M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur pour avis.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’est saisie pour avis du titre IV du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, consacré à l’enseignement agricole.

Je tiens à souligner, en préambule, que le bilan des travaux accomplis en commission est positif, puisqu’une grande majorité de nos amendements ont été adoptés et intégrés dans le texte de la commission des affaires économiques, grâce à un travail constructif avec les rapporteurs au fond, Didier Guillaume et Philippe Leroy.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur pour avis. Reste l’article 27, sur lequel nos avis divergent ; j’y reviendrai.

Cela a été souligné, l’enseignement agricole est un levier essentiel pour transformer le système de production français et assurer la diffusion de l’agroécologie. Plus que la course à la performance économique, c’est le souci de la performance sociale et écologique qui doit être mis au cœur du projet pédagogique et éducatif de l’enseignement agricole.

L’article 26 du projet de loi rappelle ainsi la participation de cet enseignement à la politique de développement durable. Est bienvenu, à ce titre, l’ajout aux missions des établissements de la promotion de la diversité des systèmes de production agricole, de l’agroécologie et de l’agriculture biologique.

Nous nous félicitons également de l’élaboration d’un projet stratégique national pour l’enseignement agricole auquel devront se conformer les projets d’établissement. Cet élément est de nature à conforter et à compléter le cadre de référence national.

Par ailleurs, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication soutient le Gouvernement dans sa volonté de renforcer les capacités de promotion sociale de l’enseignement agricole pour lutter contre les inégalités de destin persistantes entre jeunes urbains et jeunes ruraux. Elle approuve ainsi la création d’une voie d’accès spécifique aux formations d’ingénieurs de l’enseignement supérieur agricole grâce à l’instauration de classes préparatoires professionnelles.

Pour étendre le dispositif du Gouvernement, nous avons fait adopter plusieurs amendements, en cohérence avec les positions globales de notre commission en matière de politique éducative et universitaire.

Le ministre chargé de l’agriculture aura notamment la faculté de fixer un taux minimal de bacheliers professionnels agricoles dans les sections préparant au BTSA.

Nous avons également demandé et obtenu la mise en place d’un accompagnement spécifique des bacheliers professionnels agricoles et des titulaires du BTSA dans les formations d’ingénieurs des écoles agronomiques. C’est le pendant de mesures que nous avions inscrites dans la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.

La plupart de nos amendements étaient cependant consacrés à l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, l’IAVF.

Un débat approfondi sur ce sujet a eu lieu en commission de la culture, notamment à la suite de notre déplacement à l’École nationale vétérinaire d’Alfort. Celui-ci a en effet mis au jour des inquiétudes et confirmé les incertitudes qui demeurent quant à la création de l’IAVF.

C’est pourquoi notre commission a élaboré sa réflexion en deux temps.

Elle a d’abord adopté l’amendement de suppression de l’IAVF que je lui soumettais, car, au cours de mes auditions –une vingtaine pour seulement deux articles –, j’ai acquis la conviction que ce projet comportait des risques et qu’un travail d’approfondissement était encore nécessaire.

Dans un second temps, anticipant la possibilité que cette position ne soit pas partagée par les rapporteurs saisis au fond, notre commission a proposé une série d’amendements visant à préciser le statut, le périmètre et les missions de l’IAVF, amendements que la commission des affaires économiques a retenus.

Aux termes de la rédaction actuelle du texte de la commission, l’IAVF prendrait donc la forme d’un établissement public national à caractère administratif. Les organismes de recherche sous tutelle du ministère de l’agriculture, c’est-à-dire l’Institut national de la recherche agronomique et l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture, y seraient intégrés d’emblée et obligatoirement. Les fondations reconnues d’utilité publique, comme l’Institut Pasteur, pourraient y adhérer. La formation initiale et continue des personnels de l’enseignement technique agricole ferait partie des missions de l’IAVF. Enfin, des conventions de partenariat pourraient être conclues à cet effet avec les écoles supérieures du professorat et de l’éducation.

Nous n’avons redéposé que trois amendements pour l’examen de ce texte en séance publique. L’un tend à préciser que chaque membre de l’IAVF dispose d’au moins un siège au conseil d’administration. Les deux autres visent à supprimer les modifications apportées par l’article 27 bis à la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.

Sous réserve de leur adoption, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a rendu un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

Pour conclure, je tiens à indiquer que, à titre personnel, je continue à plaider pour la suppression du projet de création de l’IAVF en l’état. Je souhaite que nous mettions à profit le délai imparti par la loi Fioraso pour travailler à trouver une solution. Cette conviction a d’ailleurs été confortée par l’échange que j’ai eu, la semaine dernière, avec une délégation intersyndicale que mon groupe a reçue à sa demande. Elle réclame l’abandon de ce projet : les interrogations et les inquiétudes exprimées quant à l’efficacité de cette nouvelle structure font ainsi écho à celles que j’ai développées dans mon rapport pour avis. Je souhaite donc que le débat sur l’article 27 nous permette d’améliorer ce projet de loi dans son ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Camani, rapporteur pour avis.

M. Pierre Camani, rapporteur pour avis de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec la disparition de 25 % des exploitations en dix ans et un recul de ses parts de marchés à l’exportation, l’agriculture française traverse, il est vrai, des difficultés. Toutefois, la « ferme France » reste l’une des plus performantes du monde.

C’est dans ce contexte en demi-teinte que s’inscrit la discussion du projet de loi que nous présente aujourd’hui le Gouvernement. Elle intervient aussi dans un cadre européen renouvelé par la réforme de la politique agricole commune.

Ce texte traduit la volonté de donner un nouvel élan à notre agriculture, en favorisant des modèles de développement à la fois plus performants et plus durables : compétitivité économique et compétitivité environnementale ne sont plus opposées.

La performance environnementale devient même un atout dans la compétition mondiale. Elle n’est plus perçue comme une contrainte. Au contraire, elle ouvre le champ des possibles, favorise le collectif, l’initiative, l’innovation, l’expérimentation et l’échange.

Dans son rapport consacré à l’agroécologie, Marion Guillou, ancienne présidente-directrice générale de l’INRA, a recensé nombre de pratiques innovantes qui ont fait leurs preuves. Les acteurs de l’agroécologie ont réussi, dans un cadre le plus souvent collectif, à diversifier leur production, à réduire la dépendance de leurs exploitations en matière d’eau, d’énergie, d’engrais et de produits phytosanitaires.

Je me félicite que ce texte permette d’amplifier ces initiatives, en offrant un véritable cadre au développement de l’agroécologie et en favorisant la multiplication de ces expériences innovantes.

Quatre volets de ce projet de loi ont plus particulièrement intéressé la commission du développement durable : les premiers articles, qui posent les grands principes de la politique agricole et inscrivent celle-ci dans une perspective de développement durable réaliste ; les articles concernant la modernisation de nos outils fonciers, pour mieux lutter contre la consommation d’espaces agricoles ; les articles relatifs aux pesticides, qui visent à perfectionner le dispositif de mise sur le marché et de suivi des produits phytosanitaires, tout en encourageant la réduction des intrants ; enfin, le titre relatif à la forêt, dans la mesure où, dans ce domaine également, une inflexion forte est attendue, par l’ensemble des acteurs concernés, en faveur d’une gestion meilleure et plus durable des forêts.

L’article 3 du projet de loi prévoit la création de groupements d’intérêt économique et environnemental, les GIEE, destinés à favoriser les pratiques agroécologiques. Cette mesure est inspirée d’expériences étrangères réussies. C’est là un tournant historique : il s’agit de promouvoir avec ambition, mais aussi réalisme, une agriculture durable, non pas en imposant une norme uniforme, mais bien en partant des spécificités des territoires.

Ce tournant s’accompagne d’une modernisation des outils fonciers pour mieux lutter contre la consommation d’espaces agricoles, améliorer la répartition parcellaire, concourir à la diversité des systèmes de production et, surtout, mettre fin à la dichotomie stérile entre espaces naturels et espaces agricoles ou forestiers.

En commission du développement durable puis au sein de la commission des affaires économiques, nous avons beaucoup discuté de l’opportunité d’intégrer, dans le diagnostic des SCOT, la prise en compte du potentiel agronomique du territoire. Un amendement en ce sens a été déposé par nos collègues Renée Nicoux et Bernadette Bourzai.

L’intérêt d’une telle démarche est double : connaître le potentiel agronomique d’un territoire permet non seulement d’améliorer les pratiques, mais également d’éviter que l’expansion urbaine s’opère sur les terres agricoles les plus productives.

Je n’ignore pas les coûts à court terme de tels diagnostics et les difficultés opérationnelles qu’il faudra régler pour aboutir. Cependant, à l’heure d’engager l’avenir de notre agriculture, je suis persuadé qu’il s’agirait d’une mesure utile pour s’inscrire dans le long terme et atteindre l’objectif d’une double performance économique et environnementale.

J’en arrive aux apports de la commission du développement durable sur les articles relatifs aux produits phytosanitaires.

Notre commission a tout d’abord souhaité sécuriser le transfert à l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, de la mission de délivrance des autorisations de mise sur le marché, les AMM, pour les produits phytosanitaires.

Ce transfert est bienvenu : la double instruction des dossiers, par le ministère et par l’ANSES, crée des retards dont les conséquences sur le terrain sont considérables en termes de production.

Je pense, en particulier, à certaines cultures maraîchères, comme les fraises, dont la saison commence – mon département est le premier producteur de France –, qui ont un besoin crucial d’options de traitement phytosanitaire.

L’enjeu est bien, ici, l’efficacité économique par la simplification du droit et la rapidité des procédures. Il est toutefois apparu à notre commission que ce transfert devait s’effectuer dans le strict respect du principe de séparation de l’évaluation du risque et de la gestion de celui-ci.

Dans cette optique, la commission du développement durable a adopté trois amendements.

Le premier tend à doter les inspecteurs de l’ANSES de pouvoirs d’inspection et de contrôle, afin que ces agents puissent mener correctement leur nouvelle mission en matière d’autorisation et de suivi des mises sur le marché.

Un deuxième amendement vise à la réécriture de l’article 22 bis : nous avons renommé le conseil d’orientation créé par les députés « conseil de suivi des autorisations de mise sur le marché ». Y siégeront des représentants des ministères de tutelle, ainsi que des experts de l’ANSES. Point important, notre amendement tend à rendre publics les avis de ce conseil. La transparence est en effet une garantie d’indépendance.

Enfin, un troisième amendement a pour objet de donner au ministre de l’agriculture le pouvoir de prendre, en urgence, toute mesure de retrait ou d’interdiction d’une autorisation de mise sur le marché. C’est là une avancée fondamentale : dans l’intérêt de la santé publique ou de l’environnement, le ministre doit pouvoir intervenir en urgence, sans préjudice de la compétence confiée à l’ANSES en matière de délivrance des autorisations de mise sur le marché.

Cet amendement garantit que le pouvoir politique restera responsable en matière de pesticides. En effet, nous avons pu le constater ces dernières années, ce qui est compliqué, c’est non pas de donner une AMM, mais bien de la retirer à temps.

Avec l’amendement adopté par la commission des affaires économiques sur l’initiative de Didier Guillaume, qui donne un droit de veto au ministre chargé de l’agriculture sur les décisions d’AMM de l’ANSES, nous disposons désormais d’un dispositif complet et sécurisé, qui permettra un gain d’efficacité considérable.

Restera à régler la question des moyens de l’ANSES, qui sont aujourd'hui insuffisants au regard de ses nombreuses missions, et du plafond d’emplois de l’agence. Nous aurons l’occasion de reparler de ce sujet lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015.

De manière générale, notre commission se félicite des dispositions relatives aux pesticides contenues dans le projet de loi, car elles visent clairement à atteindre l’objectif de réduction des intrants. Les GIEE doivent également contribuer à cet objectif, en permettant de mutualiser les pratiques innovantes, sobres en pesticides. La dynamique de groupe est, à ce titre, fondamentale.

Dans mon département, le Lot-et-Garonne, une charte de coexistence a été signée en décembre 2012 entre apiculteurs, agriculteurs multiplicateurs de semences, agriculteurs en agrobiologie et collectivités locales. Cette charte a constitué l’une des orientations proposées lors des états généraux de l’agriculture départementale organisés par le conseil général, au cours desquels chacun a pu exprimer ses attentes à l’égard des autres filières et des collectivités.

L’objectif de la charte est, d’une part, de maîtriser les flux de pollen, auxquels sont sensibles les productions de semences hybrides, et, d’autre part, de protéger les abeilles et l’agriculture biologique de la dispersion des produits phytosanitaires.

En deux ans de mise en œuvre, la charte a permis de développer le dialogue entre les différents usagers de l’espace agricole, de mieux prévenir la contamination des semences par les flux de pollen, de préserver les insectes pollinisateurs et d’améliorer l’usage des traitements phytosanitaires.

L’avenir de l’agriculture passe par ce type d’expériences volontaires et innovantes, que ce projet de loi contribuera à encourager.

Je terminerai en évoquant d’un mot le volet du texte consacré à la forêt. Notre commission a adopté deux amendements de simplification.

Tout d’abord, nous avons supprimé la disposition prévoyant l’élaboration annuelle, par le département, en concertation avec les communes et les EPCI concernés, d’un schéma d’accès à la ressource forestière. Ce schéma constitue une formalité administrative supplémentaire, qui pourrait avoir des implications très lourdes pour les communes, lesquelles n’ont pas nécessairement les moyens d’adapter leur voirie. En outre, la problématique porte davantage sur l’accès aux parcelles au sein des espaces forestiers.

Par ailleurs, les députés avaient également ajouté une obligation d’incorporation de bois dans les constructions neuves. Aussi louable l’intention soit-elle, une telle disposition comporte un risque sérieux d’inconstitutionnalité.

En outre, la filière bois-construction ne semblant pas encore à même de répondre à la demande, la mise en œuvre de ce dispositif aurait pour conséquence d’aggraver le déficit de la balance commerciale et de subventionner les importations.

M. Roland Courteau. C'est vrai !

M. Pierre Camani, rapporteur pour avis. Notre commission, soucieuse d’encourager des productions territorialisées et durables, a proposé la suppression de ce dispositif ; elle a été suivie par la commission des affaires économiques.

Telle est, rapidement présentée, la position de la commission du développement durable sur ce projet de loi. Nous estimons qu’il s’agit d’un bon texte, qui accompagne réellement l’agriculture vers la modernité, une modernité à la fois économique, en réponse aux enjeux de compétitivité, et environnementale, en réponse aux attentes profondes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé. (M. Jean Desessard applaudit.)

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, chers collègues, vous ne serez pas surpris que mon propos porte très largement sur l’agroécologie. Cependant, je tiens en préambule à saluer la capacité d’écoute de M. le ministre et des membres de son cabinet, ainsi que celle des rapporteurs, même si, au final, le compte n’y est pas encore tout à fait à nos yeux !

M. Didier Guillaume, rapporteur. Mais si ! (Sourires.)

M. Joël Labbé. Ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt traduit votre volonté affirmée, monsieur le ministre, « de faire de la France le leader européen de l’agroécologie ».

Il y a un an tout juste, vous avez réaffirmé cet objectif en introduction au colloque que j’organisais au Sénat sur l’agroécologie. Cette coïncidence de dates, je la vois comme un bon signe, celui d’une reconnaissance officielle de la nécessaire transition agroécologique de notre agriculture, traduite dans le projet de loi que nous allons examiner au cours des prochains jours.

J’évoquerai tout d’abord les points majeurs issus de ce colloque, car ils éclairent la position que nous, écologistes, défendrons ici et que je développerai dans le second temps de mon intervention.

L’agroécologie est à la fois une science, au croisement de l’agronomie et de l’écologie, un mouvement social et une pratique agricole. Elle ne se résume pas à un concept scientifique, et donc à une vision technique, voire techniciste, de l’agriculture.

Améliorer les techniques est une chose ; proposer un modèle de développement et répondre à des demandes sociales et sociétales – celles des agriculteurs, des consommateurs, des citoyens – en est une autre.

S’engager dans l’agroécologie, à titre individuel et collectif, suppose d’engager un certain nombre de ruptures.

Il s’agit de ruptures avec les modèles en place, avec nos schémas de pensée habituels : rupture dans le système alimentaire, pour aller vers une alimentation plus locale, moins standardisée, moins riche en produits animaux, respectant l’environnement et la santé ; rupture dans le système économique, pour assurer un revenu équitable aux agriculteurs en développant les filières courtes, en recherchant un ancrage territorial dans l’économie locale, sachant que, au niveau international, cette relocalisation de l’économie agricole suppose une souveraineté alimentaire effective pour chaque grande région du monde ; rupture dans les politiques publiques, l’agroécologie nécessitant une nouvelle gouvernance avec une reconnaissance de la multifonctionnalité de l’agriculture, ce qui implique que ces politiques publiques soient davantage territorialisées et mieux adaptées aux agro-écosystèmes locaux.

Ce n’est pas simple, car cela suppose une implication collective non seulement des agriculteurs, mais de l’ensemble de la société.

Si la responsabilité est collective, elle est donc bien sûr politique, car il s’agit de déverrouiller les systèmes. Les politiques que nous sommes doivent retrouver leur véritable place, exercer leur pleine responsabilité et imposer leurs vues face aux intérêts des lobbies de l’agrochimie, de l’agro-industrie, de l’agro-business.

Ce n’est pas simple, mais il est urgent d’agir si nous voulons répondre à la désespérance sociale qui gagne le monde rural, ainsi qu’au décrochage des territoires périphériques par rapport aux métropoles.

Élu breton, je citerai l’exemple du modèle agricole et agroalimentaire de ma région, un modèle qui a atteint, et même dépassé, ses limites. Les conséquences du manque d’anticipation des dirigeants des grands groupes agro-industriels, mais aussi des élus et de l’État, nous les vivons au jour le jour en Bretagne.

Poursuivre selon les mêmes logiques, ce serait enterrer définitivement toute évolution vers une économie territoriale qui ne soit ni prédatrice ni destructrice, mais bien créatrice de valeur ajoutée, d’emploi et de qualité de vie.

Aussi, ce ne sont pas la multiplication des dérogations, comme le relèvement du seuil d’autorisation des élevages industriels de porcs, le renflouement financier permanent d’un modèle à bout de souffle sans contreparties – à l’exemple du pacte d’avenir pour la Bretagne – ou les fausses bonnes idées à vision « court-termiste », comme le développement massif de projets de méthanisation pour traiter les effluents d’élevage, qui nous permettront de reconquérir cette économie territoriale et de répondre à la demande légitime de « vivre, travailler et décider au pays », slogan que l’on a beaucoup entendu chez nous ces derniers temps.

Le modèle actuel met aussi en avant la prétendue vocation agro-exportatrice de la France, et ce sur fond de solidarité alimentaire internationale.

Cette vocation agro-exportatrice est fondée sur l’exportation de produits bas de gamme pour lesquels nous ne pourrons pas rester compétitifs. De plus, elle déstructure les agricultures de pays tiers. L’exemple du poulet breton destiné à l’exportation est édifiant, quand on sait que plus de 40 % de la viande de poulet consommée en France est importée, notamment du Brésil ! C’est grandiose !

En outre, pour alimenter ces élevages, nous sommes nous-mêmes toujours totalement dépendants des protéines végétales importées. La production des 2,6 millions de tonnes de soja importées en Bretagne, en majeure partie OGM, mobilise plus de l million d’hectares de terres en Amérique latine, au détriment des agricultures vivrières locales, ainsi que de la forêt primaire. On ne peut donc pas parler de souveraineté alimentaire de la France !

Pourtant, certains osent encore dire qu’il faut encore augmenter nos rendements, grâce à une agriculture toujours plus productiviste, pour nourrir les populations de la planète. Ce discours devient absolument insupportable ! Commençons d’abord par cesser d’affamer ces populations par nos modes de production : notre enfermement dans le système maïs ensilage-soja en production intensive cause des dégâts sociaux, économiques, environnementaux irrémédiables, autant chez nous qu’à l’échelle de la planète.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Joël Labbé. Pour l’examen du présent projet de loi, nous nous sommes attachés à ne pas rester au milieu du gué.

Monsieur le ministre, ce texte porte un message positif extrêmement important pour les agriculteurs et pour les citoyens. En vous attachant à faire évoluer les politiques foncières et d’installation ainsi que les outils de préservation des terres agricoles, en reconnaissant la dimension tant collective qu’individuelle du changement par la création des GIEE, en renforçant la participation de la société civile et des collectivités territoriales aux instances de gouvernance, vous avez très clairement engagé le mouvement de bascule nécessaire. Toutefois, comme toujours, nous vous inviterons à aller plus loin encore sur ces sujets.

En effet, si nous parlons de transition, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une coexistence, certes politiquement très commode, entre les modèles agroécologique et agro-industriel : pour nous, ces deux modèles sont en concurrence, et refuser de choisir entre eux, c’est choisir la loi du plus fort.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Joël Labbé. Nous pensons vraiment que ce projet de loi porte en lui les germes de la transition, mais qu’il peut et doit être renforcé pour que l’ensemble des outils disponibles soient mobilisés en faveur de l’agroécologie, et seulement de celle-ci.

Les amendements que nous présenterons s’articulent selon les axes suivants.

En premier lieu, selon nous, produire autrement, c’est aussi adopter un autre mode de production des connaissances.

C’est pourquoi nous prônons la reconnaissance des associations, « têtes de réseaux » du développement agricole et rural, parties prenantes au quotidien et de longue date à l’accompagnement des agriculteurs et des créateurs d’activités en milieu rural, moteurs de l’innovation sur nos territoires.

Produire autrement les connaissances, c’est aussi s’atteler à la formation des jeunes, des moins jeunes et du corps enseignant, en proposant une formation en phase avec les principes de l’agroécologie. C’est orienter clairement la conduite des exploitations agricoles et des ateliers technologiques des établissements d’enseignement.

Produire autrement, c’est sortir la recherche de l’ornière de l’orientation exclusive vers l’agriculture productiviste, en privilégiant la pluridisciplinarité, entre techniques, sciences sociales et sciences économiques, sans oublier la psychologie, pour comprendre les freins au changement.

Produire autrement, c’est redonner toute sa place à l’agronomie.

En deuxième lieu, nous entendons promouvoir l’autonomie des agriculteurs : autonomie décisionnelle, autonomie des exploitations, autonomie à l’égard des grands groupes industriels. Il s’agit, par exemple, de reconnaître le droit inaliénable de ressemer, ou encore de sortir les préparations naturelles peu préoccupantes, les PNPP, de la liste des produits phytosanitaires.

En troisième lieu, nous souhaitons mettre l’accent sur la préservation des ressources : préservation des ressources foncières, bien sûr – la terre doit retrouver sa première fonction, celle de terre nourricière –, préservation de la biodiversité, de l’eau et des sols. Ainsi, nous plaidons pour une diminution drastique de l’utilisation des produits pesticides et pour l’interdiction des produits phytosanitaires classés cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques de type 1, tout comme pour l’interdiction formelle des épandages aériens, notamment dans les outre-mer. Ces demandes d’interdiction sont, bien sûr, aussi motivées par les conséquences avérées et graves de l’utilisation de ces produits et méthodes sur la santé humaine.

En quatrième lieu, nous voulons encourager le renouvellement des générations et le soutien aux nouveaux agriculteurs, quel que soit l’âge d’entrée dans le métier, par la progressivité des cotisations sociales et la reconnaissance des cotisants solidaires, ainsi que par la reconnaissance des formes coopératives, telles les coopératives d’activités et d’emploi agricoles, et par la mise en place de fonds de cautionnement public pour l’installation des hors-cadres familiaux.

Enfin, nous voulons une agriculture ouverte sur la société. Cela nécessite de reconnecter agriculture, alimentation et territoires. C’est dans cet esprit que nous préconisons le renforcement des projets alimentaires territoriaux, introduits par nos homologues écologistes de l’Assemblée nationale, et que nous proposerons la prise en compte de l’agriculture en tant que telle dans le diagnostic des schémas de cohérence territoriale, les SCOT.

Nous développerons tous ces points, et bien d’autres encore, dans les jours qui viennent.

Pour terminer, je voudrais évoquer le titre relatif à la forêt, sur un point particulier : la présomption de garantie de gestion durable accordée aux codes de bonnes pratiques sylvicoles, à laquelle est adjointe une obligation de coupes et travaux, mais sans volet social et environnemental, est contraire aux objectifs affichés et contribuera à renforcer davantage encore la concentration de la filière. Il faudra revenir sur cette disposition.

En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi pose des bases intéressantes et pertinentes pour s’engager sur le chemin de la transition vers le « produire autrement », mais aussi le « consommer autrement », et même le « vivre autrement ». J’espère vivement, monsieur le ministre, que votre ambition de faire de la France le leader européen de l’agroécologie pourra aboutir.

À propos de l’Europe, quelle ne serait pas notre déconvenue si, dans quelques mois, tous les efforts engagés devaient être anéantis par l’adoption en l’état du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis ! Ce serait la victoire de l’agro-industrie tant européenne qu’américaine, et nos produits de qualité issus de l’agroécologie seraient concurrencés par l’alimentation OGM, le bœuf aux hormones et le poulet javellisé ! Monsieur le ministre, nous comptons beaucoup sur vous !

Le groupe écologiste soutient l’ambition agroécologique de votre projet de loi, ambition que je souhaite voir s’inscrire dans les faits. J’en appelle donc à une cohérence globale de nos politiques publiques agricoles, alimentaires et commerciales. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)