M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vois au moins deux raisons de se féliciter que le Sénat examine en séance publique le projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite convention d’Istanbul.

Tout d’abord, il aurait été dommage que l’autorisation de la ratification de ce texte très attendu de tous ceux et de toutes celles qui s’impliquent dans la lutte contre les violences faites aux femmes intervienne via la procédure simplifiée.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. C’est pourtant ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Je suis certaine que le présent débat aura son utilité.

Ensuite, le Sénat est appelé à autoriser cette ratification en présence de Najat Vallaud-Belkacem, que je remercie d’être ce soir au banc des ministres.

Le contenu de la convention d’Istanbul a déjà été commenté par les précédents intervenants ; je n’y reviendrai pas. Je me contenterai de me féliciter que la France, en ratifiant ce texte, valide un instrument international complet en ce qu’il vise tant la prévention des violences que la protection des victimes et la poursuite des auteurs des faits.

Les types de violences traités par cette convention correspondent aux préoccupations de notre délégation aux droits des femmes, dont les membres constatent régulièrement combien les violences subies par les femmes, partout dans le monde, s’inscrivent dans un continuum dont font partie les harcèlements, les violences conjugales, les violences sexuelles, les mutilations génitales, le mariage forcé et les crimes dits « d’honneur ».

Je note toutefois que la convention n’aborde pas une forme de violence : la prostitution, qui relève pourtant incontestablement des violences faites aux femmes. Mais nous débattrons de cette question, du moins je l’espère, lors de l’examen en séance publique de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.

Malgré cette lacune, je relève avec intérêt que le préambule de la convention reconnaît les violences, notamment sexuelles, dont les femmes sont victimes du fait des conflits armés. Dans cette logique, son article 2 précise qu’elle « s’applique en temps de paix et en situation de conflit armé ». Je rappelle que la délégation aux droits des femmes a consacré, en décembre 2013, un rapport d’information à ce sujet si grave du « viol de guerre ».

Mes collègues et moi-même ne pouvons que nous féliciter que cette convention ait pris en compte la particulière vulnérabilité des femmes dans les conflits armés et reconnaisse la « violence fondée sur le genre » qui prospère dans le contexte des guerres.

Aucun pays ne peut en effet se blottir à l’abri de ses frontières et se considérer comme non concerné par les violences dont traite la convention d’Istanbul.

En ce qui concerne les violences sexuelles du fait des conflits armés, les représentantes du Comité médical pour les exilés, le COMEDE, que la délégation a entendues, nous ont appris que 65 % des femmes suivies médicalement en France dans le cadre d’un parcours migratoire avaient subi des violences dans leur pays d’origine et que 16 % d’entre elles avaient subi des tortures. Ces souffrances physiques et psychologiques liées aux guerres doivent donc aussi être traitées médicalement dans notre pays.

Quant aux violences conjugales, il faut inlassablement répéter que, sur notre territoire, tous les deux jours et demi, une femme meurt sous les coups de son conjoint.

Enfin, le drame des mariages forcés menacerait, selon le Haut Conseil à l’intégration, environ 70 000 jeunes femmes et jeunes filles en France, qu’il s’agisse de jeunes Françaises mariées de force dans le pays d’origine de leurs parents ou de jeunes binationales. Les consulats français traiteraient ainsi chaque année entre douze et quinze cas de mariage forcé.

Une autre raison d’être favorable à la ratification de cette convention est qu’elle considère l’égalité entre hommes et femmes comme un « élément clé dans la prévention de la violence à l’égard des femmes », rejoignant ainsi, là encore, une conviction de la délégation aux droits des femmes, qui constate régulièrement l’existence d’un lien étroit et fort entre les inégalités entre hommes et femmes et les violences faites aux femmes.

Dans ce domaine, la convention reflète les préoccupations habituelles de la délégation, puisque son article 14 invite les pays parties prenantes à intégrer la thématique de l’égalité dans leurs programmes d’enseignement et à sensibiliser les élèves au respect mutuel et à la « résolution non violente des conflits dans les relations interpersonnelles ».

L’étude que mène actuellement la délégation aux droits des femmes sur le thème de la prostitution, en vue de l’examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, confirme que la sensibilisation à l’égalité et au respect doit impérativement être renforcée dans le cadre scolaire, et ce le plus tôt possible : au lycée, il est déjà trop tard.

Dans un autre registre, le travail conduit par la délégation depuis le début de cette année sur les stéréotypes masculins et féminins dans les manuels scolaires nous conforte, audition après audition, dans la conviction que ces stéréotypes renforcent les discriminations entre filles et garçons, puis entre hommes et femmes.

Les stéréotypes se mettent en place d’abord au stade des études, puis dans le milieu professionnel, notamment parce que l’orientation professionnelle contribue très directement à enfermer les jeunes filles dans des parcours de formation qui ne représentent pas, tant s’en faut, des « passeports vers la réussite »…

Il est donc particulièrement regrettable que le débat sur les « ABCD de l’égalité » ait réduit ce qui n’était rien d’autre que l’apprentissage du respect entre filles et garçons à l’école à une polémique inappropriée sur le « genre ».

Une autre stipulation de la convention rejoint une préoccupation de la délégation et confirme la pertinence de ce texte : je veux parler du point 2 de l’article 17, qui engage les parties à développer les capacités des enfants, des parents et des éducateurs « à faire face à un environnement des technologies de l’information et de la communication qui donne accès à des contenus dégradants à caractère sexuel ou violent qui peuvent être nuisibles ».

De fait, dans notre société, les risques liés au contact avec des images qui, par leur violence ou leur caractère pornographique, peuvent constituer de véritables agressions contre les jeunes publics, doivent impérativement être pris en compte. On sait, par exemple, qu’il existe des jeux vidéo en ligne banalisant le viol.

Les conséquences de la diffusion de ces images sur les relations entre garçons et filles puis, plus tard, entre hommes et femmes doivent impérativement être prises en considération. À cet égard, la convention encourage de manière très opportune la mise en œuvre d’actions d’éducation, indispensables eu égard à la prolifération d’images non maîtrisables dans le monde d’aujourd’hui.

Cette convention nous invite donc à mettre en place ou à renforcer des actions de sensibilisation auprès des jeunes, actions qui sont indispensables à la construction d’une société d’égalité entre hommes et femmes.

Telles sont, monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les remarques que peut inspirer la convention d’Istanbul, au vu des travaux actuellement conduits par la délégation aux droits des femmes. Ces réflexions ne peuvent que nous encourager à adopter le présent projet de loi, comme nous y invite la commission des affaires étrangères, afin d’autoriser la ratification d’un texte opportun et nécessaire. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi destiné à autoriser la ratification de la convention sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique constitue un signal fort. Il est en effet plus que jamais nécessaire d’harmoniser, à l’échelle de l’Union européenne, les politiques de lutte contre les violences.

À la suite d’une évaluation particulièrement alarmante réalisée entre 2008 et 2012, le Parlement européen a chargé l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne de réaliser, entre mars et septembre 2012, une enquête d’une ampleur inégalée sur tout le continent européen, auprès de 42 000 femmes âgées de 18 à 74 ans, dans chacun des vingt-huit pays de l’Union européenne.

Les chiffres obtenus font froid dans le dos, tant ils révèlent une situation dramatique : dans les États membres, les violences envers les femmes sont perpétrées à une échelle massive, dans la sphère la plus intime qui soit, celle de la vie conjugale.

Dans l’Union européenne, une femme sur trois a été victime de violences sexuelles ou physiques depuis l’âge de 15 ans ; 55 % des femmes ont été victimes de harcèlement sexuel ; 22 % des femmes ont fait l’objet de violences physiques ou sexuelles et 5 % ont été violées. Surtout, 67 % des femmes déclarent ne pas avoir signalé ces agissements ; en France, elles sont même 90 % dans ce cas.

Je rappelle que, dans notre pays, 400 000 femmes se déclarent victimes de violences conjugales et que, en 2012, 148 femmes sont décédées sous les coups de leur conjoint.

Tout cela a déjà été dit, mais il faut le répéter. En effet, malgré une prise de conscience et le travail accompli ces dernières années, beaucoup reste encore à faire. Il nous faut combattre avec force la loi du silence et les tabous, afin que les femmes qui refusent de porter plainte, par honte ou par crainte des représailles, trouvent enfin la force de parler.

Cette loi du silence inflige une double peine aux victimes, retardant leur prise en charge et la mise en œuvre des solutions d’accompagnement pour les extraire de la violence. Ce sont les femmes, le plus souvent, qui quittent le domicile. S’ajoutent alors aux problèmes de violences des difficultés de logement, de maintien dans l’emploi et de précarisation. De surcroît, l’échelle de temps de la victime n’est pas celle de la police, de la justice ou des associations spécialisées. Sur le terrain, au quotidien, dans l’urgence, les attentes des uns peuvent se heurter à celles des autres.

Il est inutile de rappeler que la liberté même de ces femmes est entravée. L’enquête révèle que 53 % d’entre elles évitent certaines situations ou certains lieux, de peur d’être agressées physiquement ou sexuellement, alors que, dans les enquêtes sur la victimisation criminelle, les hommes restreignent beaucoup moins leurs déplacements.

L’enquête rappelle également que les violences envers les femmes sont multiples – physiques, sexuelles, morales, psychologiques –, qu’elles n’épargnent aucun âge et peuvent intervenir partout : dans la famille, dans la rue, au travail.

Enfin, les violences conjugales n’affectent pas seulement les femmes, mais toute la cellule familiale, et en premier lieu les enfants, qui en sont les victimes collatérales. L’Union européenne doit tout mettre en œuvre pour les extraire du cercle vicieux de la violence.

Dans le rapport pour avis de juin 2010 sur les violences au sein des couples que j’avais eu l’honneur de défendre au nom de la délégation aux droits des femmes, j’étais arrivée aux mêmes conclusions alarmantes. La vingtaine de recommandations alors formulées ont pour la plupart été reprises, depuis, dans le projet de loi pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, ainsi que dans le texte de la convention que nous examinons. C’est pour nous une grande satisfaction.

Je rappellerai brièvement quelques-unes de ces préconisations : lutter contre la loi du silence, qui laisse les victimes dans la honte et les agents publics dans l’incapacité de recueillir leur parole ; lancer des campagnes de sensibilisation et de prévention auprès du grand public et des enfants dans les écoles ; faciliter l’accès à l’emploi et au logement des victimes de violences conjugales afin d’éviter toute désocialisation ; reconnaître le délit de violence psychologique ; accorder des titres de séjour aux victimes, qu’il faut rapatrier dans le cas de séquestration et de mariage forcé hors des frontières d’un État membre.

Ce catalogue n’est pas exhaustif, mais il constitue les bases de l’arsenal présenté par la convention dont il nous est proposé aujourd’hui d’autoriser la ratification et qui est destinée à briser la loi du silence au nom de l’égalité des droits, de la protection de l’intégrité physique des femmes, du respect de l’article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de la convention d’Istanbul, adoptée par le Conseil de l’Europe en 2011.

Inciter davantage les États membres à s’organiser plus efficacement pour coordonner leurs actions en la matière, telle est l’une des priorités affirmées par ce projet de ratification.

Pour rompre le cercle vicieux de la violence conjugale en Europe, la convention propose aux États membres de déployer la stratégie des « trois P » : prévention, protection, poursuite.

Le volet de la prévention repose sur l’un des principaux leviers d’action : la lutte contre les stéréotypes sexistes qui font accepter la violence envers les femmes et que l’on doit combattre en développant, par exemple, l’apprentissage systématique à l’école de l’égalité des sexes et de l’égalité des droits entre les filles et les garçons ou la formation des professionnels et des agents en contact avec les victimes. Ce sont là autant de facteurs de réussite.

Ce volet prévoit également d’associer les médias en les sensibilisant à ce problème, tout comme l’ensemble des institutions et du secteur privé, dans une approche transversale.

Libérer la parole des victimes et mieux la recueillir est un autre aspect des dispositions proposées, tout comme le nécessaire volontarisme demandé aux institutions ou la lutte contre l’alcoolisme.

Comme l’explique le psychiatre Gérard Lopez, spécialisé dans la formation des personnels de la police, le cycle de la violence conjugale repose sur le déni, la honte d’être victime, la peur de se retrouver sans ressources, la culpabilité d’envoyer le parent de ses enfants en prison. Il s’agit d’un « long processus de domination qui, par des violences psychologiques et physiques, déstructure la personne ».

Les États membres de l’Union européenne seront contraints d’élaborer des plans d’action nationaux et d’organiser la collecte de données. Ils seront également invités à pérenniser les financements des organisations de la société civile qui luttent contre la violence faite aux femmes et viennent en aide aux victimes ainsi qu’à leurs enfants.

Quant au volet relatif à la protection, il exhorte les États à tenir compte des besoins spécifiques des victimes en améliorant notamment les procédures judiciaires d’urgence et en leur imposant d’agir avec « diligence » : secret du lieu de résidence, priorité en matière de relogement, augmentation de l’offre d’hébergement d’urgence, lignes d’assistance téléphonique gratuite, ordonnances d’interdiction, d’injonction ou de protection afin de soustraire la victime à de nouvelles violences. Le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes permet d’anticiper sur bon nombre de ces dispositions.

Les violences à l’encontre des femmes doivent être reconnues comme une violation des droits fondamentaux et sévèrement sanctionnées dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. Je pense par exemple à la tentative d’interruption de grossesse sans le consentement de l’intéressée ou au fait de tromper une personne aux fins de l’emmener à l’étranger pour la forcer à y contracter un mariage.

La convention du Conseil de l’Europe dont il nous est proposé aujourd’hui d’autoriser la ratification est la plus contraignante jamais soumise aux États membres en matière de violences conjugales. Avec elle, l’Europe se dote d’un arsenal juridique ambitieux et transversal et met en place des leviers d’action efficaces, grâce à une approche intégrée et à une coopération internationale renforcée.

Il était temps d’harmoniser la lutte contre les violences envers les femmes en Europe. À travers sa représentation nationale, la France s’honorerait de donner l’exemple en apportant son soutien à cette convention. Elle adresserait ainsi un message clair aux agresseurs et aux victimes : le « harcèlement conjugal » est un comportement inacceptable.

À la veille des élections européennes, il est important de rappeler quel sens nous entendons donner à notre maison commune, l’Europe. Cette convention en est une traduction concrète : elle marque une étape supplémentaire franchie sur le long chemin de l’émancipation des femmes et de la construction européenne.

L’Union européenne a besoin de ce socle commun de droits sociaux, car c’est bien ce socle qui lui donne tout son sens et fait naître un sentiment d’appartenance chez nos concitoyens, ainsi qu’une véritable adhésion au projet européen ; nous ne devons jamais l’oublier. Ces orientations sont en parfaite cohérence avec les valeurs défendues par les membres du groupe RDSE.

L’ensemble des mesures prévues dans cette convention pour mettre fin au fléau de la violence envers les femmes dans l’Union européenne marque des avancées importantes. Les violences conjugales, tout particulièrement, ne doivent pas être traitées comme de simples violences ; elles appellent non seulement une réponse judiciaire, mais aussi un traitement d’ensemble réunissant compréhension, accueil, protection et reconstruction de la victime.

Le groupe RDSE approuve ces orientations concrètes qui, n’en doutons pas, porteront leurs fruits à moyen et long terme. Vous ne serez donc pas surpris, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, que je vous confirme que mon groupe soutiendra sans réserve l’adoption du projet de loi autorisant la ratification de cette convention européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette convention, adoptée par le comité des ministres du Conseil de l’Europe le 7 avril 2011, à Istanbul, constitue le premier instrument juridiquement contraignant au niveau européen et offre un cadre juridique complet pour la prévention de la violence, la protection des victimes et la poursuite des auteurs des faits.

L’entrée en vigueur de cette convention, signée par près d’une trentaine d’États, est conditionnée à sa ratification par au moins dix pays. L’Espagne a procédé, il y a quelques semaines, à cette ratification ; la France s’honorerait d’être le dixième État à accomplir cet acte, ce qui permettrait, trois ans après la signature de la convention, la mise en œuvre de ce bel instrument.

La situation en matière de violences faites aux femmes est pour le moins préoccupante. Mes chers collègues, je vous épargnerai la répétition des chiffres déjà cités par les orateurs précédents. La France, dans ce domaine, ne se révèle pas exemplaire.

Malgré cette situation préoccupante, les médecins en général, et les psychiatres en particulier, s’intéressent toujours aussi peu aux victimes de violences, y compris sexuelles. Cet état de fait est d’autant plus incompréhensible que nos connaissances quant aux conséquences des violences sur la santé ont beaucoup évolué ces deux dernières décennies.

Les victimes se trouvent souvent abandonnées par le corps médical. Aucune formation sur les psychotraumatismes n’est actuellement dispensée pendant les études médicales, pas même aux psychiatres durant leurs études de spécialité. Les médecins capables d’identifier des symptômes psychotraumatiques typiques chez leurs patients et de les relier à des violences subies sont rares. Or une reconnaissance de ces violences, un dépistage des troubles psychotraumatiques, une prise en charge de qualité, précoce, empathique et bienveillante sont primordiaux pour protéger, soulager les victimes et pour empêcher que des troubles psychotraumatiques ne s’installent dans la chronicité.

Hélas, alors que l’on sait que de 22 % à 35 % des femmes qui consultent dans les services d’urgence des hôpitaux présentent des symptômes consécutifs à des violences principalement sexuelles ou conjugales, seulement 2 % d’entre elles sont identifiées par les médecins comme victimes de violences. À ce propos, pour prendre l’exacte mesure de la situation, je vous invite, mes chers collègues, à lire et à méditer l’ouvrage du docteur Muriel Salmona intitulé Le Livre noir des violences sexuelles.

La violence faite aux femmes, malgré sa tendance à engendrer de la souffrance et de nouvelles violences, n’est nullement une fatalité. Pour prévenir les violences, il convient avant tout de les identifier, de protéger et de soigner les victimes, et de ne pas laisser impunis les auteurs. Les violences sont une affaire de droit. Les agresseurs ont à rendre des comptes, et leur addiction à la violence doit être traitée le plus tôt possible.

Dans un système très hiérarchisé et discriminatoire pour les femmes, le statut inférieur de celles-ci traduit leur assimilation à une marchandise, qui n’aura de valeur que si elles appartiennent à un « légitime » propriétaire : père, frère, mari, concubin, compagnon. Des hommes peuvent se livrer à des violences sur elles, souvent en toute impunité, dès lors qu’ils exercent sur elles leur droit de propriétaire.

À quelques semaines des élections européennes, la ratification de cette convention permettrait de montrer au plus grand nombre que l’Europe, avec la construction de son droit commun, peut aussi contribuer à renforcer les droits fondamentaux de tous ses citoyens, en l’occurrence de toutes ses citoyennes.

Le groupe écologiste votera naturellement le projet de loi autorisant la ratification de la convention d’Istanbul, dans le droit fil de la lutte constante qu’il mène pour l’égalité entre les femmes et les hommes et contre les violences faites aux femmes.

Permettez-moi, mes chers collègues, de clore mon intervention en vous livrant un témoignage, celui d’une victime :

« Nous les victimes de violences, enfants et adultes, la plupart du temps, on ne nous voit pas, et on dit qu’on ne parle pas, mais c’est faux, c’est totalement faux. Quand nous essayons de parler, on ne nous entend pas, ou on a peur de nous, on a peur de ce qu’on pourrait dire, et on nous fait taire très rapidement, mais nous parlons quand même, nous parlons énormément, nous parlons avec nos comportements et avec nos corps, et on ne nous comprend pas, on nous juge, on juge ce que nous sommes et comment nous sommes.

« Nous finissons par penser que nous ne sommes pas des êtres normaux, que nous n’appartenons pas ou plus à l’espèce humaine, nous finissons par nous sentir en dehors de votre monde, nous nous terrons dans nos maisons, derrière nos ordinateurs, nous rasons les murs et nous ne croisons plus vos regards. […]

« Nous ne vivons pas, nous survivons avec nos douleurs et nos souffrances à l’intérieur, nous survivons dans une solitude que vous n’imaginez même pas. […]

« Nous avons besoin d’être pris très au sérieux et avec le plus grand respect par les institutions médicales, sociales, policières, judiciaires, et par l’État lui-même. Nos droits doivent être réels, et non plus de simples mots allongés sur du papier. »

À nous, chers collègues, de montrer que, cette fois, nous avons entendu. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je dois avouer que, avant de préparer cette intervention, je n’avais jamais pris connaissance, dans leur intégralité, des termes de la convention d’Istanbul.

Bien sûr, j’avais lu plusieurs articles de presse et des tribunes qui en présentaient les grandes lignes, et il était alors clair pour moi qu’il s’agissait d’un traité historique du Conseil de l’Europe, créant au niveau paneuropéen un cadre juridique extrêmement complet pour protéger les femmes contre toutes les formes de violence. Mais je n’avais pas été plus loin dans mon analyse… Quelle erreur, tant la lecture des quatre-vingt-un articles de cette convention s’est révélée rassurante et motivante !

Sans m’engager dans une présentation de ladite convention – cela a été excellemment fait par M. le secrétaire d’État, Mme la rapporteur, Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes et les collègues qui m’ont précédée –, je me contenterai de formuler quatre observations.

Premièrement, la violence à l’égard des femmes n’épargne aucun des États membres du Conseil de l’Europe.

Selon le secrétariat du comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, le CAHVIO, entre un cinquième et un quart des femmes subissent des violences physiques une fois au moins au cours de leur vie adulte, et plus d’une femme sur dix a déjà souffert d’abus sexuel avec usage de la force.

Plus parlants sont les résultats de l’enquête menée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne sur la violence à l’égard des femmes, qui ont été publiés le 5 mars dernier. Je n’y reviendrai pas, car ils ont été commentés par les oratrices qui m’ont précédée, mais ils confirment une étude américaine aux termes de laquelle six femmes sur dix ont subi des violences sexuelles.

Deuxièmement, la lutte contre la violence à l’égard des femmes est l’objet d’une mobilisation européenne et internationale. La convention d’Istanbul fait partie d’une série de mesures prises par le Conseil de l’Europe pour promouvoir la protection des femmes contre la violence.

En 2002, la recommandation 5 du conseil des ministres du Conseil de l’Europe a été adoptée, marquant le début d’une campagne européenne de lutte contre la violence à l’égard des femmes, qui s’est déroulée entre 2006 à 2008. À cette occasion, les gouvernements et les parlements ont travaillé main dans la main. Si elle a révélé l’ampleur des problèmes, cette campagne a aussi mis en lumière les mesures nationales en matière de lutte, les bonnes pratiques et les initiatives très diverses prises dans de nombreux États membres.

Troisièmement, notre législation contient déjà nombre de dispositions de la convention d’Istanbul. C’est le cas en matière de définition de différentes formes de violences à l’égard des femmes, dont le mariage forcé, les violences sexuelles, les violences physiques et psychologiques, le harcèlement sexuel. Il en est de même en matière d’actions de sensibilisation et d’éducation, de mesures de prévention, de prise en charge, de soutien et de protection juridique, ainsi que de procédures civiles et pénales.

Quatrièmement, notre législation doit toutefois continuer d’évoluer.

Dans sa communication sur la convention d’Istanbul, le Conseil de l’Europe parle d’« éliminer ou d’éradiquer la violence à l’égard des femmes ». C’est exactement cette stratégie que nous devons adopter au travers de la mise en place de notre arsenal législatif.

J’ai eu, à plusieurs reprises, l’occasion de le souligner dans cette enceinte : le projet que je conduis au sein de l’association « Stop aux violences sexuelles », dont la présidente est Violaine Guérin, gynécologue et endocrinologue, est de mettre en place une véritable stratégie d’éradication des violences sexuelles, à l’instar d’une stratégie vaccinale ou des campagnes de sécurité routière. Le 13 janvier dernier, j’ai parrainé au Sénat, avec Chantal Jouanno, les premières assises sur les violences sexuelles, organisées par cette association.

Ces assises furent le point de départ de la mise en place de cette stratégie d’éradication. L’un des chantiers majeurs est la modification du délai de prescription de l’action publique en matière d’agressions sexuelles.

Je suis persuadée que, dans le cadre de notre dispositif législatif, ce délai est inadapté au traumatisme des victimes de violences sexuelles, inadapté à une procédure douloureuse et complexe.

Pour porter plainte contre son agresseur, son violeur, la victime, en particulier si elle est mineure, doit être physiquement et psychiquement en état de le faire. Il ne suffit pas de libérer la parole des victimes ; il faut la leur donner, pour qu’elles puissent, quand elles sont prêtes, les dénoncer aux autorités administratives et judiciaires.

C’est la raison pour laquelle j’ai déposé une proposition de loi dont l’objet est de s’attacher à l’identité de la souffrance ressentie par la victime et de donner à celle-ci le temps nécessaire à la dénonciation des faits. Elle prévoit donc un report du point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, c’est-à-dire expressément au jour où elle se sent en mesure de porter plainte.

L’article 58 de la convention d’Istanbul dispose : « Les parties prennent les mesures législatives et autres nécessaires pour que le délai de prescription pour engager toute poursuite du chef des infractions établies conformément aux articles 36, 37, 38 et 39 de la présente convention » – ce sont les articles qui portent sur la violence sexuelle – « continue de courir pour une durée suffisante et proportionnelle à la gravité de l’infraction en question, afin de permettre la mise en œuvre efficace des poursuites, après que la victime a atteint l’âge de la majorité ». Ma proposition de loi s’inscrit parfaitement dans ce cadre.

Mes chers collègues, je ne doute pas que nous allons adopter à l’unanimité le projet de loi autorisant la ratification de la convention d’Istanbul ; nous prendrons ainsi une décision majeure, puisqu’elle entraînera l’entrée en vigueur de cette convention. Je me permets de vous inviter à faire preuve de cohérence en adoptant aussi ma proposition de loi, qui sera prochainement soumise à votre examen. (Applaudissements.)