus une espèce en voie de disparition. Nous sommes pour la biodiversité ; il ne s’agit donc pas d’éradiquer le loup. Mais moi, je n’accepte pas que les éleveurs soient éradiqués !

Nous défendrons un amendement en ce sens lors de la discussion des articles.

Avant de conclure, je veux vous remercier, monsieur le ministre, de nous avoir proposé un projet de loi de très grande qualité, qui va permettre de répondre à de nombreux défis – sûrement pas à tous : il y aura sûrement une autre loi après vous, voire avec vous. (Sourires.)

Prenons les lois telles qu’elles viennent, les unes après les autres. Cette loi va améliorer la précédente, comme elle avait elle-même amélioré celle qui l’avait précédée.

Cette loi, prenons là telle qu’elle est : une loi d’avenir, une loi d’ambition, une loi qui veut changer les pratiques, une loi qui fait de la compétitivité, de l’innovation, le phare de l’agriculture moderne, une loi qui doit tout simplement être utile à l’agriculture et aux agriculteurs.

Chacun a apporté sa pierre à l’édifice. Je le disais, tous les groupes ont contribué à enrichir le texte, déposant des amendements et participant à la rédaction du rapport.

Je rejoins M. le Premier ministre : l’agriculture mérite que l’on dépasse nos positionnements, nos postures, nos oppositions frontales – même si je peux les comprendre.

Le monde agricole n’attend pas que les politiques s’écharpent, il n’attend pas davantage des solutions clés en main, il attend tout simplement de disposer d’outils qui lui permettront de vivre dignement des fruits de son travail. Eh bien, ces outils sont là !

Je souhaite, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’au cours des séances à venir nous parvenions à enrichir encore ce texte afin de faire en sorte que la loi d’avenir mérite véritablement son titre et que, surtout, elle atteigne son objectif : garantir un avenir à l’agriculture française et à nos agriculteurs ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste, du RDSE et du CRC.)

M. le président. Quelle popularité !... (Sourires.)

La parole est à M. Philippe Leroy, rapporteur.

M. Jean-Marc Todeschini. Qu’avez-vous à dire sur le loup ? (Sourires.)

M. Philippe Leroy, rapporteur de la commission des affaires économiques. J’ai bien quelques idées sur le loup, mais vous me permettrez de ne pas en faire état maintenant... (Nouveaux sourires.)

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera spécifiquement sur le volet forestier du projet de loi.

Je veux vous dire tout le plaisir que j’ai eu à travailler avec Didier Guillaume, qui vient de faire la démonstration de ses qualités : il a obtenu aujourd’hui son brevet de rapporteur – et un rapporteur brillant -, qui le rend à même de devenir, à l’occasion de futures alternances, un grand ministre de l’agriculture. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)

Je voudrais tout d’abord, monsieur le ministre, resituer le débat forestier dans son contexte.

Dès votre arrivée au ministère de l’agriculture, vous avez confié à notre collègue député Jean-Yves Caullet le soin de rédiger un rapport sur la forêt, un bon rapport au demeurant qui, bien qu’il soit le énième sur le sujet, était nécessaire. Et le ministre que vous êtes a compris ce que contenait ce rapport, et c’est assez rare pour être noté ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je l’ai même lu !

M. Philippe Leroy, rapporteur. On pourrait presque le croire... (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)

Nous avons apprécié les mesures en faveur de la forêt que vous avez fait adopter dans la loi de finances rectificative et la loi de finances pour 2014.

La loi de finances rectificative a permis de confirmer des avantages fiscaux et financiers qui avaient été conférés aux forestiers.

Mais la principale innovation, contenue dans la loi de finances pour 2014, fut la création d’une action n° 13 au sein du programme 149, intitulée « Fonds stratégique de la forêt et du bois ». C’est une très bonne surprise – je le dis sans arrière-pensée ! –, qui a été appréciée par toutes les professions de la filière bois, qu’elles soient forestières ou industrielles.

Près de quinze ans après la suppression, scélérate, du Fonds forestier national, le 1er janvier 2000, la mise en place de ce fonds, que vous avez voulue et que vous avez osée, répond au besoin de la filière de disposer d’un instrument financier dédié pour l’essentiel au soutien des investissements forestiers indispensables au renouvellement de nos massifs, à leur adaptation aux événements climatiques ainsi qu’à leur richesse écologique. Il fallait le faire, monsieur le ministre, et vous l’avez fait ! Je vous en rends hommage.

Ce fonds, doté de 25 millions d’euros dans le budget de 2014, est consacré et officialisé dans le projet de loi que nous allons examiner. C’est une grande avancée.

Nous avons cependant souhaité, sur ce point, aller plus loin – j’ai déposé un amendement en ce sens à l’article 29 – en faisant de ce fonds un compte d’affectation spéciale, seule formule à même de pérenniser son existence.

Le compte d’affectation spéciale est, je le sais, un gros mot qui fait frémir l’ensemble des technocrates de Bercy, quelle que soit la couleur politique du gouvernement, ainsi que la plupart des parlementaires familiers des questions financières. Pourtant, en l’absence d’un tel fonds, la pérennité des crédits nécessaires à la forêt et à son renouvellement ne sera pas garantie, et l’on ne pourra pas donner les assurances nécessaires aux professionnels du bois pour qu’ils s’engagent dans des travaux forestiers.

Dans le secteur forestier, je le rappelle, avant de planter un arbre, il faut quatre ou cinq ans pour fabriquer le plant en pépinière, puis attendre vingt ans avant d’être rassuré sur son sort. Pendant toutes ces années, il faut pouvoir bénéficier d’une sécurité financière, pour assurer l’avenir.

Ce fonds est donc une avancée formidable et il nous faudra veiller, au cours de nos discussions, dans la mesure où c’est possible, à le rendre permanent.

Nous pourrions le doter des 25 millions d’euros déjà inscrits en loi de finances et l’alimenter par l’indemnité de défrichement dont nous allons parler ainsi que par le produit de la vente en Europe des « quotas carbone ».

Sur un autre plan, félicitons-nous que soit réaffirmée, à l’article 29, la reconnaissance d’intérêt général de la forêt et du bois, et de leurs nombreuses « externalités positives », comme disent les savants d’aujourd’hui.

La forêt représente une richesse patrimoniale irremplaçable pour la France, de par sa multifonctionnalité : il s’agit d’un potentiel économique, bien sûr, mais aussi environnemental et social.

Ce potentiel, énorme, qui couvre près du tiers de la surface de notre territoire, s’autofinance à près de 100 %, et ne coûte donc pas cher au contribuable.

Permettez-moi à cet instant un clin d’œil à mes amis écologistes et agriculteurs. Rappelons-nous que les premiers écologistes d’Europe ont été les forestiers, aux XVe et XVIe siècles. Nous avons inventé le rendement soutenu, que Colbert a formalisé dans différents édits. Les Anglais, qui travaillaient sur cette question à la même époque, l’appelaient le sustainable development. Cela correspond tout à fait à la formule retenue dans le protocole de Kyoto !

Nous avons donné à nos forêts une triple mission, économique, environnementale et sociale. Je constate que les agriculteurs tendent désormais à adopter ce triplet, ce qui représente un progrès pour l’agriculture.

Le texte aborde aussi le regroupement de la petite propriété forestière, vaste problème que nous aurons à évoquer longuement.

Première forêt feuillue d’Europe, la forêt française est en effet essentiellement privée, pour 74 % de sa surface, avec 3,8 millions de propriétaires, dont 200 000 seulement possèdent plus de 10 hectares. Elle est donc, pour une partie significative, atomisée en une myriade de petites propriétés, dont les parcelles s’enchevêtrent. Il s’agit là de l’héritage de l’exode rural qui a marqué le XXe siècle.

L’article 30, en créant les groupements d’intérêt économique et environnemental forestiers, représente également une avancée appréciable pour la petite forêt.

Autre clin d’œil : je remarque que les petites forêts constituent un remarquable réservoir de biodiversité, donc une richesse non moins remarquable. Il convient donc de ne pas les considérer comme un handicap absolu. Il faudra de nombreuses années, en dépit des initiatives que vous nous proposez de prendre à leur endroit, pour traiter le problème de ces petites propriétés forestières : cela ne se fera pas en moins d’une génération. Nous devons faire preuve d’humilité sur cette question ; c’est important pour la suite de nos discussions.

Les forêts publiques sont, quant à elles, minoritaires en surface. Qu’elles soient domaniales ou communales, elles sont gérées par l’Office national des forêts, l’ONF, conformément au régime forestier.

Les forêts privées dont la surface est supérieure à 10 ou 25 hectares peuvent ou doivent présenter un document de gestion approuvé par l’État : le plan simple de gestion. En l’occurrence, les choses vont relativement bien.

Pour les propriétés de faible surface, les règlements types de gestion ou les codes de bonnes pratiques sylvicoles constituent pour les volontaires un statut de bon forestier.

Il convient de garder ces instruments, monsieur le ministre, tout simplement – et c’est un rappel à la modestie – parce qu’il nous faut des solutions diversifiées, qui nous permettront peu à peu de porter remède au morcellement forestier, sans que l’on cherche pour autant à imposer un modèle unique.

La France est très diverse. Laissons cette diversité s’épanouir, y compris dans les formules de reconnaissance de la bonne gestion forestière !

Il faudra aussi s’entendre pour définir les différentes catégories de professionnels habilités à intervenir auprès des propriétaires privés. C’est compliqué ! Mais je les appelle tous, car je les connais bien, à la patience et à la tolérance. Les experts forestiers, les gestionnaires forestiers professionnels, les coopératives et bien d’autres doivent faire en sorte de s’entendre et ne pas chercher à se concurrencer inutilement. Il y a de la place pour tout le monde ! Le projet de loi nous permettra d’aborder ces différentes questions.

Je voudrais à présent vous dire quelques mots des grandes problématiques de la forêt française qui ont retenu notre attention.

Notre forêt se porte bien, quantitativement. Sa surface couvre aujourd’hui environ 15 millions d’hectares et en gagne de nouveaux chaque année. Cela fait bondir certains agriculteurs, dans la mesure où les terres agricoles disparaissent tandis que la forêt continue à croître.

M. Philippe Leroy, rapporteur. Or la forêt croît dans des zones que l’agriculture dédaigne. Là est le vrai problème !

Depuis Colbert, la forêt satisfait globalement bien l’ensemble de ses fonctions écologiques et sociétales.

Enfin, la filière forêt-bois regroupe plus de 450 000 salariés, de l’amont à l’aval. L’accroissement biologique annuel, de plus de 100 millions de mètres cubes, est largement supérieur aux prélèvements opérés, de l’ordre de 60 % à 70 % seulement.

Vous le voyez, cette énorme surface ne coûte pas cher, elle est en bon état écologique et remplit globalement bien ses fonctions. On ne peut donc pas la charger de tous les péchés du monde, même s’il convient de développer des projets et de formuler des propositions.

En effet, la production forestière n’est pas adaptée aux besoins d’un marché européen peu demandeur en bois feuillu. Or les forêts françaises, par tradition, produisent du bois feuillu !

En outre, on assiste à une compétition pour les usages du bois, avec une montée en puissance des utilisations énergétiques des petits bois, devenues plus rentables pour les producteurs que certains usages plus traditionnels, comme le panneau ou le papier, grâce aux subventions accordées par kilowattheures « énergie renouvelable ». Comme quoi il faut parfois se méfier des grands projets énergétiques qui peuvent désarticuler un certain nombre de filières traditionnelles…

Dernier point : la balance commerciale « bois » de notre pays est aujourd’hui largement déficitaire. Comme nous produisons des quantités importantes de feuillus, et peu de résineux, nous sommes condamnés à importer des bois résineux pour les besoins de notre marché, ce qui nous coûte extrêmement cher.

Mes chers collègues, pour pouvoir tirer pleinement profit de notre forêt, il faudrait que nous y investissions davantage en vue de la renouveler et de la moderniser.

Il nous semble important de « mettre le paquet » sur l’enseignement, la recherche et l’innovation dans la filière bois.

M. Didier Guillaume a évoqué cette nécessité s’agissant de l’agriculture. Je le dis solennellement, notre déficit est énorme en matière d’enseignement, de recherche et d’innovation dans le secteur de la forêt.

L’exemple des bois de feuillus le montre bien : il nous faut absolument développer la recherche sur de nouveaux usages de ces bois, et former des techniciens et ingénieurs susceptibles de répondre au formidable défi des forêts françaises.

Permettez-moi de vous livrer deux réflexions personnelles.

Aujourd’hui, lorsque nous avons besoin de bons ingénieurs forestiers, il nous faut les « importer », ce qui contribue au déficit de notre commerce extérieur. On fait venir des Belges ou des Suisses, car on ne forme plus en France de bons ingénieurs sylviculteurs ! C’est un problème.

Dans un autre ordre d’idées, la France – et je pense notamment à ses régions ultramarines – pourrait, afin de conserver sa renommée de grand pays forestier, s’appuyer sur la recherche et l’innovation. Elle pourrait, pour assurer son rayonnement mondial et lutter contre l’exploitation illégale des forêts tropicales et équatoriales, s’appuyer sur l’exemple de la forêt guyanaise.

Il y a là un réservoir énorme de connaissances. C’est une forêt presque intacte, pas complètement dévastée par les orpailleurs, que l’on pourrait utiliser pour montrer le savoir-faire de la France en matière forestière.

Monsieur le ministre, au regard de toutes ces problématiques, le projet de loi que vous nous présentez va dans le bon sens. Cependant, nous pouvons l’améliorer encore sur certains points. Je pense notamment aux amours compliquées entre sylviculteurs et chasseurs… (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)

On n’ose jamais en parler. Ne dit-on pas, dans nos provinces, que si l’on veut éviter qu’un repas de famille ne tourne à la catastrophe, il ne faut parler ni de politique ni de chasse ? Or les forestiers et les chasseurs sont souvent de la même famille. Ils se détestent ou ils s’adorent. En général, un forestier est chasseur et un chasseur est forestier. C’est donc une relation compliquée. Comme dans toutes les querelles de famille, des deux côtés, on ne s’exprime jamais sans réticence et mauvaise foi.

Mes chers collègues, j’aimerais que l’on avance sur cette question. C’est pourquoi j’ai déposé deux amendements, après en avoir discuté avec la Fédération nationale des chasseurs et la Fédération nationale des propriétaires forestiers sylviculteurs, qui essaient d’organiser, région par région, département par département, des rencontres entre sylviculteurs et chasseurs, de façon à les obliger à parler ensemble de leurs problèmes et à tenter de trouver des solutions. On accomplirait un progrès considérable si l’on pouvait poursuivre dans cette direction.

En ce qui concerne le fonds stratégique, je sais, monsieur le ministre, que vous ne pourrez pas accepter l’idée de mettre en place un compte d’affectation spéciale. Je ne vous en veux pas, car c’est techniquement, et peut-être même constitutionnellement, impossible dans l’immédiat. Toutefois, c’est un combat que nous allons devoir mener, en espérant que le Gouvernement, dans un prochain projet de loi de finances, pourra créer un compte d’affectation spéciale : il faut environ100 millions d’euros pour relancer la machine forestière.

Mes chers collègues, je souhaite évoquer une dernière question, qui fait peur à tout le monde : celle du défrichement dans les zones surboisées. D’une façon générale, la loi – et le présent texte n’échappe pas à la règle – tend à protéger les forêts de toute tentative de défrichement. Nous ne pouvons pas imaginer que cet énorme poumon, ce remarquable patrimoine naturel qu’est la forêt soit sacrifié à des intérêts immédiats, mais, dans les zones de montagne, certains villages connaissent un taux de boisement tel que la vie y devient impossible. Les paysans ne peuvent plus s’installer ou développer des formes nouvelles d’agriculture de montagne. Cela entraîne un blocage des spéculations agricoles et économiques dans ces villages, lesquels sont menacés de disparaître. C’est pourquoi j’ai élaboré, en lien avec des élus de la montagne de gauche et de droite, des amendements visant à autoriser les villages de montagne surboisés à procéder à quelques défrichements si cela peut permettre un développement économique, solution qui fait frémir les orthodoxes, si je puis dire, de l’administration forestière… (Applaudissements.)