M. Jean-Vincent Placé. C’est un malentendu, cher collègue !

M. Jean-Claude Lenoir. Certes, je ne peux exclure que cet enthousiasme vous ait été inspiré par l’intervention précédente… (Mêmes mouvements.)

Chers collègues écologistes, en prenant connaissance du sujet du débat qui a été inscrit à l’ordre du jour d’aujourd'hui, je n’ai pas manqué de sourire. En effet, vous nous avez invités à un échange sur « le climat et l’énergie en Europe ». Par là même, vous nous offrez une magnifique occasion de souligner les acquis, les avantages et les atouts de la France dans ce domaine, mais aussi de dénoncer un certain nombre d’errements, fruits de choix malheureux faits par d’autres pays. (M. Ronan Dantec s’exclame.)

Madame la ministre, permettez-moi de formuler un certain nombre d’observations, que certains pourront interpréter comme des recommandations par rapport à ce que pourrait être la position de la France dans le débat européen sur ces questions.

Il convient avant tout de souligner l’avance incontestable qu’a prise la France dans la lutte contre les gaz à effet de serre et les émissions de CO2.

M. Jacques Mézard. Tout à fait !

M. Jean-Claude Lenoir. Cette avance se traduit par un chiffre : les émissions de CO2 et de gaz à effet de serre par habitant s’élèvent à environ 7 000 tonnes en France, contre 12 000 tonnes en Allemagne. Dès lors, chers collègues, lorsque vous dénoncez les gaz à effet de serre et les émissions de CO2, demandez-vous si l’Allemagne a fait les bons choix !

L’avance dont dispose la France nous permettra d’aborder avec sérénité la question de la transition énergétique et de la recherche d’une meilleure efficacité.

Par ailleurs, contrairement à ce qu’a affirmé l’orateur qui m’a précédé à cette tribune, la consommation d’électricité va augmenter.

M. Jacques Mézard. Tout à fait !

M. Ronan Dantec. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Claude Lenoir. Cher collègue, toute votre démonstration tendait à préconiser une politique calquée sur celle de l’Allemagne. En effet, 40 % d’énergie primaire en moins, c’est la politique de l’Allemagne !

M. Jean-Claude Lenoir. Or nous avons pu estimer que, en France, d’ici à 2050, la consommation d’électricité allait augmenter de 20 %, à raison de 0,5 % par an.

M. Ronan Dantec. C’est faux !

M. Jean-Claude Lenoir. Cette augmentation tient à des raisons évidentes, qui sont d’abord démographiques, et qui différencient notre pays de l’Allemagne. Elle est également liée au recours à un certain nombre de nouvelles technologies consommant beaucoup d’électricité ; je pense notamment à tout ce qui concerne le numérique et l’informatique. Enfin, on peut constater des transferts du fioul et du pétrole vers d’autres usages. Ainsi, une politique ambitieuse de transport par véhicules électriques nécessitera davantage d’électricité.

Bien entendu, nous devons privilégier les filières qui émettent le moins de CO2 et de gaz à effet de serre. À cet égard, puisque vous vous référez, sans le dire, à l’Allemagne, je me permets de rappeler que l’électricité produite dans ce pays entraîne six fois plus d’émissions de CO2 et de gaz à effet de serre qu’en France.

M. Jean-Claude Lenoir. L’Allemagne a fait le choix du charbon. Il y a encore quelques années, le charbon permettait d’y produire 30 % de l’électricité ; aujourd'hui, ce chiffre est passé à 40 %. De surcroît, il s’agit d’un charbon plutôt poussiéreux et très polluant : le lignite. (M. Raymond Vall opine.) Pour le reste, l’Allemagne a, notamment, recours au gaz. Voilà pourquoi l’Allemagne produit beaucoup de CO2 et de gaz à effet de serre ! (MM. Jean-Pierre Chevènement et Raymond Vall approuvent.)

Le comble, c’est que de nombreuses tonnes de ce charbon ont traversé l’Atlantique, vendues à bas prix par les États-Unis, qui disposent aujourd’hui d’autres ressources, que l’on appelle les gaz de schiste, et que, au final, par le jeu des transferts d’un pays à l’autre, cette électricité nous est revendue à des prix négatifs, c'est-à-dire qu’elle nous est offerte.

M. Jean-Claude Lenoir. Nous devons aussi avoir un système compétitif, susceptible de nous permette de disposer d’un avantage commercial.

Or, sur ce plan, les chiffres sont accablants. Nous les avions déjà évoqués lors d’un précédent débat avec votre prédécesseur, madame la ministre, mais je souhaite les citer de nouveau. On entend dénoncer le nucléaire, mais il faut savoir que les 58 réacteurs de deuxième génération construits en France ont coûté 96 milliards d’euros, en valeur 2014. Et ils produisent l’essentiel de notre électricité, il faut le rappeler ! Sur les 128 000 mégawatts installés en France, un peu plus de la moitié provient du nucléaire, lequel est à l’origine de 75 % de notre électricité.

Certes, l’Allemagne a beaucoup investi dans l’éolien et dans le photovoltaïque.

M. Jean-Claude Lenoir. Pour l’éolien, l’Allemagne a investi 40 milliards d’euros, pour une production de 20 térawattheures. En France, le parc nucléaire produit 400 térawattheures,…

M. Jean-Pierre Chevènement. Soit vingt fois plus !

M. Jean-Claude Lenoir. … pour une consommation globale d’environ 460 térawattheures.

Quant au photovoltaïque, il aura coûté en Allemagne quelque 112 milliards d’euros, pour une production de 12 térawattheures.

M. Gérard Longuet. C’est encore plus fou !

M. Jean-Claude Lenoir. Nous disposons donc d’un véritable avantage compétitif, que je n’entends pas voir dilapider au profit d’un certain nombre d’idées, plus proches d’idéologies que de programmes de gouvernement.

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Jean-Claude Lenoir. J’ajoute que l’électricité est, en France, à peu près deux fois moins chère qu’en Allemagne.

Madame la ministre, permettez-moi de vous adresser une recommandation toute particulière pour les discussions que vous allez mener sur le plan européen et pour la rédaction du projet de loi de programmation pour la transition énergétique.

L’Allemagne a inscrit dans sa loi la possibilité pour les électro-intensifs – les gros consommateurs d’électricité – de ne pas payer le transport d’électricité, lequel constitue une part importante de la facture. Le président de la Commission de régulation de l’énergie, la CRE, entendu il y a quelques semaines par une commission de l’Assemblée nationale, a annoncé une bonne nouvelle, à savoir que la CRE avait décidé, pour l’année 2014, de diminuer de 50 % le tarif du transport au profit des gros consommateurs. Cependant, il a souligné qu’il ne pouvait aller au-delà, faute de support législatif.

Madame la ministre, la voie est ouverte ! Dans l’intérêt de notre pays, je vous encourage vivement à examiner la solution qu’il propose : elle nous permettrait de donner aux entreprises françaises qui consomment le plus d’électricité un avantage comparable à celui que les Allemands ont réussi à accorder à leur propre patrimoine industriel.

M. Jean-Pierre Chevènement. C’est ça, le marché commun ! (Sourires sur les travées du RDSE.)

M. Jean-Claude Lenoir. Autre recommandation : nous devons capitaliser sur ce qui marche bien en France et sur les ressources éventuellement disponibles.

J’entendais tout à l’heure l’orateur du groupe écologiste parler du tout-nucléaire. Cher collègue, le tout-nucléaire n’a jamais existé ! Certes, le nucléaire représente une part importante dans la production d’électricité, mais aucun gouvernement, de droite comme de gauche, n’a jamais voulu produire toute l’électricité à partir du nucléaire. Au reste, si l’on suit ce raisonnement, il convient de dire que les Allemands ont fait le choix du tout-charbon, du tout-énergies fossiles,…

M. Gérard Longuet. C’est complètement marteau ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Claude Lenoir. … avec tous les inconvénients que j’ai rappelés tout à l’heure.

En France, nous avons un programme nucléaire : 58 réacteurs de deuxième génération et l’EPR de Flamanville, réacteur de troisième génération.

M. Jean Desessard. Qui est un peu cher, tout de même, cher collègue ! (MM. Ronan Dantec et Jean-Vincent Placé renchérissent.)

M. Gérard Longuet. Et pour cause ! C’est à cause de l’Allemagne !

M. Jean-Claude Lenoir. Devons-nous pour autant baisser les bras et renoncer à une filière qui a fait ses preuves,…

M. Jean-Claude Lenoir. … qui emploie autant de personnes et qui constitue une véritable référence dans beaucoup de pays ? Certes, des États ont renoncé au nucléaire, pour des raisons à caractère idéologique. Néanmoins, d’autres se préparent, au contraire, à accueillir des centrales nucléaires !

Dans ces conditions, convient-il que la France se retrouve au banc des accusés et ne puisse plus défendre les atouts de son industrie, au détriment de ces pays particulièrement demandeurs ?

M. Ronan Dantec. Mais particulièrement peu nombreux !

M. Jean-Claude Lenoir. Évidemment, une question se pose : l’avenir de Fessenheim.

Je passe sous silence l’un des engagements du parti socialiste, qui, avant les élections, avait prévu de supprimer vingt-quatre réacteurs d’ici à 2025. Chers collègues du groupe socialiste, je ne puis que vous féliciter de cet oubli ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Néanmoins, Fessenheim est devenu un trophée, brandi devant vos alliés écologistes – mais peut-être devrais-je plutôt parler, plutôt que d’alliés, de « voisins proches »…

M. Jean-Vincent Placé. Parlez plutôt de « même famille » !

M. Ronan Dantec. Ou de « dynamique » ! (Sourires sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. Jean-Claude Lenoir. Madame la ministre, votre prédécesseur avait été très clair à cette tribune : il avait déclaré que la centrale de Fessenheim serait fermée avant 2007 – autrement dit, dans deux ans !

Je me suis permis de lui indiquer – je n’en ferai pas de même avec vous, car je suis persuadé que vous êtes capable de réussir bien mieux que votre prédécesseur, sinon vous n’auriez pas été nommée à ce poste – que cela n’était pas possible, d’abord parce que des procédures doivent être respectées, auxquelles l’Autorité de sûreté nucléaire, l’ASN, veille.

M. Ronan Dantec. Absolument !

M. Jean Desessard. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Claude Lenoir. Au reste, que va devenir l’Alsace ? Fessenheim fournit 85 % de l’électricité dont la région a besoin ! Et je ne parle pas des emplois : plus de mille postes sont concernés sur le site, sans compter les emplois indirects.

Madame la ministre, permettez-moi de vous dire, mais je veux bien être démenti par les faits, que je suis convaincu que vous n’y arriverez pas. (M. Jean Desessard s’esclaffe.)

M. Gérard Longuet. Heureusement !

M. Jean-Claude Lenoir. En effet, la fermeture de Fessenheim serait une grave erreur. On entend dire parfois – ce sont des mots militants – qu’il s’agit d’une « vieille centrale ». (En effet ! sur les travées du groupe écologiste.) Or, chers collègues, il n’y a pas de « vieille centrale nucléaire » en France ! Toutes les centrales sont régulièrement modifiées dans leurs structures industrielles et mises aux normes pour répondre aux exigences de l’Autorité de sûreté nucléaire.

M. Ronan Dantec. Ce n’est pas vrai !

M. Jean Desessard. Et la cuve ? Et le réacteur ?

M. Jean-Claude Lenoir. Avec l’ASN, la France peut se vanter d’avoir une autorité incontestée, qui est certainement l’institution de ce type la plus respectée dans le monde. J’en veux pour preuve que l’ASN a été en mesure de produire les meilleures informations et les meilleurs diagnostics lors de l’accident de Fukushima.

S’agissant des ressources éventuellement disponibles, comment ne pas évoquer, fût-ce brièvement, la question des gaz de schiste ? (M. Roland Courteau s’exclame.)

Madame la ministre, le Parlement a voté une loi interdisant l’exploitation des gaz de schiste par fracturation hydraulique, loi promulguée le 13 juillet 2011.

M. Jean Desessard. Parlez-en à M. Jacob !

M. Jean-Vincent Placé. C’était sous Fillon et Copé !

M. Jean-Claude Lenoir. Cette loi comporte cependant des dispositions que le Gouvernement devrait respecter,…

M. Ronan Dantec. Il faudrait savoir !

M. Jean-Claude Lenoir. … et notamment celles qui permettent la poursuite des recherches et la réalisation d’expérimentations. Du reste, les recherches constituent un préalable nécessaire pour vérifier si de telles ressources en hydrocarbures se trouvent effectivement sous nos pieds.

M. Ronan Dantec. Je pensais que la priorité, c’était le changement climatique !

M. Jean-Claude Lenoir. J’en viens aux aspects plus spécifiquement européens de ces questions.

Madame la ministre, il faut remettre la réduction des gaz à effet de serre et de CO2 au centre de la politique européenne, car il s’agit bien de l’objectif essentiel.

Il apparaît que le marché du carbone est devenu complètement « plat ». En l’espace de huit ans, le prix de la tonne de carbone a été divisé par dix, passant de 30 euros en 2006 – je ne remonte pas plus loin, mais le prix avait été beaucoup plus élevé auparavant – à 3 euros aujourd'hui.

Il conviendrait de revoir l’architecture du marché de l'électricité en Europe.

Comme le président de la CRE l’a très pertinemment souligné lors de son audition devant une commission de l’Assemblée nationale, il est clair que la Commission européenne – mais les gouvernements des États membres sont également responsables – n’a pas cherché à rendre cohérentes la politique du climat et celle de l’énergie. L’incohérence est telle que deux voies parallèles sont suivies par des équipes complètement différentes :…

M. Ronan Dantec. C’est tout le problème !

M. Jean-Claude Lenoir. … certains se sont préoccupés de fixer des objectifs dans le domaine du climat, tandis que d’autres se sont attachés à organiser le marché de l'électricité. On peut avancer que les deux équipes ne se sont pas vraiment parlé... (M. André Gattolin s'exclame.)

Aujourd'hui, nous avons donc besoin de cohérence au niveau européen et nous devons susciter l’émergence d’une véritable force européenne dans le domaine de l’énergie.

Cette force, madame la ministre, doit s'appuyer sur quelques idées simples.

D’abord, il faut des filières efficaces, sur le plan économique comme sur le plan environnemental. Le rapport coût-efficacité est déterminant. Nous avons le devoir d’apporter à nos concitoyens une énergie aussi propre que possible. De ce point de vue, je le dis avec beaucoup de fermeté, la France n’a aucune leçon à recevoir : elle pourrait au contraire en donner si l’on voulait bien l’entendre ! Quant au coût, il doit être tel que l'électricité soit accessible au plus grand nombre. Car la précarité énergétique est une affaire importante, qui mérite d’être traitée avec beaucoup d’attention.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Évelyne Didier. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Claude Lenoir. Le temps me manque malheureusement pour évoquer ce point plus longuement.

Pour que l'Europe ait une véritable politique, il faut d’abord renforcer les réseaux.

On parle beaucoup de l’énergie éolienne provenant d'Allemagne. S'est-on attardé sur le sentiment des populations traversées par ces réseaux ? Outre-Rhin, dans certains Länder, on voit se mobiliser des personnes qui ne supportent pas l’érection de pylônes au profit de régions du Sud de l'Allemagne, ou de la France.

La France achète aujourd'hui des quantités importantes d'électricité. Cependant, comme je le disais tout à l'heure, elle ne l’achète pas véritablement : le prix est négatif, ce qui signifie qu’on la lui donne ! Et cela pour la simple raison que l’électricité produite par des éoliennes et des panneaux photovoltaïques doit être consommée immédiatement, ou évacuée immédiatement.

M. Gérard Longuet. Eh oui ! On ne peut pas la stocker !

M. Jean-Claude Lenoir. C’est ainsi que cette électricité est finalement offerte au consommateur français ! Ce n’est pas du tout, comme je l’ai entendu dire dans une autre enceinte, parce que les énergies renouvelables sont si compétitives que l’Allemagne peut en régaler ses voisins ! La réalité, c’est que cette électricité a finalement obligé l’Allemagne à éteindre des centres de production, y compris des centrales à gaz récemment construites et très performantes. Du reste, c’est également vrai pour la France.

J’en terminerai, madame la ministre, en disant simplement que, si vous voulez une véritable politique européenne de l’énergie, il faut tout faire pour soutenir la recherche et l’innovation.

M. Jacques Mézard. Tout à fait !

M. Jean-Claude Lenoir. C'est indispensable pour développer les filières technologiques les plus performantes et les moins polluantes, ainsi que pour avancer sur le stockage de l'électricité.

Vous vous êtes exprimée la semaine dernière à ce sujet devant la commission des affaires économiques. Des solutions existent. Je rappelle que, grâce au nucléaire, on alimente en électricité des stations de pompage – cela représente 6 000 mégawatts – lorsque la consommation est réduite, par exemple la nuit, ce qui permet de faire remonter de l’eau afin de la stocker dans des réservoirs, laquelle eau est utilisée ensuite, en faisant simplement jouer la gravitation, pour produire de l’électricité pendant les périodes de consommation plus forte.

M. Jean Desessard. C’est aussi grâce au prix négatif de l’électricité achetée à l’Allemagne !

M. Jean-Claude Lenoir. Voilà, madame la ministre, les quelques observations et recommandations que je souhaitais vous soumettre. J’ai, d’une façon très modeste, essayé de contribuer à l’édification d’une vraie politique ambitieuse dans le domaine de l’énergie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, du RDSE et de l'UDI-UC.)

M. Gérard Longuet. Mais essayé avec talent et compétence !

M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.

Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d'abord à remercier ceux qui sont à l’initiative de ce débat, organisé un an et quelques mois avant la prochaine conférence sur le climat, qui se tiendra en France.

Je rappelle que l’objet de ce débat est le climat et l’énergie en Europe, et non pas seulement l’énergie en France.

Même s'il ne se trouve pas ici de « climatosceptiques », il me paraît utile de revenir sur ce que nous dit la science.

La science nous dit qu’il ne faut pas dépasser un réchauffement de 2 degrés Celsius par rapport à l’ère préindustrielle.

M. Gérard Longuet. C'est le GIEC qui le dit !

Mme Chantal Jouanno. Elle nous dit aussi – le dernier rapport du GIEC l’a clairement confirmé – que nous avons déjà un « acquis » de 0,8 degré et que nous nous situons aujourd'hui sur une trajectoire conduisant à une argumentation de 4 degrés à la fin du siècle.

Elle nous dit encore que, durant l’ère glaciaire, la température moyenne ne se situait que 4,5 degrés au-dessous de la moyenne actuelle.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Chantal Jouanno. En d’autres termes, nous sommes aujourd'hui engagés sur une trajectoire dangereuse.

Dangereuse, elle l’est sur le plan économique : dans une région donnée, un réchauffement de 1 degré correspond à une baisse de la croissance économique de l’ordre de 1,3 point. Ce n’est pas une assemblée de chevelus à sandalettes qui l’écrit, c'est la Banque mondiale dans son dernier rapport, intitulé Turn down the heat !

Mme Évelyne Didier. Très juste !

Mme Chantal Jouanno. Cette trajectoire est également dangereuse en termes de sécurité ; cela, c'est le dernier rapport du GIEC qui le dit.

En Afrique, c’est avant tout la question de l’approvisionnement en eau qui va se poser, quand l’Europe, elle, subira des inondations et des épidémies liées au changement climatique. Des millions de personnes seront déplacées à travers le monde, sans que nous ayons encore réfléchi à un statut de « déplacé environnemental ».

Le problème des ressources halieutiques va en outre se poser. Il faut savoir que 12 % de la population mondiale dépend de ces ressources pour vivre. Alors que le pH des océans n’avait jamais varié depuis 100 millions d’années, le surplus des émissions de gaz à effet de serre entraîne depuis quelque temps une augmentation de l’acidité des eaux océaniques.

M. Roland Courteau. C'est aussi le cas en Méditerranée !

Mme Chantal Jouanno. Et nous ne savons absolument pas comment ce milieu s'adaptera à cette évolution…

Nous avons donc un problème fondamental qui se pose en termes économique et en termes de sécurité – et il s’agit bien d’un sujet régalien en soi puisqu'il revient aux États de traiter ces questions – avec, en face, une communauté internationale qui discourt, et une Europe qui fait plutôt figure de précurseur en la matière, qui vote et qui s'engage.

Toutefois, les résultats attendus ne sont pas tous là. Certes, en Europe, nous sommes assez bons, mais d’autres continents, qui évoluent très vite, risquent de nous donner assez rapidement des leçons dans certains domaines.

Je vous renvoie au rapport de la Cour des comptes sur la mise en œuvre du paquet énergie-climat : il est marqué par un certain scepticisme sur l’efficacité des différents instruments. Je m'étonne que, face à tout cela, on ait pu voter, au sein de l'Union européenne, un budget en baisse, tout particulièrement en ce qui concerne l’innovation. Le budget consacré à l’environnement et au changement climatique, de l’ordre de 400 millions d’euros par an, est dérisoire…

Nous devrions faire strictement l’inverse et « mettre le paquet » sur l’innovation en conjuguant nos moyens de recherche, notamment sur les secteurs d’avenir : les énergies marines, le stockage de l’énergie, la gestion de l’énergie et les ressources stratégiques qui nous seront demain nécessaires.

Notre première conviction – nous l’avons proclamée en particulier dans notre programme pour les élections européennes – est que cette politique doit être la nouvelle ambition de l’Europe.

De même que l’on a créé l’Europe autour de la CECA – Communauté européenne du charbon et de l’acier –, considérant à l’époque que le charbon et l’acier étaient des ressources stratégiques, on devrait aujourd'hui constituer l’Europe autour des énergies du futur, mutualiser nos moyens de recherche et dégager dans le budget européen des ressources propres qui seraient orientées vers ces secteurs.

Nous n’entendons pas imposer le choix du nucléaire à quiconque : certes, le débat n’est pas seulement écologique, mais l’on doit respecter les arbitrages différents faits dans d’autres pays. Il reste que l’Europe doit être un pôle de développement de toutes ces énergies du futur. Or je ne vois aujourd'hui que la Chine investir massivement dans ces secteurs... C'est qu’elle est tout à fait consciente que celui qui maîtrisera et le solaire et le stockage de l’énergie sera demain, si j’ose dire, le « roi du pétrole » ! (Sourires.)

Ce débat, il faut arrêter de le présenter comme celui du nucléaire versus les énergies renouvelables et les énergies du futur ; c’est indispensable si l’on entend se tourner vraiment vers l’avenir et songer avant tout au développement de nos pays.

Notre deuxième conviction, c'est que l’on doit relever le défi avec l’Afrique. En Europe, nous sommes finalement les seuls à ne pas voir qu’à côté de chez nous un continent est en train d’exploser, tant sur le plan démographique qu’en termes de croissance. Si nous n’arrivons pas, avant la Conférence sur le climat de Paris, à élaborer un projet de développement Europe-Afrique, nous aurons du mal à emmener les autres pays !

Notre troisième conviction, c'est que l’Europe doit réformer en profondeur son système économique et fiscal. Si l’on ne bascule pas la fiscalité pesant sur le travail vers une fiscalité pesant sur la pollution, il n’y aura pas d’innovation écologique. Ce n’est rien d’autre que du green washing que d’affirmer que la modernisation écologique est possible sans une fiscalité écologique. Ainsi, nous plaidons pour que l’Europe se dote d’un prix du carbone.

Notre quatrième conviction est que l’Europe doit doublement réviser ses objectifs.

D’abord, en ce qui concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre, un objectif de 50 % constitue une ambition réaliste à l’horizon 2030 – c'était plus difficile à court terme. Si, à plusieurs égards, je partage le point de vue de Ronan Dantec, je ne suis pas du tout d’accord avec lui lorsqu’il dit que l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre doit être un troisième objectif. Non, c’est bien le premier objectif, et il doit assurément le rester.

Ensuite, nous devons prendre en compte non pas tant la réduction des émissions de gaz à effet de serre que celle de l’empreinte carbone. On peut se vanter, en France, d’avoir réduit depuis 1990 nos émissions de gaz à effet de serre au-delà de ce que nous imposait le protocole de Kyoto ! C'est formidable, n’est-ce pas ? Mais on oublie de préciser que cela est en grande partie lié à la désindustrialisation et que l’empreinte carbone, elle, ne cesse de croître… Il est donc un peu hypocrite de ne pas mettre cette question de l’empreinte carbone sur la table, car la planète ne gagne absolument rien à la désindustrialisation de la France.

Nous plaidons donc pour que ces objectifs soient clairement libellés en termes d’empreinte carbone, avec pour corollaire la mise en place d’une contribution carbone aux frontières de l’Europe sur les produits importés.

Enfin, notre cinquième conviction est que l’échelle d’action la plus pertinente après l’Europe n’est pas l’État, mais la région et les territoires. Nous sommes donc favorables à un transfert de la politique de l’énergie aux régions, qui doivent être dotées d’une véritable compétence d’expérimentation. Elles sont placées au mieux pour résoudre le problème de la précarité énergétique et elles doivent pouvoir expérimenter de nouveaux modèles, qu’ils soient coopératifs ou collaboratifs – je suis assez convaincue par le système des coopératives énergétiques, dans certains secteurs.

Voilà, rapidement exposées, cinq convictions qui débouchent sur autant de propositions. Mais nous avons en tout cas une certitude : après le charbon et l’acier, l’agriculture, le marché commun, le prochain projet européen devrait être, justement, ce secteur des énergies du futur et de l’innovation écologique. (Bravo ! et applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous remercions nos collègues du groupe écologiste d’avoir pris l’initiative de ce débat sur le climat et l’énergie en Europe. Bien sûr, quelle que soit la qualité des interventions, nous sommes bien conscients que ce débat ne va pas résoudre la question. Il reste que nous avons entendu s’exprimer des points de vue intéressants, qui méritaient points de vue intéressants, qui méritaient d’être formulés.

Le sujet est large, d’autant qu’il nécessite une mise en perspective internationale. En effet, la question du climat ne connaît pas de frontières. Les conséquences dramatiques du réchauffement climatique appellent une réponse globale, solidaire et concertée des États du monde entier. Quel chantier ! C’est pourquoi les engagements qui seront pris dans le cadre du sommet sur les changements climatiques organisé par Ban Ki-moon à l’automne prochain pèseront lourds, nous le savons, en particulier au regard des positions adoptées par des pays jusque-là très sceptiques, ou en retrait, ainsi que dans la perspective de la Conférence des parties de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques qui se déroulera à Paris en 2015.

Le 13 avril dernier, le nouveau rapport du GIEC destiné à promouvoir auprès des États des pistes pour, notamment, décarboner leur économie a rappelé encore une fois l’urgence qu’il y a à agir. La croissance des émissions mondiales de gaz à effet de serre n’a jamais été aussi rapide. Les experts du GIEC préconisent de réduire ces émissions de 40 % à 70 % d’ici à 2050 et de les ramener à un niveau proche de zéro d’ici à la fin du siècle. Lourde tâche !

Tous les secteurs de l’économie sont concernés : l’énergie, mais aussi l’agriculture, le bâtiment, les transports… J’en oublie sans doute ! Ainsi, les transports par la route ou les airs, qui se sont intensifiés en raison de la multiplication des échanges commerciaux, sont de forts émetteurs de gaz à effet de serre. C’est pourquoi lutter contre le dérèglement climatique suppose de reconnaître les coûts écologiques et sociaux de l’économie mondialisée et d’adopter une méthode normative, mais aussi, sans doute, d’effectuer un travail beaucoup plus important au niveau local.

Aujourd’hui, la nécessité d’agir et de diminuer l’utilisation des énergies fossiles, de réduire les gaz à effet de serre ne font plus débat. Nul n’ignore les effets du changement climatique, notamment sur les populations les plus vulnérables, ni les conséquences à venir, qui ont été fort bien détaillées par les orateurs précédents.

Dans son excellent avis sur l’adaptation au changement climatique, la section de l’environnement du Conseil économique, social et environnemental partage le bilan établi par de nombreux acteurs institutionnels ou de la société civile. Elle note ainsi que « le réchauffement pourrait, suivant l’importance des émissions de gaz à effet de serre, atteindre dans notre pays environ 1,5°C en 2050 et entre 2,5 et 3,5°C en 2100. » C’est un scénario tout à fait probable. Elle poursuit : « Les régions montagneuses seront touchées par une diminution de l’enneigement et […] une quasi-disparition des glaciers, tandis que l’élévation du niveau de la mer […] aura des conséquences importantes dans certaines régions côtières particulièrement sensibles à la montée des eaux.