compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin

vice-président

Secrétaires :

Mme Michelle Demessine,

M. Hubert Falco.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le procès-verbal de la séance du 17 avril 2014 a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Démission et remplacement de sénateurs

M. le président. M. le président du Sénat a reçu une lettre de M. Michel Doublet et une lettre de M. Michel Mercier par lesquelles ils se démettent respectivement de leur mandat de sénateur de la Charente-Maritime et de sénateur du Rhône, à compter du lundi 21 avril 2014, à minuit.

À la suite de la cessation du mandat de M. Michel Doublet, sénateur de la Charente-Maritime, le siège détenu par ce dernier est devenu vacant et sera pourvu selon les termes de l’article L.O. 322 du code électoral lors du prochain renouvellement partiel du Sénat.

Conformément à l’article 32 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, M. le ministre de l’intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat que, en application de l’article L.O. 320 du code électoral, M. Jean-Jacques Pignard est appelé à remplacer, à compter du mardi 22 avril 2014, à zéro heure, en qualité de sénateur du Rhône, M. Michel Mercier, démissionnaire de son mandat.

3

Commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues à l’article 12 du règlement.

4

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen de projets de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen :

– du projet de loi relatif aux activités privées de protection des navires, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 3 janvier 2014 ;

– du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif à l’hébergement et au fonctionnement du centre de sécurité Galileo, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 19 mars 2014 ;

– du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada relatif à la mobilité des jeunes, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 14 février 2014 ;

– du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord instituant le Consortium des centres internationaux de recherche agricole en qualité d’organisation internationale, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 5 février 2014 ;

– du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Consortium des centres internationaux de recherche agricole relatif au siège du Consortium et à ses privilèges et immunités sur le territoire français, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 5 février 2014 ;

– et du projet de loi relatif à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, déposé sur le bureau du Sénat le 23 avril 2014.

5

Modification de l'ordre du jour

M. le président. Par lettre en date du 25 avril 2014, M. le Premier ministre a indiqué à M. le président du Sénat que le Gouvernement fera, en application de l’article 50-1 de la Constitution, une déclaration, suivie d’un débat, portant sur le projet de programme de stabilité pour 2014-2017, demain, mardi 29 avril 2014, à vingt et une heures quarante-cinq.

En conséquence, l’ordre du jour de demain s’établit comme suit :

À 9 heures 30 :

Questions orales.

De 14 heures 30 à 18 heures 30 :

Désignation d’un vice-président, en remplacement de M. Didier Guillaume.

Ordre du jour réservé au RDSE :

Proposition de loi relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive ;

Proposition de loi tendant à rééquilibrer les règles relatives à la perception de la taxe communale sur la consommation finale d’électricité au bénéfice des communes.

De 18 heures 30 à 19 heures 45 :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste :

Proposition de loi tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires.

À 21 heures 45 :

Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, portant sur le projet de programme de stabilité pour 2014-2017, en application de l’article 50-1 de la Constitution.

Conformément au droit commun défini à l’article 29 ter du règlement, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposeront, dans la discussion générale, d’un temps global de deux heures ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le mardi 29 avril, à quinze heures.

Pour la commission des finances, le rapporteur général interviendra après la déclaration du Gouvernement et le président à la suite des orateurs des groupes.

L’examen de la proposition de loi visant à limiter l’usage des techniques biométriques est reporté à une date ultérieure, ainsi que le délai limite de dépôt des amendements de séance.

Acte est donné de cette modification.

6

Retrait de questions orales

M. le président. J’informe le Sénat que la question n° 714 de M. Robert Laufoaulu est retirée de l’ordre du jour de la séance du mardi 29 avril 2014, à la demande de son auteur.

De même, la question orale n° 706 de M. Jean Boyer est retirée de l’ordre du jour de cette séance, à la demande de son auteur, ainsi que du rôle des questions orales.

Acte est donné de ces communications.

7

Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. Le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du vendredi 25 avril 2014, trois décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :

– l’article L. 5210-1-2 du code général des collectivités territoriales (n° 2014-391 QPC) ;

– l’article 8-13° de la loi référendaire n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 et de l’article 1er de l’ordonnance modifiée n° 85-1181 du 13 novembre 1985 relative aux principes directeurs du droit du travail et à l’organisation et au fonctionnement de l’inspection du travail et du tribunal du travail en Nouvelle-Calédonie (n° 2014-392 QPC) ;

– et l’article 728 du code de procédure pénale (n° 2014-393 QPC).

Acte est donné de ces communications.

8

Dépôt de documents et de rapports

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 :

– d’une part, l’avenant n° 1 à la convention du 16 octobre 2010 entre l’État et Bpifrance, action « Renforcement des pôles de compétitivité » ;

– d’autre part, l’avenant n° 2 à la convention entre l’État et l’Office national d’études et de recherches aérospatiales relatif au programme d’investissements d’avenir, action « Recherche dans le domaine de l’aéronautique ».

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis, pour le premier, à la commission des finances et à la commission des affaires économiques, et, pour le second, à la commission des affaires économiques.

M. le président du Sénat a par ailleurs reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et, pour information, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

M. le président du Sénat a également reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article L. 314-6 du code de l’action sociale et des familles, le rapport relatif aux agréments des conventions et accords applicables aux salariés des établissements sociaux et médico-sociaux privés à but non lucratif pour 2013 et aux orientations en matière d’agrément des accords et d’évolution de la masse salariale pour 2014.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des affaires sociales.

M. le président du Sénat a enfin reçu de M. le Premier ministre :

– d’une part, le projet de programme de stabilité pour les années 2014 à 2017, accompagné de l’avis du Haut Conseil des finances publiques sur les perspectives macro-économiques associées à ce projet de programme

– d’autre part, le programme national de réforme.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Ils ont été transmis à la commission des finances et à la commission des affaires européennes.

Ils sont disponibles au bureau de la distribution.

9

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour un rappel au règlement.

Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à vous faire part, en mon nom et au nom du groupe auquel j’appartiens, de notre mécontentement et même de notre indignation.

J’ai eu l’honneur de rédiger, avec Claire-Lise Campion, un rapport d’évaluation de la loi de 2005, relative à l’accessibilité des personnes handicapées.

Claire-Lise Campion et moi-même avons mesuré l’ampleur des difficultés concernant, en matière d’accessibilité, la mise aux normes des établissements recevant du public à l’échéance de 2015. Nous sommes convenues qu’il n’était pas opportun de repousser cette échéance, mais qu’il faudrait prendre date pour examiner ce problème de près.

Ensuite, madame la rapporteur, Mme Carlotti vous a nommée parlementaire en mission, précisément pour accomplir ce travail d’évaluation et permettre d’agir en conséquence.

Jusque-là, la démarche était parfaite. Or voilà que nous apprenons soudain qu’un projet de loi relatif à ce sujet a été déposé !

Je n’évoquerai pas le fond de ce texte, bien que je désapprouve certaines dispositions, comme le recours aux ordonnances ou d’autres mesures dont nous pourrons éventuellement parler. Je me concentrerai pour l’heure sur la forme.

À mon sens, le dépôt d’un tel projet de loi deux jours avant la suspension de nos travaux, à la veille d’une semaine de vacances parlementaires coïncidant de surcroît avec les vacances de Pâques, est tout à fait inadmissible.

Nous n’avons eu le temps ni d’auditionner Mme le secrétaire d’État, ni, madame la rapporteur, d’entendre vos réponses à nos questions, car, parmi les textes que nous avons étudiés lors de la réunion de la commission des affaires sociales du mercredi 16 avril, le présent projet de loi ne figurait qu’en troisième point de l’ordre du jour. Vous nous avez assuré que vous nous répondriez en séance publique…

Pour couronner le tout, l’examen de ce texte est fixé à la reprise de nos travaux. Voyez comme nous sommes nombreux dans cet hémicycle !

Ces procédés sont indignes, d’autant plus que ce projet de loi concerne des personnes fragiles, qui attendent un minimum de considération de la part de la représentation nationale. Voilà pourquoi je ne prendrai pas part à la discussion générale. Je le regrette d’autant qu’il s’agit d’un sujet consensuel. Nous aurions tous dû trouver un accord, pour nos concitoyens ! Cet objectif était facile à atteindre. En rédigeant notre rapport, Mme Campion et moi-même n’avons rencontré aucun désaccord. Nous nous sommes toujours entendues quant aux positions à adopter et aux décisions à prendre.

Nous avons beaucoup donné en réalisant ce document. Aussi, je suis très choquée et peinée de constater que nous nous apprêtons à aboutir à un travail totalement bâclé ! Nous avons reçu, la semaine dernière, diverses propositions d’amendements, émanant entre autres de l’association des paralysés de France, l’APF. Nous n’avons pu ni les étudier ni déposer des amendements en conséquence, puisque les délais étaient dépassés !

À titre personnel, je ne prendrai pas part au vote, ou je m’abstiendrai. Sur le fond, le présent projet de loi contient de bonnes mesures, mais, sur la forme, il est totalement inadmissible de procéder ainsi !

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

10

 
Dossier législatif : projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées
Discussion générale (suite)

Accessibilité pour les personnes handicapées

Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées (projet n° 447, texte de la commission n° 461, rapport n° 460, avis n° 464).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà dix ans, le 1er mars 2004, le projet de loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées était adoptée en première lecture par le Sénat. Certains d’entre vous ont pris part à ces débats et s’en souviennent. Le rapporteur était M. Paul Blanc.

Le texte résultant des travaux de la commission mixte paritaire a été adopté près d’un an plus tard, le 3 février 2005. Cette loi a imposé que les établissements publics et privés recevant du public soient accessibles à tous avant le 1er janvier 2015, et que les transports collectifs soient accessibles à tous avant le 13 février de la même année. Où en est-on aujourd’hui, à quelques mois de l’échéance ?

Celle qui connaît le mieux la réponse à cette question, pour l’avoir beaucoup travaillée depuis deux ans, est Claire-Lise Campion, rapporteur du projet de loi d’habilitation que je vous présente aujourd’hui.

Madame la rapporteur, je souhaite avant tout vous remercier et vous féliciter pour tout le travail que vous avez accompli. Vous avez fait preuve d’une constance et d’une ténacité exceptionnelles.

Dans votre rapport du mois de juillet 2012, rédigé avec votre collègue Isabelle Debré, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, vous aviez déjà conclu que la généralisation de l’accessibilité du cadre bâti, des transports et de la voirie ne pourrait être effective en 2015.

En septembre 2012, un travail conjoint du Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et du Contrôle général économique et financier, le CGEF, a été publié. Il a abouti au même constat : on déplore des difficultés et des retards dans la mise en œuvre des obligations fixées par la loi de 2005.

En octobre 2012, vous avez été chargée par le Premier ministre d’évaluer l’accessibilité en France, et de rechercher les solutions concrètes permettant à notre pays de mettre en œuvre les objectifs de la loi précitée.

Je souhaite en cet instant, mesdames, messieurs les sénateurs, vous livrer quelques chiffres extraits du rapport de votre collègue intitulé Réussir 2015.

En France, 86 % des communes ont installé leur commission communale d’accessibilité, mais seulement 13 % d’entre elles ont adopté leur plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics. Il existe 298 000 établissements communaux recevant du public. Un diagnostic d’accessibilité a été réalisé pour 56 % d’entre eux.

Le nombre total d’établissements recevant du public, qu’ils soient publics ou privés, est difficile à estimer. On l’évalue à 2 millions. Parmi ces établissements, 330 000 ont déjà fait l’objet de travaux d’ensemble ou partiels.

Par ailleurs, 80 % des quelque 34 millions de logements existants sont dotés d’un ascenseur ou situés en rez-de-chaussée, mais cette estimation est contestée.

Pour ce qui concerne les transports publics urbains, 90 % des autobus ont un plancher bas, 69 % sont équipés d’une palette rétractable, 65 % disposent d’un système d’annonce sonore des arrêts et 72 % d’un système d’annonce visuelle des arrêts. Les chiffres en la matière ne sont malheureusement pas disponibles pour les transports interurbains.

Quant aux transports publics ferroviaires, sur les 3 000 gares existantes, seules 172, dites « de référence », sont sous l’entière responsabilité de la SNCF. Parmi celles-ci, 50 sont entièrement accessibles, et les 122 autres le seront en 2015.

Ces quelques chiffres, qui peuvent sembler fastidieux, révèlent deux choses. D’une part, ces données sont parcellaires et très incomplètes : nous ne disposons en France d’aucun système exhaustif pour connaître l’état des lieux exact de l’accessibilité. D’autre part, étant donné le retard pris, il est totalement utopique d’imaginer que tous les établissements recevant du public, tous les systèmes de transport public, toutes les voiries seront en conformité avec la loi de 2005 d’ici à quelques mois.

Face à ce constat, et conformément aux recommandations formulées par Claire-Lise Campion dans son rapport, le comité interministériel du handicap du 25 septembre 2013 a décidé d’engager des travaux de concertation, afin de faire évoluer le cadre juridique de manière consensuelle, avec le pragmatisme pour objectif.

Les premières concertations ont porté sur la mise en œuvre des agendas d’accessibilité programmée, ou Ad’AP, proposition phare du rapport Réussir 2015. Ces agendas permettront aux acteurs, publics et privés, de s’engager sur un calendrier précis et chiffré de travaux d’accessibilité, rendant ainsi concrète et réelle l’accessibilité pour tous visée par la loi de 2005. C’est l’objet principal du projet de loi d’habilitation qui vous est aujourd'hui soumis, mesdames, messieurs les sénateurs.

En parallèle, d’autres réunions de concertation concernant les normes d’accessibilité du cadre bâti, de la voirie et des transports publics ont eu lieu, afin d’adapter ces normes à l’évolution des techniques, de les simplifier pour les rendre plus efficaces en tenant compte des contraintes, et de les compléter de manière à mieux prendre en compte l’ensemble des formes de handicap. En effet, l’accessibilité concerne non seulement le handicap moteur, mais aussi les handicaps mental, visuel, auditif, psychique.

Au total, cent quarante heures de concertation inédite ont mobilisé l’ensemble des parties prenantes : les associations de personnes handicapées, les associations d’élus et les collectivités locales, les fédérations professionnelles des secteurs économiques concernés et les professionnels de l’accessibilité.

L’objet du présent texte est de permettre la mise en œuvre par voie d’ordonnances des décisions prises par le Gouvernement, à partir des préconisations issues de la concertation, du moins pour celles qui nécessitent des mesures de nature législative.

L’article 1er du projet de loi rassemble les dispositions devant être prises afin de prolonger au-delà de 2015 le délai permettant d’effectuer les travaux de mise en accessibilité des établissements recevant du public et des installations ouvertes au public. Il vise la mise en place d’un nouvel outil, l’agenda d’accessibilité programmée, et d’un dispositif de suivi et de sanctions, puisque la loi de 2005 n’avait pas prévu la situation dans laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui.

L’agenda d’accessibilité programmée est un document de programmation financière des travaux d’accessibilité qui permettra à ceux qui ne sont pas en conformité avec la loi précitée de s’engager sur un calendrier précis. Il s’agit, pour le Gouvernement, de créer une dynamique d’accessibilité et de garantir son prolongement au-delà du 1er janvier 2015.

En effet, si nous ne faisions rien, qu’adviendrait-il à cette date ? Pour l’immense majorité des établissements non accessibles, il ne se passerait rien, si ce n’est la menace d’une plainte d’un usager. La réforme qui vous est aujourd’hui proposée va permettre de rappeler à tous les obligations existantes en termes d’accessibilité. Chacun aura alors le choix : ne rien faire et risquer les sanctions définies par la loi de 2005 en cas de plainte, ou s’engager dans un programme financier et technique très précis, l’agenda d’accessibilité programmée.

Ces agendas s’adressent aux maîtres d’ouvrage et aux exploitants d’établissements recevant du public, ou ERP, quelle que soit leur catégorie. Encore une fois, les mesures de la loi de 2005 demeurent : le non-respect de l’échéance du 1er janvier 2015 reste passible de sanction pénale. Les agendas d’accessibilité programmée sont un dispositif d’exception permettant de poursuivre des travaux d’accessibilité en toute sécurité juridique après le 1er janvier 2015. L’ordonnance définira le contenu de l’agenda d’accessibilité programmée, les procédures applicables pour son dépôt et sa validation par l’autorité administrative, et les modalités de suspension ou de prolongation éventuelles.

Un suivi de l’avancement des travaux prévus associé à la transmission de bilans sera également instauré par l’ordonnance. Il pourra conduire à des sanctions en cas de non-respect des engagements pris par le signataire de l’agenda. Ce dispositif de contrôle constituera la contrepartie de la souplesse nouvelle conférée au calendrier. Il ne faut pas l’oublier, l’une des raisons de la non-application de la loi de 2005 réside dans l’absence de dispositif de contrôle pendant dix ans.

L’article 2 du projet de loi habilite le Gouvernement à modifier les exigences relatives à l’accessibilité des services de transport public de voyageurs et des gares, et à créer un agenda pour les transports, le schéma directeur d’accessibilité - agenda d’accessibilité programmée.

L’article 3 habilite le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnances les dispositions relatives à l’outre-mer, ainsi que diverses mesures relevant du domaine de la loi.

Ainsi, il est prévu d’exempter les communes de très petite taille de l’obligation d’élaborer le plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics. Le seuil en deçà duquel l’élaboration de ce plan sera facultative sera fixé par ordonnance. Pour les petites communes dépassant ce seuil mais dont la population est inférieure à une limite fixée également par l’ordonnance, l’article 3 prévoit une simplification du plan de mise en accessibilité.

Par ailleurs, ce même article tend à autoriser plus largement l’accès des chiens guides d’aveugle et des chiens d’assistance des personnes handicapées dans les transports et les lieux publics.

Enfin, il sollicite l’habilitation du Parlement pour permettre au Gouvernement de créer par ordonnance un fonds dédié à l’accompagnement de l’accessibilité universelle, dont les ressources proviendront des sanctions financières prononcées du fait du non-respect des agendas d’accessibilité programmée et des schémas directeurs d’accessibilité.

Le choix de recourir aux ordonnances a pu surprendre, ainsi que je viens encore de l’entendre, tant le sujet du handicap et de l’accessibilité nous concerne tous, et en premier lieu la représentation nationale. Mais il y a urgence à agir pour mettre en place les agendas d’accessibilité programmée si nous voulons parvenir dès 2015 à de réelles avancées concrètes dans le domaine de l’accessibilité pour tous. Notre objectif est non pas de nous accorder plus de temps, mais bien de nous donner les moyens d’appliquer une loi qui, jusqu’à ce jour, ne l’était pas, ou l’était insuffisamment.

Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà de la présentation du présent projet de loi d’habilitation, je suis aujourd’hui venue vous parler de l’ensemble de la réforme de l’accessibilité. Alors que, jusqu’à présent, l’absence d’accompagnement efficace des acteurs publics et privés expliquait en partie la difficulté à parvenir au rendez-vous de 2015, le Gouvernement s’engage à garantir le succès de cette réforme. Ainsi, je signerai très prochainement une convention avec la Caisse des dépôts et consignations et la Banque publique d’investissement, ou Bpifrance, afin de faciliter dès cette année l’accompagnement financier des collectivités locales et des entreprises dans leurs travaux d’accessibilité.

J’engagerai d’ici à l’été une vaste campagne de communication, pour expliquer le nouveau dispositif et sensibiliser à l’accessibilité universelle. Cette campagne sera relayée sur le terrain par 1 000 volontaires en service civique, qui seront de véritables ambassadeurs de l’accessibilité.

Par ailleurs, la réforme comporte également un réajustement des normes qui va permettre à des milliers d’établissements de réaliser des travaux qu’ils avaient jusqu’à présent jugés irréalisables. Ce réajustement, fruit de la discussion entre tous les acteurs concernés, est équilibré entre les attentes et les contraintes des uns et des autres. L’ensemble des propositions issues de la concertation présidée par Claire-Lise Campion ont été retenues par le Gouvernement.

Ainsi, la réglementation sera simplifiée pour la rendre plus efficace. Par exemple, les solutions techniques alternatives aux normes réglementaires seront autorisées dès lors que démonstration aura été faite que les solutions équivalentes proposées offrent le même niveau de service. Cette accessibilité pragmatique permettra aux collectivités locales, comme aux acteurs privés, de définir plus facilement leur stratégie d’accessibilité. Dans les commerces, en dernier ressort, l’installation d’une rampe amovible sera autorisée. Hôtels et restaurants verront aussi leurs normes plus adaptées à leur activité.

Parallèlement, l’ensemble des formes de handicap seront mieux prises en compte. La formation des personnels chargés de l’accueil et de la sécurité à l’accueil de clients et usagers handicapés, quel que soit le type de handicap, sera généralisée. À l’instar du registre de sécurité, un registre d’accessibilité devra être renseigné par tous les établissements recevant du public, de manière à préciser les modalités d’accès aux prestations des personnes handicapées, tous handicaps confondus.

D’autres mesures de simplification et d’amélioration des normes sont prévues. Elles seront très rapidement traduites par le biais de textes réglementaires, afin d’être mises en œuvre dès cette année, en même temps que les agendas d’accessibilité programmée.

Enfin, la réforme de l’accessibilité vise aussi une partie des mesures prises par le comité interministériel du handicap du mois de septembre dernier, et qui ne font pas partie de ce projet de loi.

Par exemple, afin que le téléphone, outil incontournable de la vie quotidienne, ne constitue plus un obstacle pour les personnes sourdes ou malentendantes et les personnes handicapées de la parole, je supervise actuellement une expérimentation nationale de relais téléphonique.

Pour faciliter la circulation des chiens guides dans les lieux publics et améliorer leur formation, nous renforçons la labellisation des centres d’éducation des chiens guides et d’assistance.

Je travaille également, avec le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, à l’amélioration de l’accessibilité des campagnes électorales et des opérations de vote.

Tous les membres du Gouvernement œuvrent aussi à faciliter l’accès à l’information publique et gouvernementale, en promouvant le français facile à lire et à comprendre par tous, car, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le discours politique est parfois un peu ardu.

L’accessibilité des sites internet, publics et privés, du cinéma, du livre, des festivals, de l’information des consommateurs est également à mon programme.

En réalité, les progrès d’une société se mesurent, entre autres, à sa capacité à se rendre accessible à tous sans distinction. Notre mission collective consiste donc à supprimer ou à réduire autant que possible les situations de handicap que peuvent rencontrer quotidiennement plusieurs millions de nos concitoyens. L’autonomie, la participation et la citoyenneté sont en jeu. L’accès à l’école, à la formation, à l’emploi, aux soins, à la culture, aux services publics, à la consommation, au logement, à la vie démocratique en dépend.

La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : dans quelle société voulons-nous vivre ? Si nous souhaitons une société plus juste et plus solidaire, alors nous devons agir maintenant, pour permettre enfin l’application généralisée de la loi de 2005.

Il n’est plus question de regarder vers le passé, de regretter ce qui n’a pas été fait, ou d’énumérer ce qui aurait pu être fait. Je vous propose de regarder vers l’avenir et de considérer l’accessibilité non plus comme une charge supplémentaire, mais bel et bien comme un investissement d’avenir.

Dans notre pays, on estime à 12 millions le nombre de personnes dont le quotidien pourrait être amélioré par l’accessibilité universelle. Dans le monde, des centaines de millions de personnes voyagent et choisissent leur destination en fonction de l’accessibilité des lieux publics et touristiques, des hôtels, des restaurants, des commerces. Afin de développer son attractivité, il est temps que la France ajoute à ses nombreux atouts l’accessibilité pour tous.

Pour aboutir à ce résultat, il nous faut enclencher une véritable réforme de société. C’est l’objectif que nous poursuivons aujourd’hui. Mesdames, messieurs les sénateurs, je compte sur vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)