Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sans reprendre ce qui a été dit dans cet hémicycle en première lecture, je souhaite toutefois revenir, en quelques mots, sur la genèse et l’objet de ce texte.

Il s’appuie tout d’abord sur des constats. Celui du long chemin parcouru, au cours du XXe siècle notamment, pour que les femmes obtiennent leurs droits fondamentaux.

Je cite à mon tour, madame la ministre, l’un d’entre eux, fortement emblématique et d’une actualité presque au jour près : l’accès au droit de vote et d’éligibilité obtenu par les femmes, le 21 avril 1944, il y a soixante-dix ans. Ce fut indéniablement une étape importante mais encore insuffisante pour permettre aux femmes de prendre toute leur place dans le domaine politique et décisionnel de notre pays.

Nous pouvons faire les mêmes constats dans la sphère professionnelle, le partage des tâches domestiques et éducatives, l’accès aux loisirs et au sport où les inégalités restent encore aujourd’hui criantes.

De même, la protection des filles et des femmes de notre pays face aux violences reste insuffisante. Dans tous ces domaines, des textes existent mais des pratiques résistent. C’est sur ce constat qu’est fondée la démarche engagée dans ce projet de loi qui vise à mobiliser tous les leviers possibles pour faire appliquer les textes, modifier les comportements et atteindre enfin l’égalité réelle.

C’est la démarche engagée, sans relâche, par Mme la ministre des droits des femmes, que je remercie sincèrement pour son action et pour les mesures concrètes qu’elle ne cesse de mettre en place pour faire appliquer les textes, bousculer l’ordre des choses et faire reculer ces inégalités qui entachent encore notre démocratie.

Vous avez fait le choix, madame la ministre, d’agir de manière transversale dans toutes les sphères de la société, à travers un texte ambitieux, exigeant et terriblement nécessaire. Cette deuxième lecture nous démontre, s’il en était besoin, la volonté commune, du Gouvernement et des parlementaires, de faire avancer l’égalité si chère à notre pays.

Il couvre ainsi les grandes thématiques dans lesquelles les inégalités entre les sexes sont encore importantes : la vie de famille, bien sûr ; la sphère professionnelle ; la précarité, qui frappe d’abord les femmes ; les violences envers les filles et les femmes, produit de notre société où la domination des hommes est encore manifeste ; enfin, la question de la parité dans les instances politiques et décisionnelles, urgence démocratique s’il en est.

Parmi ces différents axes, la commission des lois a décidé de déléguer à la commission des affaires sociales, dont je suis la rapporteur, l’examen au fond de trente-deux articles sur les quatre-vingt-treize qui restent en discussion. Il s’agit principalement des mesures qui ont trait aux sphères familiales et professionnelles.

Avant d’en venir aux amendements votés par la commission, je souhaite souligner les principales avancées adoptées par l’Assemblée nationale.

Tout d’abord, les dispositions en faveur d’un partage plus équitable des responsabilités parentales. La plus emblématique d’entre elles, inscrite à l’article 2, est l’instauration d’une période de partage des droits au complément de libre choix d’activité entre les parents pour inciter les pères à réduire ou interrompre leur activité professionnelle pour s’occuper de leur enfant afin de prendre toute leur place dans la vie familiale et d’améliorer le retour à l’emploi des mères qui le souhaitent.

Sur mon initiative, le Sénat avait décidé de modifier le nom du complément de libre choix d’activité, le CLCA, en « prestation partagée d’accueil de l’enfant ». L’Assemblée nationale propose, dans le même esprit, de la nommer « prestation partagée d’éducation de l’enfant », dénomination qui me convient tout à fait.

Le dispositif a été complété sur plusieurs points. Le congé parental pourra, dans le cas de naissances multiples d’au moins trois enfants, être prolongé jusqu’au sixième anniversaire des enfants.

De même, le bénéfice du montant majoré de la prestation partagée sera possible, à titre expérimental, dès l’arrivée du deuxième enfant.

En ce qui concerne la santé des femmes, l’Assemblée nationale a modifié le titre de la deuxième partie du code de la santé publique jusqu’alors intitulée « Santé de la famille, de la mère et de l’enfant ». Elle a proposé de la renommer « Santé reproductive, droits de la femme et protection de la santé de l’enfant » afin de reconnaître explicitement les droits des femmes en matière de santé, notamment sur la maîtrise de leur sexualité.

Dans le même esprit, l’Assemblée nationale a également introduit un nouvel article 5 quinquies C qui supprime la référence à « l’état de détresse » pour une femme demandant une IVG. Je soutiens fortement cette nouvelle formulation de l’article L. 2212–1 du code de la santé publique, qui permet d’affirmer sans ambiguïté le droit des femmes à disposer de leurs corps et à choisir le recours à l’IVG pour des raisons qui leur appartiennent. Nous savons les femmes responsables en la matière.

Venons-en à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. L’Assemblée nationale a renforcé le rapport de situation comparée afin d’en faire un outil de mesure des écarts de rémunération et de promotion professionnelle qui s’accumulent au cours d’une carrière.

Les députés ont également attribué des droits aux pères autour de la naissance d’un enfant en autorisant trois absences pour accompagner leur compagne aux examens prénataux et en instituant une protection contre le licenciement pendant les quatre semaines qui suivent la naissance. Si cette dernière disposition a été supprimée en commission des lois, je propose, pour ma part, de la réintroduire car elle contribue au partage plus équilibré des responsabilités parentales.

L’article 5 quater A encourage les entreprises à mieux prendre en compte l’exposition des femmes salariées face aux risques professionnels. Rappelons que, durant les dix dernières années, le nombre d’accidents du travail a diminué chez les hommes mais qu’il a progressé de plus de 20 % chez les femmes.

J’en terminerai par les dispositions relatives à la lutte contre la précarité. Peu de modifications sont intervenues par rapport au texte présenté en première lecture, si ce n’est des précisions techniques portées à l’article 6 visant à mieux protéger les parents vivant seuls avec leurs enfants contre les impayés de pensions alimentaires.

En outre, deux articles introduits au Sénat ont été enrichis : l’article 6 quinquies, qui ouvre aux bénéficiaires de la prestation partagée d’éducation de l’enfant une priorité d’accès aux places de crèches ; l’article 6 septies, lequel engage l’expérimentation du tiers payant du complément de libre choix du mode de garde, CMG, pour les familles modestes. Je propose, pour ma part, dans un amendement, d’élargir cette possibilité aux familles modestes qui ont recours à une garde d’enfant à domicile ou en microcrèche. Il s’agit de limiter les avances d’argent aux familles ayant des budgets très serrés et de soutenir ainsi leur accès ou leur maintien dans l’activité professionnelle.

L’Assemblée nationale a également introduit le nouvel article 23 bis A qui vise à assurer de manière progressive la parité au sein des conseils d’administration des caisses nationales de sécurité sociale, où la présence des femmes est encore trop modeste.

Je vous propose maintenant une rapide présentation des amendements adoptés par la commission des affaires sociales.

Seize amendements ont été adoptés. Il s’agit principalement d’amendements rédactionnels, de précision, d’harmonisation ou de coordination juridique.

J’en soulignerai quatre. Tout d’abord, la précision portée à l’article 2 G afin que le rapport remis par les branches à la Commission nationale de la négociation collective et au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle soit un outil efficace au service de la lutte contre les discriminations professionnelles. J’ai pris l’initiative de redéposer cet amendement, dont les dispositions ont été écartées par la commission des lois de notre assemblée.

Afin de lutter contre la précarité des femmes, nous avons aussi souhaité permettre aux familles monoparentales de bénéficier de la durée étendue du versement de la prestation partagée, même dans le cas d’une remise en couple à l’issue de la période initiale de versement.

Nous proposons également la prolongation de six mois de la durée d’expérimentation du versement du montant majoré de la prestation partagée aux parents de deux enfants, prestation qui est actuellement réservée aux familles de trois enfants et plus.

Nous souhaitons ainsi mieux mesurer l’incidence de cette initiative sur le retour à l’emploi de ses bénéficiaires à l’issue du congé parental. Cette expérimentation sera lancée au 1er janvier 2015 par la CNAF.

Nous avons enfin précisé les modalités d’observation et d’évaluation des risques professionnels des salariées à mettre en œuvre par l’employeur, afin de mettre l’accent sur la différence des tâches confiées aux femmes et les risques qu’elles comportent.

Le travail autour de ce projet de loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes a fortement mobilisé notre commission. Le texte qui est présenté aujourd’hui comporte de réelles avancées dont nous devrons suivre, avec une grande vigilance, la mise en application dans les faits. C’est cela, l’égalité réelle.

Car si l’égalité des droits est inscrite au préambule de notre Constitution, l’égalité effective reste à construire, encore et toujours.

J’aimerais terminer mon propos en insistant sur la fierté que nous pouvons ressentir en voyant notre pays réaffirmer, par ce projet de loi, son ambition d’une société plus juste et plus égalitaire,...

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. ... une ambition qui s’accompagne de moyens et de leviers très concrets.

M. Roland Courteau. C’est également vrai !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Nous le savons bien, l’égalité réelle ne se décrète pas, elle se construit. Ce projet de loi apporte une pierre importante à l’édifice. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Muguette Dini applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au terme de la première lecture à l’Assemblée nationale, le 28 janvier dernier, du projet de loi que nous examinons aujourd’hui, certaines dispositions du texte modifié par les députés transcrivaient des recommandations formulées, notamment, par notre délégation, et je ne pouvais que m’en réjouir.

Je considérais, alors, que l’examen par l’Assemblée nationale avait permis de faire avancer la place des femmes, en particulier dans le secteur culturel et, également, au regard de l’objectif de représentativité équilibrée dans les conseils d’administration des établissements publics. Ces dispositions, sur lesquelles je vais revenir dans quelques instants, traduisaient des recommandations formulées par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de notre assemblée et prolongeaient donc le travail engagé par notre délégation.

Le texte résultant des travaux de la commission des lois du Sénat connaît des évolutions notables.

Certaines de ces évolutions sont confortées, et je m’en félicite. En revanche, d’autres ont été supprimées. Aussi, je souhaite revenir sur ces suppressions et poursuivre le dialogue constructif et harmonieux qui a présidé à nos débats depuis le début de l’examen de ce projet de loi.

Je regrette, en premier lieu, que les articles 16 bis, 18 B et 22 quinquies, qui régissent le secteur culturel, aient été supprimés.

Vous le savez, notre délégation a consacré, l’année dernière, une importante part de ses travaux à la place des femmes dans le secteur de la culture. 

Les procédés d’invisibilisation des femmes à l’œuvre dans ce secteur hautement symbolique appellent des réponses fermes et des actes concrets.

En prévoyant, à l’article 22 quinquies, la création d’un observatoire de l’égalité entre les hommes et les femmes dans la culture et la communication, placé auprès du ministre chargé de la culture, les députés consacraient dans la loi l’existence de l’état des lieux sur la place des femmes établi annuellement par ce ministère.

Nous le savons bien, ce genre d’initiatives dépend largement de la volonté politique. Nous avons la chance, aujourd’hui, de collaborer avec une ministre particulièrement sensibilisée à la question de la place des femmes à la tête des institutions culturelles. Mais demain ?

La logique de cooptation et le fonctionnement en réseau du secteur culturel constituent véritablement un handicap pour les femmes. Il me semble, tout en entendant l’argumentaire développé par la commission des lois, que la reconnaissance légale du devoir de vigilance sur la question est un minimum que nous pouvons attendre des gouvernements actuel et futurs. Je demanderai donc, par voie d’amendement, le rétablissement de cet observatoire.

Dans le même secteur, l’obligation de dispenser un enseignement sur l’égalité, la lutte contre les stéréotypes, les préjugés sexistes, les images dégradantes et les violences dans les écoles de journalisme et les écoles d’architecture faisait également partie des recommandations de notre délégation.

Les articles 16 bis et 18 B introduits par les députés transcrivaient cette demande dans la loi. La commission des lois les a supprimés.

Pour notre délégation, la sensibilisation des étudiants et étudiantes qui vont construire nos représentations de demain est primordiale.

Je ne pense pas qu’introduire une sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes sexués dans les programmes aille à l’encontre de la liberté pédagogique que nous reconnaissons aux établissements qui les forment. Néanmoins, j’entends l’argument selon lequel ces modules de formation devraient être introduits dans toutes les écoles de formation artistique, sans distinction. Cette question s’inscrit donc dans le cadre de nos travaux de suivi des recommandations formulées dans notre rapport de délégation sur les femmes et la culture.

J’entends aussi l’argument de l’autonomie de ces écoles. Cependant, celle-ci ne doit pas les dispenser d’œuvrer, comme établissements de formation, au respect de principes constitutionnels, notamment celui de l’égalité, qui régissent notre République.

Le second volet, qui a été substantiellement révisé par la commission des lois, concerne l’extension des objectifs de représentation équilibrée, en particulier dans les instances dirigeantes des établissements publics.

Lors de l’examen par le Sénat du texte qui est devenu la loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle, notre délégation avait appelé à l’exemplarité des établissements publics. Elle avait suggéré que l’objectif soit d’atteindre la parité dans ces derniers.

En introduisant, aux articles 19 ter et 20, une obligation de parité pour les personnalités qualifiées dans les conseils d’administration des établissements et entreprises publics, les députés allaient dans ce sens. L’article 22 ter A étendait ce même objectif aux établissements publics de coopération culturelle, les EPCC.

La délégation a toujours considéré que l’État devait être exemplaire et montrer la voie. La délégation voyait ainsi l’aboutissement d’un travail qui lui tenait particulièrement à cœur.

En supprimant ces dispositions au nom de la rigidité ou de la contrainte qu’elles engendraient pour les entreprises publiques, la commission des lois remet en cause l’argumentation sur laquelle est construite l’obligation légale de représentativité équilibrée des membres des instances dirigeantes des entreprises, et envoie un signe négatif au secteur privé en matière d’exemplarité du secteur public. Je défendrai donc, par voie d’amendement, le rétablissement de ces dispositions.

Parmi les avancées introduites par l’Assemblée nationale et maintenues par la commission des lois, je voudrais, à titre personnel, saluer la suppression à l’article 5 quinquies C de la condition de « situation de détresse » posée par le code de la santé publique pour recourir à l’IVG. Il était temps, me semble-t-il, que la loi reconnaisse aux femmes la libre appréciation de la nécessité dans laquelle elles se trouvent de mettre fin à une grossesse.

Je voudrais aussi commenter deux mesures très importantes du projet de loi concernant les mariages forcés, qui constituent une forme particulière de violence à laquelle la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est particulièrement sensibilisée.

Il faut rappeler que cette pratique d’un autre âge, qui n’est autre qu’un viol qui dure toute une vie,...

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. ... concerne environ 70 000 jeunes femmes en France.

La plupart de ces jeunes filles sont mariées contre leur gré pendant les vacances dans leur pays d’origine, avec la complicité de leur famille. Nos postes diplomatiques et consulaires sont sensibilisés à ce phénomène.

À cet égard, il est heureux que le Sénat ait pris l’initiative de permettre le rapatriement en France, par les autorités consulaires, de femmes étrangères victimes d’un mariage forcé et retenues contre leur gré à l’étranger pendant une période de plus de trois ans, au terme de laquelle leur carte de résident est devenue périmée.

Je me réjouis que les députés aient adopté conforme cet article 15 sexies adopté par le Sénat en première lecture.

Je trouve également opportun le nouvel article 15 septies introduit par l’Assemblée nationale, laquelle a souhaité renforcer l’exigence de consentement des époux, quelle que soit leur loi personnelle. La modification du code civil adoptée par les députés permet de contester un mariage conclu, par exemple, dans un pays où un simple consentement formel au mariage suffit, si la preuve est apportée que le libre consentement des deux époux n’est pas vérifié.

J’en viens aux dispositions supprimées par l’Assemblée nationale et dont la commission des lois a maintenu la suppression.

En première lecture, le Sénat avait introduit un article 15 quater prévoyant qu’un rapport annuel fasse le bilan de l’application de la loi en matière de traitement des violences envers les femmes et qu’un observatoire de ces violences soit créé dans chaque département.

Cet article a été supprimé par l’Assemblée nationale au motif que ce dispositif serait redondant avec la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains, la MIPROF.

Or, en matière de violences, nous le savons bien, si les faits sont invisibles, cela contribue à maintenir les auteurs dans un sentiment d’impunité. Mesurer régulièrement, au niveau local, l’évolution des faits de violences dénoncés par les victimes et analyser les modalités de leur traitement fait partie, de mon point de vue, du dispositif de prévention et de lutte contre les violences. C’est aussi donner le signe de la mobilisation locale.

Par conséquent, la suppression de cet article par l’Assemblée nationale me semble regrettable. J’en demanderai le rétablissement par voie d’amendement.

Le sort réservé aux dispositions en faveur des femmes étrangères victimes de violences mérite que nous nous y attardions.

En première lecture, l’Assemblée nationale a supprimé le III de l’article 14, qui étendait à Mayotte le dispositif d’exonération de taxes pour la délivrance et le renouvellement des titres de séjour.

Quant à l’article 14 bis, il permettait la délivrance d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale », autorisant l’exercice d’une activité professionnelle à l’étranger déposant plainte pour proxénétisme ou traite, ou témoignant dans une procédure concernant ces délits.

Sa suppression a été maintenue par la commission des lois, et je le regrette. Je suggère que la commission spéciale saisie de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel se penche sur ce sujet, crucial pour assurer le parcours de sortie de personnes prostituées.

Enfin, sans revenir sur le fond de l’argumentaire que j’ai déjà largement développé, je reste convaincue du bien-fondé de l’exclusion du recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales.

Cette disposition, introduite en première lecture sur l’initiative de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, a été supprimée à l’Assemblée nationale. Conformément à la position que j’ai défendue en première lecture, j’en demanderai le rétablissement par voie d’amendement.

Telles sont les remarques que je souhaitais faire en tant que présidente de la délégation aux droits de femmes. Je ne doute pas que nos échanges permettront d’améliorer encore ce beau texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mmes Maryvonne Blondin et Muguette Dini applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, Stendhal a écrit : « L’admission des femmes à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain ». Cette phrase conserve encore aujourd’hui tout son sens.

Oui, la marche vers l’égalité progresse. Mais qu’il est long le chemin, depuis cette Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne rédigée par Olympe de Gouges en 1791 ! En effet, malgré les droits conquis et les lois votées, l’égalité entre les femmes et les hommes reste un champ de conquête.

En droit, il est vrai, l’égalité paraît acquise. Dans les faits, – c’est toujours vrai – elle reste à conquérir. Même si je n’oublie pas un certain nombre de droits conquis ou arrachés, comme le droit de vote en 1944, la loi réformant les régimes matrimoniaux en 1965, la loi autorisant la contraception en 1967, la loi Veil autorisant et encadrant l’IVG en 1975.

Sur ce dernier point, voilà un droit qu’il convient de protéger et de conforter contre les rétrogrades qui sévissent encore en Europe. Ce qui se passe en Espagne, en effet, nous montre que rien n’est définitivement acquis et qu’il faut, toujours et sans cesse, être vigilant.

Je n’oublie pas davantage la loi Roudy, affirmant le principe de l’égalité professionnelle en 1983, ou encore la première loi sur la parité politique en 2000. Je songe également, en 2006, à la première loi visant à lutter contre les violences au sein du couple, loi qui m’est chère, vous vous en doutez, et, en 2010, à la deuxième loi sur le même sujet, ainsi que, en 2012, à la loi relative au harcèlement sexuel.

Enfin, en 2014, le texte que vous nous proposez, madame la ministre, sans nul doute, fera date dans l’histoire en matière d’évolution des droits des femmes. Votre empreinte sera forte, car vous engagez notre pays dans la troisième génération des droits des femmes, celle de l’effectivité des droits, en nous invitant à changer le rythme de cette évolution.

Car elles sont toujours là, les inégalités entre les femmes et les hommes ! Elles sont toujours aussi pernicieuses, insupportables et injustifiables, avec des stéréotypes qu’il nous faut déconstruire, des idées reçues qu’il nous faut combattre, des comportements intolérables qu’il nous faut annihiler.

Comment, dès lors, ne pas se réjouir que les débats, tant au Sénat, en première lecture, qu’à l’Assemblée nationale, aient été marqués par la volonté de faire reculer les inégalités entre les femmes et les hommes dans tous les domaines, et par le souci de mieux prévenir et sanctionner les violences à l’égard des femmes, tout en assurant mieux la protection des victimes ?

D’ores et déjà, nous apprécions, madame la rapporteur Virginie Klès, le fait que le Sénat ait marqué fortement de son empreinte le texte qui nous est soumis, qu’il s’agisse de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, des dispositions renforcées visant à lutter contre la précarité des femmes isolées – sur ce point, je pense tout particulièrement à l’accès prioritaire des bénéficiaires de la prestation partagée d’accueil de l’enfant à des places en crèche –, ou encore de l’expérimentation du versement du tiers payant du complément de libre choix du mode de garde perçu par les familles modestes. Comme vous Michelle Meunier, je salue tout particulièrement cette expérimentation, car elle constitue une avancée certaine en faveur des familles de condition modeste.

Sur un autre sujet, je souhaitais faire partager au Sénat la préoccupation de Catherine Tasca relative aux frais de recouvrement des pensions alimentaires. Mais nous aurons l’occasion de revenir sur cette question lors de la discussion des articles.

D’une manière plus générale, force est aussi de constater que le Sénat s’est employé à renforcer le dispositif législatif de lutte contre les différentes formes de harcèlement, et à améliorer la détection des violences et la protection des victimes.

Comment, par ailleurs, ne pas saluer, s’agissant de la protection des mineurs, les dispositions visant à interdire les concours de beauté pour les enfants de moins de seize ans, grâce à Chantal Jouanno, ou encore le renforcement du volet concernant la représentation des femmes dans la vie économique et sociale, par l’introduction de dispositions relatives à la parité ?

Enfin, le Sénat a élargi le champ du délit d’entrave à l’IVG, en y incluant le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de s’informer sur l’IVG. Cette mesure était nécessaire face aux actions de groupes d’activistes visant à faire obstacle à l’accès à l’IVG.

Je relève sur ce point que l’Assemblée nationale a élargi le champ des dispositions relatives à l’IVG, en supprimant l’exigence d’une situation de détresse. Ainsi, la pleine et totale responsabilité de ses choix est confiée à la femme enceinte. C’est donc à elle d’apprécier sa situation, dans toutes ses dimensions. Et c’est très bien ainsi.

Il est faux de prétendre que, dès lors, l’IVG pourrait être banalisée ou que l’IVG serait un substitut à la contraception. Je crois savoir qu’aucune femme enceinte ne confond les deux, puisque l’IVG comporte des risques physiques et psychologiques. Il s'agit bien d’un acte particulièrement traumatisant.

Cela dit étant, comme l’a rappelé justement Michelle Meunier, rapporteur pour avis, le droit à l’avortement n’est pas encore un droit à part entière, car les parcours de soins sont parfois difficiles et peu accessibles pour nombre de femmes, comme le démontrent les importantes inégalités territoriales qui perdurent.

S’agissant des violences à l’égard des femmes, et plus particulièrement de la généralisation du dispositif de téléprotection « femmes en très grand danger », je note que l’Assemblée nationale a complété les dispositions que nous avions adoptées, sur votre proposition, madame la ministre, puisque l’article 40 de la Constitution avait été opposé à mon amendement, proposition qui étendait le dispositif aux victimes de viol.

Je remarque aussi, concernant l’ordonnance de protection, que l’Assemblée nationale n’a pas remis en cause l’amendement que j’avais présenté, visant à délivrer cette ordonnance également en cas de danger sur un ou plusieurs enfants.

Je ne peux que saluer les dispositions introduites par l’Assemblée nationale, dans le but de mieux protéger les enfants, obligeant la cour d’assises à examiner l’opportunité de retirer, totalement ou partiellement, l’autorité parentale à une personne qui a été reconnue coupable de meurtre ou d’actes de tortures ou de barbarie sur la personne de l’autre parent.

La commission des lois du Sénat a élargi ces dispositions aux faits de violences graves commis au sein de la famille, quelle que soit la juridiction de jugement, cour d’assises ou tribunal correctionnel.

J’approuve totalement cette initiative, madame la rapporteur Virginie Klès, car toutes les formes de violences sont susceptibles d’avoir des conséquences graves sur les enfants, lorsqu’ils y sont exposés. Dans ce cas, faut-il le rappeler, les violences ne sont pas sans conséquences sur leur développement psychique. Selon certaines études, 40 % des très jeunes délinquants seraient des jeunes qui ont été exposés à des violences conjugales dans leur enfance. Ne dit-on pas que ces violences-là constituent une sinistre machine, pour les enfants exposés, à reproduire ensuite les mêmes violences ?

Concernant la nécessité de délivrer très rapidement l’ordonnance de protection, je constate et j’apprécie qu’en cas de danger grave et imminent pour la sécurité de la personne demanderesse ou d’un ou plusieurs enfants, il soit précisé que la convocation de la partie défenderesse est faite par voie administrative ou par assignation en la forme des référés. De même, j’approuve votre initiative, madame Klès, visant à spécifier que l’ordonnance de protection doit être délivrée en urgence à la personne menacée de mariage forcé.

Reste le problème de la médiation pénale, dont nous ne cessons de débattre depuis la première loi du 4 avril 2006. Pour ma part, je n’ai pas varié sur cette question depuis 2006. Toutefois, je m’exprime là à titre personnel et je vous rejoins, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, pour dire que, dans les cas de violences conjugales, la médiation pénale n’est pas appropriée.

En effet, la victime de violences conjugales et son bourreau, placés face à face dans le cadre de cette procédure, ne sont pas sur un pied d’égalité. Prétendre le contraire, c’est oublier que les phénomènes d’emprise sont inhérents aux violences conjugales.

M. Roland Courteau. En revanche, je soutiens la commission des lois dans sa démarche consistant à rétablir à l’article 19 l’objectif d’une représentation minimale de 40 %, pour les fédérations dans lesquelles la proportion de licenciés de chaque sexe est supérieure ou égale à 25 %. Cet objectif concilie en effet l’impératif d’une meilleure représentation de chaque sexe au sein des instances dirigeantes et la prise en compte de la spécificité des activités de ces fédérations.

En matière de marchés publics, nous approuvons également la démarche de rétablissement de l’interdiction de soumission, dans les cas où l’entreprise n’aurait pas respecté l’obligation annuelle de négociation sur les salaires effectifs.

Je m’achemine vers ma conclusion. Force est de le constater, l’égalité entre les femmes et les hommes ne se construit pas naturellement. Il est donc de notre devoir, c’est-à-dire du devoir du législateur, d’impulser les transformations de la société dès lors que, de fait, elles sont lentes à s’imposer.

Faute de lois, faute d’accélérations, le combat serait trop long pour en finir avec les carrières heurtées des femmes, la précarité des familles monoparentales, le temps partiel, les petits salaires, les petites retraites et autres plafonds de verre ou même cloisons de verre.

Mais il faudra aussi, concomitamment, combattre, plus résolument encore, les stéréotypes sexistes à l’origine de toutes les inégalités, et ce dès l’enfance. La généralisation de la méthode ABCD nous donnera cette possibilité. De la même manière, nous devrons nous attaquer aux stéréotypes sexistes qui fleurissent toujours et encore dans les manuels scolaires. J’aurai l’occasion prochainement de rendre mon rapport sur le sujet, puisque vous-même, madame Gonthier-Maurin, et la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes m’avez confié cette mission. Il n’est pas acceptable en effet que les manuels scolaires soient, de fait, des vecteurs d’inégalités entre les femmes et les hommes.

Je note que cette loi s’attaque aussi à certains stéréotypes tenaces en instaurant une période de partage du complément de libre choix d’activité, devenu la prestation partagée d’éducation de l’enfant, qui permet ainsi une répartition plus équilibrée des responsabilités parentales et améliore le retour à l’emploi des mères.

En conclusion, je sais que le combat pour l’égalité ne sera pas facile, si j’en crois certaines réactions à la méthode ABCD, ou à cette loi. C’est d’ailleurs assez stupéfiant et, surtout, attristant. Je suis néanmoins confiant, madame la ministre, car cette loi libérera les femmes et les hommes des rôles dans lesquels ils sont enfermés et les affranchira des stéréotypes. Enfin, alors, les inégalités entre les femmes et les hommes ne seront plus qu’un souvenir affligeant d’un autre âge. Et c’est un homme qui vous le dit ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe CRC. – Mme Muguette Dini applaudit également.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.