M. Jean Bizet. Oui, 80 % !

Mme Chantal Jouanno. En tant que parlementaire, je reste attachée à cette interdiction. Pour autant, je ne partage pas la position de M. Mamère, qui est opposé à toute expérimentation sur le vivant, sous quelque forme que ce soit. Peut-être trouverons-nous un jour des OGM intéressants pour la société. À ce jour, nous n’en avons pas trouvé. C’est pourquoi il est essentiel que nos agriculteurs ne soient pas otages – c’est bien le mot - de cette forme de production d’OGM. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.

M. Joël Labbé. Comme je l’ai annoncé, c’est à l’unanimité, et sans nous partager, que, pour notre part, nous voterons cette proposition de loi.

Nous sommes foncièrement convaincus qu’il n’y a pas, qu’il n’y aura pas de solution miracle et planétaire. Il faut continuer à travailler sur les orientations agroécologiques, en France comme dans le reste du monde. Les peuples européens nous attendent et nous regardent, notamment via les ONG ; les lobbies également nous attendent et nous regardent. C’est donc avec fierté que, en tant que membre du groupe écologiste, j’affirme ma position dans la majorité présidentielle et gouvernementale. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 170 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 319
Pour l’adoption 172
Contre 147

Le Sénat a adopté définitivement la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Chantal Jouanno applaudit également.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié
 

11

Nomination de membres d’organismes extraparlementaires

M. le président. Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé une candidature pour le Conseil d’orientation des retraites, ainsi que pour le conseil de surveillance du Fonds de réserve pour les retraites.

Par ailleurs, la commission du développement durable a proposé une candidature pour le Conseil national de la sécurité routière.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame M. Georges Labazée membre titulaire du Conseil d’orientation des retraites et membre suppléant du conseil de surveillance du Fonds de réserve pour les retraites et Mme Esther Sittler membre du Conseil national de la sécurité routière.

12

Nomination de membres de commissions

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union des Démocrates et Indépendants – UC a présenté une candidature pour la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale et une candidature pour la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :

- M. Vincent Capo-Canellas, membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, en remplacement de M. Michel Mercier, démissionnaire ;

- et Mme Chantal Jouanno, membre de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, en remplacement de M. Vincent Capo-Canellas, démissionnaire.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

13

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l'égard des femmes et la violence domestique
Discussion générale (suite)

Convention européenne contre les violences à l’égard des femmes

Adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l'égard des femmes et la violence domestique
Article unique (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique (projet n° 369, texte de la commission n° 437, rapport n° 436).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès de la ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports. Monsieur le président, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui ne peut assister à l’entame de ce débat mais nous rejoindra tout à l’heure.

Nous parlons ici d’un phénomène qui touche plus d’un tiers des femmes dans le monde : c’est le chiffre révélé l’an dernier par l’Organisation mondiale de la santé.

Les violences faites aux femmes prennent des formes très variables. Elles ont pour point commun de se nourrir des représentations sexistes et patriarcales de notre société.

Violences conjugales, violences sexuelles, harcèlement sexuel, violences liées aux pratiques traditionnelles : toutes ces violences sont le prolongement d’une certaine vision de la femme dans notre société.

En France, nous estimons qu’une femme sur dix est victime de violences conjugales. En 2012, 148 femmes sont mortes à la suite de violences conjugales.

Les enquêtes de victimation révèlent qu’une femme sur dix déclare avoir subi des rapports forcés ou des tentatives de rapport forcé au cours de sa vie.

Pour faire reculer durablement les violences, il faut d’abord savoir les voir et les dénoncer.

Cela veut dire que nous devons briser le silence.

Cela veut dire aussi que nous devons relever notre niveau d’intolérance à la violence : les gestes déplacés, les insultes sexistes dans la rue, les violences conjugales dans le voisinage, ce n’est pas parce que c’est tristement banal que c’est normal.

Pour faire reculer durablement les violences, il faut qu’elles soient effectivement sanctionnées. Ce qui est le plus choquant, c’est que l’immense majorité des faits ne sont pas signalés à la police ou à la gendarmerie.

Ce n’est pas parce que les violences sont commises à l’abri des regards qu’elles sont moins insupportables. Comme l’a dit Najat Vallaud-Belkacem en présentant ce projet de loi de ratification au conseil des ministres, nous ne voulons plus faire rimer « intimité » avec « impunité ».

L’enjeu, pour tous les pays, c’est l’augmentation du nombre de signalements, de plaintes, et donc de condamnations.

La convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, signée à Istanbul en avril 2011, est un instrument précieux. Elle est le fruit d’un travail parlementaire : celui du réseau « pour le droit des femmes de vivre sans violence » constitué en 2006 au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Les parlementaires, sur vos travées comme sur les bancs de l’Assemblée nationale, ont souvent eu l’occasion d’en souligner l’intérêt, l’urgence et la portée.

La France en a été l’un des premiers signataires. Elle sera l’un des premiers États à ratifier la convention d’Istanbul. Le seuil de dix ratifications venant d’être atteint, cette convention entrera donc en vigueur le 1er août prochain.

La convention d’Istanbul, si elle a été adoptée dans un cadre régional paneuropéen, peut avoir un effet d’entraînement beaucoup plus vaste. Elle a en effet une vocation universaliste, et tout État peut y adhérer. Najat Vallaud-Belkacem profite de chacun des échanges bilatéraux qu’elle peut nouer pour promouvoir cette convention auprès des États qui n’en sont pas encore parties.

C’est cette volonté de promouvoir la convention qui a amené la France à co-organiser avec le Conseil de l’Europe un événement sur ce thème en marge de la Commission de la condition de la femme, à New York l’an dernier.

Il s’agit d’un texte fondamental sur la scène internationale. L’ONU-Femmes le présente comme la « norme d’excellence ».

C’est le tout premier instrument contraignant en Europe visant à prévenir et à combattre toutes les formes de violences à l’égard des femmes.

C’est un texte qui prend acte de cette réalité fondamentale pour le mouvement de lutte contre les violences faites aux femmes : il y a un continuum des violences, qui commence avec les inégalités, qui se poursuit dans les coups et qui se prolonge malheureusement parfois jusqu’aux crimes.

Cette convention tend à proposer une réponse globale à travers la politique des « trois P » : prévention des violences, protection des victimes, poursuite des auteurs.

La France a participé activement aux négociations qui ont permis d’adopter la convention d’Istanbul. Il est donc naturel qu’elle en tire les conséquences.

Avec la loi du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, le Parlement a déjà adopté les mesures d’adaptation du droit pénal français aux stipulations de la convention : elles concernent en particulier la lutte contre le mariage forcé et les mutilations sexuelles féminines.

Contre les mariages forcés, nous avons été amenés à proposer la création d’un nouveau délit, constitué par le fait de tromper quelqu’un en vue de lui faire quitter le territoire français pour lui faire subir un mariage forcé à l’étranger.

Contre les mutilations sexuelles féminines, notre droit pénal sera complété par l’interdiction de l’incitation d’un mineur à subir une mutilation, et celle de l’incitation à faire subir une mutilation à un mineur.

Toutefois, cette convention ne se résume pas à ces dispositions pénales. C’est la nécessité d’engager une démarche globale contre les violences faites aux femmes qui s’impose d’abord aux parties.

Le Gouvernement français se reconnaît totalement dans cette approche globale. C’est un engagement porté au plus haut niveau de l’État. À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre 2012, le Président de la République a demandé au Gouvernement de lancer un « plan global » contre les violences faites aux femmes. C’est l’objet du quatrième plan de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, qui porte sur la période 2014-2016. Najat Vallaud-Belkacem l’a présenté en novembre dernier. Il traduit cet engagement en chiffres : avec 66 millions d’euros, le montant consacré par l’État à cette politique a doublé.

D’abord, la victime ne doit pas avoir à se battre pour être entendue. Nous voulons donc que les victimes reçoivent la bonne réponse dès leur première alerte : nous formons les professionnels qui sont au contact des victimes, nous renforçons le 3919, numéro de téléphone national gratuit destiné aux femmes victimes de violences, nous améliorons l’enregistrement des plaintes, nous réorganisons l’accueil des victimes en commissariats ou en gendarmeries pour qu’elles soient toujours orientées vers un intervenant social ou une association spécialisée.

Ensuite, la victime doit être protégée. Nous développons donc les dispositifs nécessaires à la mise en sécurité des victimes : ce sont les 1 650 nouvelles solutions d’hébergement d’urgence spécialisées et sécurisées que nous ouvrons, c’est également le téléphone d’appel d’urgence, que nous voulons fournir à toutes les femmes en très grand danger.

Enfin, la violence, ça se soigne. Les victimologues apportent beaucoup à ces travaux. Ils doivent être écoutés attentivement. Nous comptons développer les soins ouverts aux victimes et le suivi prévu pour les auteurs de violences.

Pour répondre concrètement au besoin de coordination entre les multiples interlocuteurs que rencontrent les victimes –les tribunaux, la police, les services sociaux, les collectivités territoriales et les associations –, nous voulons créer une mission interministérielle composée d’experts de ces différents profils.

Cette mission interministérielle est née en janvier 2013. Elle réunit les données, elle partage les bonnes pratiques, elle organise la formation des professionnels.

Avec le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes que vous avez examiné le mois dernier en deuxième lecture, nous renforçons les moyens de faire face à toutes les formes de violences faites aux femmes.

Nous renforçons le dispositif de l’ordonnance de protection, pour qu’il soit mis en œuvre plus vite et pour une durée plus longue.

Pour mieux protéger les victimes, et éviter qu’elles ne soient doublement victimes en étant contraintes de déménager, nous renforçons les moyens d’écarter l’auteur des violences du domicile conjugal et de maintenir la victime dans son logement.

Pour lutter contre la récidive, nous établissons également des stages afin de responsabiliser les auteurs de violences.

La politique mise en œuvre par la France contre les violences à l’égard des femmes s’inscrit donc dans une approche intégrée, pluridisciplinaire, fondée sur les droits de la personne humaine.

Cet engagement est partagé par le Gouvernement. Vous avez pu constater qu’il est conforme à l’esprit et à la lettre de la convention d’Istanbul. Je sais qu’il est partagé également au sein de cet hémicycle. Je tiens à saluer la qualité du rapport de Joëlle Garriaud-Maylam et à remercier Brigitte Gonthier-Maurin, ainsi que l’ensemble des membres de la délégation pour les droits des femmes, de leur engagement. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique adoptée par le Conseil de l’Europe il y aura trois ans après-demain.

Cette convention traite d’un sujet qui me préoccupe depuis fort longtemps et aux conséquences duquel je suis souvent confrontée en tant qu’élue, notamment lors de mes déplacements à l’étranger, où j’ai de fréquents débats avec les autorités des pays d’accueil, ou à l’occasion de rencontres avec des femmes étrangères victimes sur notre sol de telles violences. Là comme dans beaucoup d’autres domaines, une coopération internationale est absolument indispensable !

Revenons-en à la présente convention.

Adoptée par le Conseil de l’Europe le 7 avril 2011, elle a été signée par la France dès la date d’ouverture à la signature, le 11 mai 2011. Vous me permettrez donc de déplorer, une fois de plus, les lenteurs de la procédure législative, puisqu’elle n’a été adoptée par l’Assemblée nationale que le 13 février dernier. Nous avions plaidé pour que ce projet de loi de ratification, qui a été adopté par la commission des affaires étrangères du Sénat le 9 avril, fasse l’objet d’un examen en procédure simplifiée, afin de gagner du temps. Il n’en a rien été, et la discussion en séance publique du projet de loi, prévue le 15 avril, a une nouvelle fois été repoussée. Ces retards sont d’autant plus regrettables que nous assistons à une augmentation, voire à une banalisation, de ces phénomènes de violences conjugales, des violences physiques mais aussi psychiques qui tendent tellement à dégrader, à écraser et parfois à culpabiliser les victimes qu’elles ne sont que 33 % à porter plainte au commissariat ou à la gendarmerie.

Cette convention est l’aboutissement d’un long travail du Conseil de l’Europe, qui se consacre depuis sa création à la sauvegarde et à la protection des droits de l’homme : c’est pour cette raison même qu’il a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes une de ses priorités.

Cette préoccupation est ancienne puisqu’elle date du début des années quatre-vingt-dix, avec notamment, en 1993, la conférence ministérielle européenne intitulée « Stratégies pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes dans la société : médias et autres moyens », en 2002, la recommandation du Conseil de l’Europe prônant une approche globale de la prévention et de l’éradication de la violence fondée sur le genre, et, entre 2006 et 2008, la campagne du Conseil de l’Europe pour combattre la violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique.

La task force du Conseil de l’Europe chargée du suivi de cette campagne recommandait déjà, dans son rapport de 2008, l’adoption d’un instrument contraignant sous la forme « d’une convention […] pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes ».

En décembre 2008, en réponse à cette recommandation, un comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, le CAHVIO, a été institué. Sa mission est d’élaborer un ou plusieurs instruments contraignants en la matière.

La convention aujourd’hui soumise à notre examen correspond au texte final approuvé par le CAHVIO en décembre 2010, puis adopté définitivement par le Conseil de l’Europe le 7 avril 2011.

L’utilité de cette convention n’est plus à démontrer. La task force du Conseil de l’Europe dressait déjà en 2008 un constat édifiant des violences faites aux femmes. Plus récemment, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a mené une enquête auprès de 42 000 femmes dans vingt-huit États de l’Union. Son rapport, en date du 5 mars dernier, révèle une situation alarmante quant à l’étendue des violences physiques, sexuelles, psychologiques vécues par les femmes, y compris pendant leur enfance.

Je tiens à livrer ces quelques chiffres à votre réflexion : un tiers des femmes interrogées ont été victimes de violences physiques ou sexuelles commises par un adulte pendant leur enfance ; un autre tiers d’entre elles ont été victimes de violences physiques ou sexuelles depuis l’âge de 15 ans. S’y ajoute un constat encore plus inacceptable : 5 % des femmes ont été violées. Sachant que 67 % de ces femmes n’ont pas signalé ces violences à la police ou à un autre organisme, on comprend immédiatement quel est l’enjeu de ce texte.

Au reste, il ne s’agit là que des faits les plus graves. En effet, 55 % des 42 000 femmes ayant répondu à cette enquête ont été victimes de harcèlement sexuel.

Dès lors, comment s’étonner que, dans les conclusions de son rapport, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne encourage les États membres de celle-ci à ratifier la convention dont nous sommes saisis, en suggérant même que l’Union européenne y adhère ?

Quant à la France, nous ne disposons malheureusement pas de données systématiques et sûres concernant l’ensemble de ces violences faites aux femmes. Il nous faudra attendre, pour disposer d’un outil statistique complet, le résultat des travaux de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences, mise en place en janvier 2013.

La production de statistiques fiables est un enjeu essentiel pour mieux cerner le phénomène multiforme de la violence contre les femmes, et ainsi concevoir de meilleurs dispositifs de prévention, de répression et de protection. D’autres pays sont bien plus en avance que la France en la matière. Là encore, nous devrions nous inspirer de leurs modes d’action, de leurs bonnes pratiques. Dans le cadre de la ratification de la convention d’Istanbul, l’élaboration d’outils statistiques pertinents, fiables et réguliers exigera de la France des efforts spécifiques.

Je trouve également fort décevante – c’est là un avis personnel – la réserve française relative « au report du point de départ du délai de prescription à la majorité de la victime pour certaines infractions » telles que violences sexuelles, mariages forcés, mutilations génitales féminines, avortement et stérilisation forcés. La France ne souhaite en effet s’y conformer que pour les crimes et délits pour lesquels un tel report est prévu par son droit interne et n’envisage pas de modifier ce dernier s’agissant de l’interruption volontaire de grossesse commise sans le consentement de l’intéressée et des mariages forcés. Nous parlementaires devrons nous pencher très sérieusement sur cette question.

Considérons maintenant les chiffres présentés au titre du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes pour la période 2014-2016. Ils montrent l’ampleur de la tâche restant à accomplir : M. le secrétaire d’État l’a rappelé, une femme sur dix est victime de violences conjugales ; en 2012, 148 femmes sont mortes de ces violences ; moins d’une victime sur cinq se déplace à la police ou à la gendarmerie ; concernant les violences sexuelles, 16 % des femmes déclarent avoir subi des rapports forcés et, en 2010 et en 2011, 154 000 femmes de 18 à 75 ans se sont déclarées victimes de viol.

Face à cette situation, la convention d’Istanbul apparaît comme un instrument régional novateur et essentiel.

Concernant la dimension régionale de cet outil, je rappelle que, actuellement, seules deux organisations internationales se sont dotées d’un traité spécifique relatif aux violences faites aux femmes : l’Organisation des États américains, en 1994, et l’Union africaine, en 2003.

Cette convention est un instrument novateur dans la mesure où elle établit des normes contraignantes pour les parties. Elle renforce donc utilement la lutte contre la violence à l’égard des femmes menée par les Nations unies, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Ces institutions ont certes toutes adopté des déclarations, mais elles ne se sont dotées d’aucun instrument contraignant visant spécifiquement les violences faites aux femmes.

Cette convention est également novatrice parce qu’elle déploie une stratégie globale d’éradication des violences faites aux femmes, sur la base de ce que l’on nomme les « trois P » : prévention, protection et poursuite.

En matière de prévention, la convention engage les parties à promouvoir des changements de comportements et de mentalités par la sensibilisation, l’éducation, la formation, des programmes de soutien à destination des auteurs de violences.

En matière de protection, la convention impose de manière évidente d’apporter aux victimes toutes sortes de formes de soutien : information, assistance juridique et médicale, refuge, logement, soutien économique. Elle exige également, ce qui est particulièrement intéressant, la protection des témoins, en s’attachant notamment au cas de l’enfant témoin.

La convention oblige en outre les parties à établir des lignes d’assistance téléphonique gratuite pour les situations d’urgence, fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En France, le 3919 est déjà à la disposition des femmes victimes de violences. Ce numéro est gratuit et assure l’anonymat de la personne qui appelle.

Néanmoins, au-delà de la réponse immédiate aux urgences, la France a des progrès à faire quant à l’assistance fournie aux victimes à plus long terme. La convention d’Istanbul insiste sur la notion de « guichet unique ». La simplification de l’accès aux différents volets de protection et de soutien est en effet essentielle pour aider des personnes en situation de grand désarroi et de forte vulnérabilité à reconstruire une vie normale.

À titre d’exemple, en matière de recouvrement des pensions alimentaires et de conflits relatifs à l’autorité parentale – en particulier lorsqu’ils revêtent une dimension internationale, l’autre parent étant de nationalité étrangère ou vivant à l’étranger –, le dispositif d’aide français reste insuffisamment réactif comparé à celui d’autres États. Il s’agit là d’un aspect extrêmement important.

Enfin, en matière de poursuites, la convention oblige les parties à adopter un arsenal répressif. Son spectre, très large, recouvre non seulement, bien entendu, les violences physiques et sexuelles – y compris le viol –, mais aussi la violence psychologique et le harcèlement sexuel, ainsi que les mariages forcés, les mutilations génitales féminines, l’avortement et la stérilisation forcés. La convention sanctionne également les crimes commis « au nom du prétendu honneur ». Elle interdit à leurs auteurs d’invoquer ce motif pour leur défense.

En conclusion, cette convention qui vise à créer une Europe sans violence à l’égard des femmes en appelant à combattre toutes les formes de discrimination à leur égard devrait donner un nouveau souffle aux politiques menées par la France depuis de très nombreuses années.

Le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, récemment adopté par le Sénat, relève d’ailleurs d’une approche intégrée comparable à celle de la convention d’Istanbul. Il a en effet pour objet de traiter de l’égalité « dans toutes ses dimensions […] : égalité professionnelle, lutte contre la précarité spécifique des femmes, protection des femmes contre les violences, image des femmes dans les médias, parité en politique ».

Un autre texte aura une incidence sur l’application par la France des principes de la convention d’Istanbul : le projet de loi relatif à la réforme du droit d’asile.

Les articles 60 et 61 de la convention préconisent un examen « sensible au genre » des demandes d’asile. À ce titre, j’attire l’attention de notre commission sur les préconisations du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, au sein duquel j’ai l’honneur de représenter le Sénat. Actuellement, la pratique montre que les violences de genre ne sont pas considérées comme des motifs suffisants pour accorder le statut de réfugié ; tout juste permettent-elles d’octroyer une « protection subsidiaire ».

Enfin, nous devrons veiller à ce que la proposition de loi n° 1856, relative à l’autorité parentale, si elle est adoptée, ne remette en question certaines avancées, certains acquis de la convention, comme la dénomination de la violence économique.

Ces quelques exemples montrent qu’une fois la ratification de la convention d’Istanbul définitivement validée, la France aura encore d’importants efforts à fournir pour parvenir à appliquer les principes posés par ce texte.

Quoi qu’il en soit, la première étape, pour notre pays, est évidemment de ratifier rapidement cette convention. L’entrée en vigueur de celle-ci est en effet subordonnée à sa ratification par dix États, dont au moins huit membres du Conseil de l’Europe. À ce jour, huit États, tous membres du Conseil de l’Europe, l’ont ratifiée.

C’est pourquoi je vous demande, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, de bien vouloir adopter ce projet de loi autorisant la ratification de cette convention du Conseil de l’Europe. (Applaudissements.)