compte rendu intégral

Présidence de M. Thierry Foucaud

vice-président

Secrétaires :

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx,

M. Jean-François Humbert.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Conventions internationales

Adoption définitive en procédure d’examen simplifié et en procédure accélérée de quatre projets de loi dans les textes de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de quatre projets de loi tendant à autoriser l’approbation de conventions internationales.

Pour ces quatre projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

accord relatif au centre de sécurité galileo

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord relatif à l'hébergement et au fonctionnement du centre de sécurité Galileo
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord relatif à l’hébergement et au fonctionnement du centre de sécurité Galileo (ensemble une annexe), signé à Paris le 12 juin 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord relatif à l’hébergement et au fonctionnement du centre de sécurité Galileo (projet n° 499, texte de la commission n° 512, rapport n° 511).

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord relatif à l'hébergement et au fonctionnement du centre de sécurité Galileo
 

accord avec le canada relatif à la mobilité des jeunes

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada relatif à la mobilité des jeunes
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada relatif à la mobilité des jeunes, signé à Ottawa le 14 mars 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada relatif à la mobilité des jeunes (projet n° 500, texte de la commission n° 507, rapport n° 506).

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada relatif à la mobilité des jeunes
 

accord relatif au consortium des centres internationaux de recherche agricole

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord instituant le Consortium des centres internationaux de recherche agricole en qualité d'organisation internationale
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord instituant le Consortium des centres internationaux de recherche agricole en qualité d’organisation internationale (ensemble un acte constitutif et trois annexes), signé à Montpellier le 13 septembre 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord instituant le Consortium des centres internationaux de recherche agricole en qualité d’organisation internationale (projet n° 501, texte de la commission n° 509, rapport n° 508).

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord instituant le Consortium des centres internationaux de recherche agricole en qualité d'organisation internationale
 

accord relatif au siège du consortium des centres internationaux de recherche agricole

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Consortium des centres internationaux de recherche agricole relatif au siège du Consortium et à ses privilèges et immunités sur le territoire français
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Consortium des centres internationaux de recherche agricole relatif au siège du Consortium et à ses privilèges et immunités sur le territoire français (ensemble trois annexes), signé à Montpellier le 4 mars 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Consortium des centres internationaux de recherche agricole relatif au siège du Consortium et à ses privilèges et immunités sur le territoire français (projet n° 502, texte de la commission n° 510, rapport n° 508).

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Consortium des centres internationaux de recherche agricole relatif au siège du Consortium et à ses privilèges et immunités sur le territoire français
 

3

 
Dossier législatif : proposition de loi modifiant la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté
Discussion générale (suite)

Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à modifier la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (proposition n° 492, texte de la commission n° 498, rapport n° 497).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. le président de la commission des lois et Mme la rapporteur applaudissent également.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi modifiant la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté
Article 1er B

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Il y a des raisons particulières d’applaudir Mme la garde des sceaux ces temps-ci !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons pour l’examen en deuxième lecture d’une proposition de loi qui émane du Sénat, puisqu’elle a été déposée par Mme Catherine Tasca, membre de la commission des lois de cette assemblée. C’est donc un texte qui a été travaillé, étudié et adopté ici, faisant ensuite l’objet d’un examen poussé à l’Assemblée nationale, Mme la rapporteur, Laurence Dumont, s’étant très fortement impliquée.

Compte tenu de l’origine de ce texte, du travail produit aussi bien par Mme la rapporteur que par la commission des lois, et du fait qu’il s’agit d’une deuxième lecture, il ne me paraît pas nécessaire de revenir de façon exhaustive sur le contexte ou le contenu de la présente proposition de loi.

Je tiens simplement à faire droit à la constance avec laquelle le Sénat contribue aux libertés publiques et à l’amélioration des conditions de détention. Par sa culture du droit et par ses initiatives, le Sénat a en effet été la chambre qui a le plus amélioré, dans le temps, les conditions d’incarcération dans notre pays. Je pense notamment aux avancées réalisées sous la IIIe République : ainsi, MM. Hyest et Cabanel, dans le rapport de la commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, créée en 2000, évoquent la commission d’enquête parlementaire créée en 1872 sur l’initiative du vicomte d’Haussonville – elle rassemblait de prestigieux sénateurs, comme Victor Schœlcher ou René Béranger – en vue d’étudier les établissements pénitentiaires, de faire un rapport à l’Assemblée sur l’état de ces établissements et de proposer les mesures en vue d’en améliorer le régime. Peu après, la loi de 1875 généralisait l’emprisonnement cellulaire dans les prisons départementales. En 1885, le sénateur Bérenger faisait voter les textes instituant la liberté conditionnelle et le sursis simple.

La continuité de cette politique s’est vérifiée à plusieurs reprises, notamment avec la commission d’enquête citée à l’instant constituée en 2000, dont le président était Jean-Jacques Hyest et le rapporteur Guy-Pierre Cabanel. Ce travail a abouti au dépôt d’une proposition de loi, votée en première lecture au Sénat, qui évoquait déjà la nécessité d’un contrôle général des lieux de privation de liberté.

Mais il y eut également une commission d’enquête mise en place à l’Assemblée nationale, avec pour président Louis Mermaz et pour rapporteur Jacques Floch, ainsi que toute une série d’éléments que j’ai évoqués lors de l’examen du texte en première lecture : je pense notamment à l’ouvrage du docteur Véronique Vasseur, qui, en frappant l’opinion publique, a créé les conditions de la réceptivité à la question des libertés publiques, de la prison en tant qu’espace de droit et du détenu en tant que sujet de droit.

Il est donc dans la logique, dans la trajectoire, mais aussi dans la dynamique de cette assemblée qu’une initiative parlementaire, ici prise par Catherine Tasca, nous conduise aujourd’hui à améliorer, à conforter et même à renforcer les missions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, autorité administrative indépendante créée par la loi du 30 octobre 2007.

Fort logiquement, après les initiatives prises par le Sénat, cette évolution a également été permise, si ce n’est impulsée, par les juridictions aussi bien européennes que nationales. Pour ces dernières, ce fut le fait, d’abord, de la juridiction administrative, puis, progressivement, de la juridiction judiciaire.

Au milieu des années quatre-vingt-dix, la juridiction administrative a abandonné sa jurisprudence relative aux mesures d’ordre intérieur, qui conduisait les tribunaux administratifs et le Conseil d’État à considérer qu’ils n’avaient pas à se prononcer sur toute une série de mesures prises par l’administration pénitentiaire au motif qu’elles relevaient de l’ordre intérieur. La juridiction administrative a alors commencé à inclure dans son champ de compétences certains éléments relevant de la matière pénitentiaire. C’est ainsi qu’elle se prononce, par exemple, sur les mesures de transfert, sur les mesures d’isolement, ou encore sur la présence de l’avocat en détention ; elle se prononce, en somme, sur tout un ensemble de dispositions qui, jusqu’alors, étaient prises de façon quelque peu souveraine par l’administration pénitentiaire.

Cette évolution voit ensuite entrer en action la juridiction judiciaire. Cela se fait d’abord, bien entendu, par la loi Guigou de 2000, qui énoncera que certaines décisions prises par le juge d’application des peines sont non pas seulement des mesures d’administration judiciaire, mais également des ordonnances ou des jugements, par conséquent susceptibles de recours. La juridictionnalisation de l’application des peines est donc en marche depuis près d’une quinzaine d’années.

Au cœur de toutes ces dynamiques, la nécessité du contrôle général des lieux de privation de liberté paraît bien installée, même si je n’ose pas encore dire que le processus est achevé. L’institution a fait ses preuves, sous l’impulsion particulière de Jean-Marie Delarue, dont les mérites ont été cités avec force aussi bien au Sénat qu’à l’Assemblée nationale.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est sur la base de la réflexion conduite par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté que nous avons nourri notre propre pensée, et que vous avez pu, mesdames, messieurs les sénateurs, élaborer la présente proposition de loi.

Ce texte ajoute un élément supplémentaire de rupture avec la perception de l’ordre carcéral comme ordre très particulier : il reconnaît la prison comme espace de droit et le détenu comme sujet de droit. J’évoquais voilà un instant les mesures prises dans les années quatre-vingt ; je pense notamment à la mesure de suppression des dispositifs d’isolement dans les parloirs, que j’ai déjà mentionnée en ces lieux et qu’il me paraît significatif de rappeler afin de ne pas oublier ce qui existait alors : grâce à cette mesure, les familles venant rendre visite à un détenu peuvent désormais s’en approcher, le toucher, alors que c’était absolument impossible jusqu’alors.

Ce texte de loi vient en quelque sorte parachever cette évolution réelle, importante, même s’il restera sans doute encore des choses à faire. Mais c’est le propre de la vie humaine et de la vie en société, mesdames, messieurs les sénateurs, que de prévoir, sur la base de principes clairement établis, la façon dont les choses peuvent évoluer et de préparer l’opinion publique à accepter ces changements.

J’en viens aux principales dispositions désormais contenues dans la présente proposition de loi, ne citant que celles qui ont été modifiées par l’Assemblée nationale. Je pense tout d’abord à la possibilité pour les députés européens élus en France de saisir le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, alors que cette compétence était jusqu’alors réservée au Premier ministre, aux membres du Gouvernement, aux membres du Parlement ou au Défenseur des droits. D’ailleurs, c’est très logique : la loi de 2000 les avait associés à la possibilité, reconnue aux parlementaires français, de visiter de manière inopinée nos établissements pénitentiaires.

Du fait de la présente proposition de loi, le Contrôleur général pourra désormais avoir accès aux procès-verbaux équivalents aux procès-verbaux de garde à vue, c'est-à-dire ceux qui sont dressés dans les autres lieux de privation de liberté, que la privation soit exercée sous la responsabilité de la police, de la gendarmerie ou de la douane. Je pense notamment aux lieux de retenue pour vérification du droit au séjour ou pour vérification d’identité.

Le Contrôleur général pourra également émettre un avis sur les projets de construction, de restructuration ou de réhabilitation de tout lieu de privation de liberté.

En outre, l’Assemblée nationale a introduit une modification relative au délit d’entrave. Alors que vous aviez prévu à cet égard un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, les députés ont retenu les 15 000 euros d’amende et supprimé l’année d’emprisonnement. Ils ont cependant étendu le champ d’application du délit aux représailles. Nous avons donc, en amont, le délit d’entrave et, en aval, les éventuelles représailles. Ce sont les principales dispositions qui ont été amendées.

Je le disais, la proposition de loi parachève une dynamique, même si elle ne l’achève pas. C’est une dynamique importante, celle qui consiste à poser le principe de limitation aux droits fondamentaux. Le détenu fait l’objet d’une restriction, voire d’une suppression de liberté, prononcée par l’institution judiciaire. Mais, dans une décision du 25 avril 2014 sur une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a lui-même rappelé que les droits et libertés garantis constitutionnellement s’appliquaient également aux détenus, dans la limite évidemment des exigences liées à l’exercice des missions publiques de l’administration pénitentiaire.

Nous sommes donc totalement dans une logique d’équilibre entre le respect des droits fondamentaux des détenus, qui ne peuvent être limités que de manière strictement nécessaire, le besoin d’impliquer le détenu dans la préparation de sa sortie et, bien entendu, les exigences liées à l’exercice de la mission publique qui incombe à l’administration pénitentiaire.

Il importe de le rappeler, il y a là une évolution juridique absolument indispensable, non seulement pour nous conformer à notre État de droit, mais aussi pour faire de la prison une institution républicaine et un lieu où l’incarcération est utile.

Il ne sert à rien de reconnaître – les membres de la Haute Assemblée savent très bien le faire depuis plusieurs années, et nous le faisons également au sein du Gouvernement – l’importance et la qualité de l’action menée par les personnels pénitentiaires, mais aussi la difficulté de leurs conditions de travail à l’intérieur des établissements si, par la loi ou les politiques publiques, nous contribuons à rendre l’exercice de leurs missions encore plus compliqué !

Il faut que le temps d’incarcération soit utile. Il faut que le détenu soit acteur de l’exécution de sa peine. Il faut que le détenu soit fortement impliqué dans la préparation de sa sortie, afin de prévenir la récidive. Pour cela, il est indispensable de faire en sorte par la loi et les politiques publiques que la prison soit bien une institution républicaine et s’inscrive bien dans un État de droit.

L’action menée par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté y contribue. Les dispositions nouvelles que vous allez accorder à l’institution sont de nature à améliorer encore l’exécution de sa tâche. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste, du groupe CRC et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Catherine Tasca, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture la proposition de loi que j’ai eu l’honneur de déposer voilà quelques semaines, avec nos collègues membres du groupe socialiste et apparentés. Ce texte vise à apporter plusieurs modifications à la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Je vous remercie d’avoir si bien inscrit cette initiative dans la longue histoire parlementaire, madame la garde des sceaux.

Compte tenu de l’encombrement du calendrier parlementaire et de l’interruption des travaux parlementaires due aux élections municipales, je me réjouis que cette proposition de loi nous revienne aussi vite, moins de quatre mois après un premier vote au Sénat acquis à l’unanimité. Je veux saluer ici l’engagement de l’Assemblée nationale, en particulier de la rapporteur de la commission des lois, Laurence Dumont, et celui du Gouvernement, qui a accepté d’inscrire ce texte sur son ordre du jour prioritaire.

Comme vous vous en souvenez, la présente proposition de loi vise à tirer les enseignements des six premières années d’existence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en répondant très concrètement à un certain nombre de difficultés ou de lacunes identifiées par Jean-Marie Delarue. Le texte renforcera les prérogatives du Contrôleur général, en donnant un cadre légal aux enquêtes que celui-ci mène actuellement sur le fondement de l’article 6 de la loi du 30 octobre 2007 et en lui permettant d’accéder à davantage d’informations, notamment, sous certaines conditions évidemment très encadrées, à des informations couvertes par le secret médical. L’institution disposera dorénavant à cet effet d’une possibilité de mise en demeure, sanctionnée le cas échéant par un délit d’entrave à l’action du Contrôleur. Cette dernière mesure permettra également de mieux protéger les interlocuteurs du Contrôleur général contre toute forme de sanctions ou de représailles visant aussi bien des personnes privées de liberté que des membres des personnels exerçant dans ces lieux.

Alors que le nombre de personnes détenues vient de franchir au 1er avril un nouveau seuil – 68 859 détenus pour 57 680 places, soit une augmentation de la population carcérale de 2 % sur un an –, l’existence d’une autorité indépendante chargée de veiller au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté et dotée des prérogatives nécessaires pour exercer pleinement sa mission est plus que jamais indispensable.

Sur l’initiative de sa commission des lois et de sa rapporteur, Laurence Dumont, l’Assemblée nationale a amélioré sur cinq points le texte voté par la Haute Assemblée en première lecture.

Premièrement, les députés ont d’abord apporté plusieurs clarifications, notamment pour que le Contrôleur général puisse disposer des mêmes prérogatives dans le cadre des vérifications sur place, dont les modalités sont détaillées dans le nouvel article 6-1 de la loi du 30 octobre 2007, que dans celui des visites de contrôle fondées sur l’article 8. Un nouvel article 8-1 détaille en ce sens les conditions communes dans lesquelles s’exercent ces vérifications et visites.

Plusieurs améliorations rédactionnelles ont également été apportées pour lever d’éventuelles ambiguïtés ou préciser le texte adopté, concernant en particulier la qualité des collaborateurs du Contrôleur général habilités à accéder à des informations couvertes par le secret médical.

Deuxièmement, alors que notre proposition de loi ouvrait au Contrôleur général la possibilité de prendre connaissance des procès-verbaux de déroulement de garde à vue – Mme la garde des sceaux vient de le rappeler –, l’Assemblée nationale a élargi ces dispositions à l’ensemble des procès-verbaux relatifs au déroulement d’une mesure privative de liberté mise en œuvre par la police, par la gendarmerie ou par la douane. Cela permettra d’inclure, outre les procès-verbaux de déroulement de garde à vue, les procès-verbaux de retenue pour vérification du droit au séjour d’une personne de nationalité étrangère ou les procès-verbaux de retenue douanière, par exemple.

Troisièmement, les députés ont complété la proposition de loi pour permettre expressément au Contrôleur général d’adresser aux autorités responsables des avis sur les projets de construction, de restructuration ou de réhabilitation de tout lieu de privation de liberté.

Une telle précision n’est pas anodine. Les décisions, prises voilà quelques années dans le cadre du programme « 13 200 places », de construire des établissements pénitentiaires surdimensionnés ou d’implanter des centres de semi-liberté dans des lieux peu faciles d’accès montrent à quel point il aurait été pertinent d’avoir l’avis du Contrôleur général avant de procéder à de telles opérations, du reste fort coûteuses, comme l’a déjà souligné notre collègue Jean-René Lecerf dans ses différents avis budgétaires.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

Mme Catherine Tasca, rapporteur. Quatrièmement, nos collègues députés ont modifié la rédaction du nouveau délit d’entrave, afin, d’une part, de supprimer la peine d’emprisonnement encourue, ne laissant ainsi subsister qu’une peine correctionnelle de 15 000 euros d’amende, et, d’autre part, d’inclure dans le champ de cette nouvelle infraction, en plus des comportements manifestant une opposition aux opérations de contrôle ou de vérifications, le fait de sanctionner une personne pour les liens qu’elle aurait établis avec le Contrôleur général ou pour les pièces ou les informations qu’elle lui aurait fournies.

Un tel élargissement permettra de donner plus de poids à l’article 2 de la proposition de loi, qui pose le principe de nullité de toute sanction prononcée à l’encontre d’une personne qui aurait établi des liens avec le Contrôleur général ou qui lui aurait fourni des informations ou des pièces.

En pratique, la suppression de la peine d’emprisonnement interdira le placement en garde à vue de l’intéressé, mais n’empêchera pas les poursuites devant le tribunal correctionnel. L’Assemblée nationale a jugé qu’une peine d’emprisonnement n’était pas justifiée en l’espèce. En effet, il est sans doute temps – et le travail accompli par Mme la garde des sceaux depuis plusieurs mois nous y invite – de cesser de considérer la peine d’emprisonnement comme la peine de référence pour toute infraction pénale.

Dans ce cas particulier, la suppression de la peine d’emprisonnement a toutefois fait réagir plusieurs membres de la commission, qui ont considéré nécessaire de marquer la gravité que revêt pour le législateur le fait de faire entrave aux missions du Contrôleur général. J’insiste également sur un point : la suppression pour ce délit particulier de la peine d’emprisonnement ne doit pas laisser penser que l’entrave à l’action du Contrôleur général des lieux de privation de liberté serait moins grave, par exemple, que l’entrave à l’action de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL. Aujourd’hui, les différents délits d’entrave prévus par notre droit sont punis de peines différentes. Par cohérence, il serait sans doute souhaitable de repenser dans un avenir proche ces peines et de les aligner sur un quantum commun.

Cinquièmement, sur l’initiative de notre collègue député Sergio Coronado, l’Assemblée nationale a modifié la loi du 30 octobre 2007 pour permettre expressément aux députés européens élus en France de saisir le Contrôleur général des lieux de privation de liberté – vous l’avez souligné à juste titre, madame la garde des sceaux.

Sur ma proposition, la commission des lois a approuvé ce qui a été fait par l’Assemblée nationale pour compléter et pour renforcer le contenu du texte. Tout cela concourt en effet à consolider l’institution du Contrôleur général, qui, en six ans d’exercice, a apporté la preuve de son utilité et de sa légitimité en tant qu’autorité indépendante. De ce point de vue, l’expérience nous montre à quel point le Sénat a été bien inspiré en refusant l’intégration du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans l’institution qu’est le Défenseur des droits. Les missions de l’un et de l’autre sont non pas concurrentes, mais bien complémentaires. Elles mériteraient sans doute d’être mieux articulées. C’est le sens d’une convention signée en 2011 par les deux institutions.

Je tiens également, à mon tour, à rendre hommage à la manière dont Jean-Marie Delarue a contribué à façonner cette nouvelle institution, grâce à son sens du dialogue, à sa rigueur, à son attachement sans failles aux principes fondateurs de notre République et à son incontestable indépendance. Je forme le vœu que son successeur, dont la désignation devra être prochainement soumise à l’approbation des commissions des lois des deux assemblées, fasse preuve des mêmes qualités et inscrive ainsi dans la durée la légitimité de l’institution du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

À ce stade de l’examen parlementaire, nous avons estimé que cette proposition de loi comportait désormais l’ensemble des mesures nécessaires pour répondre aux difficultés ou lacunes identifiées au cours des six premières années de pratique. Le texte nous paraît parvenu à un équilibre satisfaisant. Il permettra de renforcer le dispositif de protection des droits des personnes privées de liberté, tout comme celui des conditions de travail des personnels qui en ont la charge et qui exercent trop souvent leur métier dans des conditions éprouvantes.

Compte tenu, en outre, de l’intérêt d’une entrée en vigueur rapide des dispositions de ce texte afin de permettre au successeur de Jean-Marie Delarue, dont le mandat arrive à expiration le 13 juin prochain, de s’en saisir pleinement, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de loi dans le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, ouvrant ainsi la voie à un vote conforme et à une promulgation rapide. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la loi du 30 octobre 2007 a mis en place une autorité administrative indépendante chargée de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, et plus spécifiquement de s’assurer du respect des droits fondamentaux de ces dernières.

Sur le principe, nous étions bien évidemment favorables à l’instauration d’un tel mécanisme national de prévention des traitements inhumains et dégradants, conformément à l’engagement pris par notre pays auprès des Nations unies le 16 septembre 2005.

Concernant cependant les modalités de sa mise en œuvre telles que décidées dans le projet de loi qui nous avait été soumis en 2007, nous avions formulé certaines critiques. Nous jugions en effet que l’on nous proposait un texte a minima et avions donc déposé un certain nombre d’amendements qui tendaient à faire de cette structure de contrôle une autorité incontestable, impartiale et indépendante, sur les plans tant politique que financier.

Depuis, les différents rapports de M. Jean-Marie Delarue ont également mis en exergue les faiblesses de cette institution. Leur présentation a été l’occasion de préconiser des mesures nécessaires pour conforter la place et le rôle du Contrôleur général, que personne ne songe aujourd’hui à remettre en cause.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit, comme l’a rappelé Mme Catherine Tasca, qui en est à la fois l’auteur et le rapporteur, de reprendre un certain nombre de ces recommandations, afin précisément de renforcer le cadre légal de l’action du Contrôleur général, de pallier les difficultés rencontrées par ce dernier dans l’exercice de ses missions, d’aligner un certain nombre de ses prérogatives sur celles qui ont été attribuées, postérieurement à sa création, à certaines autorités indépendantes, en particulier au Défenseur des droits, et de consacrer dans la loi un certain nombre de bonnes pratiques mises en place par M. Delarue depuis son entrée en fonctions, afin de les pérenniser.

L’Assemblée nationale a encore amélioré le texte voté voilà quelques semaines par notre assemblée. Outre qu’il aura la possibilité de prendre connaissance des procès-verbaux de garde à vue, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté pourra aussi consulter les procès-verbaux de déroulement de la retenue pour vérification du droit au séjour d’une personne de nationalité étrangère ou encore les procès-verbaux de retenue douanière, ce que nous approuvons évidemment.

Avec le texte tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté pourra aussi s’adresser aux autorités responsables des avis sur les projets de construction, de restructuration ou de réhabilitation de tout lieu de privation de liberté. Permettez-moi de le dire, son avis aurait été utile lors de l’examen en 2012 de la loi de programmation relative à l’exécution des peines. Ce texte a en effet permis la mise en place, sous forme de partenariat public-privé, d’un nouveau programme immobilier destiné à porter les capacités du parc pénitentiaire à 80 000 places, ce en totale contradiction avec la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et la priorité affirmée alors de l’aménagement des peines de prison, en particulier des plus courtes d’entre elles.

Je rappelle à ce sujet que nous avons déposé une proposition de loi visant à abroger cette loi de 2012, contre laquelle l’ensemble de la gauche s’était prononcée.

Nonobstant cette parenthèse, nous approuvons, je le redis, l’ensemble des dispositions figurant dans la présente proposition de loi.

L’action du Contrôleur général contribue à alerter sur la situation des personnes privées de liberté dans notre pays. La publication des nombreux avis et rapports nous rappelle que la situation des prisons françaises, qui a motivé la mise en place de cette nouvelle autorité en 2007, a finalement peu évolué. Malheureusement, les constats demeurent trop souvent les mêmes : surpopulation carcérale et situation alarmante dans le secteur psychiatrique, les centres de rétention ou les zones d’attente.

Pour que le travail du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ne reste pas lettre morte, il relève de la compétence du législateur d’agir pour que la loi pénitentiaire soit appliquée réellement dans son intégralité.

Je souhaite ainsi que le Parlement puisse renforcer les dispositions de la réforme pénale, dont nous débattrons bientôt, afin qu’il soit définitivement mis fin, dans notre pays, à des conditions de détention trop souvent indignes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)