compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Patrick Courtois

vice-président

Secrétaires :

M. Alain Dufaut,

M. Jacques Gillot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt de rapport

M. le président. M. le président du Sénat a reçu le 21 mai 2014 de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente de la commission d’enquête sur les modalités du montage juridique et financier et l’environnement du contrat retenu in fine pour la mise en œuvre de l’écotaxe poids lourds, un rapport fait par Mme Virginie Klès, rapporteur, au nom de cette commission d’enquête (créée le 27 novembre 2013, sur l’initiative du groupe socialiste et apparentés, en application de l’article 6 bis du règlement).

Ce dépôt sera publié au Journal officiel, édition « Lois et Décrets », de demain, jeudi 22 mai. Cette publication constituera, conformément au paragraphe III du chapitre V de l’instruction générale du Bureau, le point de départ du délai de six jours nets pendant lequel la demande de constitution du Sénat en comité secret peut être formulée.

Ce rapport sera publié sous le numéro 543, le 28 mai 2014, sauf si le Sénat, constitué en comité secret, décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie de ce rapport.

3

Débat sur le climat et l'énergie en Europe

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe écologiste, le débat sur le climat et l’énergie en Europe.

La parole est à M. Ronan Dantec, au nom du groupe écologiste. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. Jean-Claude Lenoir. Tout cela est bien prématuré, chers collègues ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Nous faisons confiance à M. Dantec !

M. Jean-Vincent Placé. Notre avis est a priori favorable !

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat que nous engageons cet après-midi est – je pense que nous en sommes tous convaincus – d’une importance essentielle.

Les réponses que nous apporterons sur les problématiques énergétiques sont au cœur de l’avenir du projet européen. Plus largement encore, elles diront notre ambition, notre stratégie et notre capacité collective à participer à une véritable régulation mondiale, sur le développement économique et le changement climatique, autrement dit sur la paix mondiale.

Pour l’Europe, les enjeux sont parfaitement connus.

Tout d’abord, il s’agit d’assurer l’autonomie énergétique du continent, toujours très dépendant des importations d’énergies fossiles. L’Union européenne importe 40 % de son charbon, 60 % de son gaz et 80 % de son pétrole. En 2012, la facture énergétique de l’Union européenne était de 428 milliards d’euros. En France, la même année, le déficit de la balance énergétique s’établissait ainsi à plus de 68 milliards d’euros, tandis que le déficit de la balance commerciale globale s’élevait à 67,2 milliards d’euros.

On voit avec ces chiffres que le déficit de la balance commerciale globale de la France est du même ordre de grandeur que celui de la balance énergétique. Autrement dit, si nous étions autonomes en énergie, notre balance commerciale serait à l’équilibre.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Ronan Dantec. L’économie européenne souffre de cette dépendance énergétique, qui a renforcé, ce n’est peut-être pas assez dit, l’évolution d’un capitalisme industriel vers un capitalisme financier, dont nous subissons chaque jour le cynisme.

Mme Évelyne Didier. Très bien !

M. Ronan Dantec. Il faut en effet le souligner, une part très importante des ressources des grands fonds souverains et spéculatifs est alimentée, en plus de l’épargne des fonds de pension américains, par ces immenses masses financières que suscite l’achat, par les pays développés, des matières premières énergétiques dont ils ont besoin.

Cette dépendance aux énergies fossiles n’est évidemment pas non plus sans conséquence sur nos stratégies géopolitiques, tant nous devons ménager les pays exportateurs, avec, qui plus est, des différences notables de fournisseurs, donc des intérêts différents, entre les pays européens.

La crise ukrainienne est là aujourd’hui pour souligner cette dépendance et cette difficulté d’une stratégie européenne commune. Je crois néanmoins qu’un consensus existe aujourd’hui en Europe pour considérer que l’avenir économique du continent passe par la réduction de sa dépendance aux importations d’énergies fossiles et qu’il s’agit d’une priorité en termes d’emploi. Il s’agit donc de traduire cet objectif en une politique européenne de l’énergie, cohérente, volontariste et aux conséquences bénéfiques bien au-delà du champ de l’énergie.

Le deuxième enjeu est évidemment la réponse à la crise climatique, dont l’extrême gravité est plus visible chaque jour.

Le dernier rapport du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, a souligné que nous allions vers des événements extrêmes de plus en plus graves. Chaque semaine, l’actualité nous en donne des exemples : j’ai, moi aussi, une pensée pour ceux qui sont aujourd'hui touchés par les inondations en Bosnie.

Ce rapport précise particulièrement les graves conséquences du changement climatique sur la sécurité alimentaire dans les pays du Sud : « Tous les aspects de la sécurité alimentaire sont potentiellement affectés par le changement climatique ». La production de blé, de maïs et de riz devrait être touchée d’ici à la fin du siècle, quel que soit le niveau de réchauffement.

Soyons clairs, à ce niveau et avec cette rapidité, le changement climatique déstabilise profondément bien des pays, et pas seulement les plus pauvres. Il réduira tous les efforts de développement, aggravera tensions, guerres civiles et terrorisme. Ce n’est pas pour rien si ce sont les agences de sécurité et l’armée qui, aux États-Unis, sont les principaux défenseurs d’un accord climatique ambitieux.

Le troisième enjeu est la précarité énergétique, qui s’aggrave à mesure que le coût de l’énergie augmente. Aujourd’hui, quelque 3,8 millions de ménages de France métropolitaine ont un taux d’effort énergétique supérieur à 10 % de leur revenu…

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Ronan Dantec. … tandis que 3,5 millions d’autres déclarent souffrir du froid dans leur logement.

Selon le Comité économique et social européen, la pauvreté énergétique aurait touché 50 millions d’Européens en 2013.

Les conséquences sont multiples : le frein à la mobilité a un impact sur l’emploi, le manque de chauffage affecte l’hygiène, la santé ; c’est aussi une cause importante de surendettement, les personnes concernées étant condamnées à des arbitrages indignes d’une société développée : manger ou se chauffer, se chauffer ou s’endetter. Cette urgence doit figurer en tête de nos priorités politiques.

La réponse à ces différents enjeux ne peut être uniquement nationale. Nous nous félicitons donc du discours tenu par François Hollande sur la nécessité d’une approche européenne de ces questions, par exemple dans sa tribune publiée dans Le Monde du 6 mai, où il déclarait : « La crise ukrainienne doit encore accélérer l’Europe de l’énergie pour sécuriser nos approvisionnements, maintenir des prix compétitifs et lutter contre le réchauffement climatique ».

Nous devons saluer une approche qui amorce une évolution par rapport à cette fameuse tradition française, une fondée depuis les années soixante sur un choix unique au monde et qui est sans nul doute aujourd’hui une des grandes fragilités économiques de la France, le choix – vous l’aviez reconnu – du tout-nucléaire.

À l’heure où la quasi-totalité des États qui nous entourent ferment leurs centrales nucléaires (Marques d’improbation sur les travées du RDSE.), réinscrire la France dans l’Europe de l’énergie n’était donc pas si simple. Il fallait se dégager d’une mentalité de village gaulois assiégé, craignant de voir déferler sur lui les légions des grandes multinationales européennes de l’électricité qui veulent en finir avec notre Obélix national, certes tombé dans le chaudron d’une potion magique à l’uranium enrichi, mais quand même bien trop isolé pour lutter contre une telle coalition.

Depuis l’élection de François Hollande, cette inscription de la France dans une stratégie énergétique européenne est devenue une constante du discours présidentiel, qu’il faut souligner et soutenir.

Ainsi, dans le cadre du débat national sur la transition énergétique, Delphine Batho avait tenu à inviter le ministre allemand de l’énergie de l’époque, Peter Altmaier, qui était venu souligner à Paris le destin lié des modèles énergétiques et électriques des deux pays et rappeler que c’est sur l’énergie et sur la CECA, la Communauté européenne du charbon et de l’acier, que s’était construite l’Europe.

Le Président de la République a depuis lors évoqué un projet « d’Airbus de l’énergie ». Celui-ci n’a pas été vraiment précisé, mais on voit bien qu’une volonté existe, s’affiche, et qu’il faut donc la transformer en actes concrets.

Aujourd’hui, il faut passer des déclarations aux décisions. Pour cela, nous avons besoin d’une stratégie européenne forte. Nous sommes à un moment clef pour la définition de cette stratégie, puisque l’Union européenne est en train de discuter de ses objectifs énergie-climat pour 2030, lesquels prendront la relève du paquet énergie-climat de 2008 et du fameux « 3x20 » du paquet 2020 : une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, une amélioration de 20 % de l’efficacité énergétique et une part de 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie.

La Commission européenne a présenté en janvier dernier sa première copie, qui devait être adoptée par le Conseil européen de mars dernier. L’actualité ukrainienne et bien d’autres considérations liées au calendrier politique européen ont quelque peu bouleversé l’ordre du jour, et les chefs d’État ont reporté les discussions au Conseil européen d’octobre prochain. Madame la ministre, ce sera un rendez-vous particulièrement important.

Les propositions qui sont aujourd’hui sur la table ne brillent malheureusement pas par leur ambition.

Premièrement, il est prévu une baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, soit un niveau insuffisant pour s’inscrire dans la trajectoire d’une réduction de 80 % à 95 % en 2050. Cet objectif ne nécessite guère d’augmenter l’effort, tant c’est aujourd’hui, à peu de chose près, la pente européenne naturelle de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Deuxièmement, la part des énergies renouvelables dans la consommation finale serait fixée à 27 %. Cet objectif n’est pas décliné en objectifs nationaux, et il est très en dessous de ce qui est potentiellement réalisable. Nous ne nous expliquons pas l’absence de volontarisme des négociateurs français sur ce point, sachant que, sans objectifs nationaux précis, les efforts risquent d’être faibles et disparates.

Troisièmement, et enfin, aucun objectif n’est défini en termes de réduction de la consommation d’énergie dans l’attente de la révision par la Commission européenne, après la compilation des plans nationaux qui lui sont actuellement envoyés, de la directive sur l’efficacité énergétique de 2012.

Sur cet objectif de 2030, les discussions portent aujourd’hui sur des scénarios allant de 25 % à 40 % de réduction de la consommation, mais, même dans le cas où un objectif de 40 % serait retenu, ce serait bien en dessous du potentiel. J’espère que vous nous rassurerez, madame la ministre, sur la volonté de la France de soutenir des objectifs particulièrement ambitieux.

Les eurodéputés écologistes regrettent aujourd'hui ce manque d’ambition. Ils ont porté une tout autre vision lors des discussions sur la résolution du Parlement européen en février dernier.

Nous proposons d’inverser la logique : l’objectif de réduction de la consommation d’énergie doit être le point de départ de la stratégie sur la part des énergies renouvelables – si la consommation finale est réduite, la part de celles-ci augmente mathématiquement –, puis de celle de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce dernier objectif est renforcé par les deux premiers s’ils sont ambitieux.

Les écologistes proposent donc une réduction de 40 % de la consommation d’énergie primaire par rapport à 2010, ce qui équivaut à 47 % par rapport aux projections pour 2030 utilisées par la Commission européenne ; par ricochet, un objectif d’au moins 45 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale. Tout cela entraîne mathématiquement une réduction de 60 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990.

On comprend bien que, sans ces trois objectifs contraignants et déclinés à l'échelle nationale, nous ne pourrons pas répondre au défi climatique. S’il ne vous est peut-être pas possible de nous livrer dès aujourd’hui la position de la France dans le cadre des négociations européennes de l’automne prochain, nous voudrions néanmoins, madame la ministre, que vous nous rassuriez, car la France ne s’est jusqu’à présent guère différenciée des propositions de la Commission européenne, pourtant notoirement insuffisantes.

J’aimerais m’arrêter un moment sur la question plus précise de la directive sur l’efficacité énergétique, l’un des trois piliers du « 3x20 ». Cette directive a été adoptée en 2012, à la suite d’un excellent travail réalisé par son rapporteur, notre collègue écologiste luxembourgeois, Claude Turmes.

J’en profite pour signaler qu’il y a aujourd'hui une nouvelle ministre écologiste de l’environnement au Luxembourg, Mme Carole Dieschbourg. Ce n’est pas rien, quand on sait que le Luxembourg présidera l’Union européenne pendant les négociations climatiques. Elle sera un soutien pour obtenir un accord ambitieux à Paris.

Conformément à ce qui était prévu, la France a remis à la fin du mois d’avril dernier à la Commission européenne son programme national d’amélioration de l’efficacité énergétique, le PNAEE, qui détaille la déclinaison nationale de la directive. Si l’on peut saluer le fait que la France ait remis ce document dans les temps, ce qui n’a pas toujours été le cas dans le passé, plusieurs éléments suscitent des interrogations.

Tout d’abord, la France se fixe le double objectif, conformément à l’article 3 de la directive, de réduire sa consommation énergétique à 131,4 millions de tonnes équivalent pétrole, ou TEP, d’énergie finale et à 236,3 millions de tonnes équivalent pétrole d’énergie primaire en 2020. L’article 2 de la directive précise que l’expression « consommation d’énergie primaire » s’entend comme la « consommation intérieure brute, à l’exclusion des utilisations non énergétiques ».

Or, dans le tableau de ventilation sectorielle des consommations d’énergie en 2020, on constate que la valeur de 236,3 inclut la consommation finale non énergétique, qui s’élève à 16 millions de tonnes équivalent pétrole. J’espère que vous me suivez, mes chers collègues ! (Sourires.)

Au sens de la directive, l’objectif de la France en consommation d’énergie primaire en 2020 devrait donc être de 220 millions de tonnes équivalent pétrole. Pourriez-vous nous éclairer, madame la ministre, sur la façon dont a été réalisé ce calcul, sans trop entrer dans les détails techniques ? Pourquoi semble-t-il contredire les règles fixées par la directive elle-même, qui réduit de fait – le diable est toujours dans les détails – notre effort de réduction de consommation d’énergie ?

Par ailleurs, le PNAEE mise particulièrement sur l’efficacité énergétique des bâtiments, en lien avec les objectifs très ambitieux annoncés par le gouvernement français : rénovation thermique de 500 000 logements par an d’ici à 2017, dont 380 000 rénovations par an dans l’habitat privé et 120 000 dans le logement social. Il nous semble pourtant que si le niveau d’ambition de ces objectifs est louable, les moyens nécessaires, normatifs et financiers, ne sont pas mis à disposition pour les atteindre.

Nous allons avoir rapidement des indications sur ce point, avec la publication, dans les prochains jours, du texte du projet de loi sur la transition énergétique. Je reste comme toujours optimiste quant à l’ambition de la loi, mais je saisis l’occasion de rappeler ici que, sans ces mesures financières et réglementaires, la France n’atteindra pas ses objectifs européens en termes d’efficacité énergétique.

Justement, avec les informations qu’elle a déjà reçues, la Commission européenne estime que la réduction de la consommation d’énergie finale dans l’Union en 2020 sera de 17 %, donc un taux inférieur à l’objectif de 20 % qui a été fixé. On voit donc bien que, s’il faut insister pour définir des objectifs ambitieux pour 2030, il ne faut pas non plus baisser la garde sur les objectifs pour 2020, y compris dans le débat climatique. Ce que nous ferons entre 2015 et 2020, date d’application du nouvel accord, sera tout à fait essentiel.

Mes chers collègues, je voulais vous sensibiliser sur le fait que c’est bien d’ici à l’automne prochain que se décideront en partie, lors de la négociation européenne, les objectifs pour l’Europe, donc la crédibilité de celle-ci dans la négociation climatique.

À ce propos, et ce sera l’une des questions de la conférence sur le climat de Paris, il est plus que temps d’engager une véritable réforme du système européen d’échange de quotas d’émissions, pour faire remonter le prix de la tonne carbone. Les écologistes avaient approuvé l’adoption en 2013 du report de la mise aux enchères, ou backloading, de 900 millions de tonnes de quotas jusqu’à 2019-2020. Cette mesure d’urgence était nécessaire, mais elle est bien loin d’être suffisante, puisque le prix de la tonne est toujours à 5 euros !

De l’aveu même de la Commission européenne, il y a un excédent de plus de 2 milliards de tonnes de quotas sur le marché du carbone européen. Sa proposition de régler une partie du problème par la mise en place d’une réserve de stabilité du marché au début de la prochaine période d’échange de quotas d’émissions ne résoudra probablement rien.

C’est une réforme structurelle du marché dont nous avons besoin. L’Allemagne plaide d’ailleurs pour aller plus loin et plus vite pour réguler le marché et faire remonter le prix de la tonne carbone, consciente que, avec un prix du carbone si faible, le charbon restera l’énergie la plus compétitive et qu’il sera donc très difficile d’atteindre ses objectifs climatiques. La position de nos voisins allemands est donc la suivante : on ne peut pas attendre 2020 pour agir.

Faire remonter de toute urgence le prix de la tonne carbone est également une réclamation des grands énergéticiens européens, notamment français, qui se lamentent des atermoiements européens sur ce point.

Ces atermoiements sont notamment dus aux blocages des groupes libéraux et conservateurs au Parlement européen, dont les leaders ne sont pas les derniers à déclarer, la main sur le cœur, l’urgence de l’action climatique, mais ne perdent pas une occasion de torpiller, dans les couloirs et les hémicycles, toute ambition européenne en la matière !

Mme Corinne Bouchoux. Tout à fait !

M. Ronan Dantec. Pourtant, sauver le marché du carbone européen, c’est aussi renforcer la compétitivité de nos grands groupes déjà résolument impliqués dans la transition énergétique, tout en renforçant nos chances d’atteindre nos objectifs climatiques en rendant le charbon trop cher, et plus encore le gaz de schiste. Nous devrions chercher ici des points de consensus, y compris en aidant les Polonais à se dégager du charbon. C’est par le renforcement de la solidarité européenne que nous avancerons, et non par la stigmatisation. Cela impliquerait aussi un véritable budget européen. On le voit, tout est lié.

Je le souligne, le marché carbone est une occasion de dégager des financements plus importants pour les États membres, la recette ETS tombant directement dans les caisses des États. Ces derniers pourraient utiliser ces sommes pour financer la transition énergétique et peut-être abonder le fameux Fonds vert, les 100 milliards de dollars pour le Sud promis sur un coin de table lors d’une négociation nocturne, une nuit de 2009 à Copenhague.

La solidarité avec les pays en développement, en leur donnant des moyens à la hauteur des problèmes d’atténuation et d’adaptation auxquels ils font face, sera un élément clef du futur accord de Paris en 2015. Nous ne devons jamais le perdre de vue.

La taxation des transactions financières, sur lesquelles les écologistes ont toujours été très mobilisés – vous le savez, mes chers collègues –, constitue une autre piste de financement dans un contexte de dépenses publiques extrêmement contraintes. Nous avions quelques espoirs en la matière. Onze États membres viennent de s’engager à lancer une taxe sur les transactions financières européennes. Après avoir été motrice sur ce point, la France semble aujourd’hui plus mesurée. Pouvez-vous, madame la ministre, nous rassurer ou, au moins, nous éclairer sur ce point ?

Cette approche européenne des enjeux énergétiques nécessite une logique de planification moins autocentrée, moins franco-française.

Il faut, par exemple, renforcer les interconnexions des réseaux électriques aux frontières et mettre en place, à l’échelle de l’Europe, des mécanismes visant à assurer le maintien d’une capacité de production électrique suffisante pour faire face aux pointes de consommation. On estime qu’une approche européenne du mécanisme de capacité diviserait les coûts par deux.

Cette logique d’intégration est connue. Interconnexion et marché commun de capacités réduiront les besoins d’installation en puissance supplémentaire – c’est l’intérêt général –, mais ils mettront aussi en évidence plus rapidement les surcapacités électriques, plus particulièrement dans un contexte européen, et maintenant français, de montée en puissance rapide des énergies renouvelables. Ils contribueront à accélérer la fermeture inéluctable de centrales nucléaires sans débouchés pour leur production.

Madame la ministre, l’hypothèse de la fermeture de 20 tranches nucléaires en France à l’horizon de 2025 est aujourd’hui assumée par votre ministère, et je me réjouis que vous ayez, encore hier, confirmé les grands objectifs du Président de la République, mais – le diable est toujours dans les détails – dans des décisions prises dans un temps et des périmètres différents.

J’attire notamment votre attention sur le fait que les décrets actuellement en discussion en France sur le futur mécanisme de capacité devront être compatibles avec la volonté d’intégration européenne, et non continuer de participer d’une ligne Maginot de la politique électrique française, dont on connaît les conséquences à terme sur la fragilisation de notre économie.

Je ne vous demande évidemment pas de m’apporter cette après-midi des réponses techniques précises sur ces sujets, madame la ministre, mais je tiens à rappeler à quel point, dans ce débat, il faut toujours de la cohérence entre les grands objectifs et les décisions techniques les plus précises.

De même, mais je n’ai pas le temps de m’attarder sur ces points, il nous faudrait analyser les conséquences précises des dernières directives sur le soutien financier aux énergies renouvelables, voire revenir sur la question des concessions hydrauliques – un dossier auquel vous êtes tout particulièrement attentive – dans le cadre des réglementations européennes.

Quand on tire le fil – électrique ! (Sourires.) – de l’ensemble des enjeux liés à l’énergie, le débat devient d’une grande complexité : chaque décision, même minime, doit être vue à l’aune de la vision d’ensemble, de nos priorités principales. Tel sera aussi l’enjeu de la future loi sur la transition énergétique.

En conclusion, je sais que vous êtes, madame la ministre, très engagée dans cette approche positive de la transition écologique et énergétique. Il y va de l’emploi et du développement des filières économiques.

Dans le domaine de la recherche sur l’énergie solaire, le stockage de l’électricité, l’éolien off shore, la France est forte, d’autant que nous voyons – enfin ! – nos grands leaders industriels du secteur énergétique investir dans ces domaines d’avenir.

Défendre, par exemple, un objectif européen de 30 % d’énergies renouvelables en 2030, c'est offrir la quasi-garantie de la création d’un million d’emplois en Europe. À l’échelle mondiale, un accord sur le climat représente une dynamique forte, y compris pour l’accès à l’énergie propre et renouvelable dans les pays du Sud. Ce sont des marchés considérables, sur lesquels nous devons être présents.

C’est donc la nécessité de construire un leader européen du photovoltaïque, qui serait adossé à un secteur de recherche où la France est en « pole position ». C’est également la restructuration des filières éoliennes, terrestres et offshore, qui sont aujourd'hui la réponse énergétique clef en Europe, avec un mégawattheure éolien terrestre nettement moins cher que le nucléaire. C’est donc une véritable stratégie industrielle, coordonnée au niveau européen, qu’il faut construire dans un délai court. Nous avons perdu trop de temps à nier, en restant bloqués dans la bulle du tout-nucléaire, la force de cette mutation mondiale du paradigme énergétique.

Je terminerai en évoquant le cas d’Alstom. Je suis aujourd’hui très inquiet pour l’avenir de la filière éolienne de cette entreprise en Basse-Loire, illustration de nos faiblesses et de nos retards. Je ne vous demanderai évidemment pas, madame la ministre, quel choix le Gouvernement a retenu entre Siemens et General Electric.

Notons néanmoins que, pour cette technologie spécifique, la modeste filière de fabrication en Basse-Loire n’aura guère de poids face aux très grandes usines du nord de l’Europe… Et dans le cas d’un rapprochement prévisible avec Areva, qui a développé au Havre une autre unité de fabrication et une autre technologie, la question de l’emploi dans l’éolien offshore en Basse-Loire serait posée.

Cela montre l’ampleur du retard que nous avons pris en la matière. Celui-ci ne se rattrapera pas, mais nous ne devons plus nous laisser distancer du fait d’entreprises trop petites et souvent en concurrence les unes avec les autres.

Je compte donc, madame la ministre, sur votre engagement résolu sur ces questions. C’est l’avenir de la France et de l’Europe qui se joue ici ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la ministre, je veux tout d’abord remercier mes collègues écologistes d’avoir manifesté tant d’enthousiasme au moment où je suis monté à la tribune ! (Rires.)